Toutesfois afin que la chose soit mieux esclarcie, il sera expédient de traitter yci tant de la vocation des esleus, que de l’aveuglement et endurcissement des réprouvez. J’ay touché desjà du premier point en réfutant l’erreur de ceux qui sous ombre de la généralité des promesses, voudroyent égualer tout le genre humain. Mais Dieu garde son ordre, en déclairant finalement par sa vocation la grâce qu’il tenoit au paravant cachée en soy. Et pour ceste cause on peut dire qu’en appelant il testifie de son élection. Car il a préordonné ceux qu’il avoit précognus, pour estre conformes à l’image de son Fils. Or ceux qu’il a préordonnez, il les a aussi appelez : et ceux qu’il a appelez, il les a justifiez pour les glorifier une fois Rom. 8.29-30. Comme ainsi soit que le Seigneur en eslisant les siens, les ait adoptez pour ses enfans, nous voyons toutesfois qu’ils ne vienent point en possession d’un si grand bien, sinon quand il les appelle. D’autre part, qu’estans appelez, ils ont desjà quelque jouissance de leur élection. Pour laquelle cause sainct Paul appelle l’Esprit qu’ils reçoyvent, Esprit d’adoption Rom. 8.15. Item, Le seau et arre de l’héritage futur Eph. 1.13-14 ; 2Cor. 1.22 : d’autant que par son tesmoignage il conferme et scelle en leurs cœurs la certitude de ceste adoption. Car combien que la prédication de l’Evangile sourde de la fontaine de l’élection, toutesfois pource qu’elle est commune aussi aux réprouvez, elle n’en seroit point assez ferme preuve de soy. Mais Dieu enseigne ses esleus avec efficace, pour les attirer à la foy : comme nous avons allégué ci-dessus, Celuy qui est de Dieu a veu le Père Jean 6.46, et non autre. Item, J’ay manifesté ton Nom aux hommes que tu m’as donnez Jean 17.6 : comme ainsi soit qu’il dise ailleurs, Nul ne peut venir à moy, sinon estant tiré du Père Jean 6.44. Lequel lieu sainct Augustin considère prudemment, lequel parle ainsi : Si, tesmoin la vérité, celuy qui a apprins du Père vient : quiconques ne vient point, n’a point apprins du Père. Il n’est pas doncques conséquent, que celuy qui peut venir, viene de faict, sinon qu’il le vueille et qu’il le face : mais quiconques a esté enseigné du Père, non-seulement peut venir, mais vient de faict. Et alors il y a l’advancement de possibilité, l’affection de volonté, et l’effect de l’action[t]. Il parle encores plus clairement en un autre lieu, Qu’est-ce que veut dire ceci, Quiconques a ouy de mon Père et a apprins, vient à moy : sinon qu’il n’y a nul qui oye et qui apprene du Père, qui ne viene à Jésus-Christ ? Car si tous ceux qui oyent et apprenent, vienent : quiconque ne vient point, n’a point ouy ny apprins. Car s’il eust ouy et apprins, il viendroit. Ceste eschole est fort eslongnée des sens de la chair, en laquelle le Père enseigne et est ouy, pour faire venir à son Fils. Un peu après il adjouste, Ceste grâce laquelle est occultement donnée aux cœurs des hommes, n’est point receue d’un cœur endurcy : car elle est donnée à ce que la dureté du cœur soit ostée. Ainsi quand le Père est ouy intérieurement, il oste le cœur de pierre et en donne un de chair Ezéch. 11.19 ; 36.26. Et voylà comme il fait les enfans de la promesse et vaisseaux de miséricorde, lesquels il a préparez en gloire Rom. 9.23. Pourquoy doncques n’enseigne-il tous hommes pour les faire venir à Christ, sinon que ceux qu’il enseigne c’est par miséricorde : et ceux qu’il n’enseigne point, c’est par jugement : d’autant qu’il a pitié de ceux que bon luy semble, et endurcit ceux qu’il veut[u]. Le Seigneur doncques choisit pour ses enfans ceux qu’il eslit, et délibère d’estre leur Père : mais en les appelant, il les introduit en sa famille, et se conjoinct et allie avec eux, pour estre faits comme un. Or l’Escriture conjoignant en telle sorte la vocation avec l’élection, monstre bien par cela qu’il n’y faut rien chercher, sinon la miséricorde de Dieu gratuite. Car si nous demandons lesquels il appelle, et la raison pourquoy : elle respond. Ceux qu’il a esleus. Or quand on vient à l’élection, la seule miséricorde y apparoist de toutes pars : selon que porte la sentence de sainct Paul, Que ce n’est point ne du vueillant ne du courant, mais de Dieu ayant pitié Rom. 9.16. Et ne faut point prendre cela comme on fait communément, en partissant entre la grâce de Dieu et la volonté et course de l’homme. Car on expose que le désir ne l’effort de l’homme ne peuvent rien, sinon que la grâce de Dieu les face prospérer : mais si Dieu adjouste son aide, que l’un et l’autre fait quelque chose pour acquérir salut. Laquelle cavillation j’aime mieux réfuter par les paroles de sainct Augustin que par les mienes. Si l’Apostre, dit-il, n’a voulu autre chose que dire qu’il n’estoit seulement en la faculté du vueillant et du courant, sinon que le Seigneur y aide par sa miséricorde, nous pourrons au contraire retourner cela, et dire qu’il n’est pas en la seule miséricorde de Dieu, sinon qu’elle soit aidée par la volonté et course de l’homme[v]. Si cela est clairement meschant, il ne faut douter que l’Apostre n’ait voulu tout assigner à la miséricorde de Dieu, sans rien laisser à nostre volonté ou estude. Voylà les mots de ce sainct personnage. Je n’estime pas un festu la subtilité qu’ils ameinent : c’est que sainct Paul n’eust pas ainsi parlé, s’il n’y avoit quelque effort et volonté en nous. Car il n’a pas réputé ce qui estoit en l’homme : mais voyant qu’il y en avoit aucuns qui assignoyent en partie le salut des hommes à leur industrie : au premier membre de son oraison il condamne simplement leur erreur, puis il maintient que toute la somme de salut gist en la miséricorde de Dieu. Et qu’est-ce que font autre chose les Prophètes, sinon de prescher continuellement la vocation de Dieu gratuite ?
[t] De Gratia Christi, contra Pelag. et Caelesi., lib. I, cap. XIV et XXXI
[u] Lib. De Praedest. sanct., cap. VIII.
[v] Enchrid. ad Laurent., cap. XXXI.
Ce que nous voyons aussi en la substance d’icelle : car elle consiste en la prédication de la Parole, et illumination du sainct Esprit. Or nous avons au Prophète, à qui c’est que nostre Seigneur offre sa parole : J’ay esté trouvé, dit-il, de ceux qui ne me cherchoyent point, je suis apparu à ceux qui ne m’interroguoyent point. J’ay dit à ceux qui n’invoquoyent point mon Nom, Me voyci Esaïe 65.1. Et afin que les Juifs ne pensassent une telle grâce appartenir seulement aux Gentils, le Seigneur leur réduit en mémoire dont c’est qu’il a prins leur père Abraham, quand il l’a voulu recevoir en son amour : asçavoir du milieu de l’idolâtrie, en laquelle il estoit comme abysmé avec tous ses parens Josué 24.3. Puis que Dieu esclaire par sa Parole à ceux qui n’ont rien mérité : en cela il donne un signe assez clair de sa bonté gratuite. Or en cest endroict la bonté infinie de Dieu se monstre desjà : mais ce n’est pas pour le salut de tous, d’autant que la condamnation des réprouvez sera plus griefve, de ce qu’ils ont rejette le tesmoignage de l’amour de Dieu. Et de faict aussi Dieu retire d’eux la vertu de son Esprit, pour donner plus de lustre à sa grâce. Dont il s’ensuyt que la vocation intérieure est un gage de salut, qui ne peut mentir. A quoy se rapporte le dire de sainct Jehan, Nous cognoissons que nous sommes ses enfans, par l’Esprit qu’il nous a donné 1Jean 4.13. Et afin que la chair ne se glorifie qu’elle luy respond estant appelée : il afferme que nous n’avons nulles aureilles à ouyr, et nuls yeux à veoir, sinon qu’il nous les ait formez. D’avantage, qu’il nous les forme, non pas selon qu’un chacun en est digne : mais selon son élection. De quoy nous avons un exemple notable en sainct Luc, où il est dit que les Juifs et Gentils communément ouyrent la prédication de sainct Paul. Or comme ainsi soit que tous fussent enseignez d’une mesme doctrine, il est dit que ceux ont creu, que Dieu avoit ordonnez à vie éternelle Actes 13.48. N’aurions-nous pas honte de nier que la vocation ne soit gratuite, en laquelle règne la seule élection depuis un bout jusques à l’autre ?
Il nous faut yci donner garde de deux erreurs. Car les uns font l’homme compagnon de Dieu, pour ratifier l’élection de Dieu en s’y accordant. Ainsi, selon eux, la volonté de l’homme seroit par-dessus le conseil de Dieu. Comme si l’Escriture disoit seulement, qu’il nous est donné de pouvoir croire : et non pas plustost, que la foy plenement est don de Dieu. Les autres, je ne sçay pas de quelle raison estans induits, suspendent l’élection, de la foy : comme si il n’y avoit point de certitude ne fermeté jusques à ce qu’on croye. Or il est bien vray qu’à nostre regard elle est confermée en croyant, et que le conseil de Dieu, qui au paravant estoit caché, nous est manifesté : mais ce pendant gardons-nous d’entendre autre chose que ce que nous avons dit par ci-devant, asçavoir que l’adoption de Dieu, laquelle nous estoit incognue, nous est approuvée et comme scellée. Mais c’est faussement parler, que l’élection commence d’avoir son efficace lors que nous recevons l’Evangile, et qu’elle prend de là sa vigueur. Quant à nous, comme j’ay dit, il nous faut prendre la certitude d’icelle de l’Evangile : pource que si nous attentons de pénétrer au décret éternel de Dieu, ce nous sera un abysme pour nous engloutir. Mais après que Dieu nous a testifié et fait cognoistre que nous sommes de ses esleus, il convient monter plus haut, de peur que l’effect n’ensevelisse sa cause. Car il n’y a rien plus desraisonnable, quand l’Escriture nous dit qu’il nous a illuminez selon qu’il nous avoit esleus, que ceste clairté nous esblouisse tellement les yeux, que nous refusions de pensera nostre élection. Je ne nie pas ce pendant que pour estre certains de nostre salut il ne nous fale commencer par la Parole, et que toute nostre fiance ne s’y doyve appuyer et reposer, pour invoquer Dieu comme nostre Père. Car ceux qui appètent de voltiger sur les nues pour s’asseurer du conseil de Dieu, lequel il nous a mis au cœur et en la bouche Deut. 30.14, pervertissent tout ordre. Il est doncques besoin de refréner nostre témérité par sobriété de foy, afin que Dieu nous soit tesmoin suffisant de sa grâce occulte, quand il la nous déclaire par sa Parole : moyennant que ce canal, duquel nous sommes rassasiez, n’empesche point que la vraye source ne retiene l’honneur qui luy appartient.
Or comme ceux qui enseignent la vertu et fermeté de l’élection dépendre de la foy, par laquelle nous sentons qu’elle nous appartient, font perversement, aussi d’autre part nous tiendrons un très-bon ordre, si en cherchant d’avoir certitude de nostre élection, nous nous arrestons à ces signes qui en sont certains tesmoignages. Le diable n’a nulle plus griefve tentation ne périlleuse pour esbranler les fidèles, que quand les inquiétant de doute de leur élection, il les solicite d’une folle cupidité de la chercher hors de la voye. J’appelle chercher hors de la voye, quand le povre homme s’efforce d’entrer aux secrets incompréhensibles de la sagesse divine, et pour sçavoir ce qui a esté ordonné de luy au jugement de Dieu, cherche depuis le commencement d’éternité. Car lors il se précipite comme en un gouffre profond pour se noyer : il s’empestre comme en des pièges, dont il ne se pourra jamais desvelopper : et entre comme en un abysme de ténèbres, dont il ne pourra jamais sortir. Car c’est bien raison que l’outrecuidance de l’entendement humain soit ainsi punie d’une horrible ruine, quand elle attente de s’eslever par sa vertu à la hauteur de la sagesse divine. Or ceste tentation que j’ay dite est d’autant plus pernicieuse, que nous y sommes quasi tous enclins. Car il y en a bien peu lesquels ne soyent touchez en leurs cœurs de ceste cogitation, Dont est-ce que tu as salut, sinon de l’élection de Dieu ? Et ceste élection comment t’est-elle révélée ? Quand ceste pensée a une fois occupé lieu en l’homme, ou elle le tormente merveilleusement : ou elle le rend du tout estonné et abatu. Je ne veux avoir argument plus propre à monstrer combien perversement telle manière de gens imagine la prédestination. Car l’esprit de l’homme ne peut estre infecté d’erreur plus pestilent, que quand la conscience est troublée de sa tranquillité et repos qu’elle doit avoir avec Dieu. Ceste matière est comme une mer : en laquelle si nous craignons de périr, gardons-nous sur toutes choses de ce rocher, auquel on ne peut ahurter sans malencontre. Combien toutesfois que ceste dispute de prédestination soit estimée comme une mer dangereuse, si est-ce que la navigation y est seure et paisible, et mesmes joyeuse, sinon que quelqu’un affecte de son bon gré se mettre en danger. Car comme ceux qui pour estre certains de leur élection entrent au conseil éternel de Dieu sans sa Parole, se précipitent et fourrent en un abysme mortel : aussi d’autre part ceux qui la cherchent droictement et en tel ordre qu’elle est monstrée en l’Escriture, en rapportent une singulière consolation. Pourtant que ceste soit nostre voye pour en enquérir : asçavoir, de commencer par la vocation de Dieu, et finir en icelle. Combien que cela n’empesche point que les fidèles ne cognoissent que les bénéfices qu’ils reçoyvent journellement de la main de Dieu, provienent de son adoption secrette : comme ils en parlent en Isaïe, Tu as fait choses admirables : tes pensées anciennes sont vrayes et certaines Esaïe 25.1, veu que le Seigneur veut qu’elle nous soit comme un mereau ou enseigne, pour nous certifier tout ce qui est licite de sçavoir de son conseil. Et afin que ce tesmoignage ne semble advis infirme à quelqu’un, réputons un peu combien de clairté et certitude il nous apporte. De quoy sainct Bernard traitte bien à propos. Car après avoir parlé des réprouvez, il dit, Le propos de Dieu demeure ferme. La sentence de paix est asseurée sur ceux qui le craignent : d’autant qu’il dissimule leurs péchez, et rémunère leurs bienfaits : tellement que d’une façon admirable le mal mesme leur tourne à bien. Qui accusera les esleus de Dieu ? Il me suffit pour toute justice, d’avoir propice celuy que j’ay offensé : tout ce qu’il a délibéré de ne me point imputer, est comme s’il n’eust jamais esté. Et un petit après, Voyci le lieu de vray repos, et lequel à bon droict nous pouvons appeler Chambre, quand nous contemplons Dieu, non pas troublé d’ire ou agité de soin, mais pour sçavoir sa volonté bonne, agréable et parfaite. Ceste vision n’effraye point, mais appaise et adoucit. Elle n’esmeut point des curiositez bouillantes, mais les rabat toutes. Elle ne travaille point les sens, mais les rend tranquilles. Voyci où il nous faut droictement reposer : c’est que Dieu estant appaisé, nous appaise, pource que nostre repos est de l’avoir paisible[a].
[a] Super Cantic. Serm. XIII.
Premièrement, si nous demandons d’avoir la clémence paternelle de Dieu et sa bénévolence envers nous, il nous faut convertir les yeux en Christ, auquel seul repose le bon plaisir du Père Matt. 3.17. Si nous cherchons salut, vie et immortalité, il ne faut non plus recourir ailleurs : veu que luy seul est fontaine de vie, port de salut, et héritier du Royaume céleste. Or à quelle fin tend l’élection, sinon à ce que nous, estans adoptez de Dieu pour ses enfans, obtenions en sa grâce et dilection, salut et immortalité ? Quelque chose qu’on revire, retourne ou espluche, on trouvera que le but de nostre élection ne tend pas outre cela. Pourtant ceux que Dieu a choisis pour ses enfans, il n’est pas dit qu’il les ait esleus en eux-mesmes, mais en son Christ Eph. 1.4 : pource qu’il ne les pouvoit aimer sinon en luy, et ne les pouvoit honorer de son héritage, sinon les ayant faits participans premièrement de luy. Or si nous sommes esleus en Christ, nous ne trouverons point la certitude de nostre élection en nous : non pas mesmes en Dieu le Père, si nous l’imaginons nuement sans son Fils. Christ doncques est comme un miroir, auquel il convient contempler nostre élection, et auquel nous la contemplerons sans tromperie. Car puis qu’il est celuy auquel le Père céleste a proposé d’incorporer ceux qu’il a voulu de toute éternité estre siens, afin d’advouer pour ses enfans tous ceux qu’il recognoistroit estre membres d’iceluy, nous avons un tesmoignage assez ferme et évident que nous sommes escrits au livre de vie, si nous communiquons à Christ. Or il s’est suffisamment communiqué à nous, quand par la prédication de l’Evangile il nous a testifié qu’il nous est donné du Père, afin d’estre nostre avec tous ses biens. Il est dit que nous le vestons, et que nous sommes unis à luy pour vivre, d’autant qu’il vit. Ceste sentence est souvent répétée, que le Père céleste n’a point espargné son Fils unique Rom. 8.32, afin que quiconques croira en luy ne périsse point Jean 3.16. Il est dit aussi que quiconques croit en luy, est passé de mort à vie Jean 5.24. Selon lequel sens il s’appelle le pain de vie, duquel quiconques mangera, ne mourra jamais Jean 6.35, 58. Il nous est, di-je, tesmoin, que tous ceux desquels il sera receu en vraye foy, seront tenus du Père céleste pour ses enfans. Si nous désirons quelque chose plus, que d’estre enfans et héritiers de Dieu, nous pouvons bien monter plus haut que Christ. Mais si c’est là nostre dernière borne, n’est-ce point enrager du tout de chercher hors Christ ce que nous avons desjà obtenu en luy, et ne se peut trouver qu’en luy seul ? D’avantage, puis qu’il est la sagesse éternelle du Père, la vérité immuable, le conseil arresté, il ne faut craindre que ce qu’il nous déclaire par sa bouche, puisse le moins du monde varier de la volonté du Père, laquelle nous cherchons. Mais plustost il nous la manifeste fidèlement telle qu’elle a esté du commencement, et doit estre tousjours. La pratique de ceste doctrine doit avoir sa vigueur mesmes en nos prières. Car combien que la foy de nostre élection nous donne courage d’invoquer Dieu, toutesfois ce seroit une spéculation esgarée quand il nous faut former nos requestes, mettre ceci en avant, Mon Dieu, si je suis esleu, exauce-moy. Plustost il veut que ses promesses nous contentent, sans que nous cherchions ailleurs s’il nous sera favorable ou non. Ceste discrétion nous despestrera de beaucoup de liens, quand nous sçaurons appliquer ce qui est escrit à son droict usage, et que nous ne le tirerons point çà et là inconsidérément et à la volée Eph. 1.4.
Cela fait aussi grandement à establir nostre fiance, que la fermeté de nostre élection est conjoincte à nostre vocation. Car ceux que Christ a illuminez en sa cognoissance, et introduits en la compagnie de son Église, il est dit qu’il les reçoit en sa protection et tutelle. D’avantage, tous ceux qu’il reçoit, il est dit que le Père les luy a commis et donnez en garde, pour les conduire à vie éternelle Jean 6.37, 39. Que voulons-nous plus ? Le Seigneur Jésus crie à haute voix, que le Père luy a donné en sa protection tous ceux qu’il vouloit estre sauvez Jean 17.6, 12. Pourtant, quand nous voulons sçavoir si Dieu a nostre salut en recommandation, cherchons s’il l’a recommandé à Christ, lequel il a constitué gardien unique de tous les siens. Si nous doutons asçavoir si Christ nous a receus en sa tutelle et sauvegarde, il vient au-devant de ceste doute, quand il se présente pour Pasteur : et déclaire qu’il nous aura au nombre de ses brebis, si nous escoutons sa voix Jean 10.3, 16. Recevons donc Christ, puis qu’il s’expose à nous tant bénignement, et vient au-devant pour nous recevoir. Il n’y a point de doute qu’il nous tiendra en son troupeau, et nous gardera en son bercail. Mais quelqu’un dira qu’il nous faut soucier de ce qui nous peut advenir : et quand nous pensons au temps futur, que nostre imbécillité nous admoneste d’estre en solicitude. Car comme sainct Paul dit que Dieu appelle ceux qu’il a esleus Rom. 8.30, aussi le Seigneur Jésus dit, qu’il y en a plusieurs d’appelez, et peu d’esleus Matt. 22.14. Sainct Paul aussi bien nous désenhorte en un autre lieu, d’estre en sécurité : Que celuy, dit-il, qui est debout, se garde de tomber 1Cor. 10.12. Item, Es-tu incorporé en l’Eglise de Dieu ? Ne t’enorgueilly point, mais crain Rom. 11.20 : car le Seigneur t’en peut retrancher, pour en mettre un autre en ton lieu. Finalement, l’expérience nous monstre que la foy et la vocation n’est guères, sinon que la persévérance soit conjoincte, laquelle n’est pas donnée à tous. Je respon que Christ nous a délivrez de ceste perplexité. Car il n’y a doute que ces promesses n’appartienent au temps futur. Tout ce que le Père me donne, vient à moy : et ce qui sera venu à moy, je ne le jetteray point dehors. Item, Ceste est la volonté de mon Père, que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné : mais que je ressuscite tout au dernier jour Jean 6.37, 39. Item, mes ouailles escoutent ma voix, et me suyvent. Je les cognoy, et leur donne la vie éternelle, nul ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus fort que tous : parquoy nul ne les pourra ravir de sa main Jean 10.27. D’avantage, en prononçant que tout arbre que son Père n’aura point planté sera arraché Matt. 15.13 : il signifie à l’opposite, qu’il ne se peut faire que ceux qui ont vive racine en Dieu, soyent jamais arrachez. A quoy s’accorde le dire de sainct Jehan, S’ils eussent esté de nostre troupeau, jamais ne fussent sortis d’avec nous 1Jean 2.19. Et voylà pourquoy sainct Paul s’ose glorifier d’une façon magnifique contre la vie et la mort, contre les choses présentes et à venir Rom. 8.38. En quoy on voit qu’il a esté asseuré du don de persévérance. Il n’y a doute aussi que luy-mesme n’addresse ceste sentence à tous les esleus, Celuy qui a commencé en vous l’œuvre de vostre salut, la parfera jusques au jour de Jésus-Christ Phil. 1.6. Comme de faict, David estant esbranslé de griefves tentations, se repose sur cest appuy, Seigneur, tu ne délaisseras pas l’ouvrage de tes mains Ps. 138.8. Outreplus, c’est chose certaine que Jésus-Christ priant pour tous les esleus, demande pour eux ce qu’il avoit demandé pour Pierre : c’est que leur foy ne défaille point Luc 22.32. Dont nous concluons qu’ils sont hors de danger de cheute mortelle : veu que le Fils de Dieu, ayant requis qu’ils demeurassent fermes, n’a point esté refusé. Qu’est-ce que nous a voulu icy apprendre Christ, sinon de nous acertener que nous aurons salut éternel, puis que nous avons une fois esté faits siens ?
On répliquera, qu’il advient de jour en jour que ceux qui sembloyent advis estre à Christ, défaillent et trébuschent. Mesmes au lieu où il dit, que nul de ceux qui luy avoyent esté donnez du Père, n’est péri, il excepte le fils de perdition Jean 17.12. Cela est bien vray : mais il est certain d’autre part, que telle manière de gens n’ont jamais adhéré à Christ d’une telle fiance de cœur, par laquelle nous disons que nostre élection nous est certifiée. Iceux sont sortis de nous, dit sainct Jehan, mais ils n’estoyent point des nostres. Car s’ils en eussent esté, ils fussent demeurez avec nous 1Jean. 2.19. Je ne nie pas qu’ils n’ayent des signes semblables avec les esleus : mais je ne leur concède pas ce fondement certain de leur élection, que les fidèles doyvent prendre selon mon dire, de la parole de l’Evangile. Pourtant que ces exemples ne nous troublent point, que nous ne nous tenions seurement en ces promesses du Seigneur Jésus, où il prononce que le Père luy a donné tous ceux desquels il est receu en vraye foy : et que nul de leur nombre ne périra, puis qu’il en est le gardien et protecteur Jean.3.16 ; 6.39. Il sera parlé ailleurs de Judas. Quand est de sainct Paul, il ne nous défend pas simplement toute sécurité, mais une nonchalance charnelle, laquelle tire avec soy orgueil, outrecuidance, et contemnement des autres : esteigne humilité et révérence de Dieu, et induise en oubliance de ses grâces. Car en ce passage-là il parle aux Gentils, ausquels il remonstre qu’ils ne doyvent point fièrement et inhumainement insulter aux Juifs, pource qu’ils avoyent esté substituez en leur lieu, dont les autres avoyent esté déboutez. Pareillement, il ne requiert pas une crainte par laquelle nous vacillions avec estonnement, mais laquelle nous instruisant à révérer humblement la grâce de Dieu, ne diminue rien de la fiance que nous avons en luy comme il a esté dit autre part. Il y a d’avantage, qu’il n’addresse pas son propos à chacun à part, mais aux bandes qui estoyent pour lors. Car d’autant que l’Eglise estoit divisée en deux, et que l’envie avec la hautesse estoit cause du divorce, sainct Paul admoneste les Payens, que s’ils ont esté substituez au lieu du peuple sainct et héréditaire, que cela les doit induire à crainte et modestie : comme ainsi soit que plusieurs fussent pleins d’orgueil et de présomption, desquels il estoit expédient de rabatre la vaine flatterie. Au reste, nous avons desjà veu que nostre espérance se doit estendre à l’advenir, voire outre la mort : et qu’il n’y a rien plus contraire à sa nature que d’estre en bransle et en souci, comme si nous doutions de ce qui doit estre fait de nous.
Touchant de la sentence de Christ, que plusieurs sont appelez, et peu d’esleus : il n’y aura nulle ambiguïté, s’il nous souvient de ce qui nous doit estre assez liquide, asçavoir qu’il y a double espèce de vocation. Car il y a la vocation universelle, qui gist en la prédication extérieure de l’Evangile, par laquelle le Seigneur invite à soy tous hommes indifféremment : voire mesmes ceux ausquels il la propose en odeur de mort, et pour matière de plus griefve condamnation. Il y en a une autre spéciale, de laquelle il ne fait quasi que les fidèles participans, quand par la lumière intérieure de son Esprit il fait que la doctrine soit enracinée en leurs cœurs ; combien qu’aucunesfois il use aussi d’une telle vocation envers ceux qu’il illumine pour un temps : et puis après, à cause de leur ingratitude, il les délaisse et jette en plus grand aveuglement. Or le Seigneur Jésus voyant l’Evangile estre publié lors à beaucoup de gens, estre rejetté de plusieurs, mesprisé des autres, et que peu de personnes l’avoyent en honneur, il nous figure Dieu sous la personne d’un Roy, lequel voulant faire un banquet solennel envoye ses serviteurs çà et là, pour prier grande multitude : mais qu’il n’y en a guères qui promettent de venir, pource que chacun allègue ses empeschemens : tellement qu’il est contraint à leur refus, de mander tous ceux qu’on peut rencontrer par les rues. Il n’y a nul qui ne voye bien que la parabole jusques yci se doit entendre de la vocation extérieure. Il adjouste conséquemment, que Dieu à la manière de ceux qui reçoivent des hostes, va de table en table, pour festoyer tous ceux qu’il a receus, de bonne chère. S’il en trouve quelqu’un qui n’ait point sa robbe d’honneur, il dit qu’il ne souffrira point déshonorer son banquet, mais qu’il le chassera hors Matt. 22.2-13. Je confesse que ce membre se doit entendre de ceux qui font profession de foy, et ainsi sont receus en l’Eglise, mais cependant ne sont point vestus de la sanctification de Christ. Il est donc dit que le Seigneur ne souffrira pas à la longue telles pestes, qui ne font que diffamer son Eglise : mais selon que mérite leur turpitude, les chassera hors. Il y en a doncques peu d’esleus d’un grand nombre qui aura esté appelé, mais non pas de ceste vocation dont nous enseignons que les fidèles doyvent estimer leur élection. Car celle dont il est là parlé appartient aussi aux iniques : ceste seconde apporte avec soy l’Esprit de régénération, lequel est l’arre et seau de l’héritage futur, et par lequel nos cœurs sont signez jusques au jour de la résurrection Eph. 1.13-14. En somme, pource que les hypocrites se vantent d’estre aussi gens de bien que les vrays serviteurs de Dieu, Jésus-Christ prononce qu’en la fin ils seront déchassez du lieu qu’ils occupent à tort : suyvant ce qui est dit au Pseaume, Seigneur, qui habitera en ton sanctuaire ? celuy qui est innocent de ses mains, et pur de cœur Ps. 15.1. Item, Telle est la génération de ceux qui cherchent Dieu, qui cherchent la face du Dieu de Jacob Ps. 24.6. Par ce moyen le sainct Esprit exhorte les fidèles à patience, à ce qu’il ne leur face mal que les Ismaélites soyent meslez parmi eux en l’Eglise : veu qu’en la fin la masque leur sera ostée, et en seront exterminez avec honte.
C’est aussi la cause pourquoy Christ fait ceste exception dont il a esté parlé, quand il dit que nulle de ses brebis n’est périe, sinon Judas Jean 17.12. Car il n’estoit pas réputé entre les brebis de Christ pource qu’il en fust vrayement, mais pource qu’il y avoit lieu. Ce qu’en un autre passage le Seigneur dit qu’il l’avoit esleu avec les autres Apostres, cela ce doit seulement rapporter à l’office. Je vous ay, dit-il, esleus douze, et l’un est diable Jean 6.70 : c’est qu’il l’avoit constitué Apostre. Mais quand il parle de l’élection à salut, il le sépare du nombre des esleus, comme quand il dit, Je ne parle pas de tous, je sçay lesquels j’ay esleus Jean 13.18. Si quelqu’un confond ce vocable d’Election en ces passages, il s’enveloppera povrement : s’il le sçait distinguer, il n’y a rien plus facile. C’a esté doncques très mal parlé à sainct Grégoire, de dire que nous sçavons bien de nostre vocation, mais que de nostre élection nous en sommes incertains. Et de cela il nous exhorte à terreur et tremblement, usant de ceste raison, que nous sçavons bien quels nous sommes aujourd’huy, mais que nous sommes ignorans quels nous serons demain[b]. Mais par la procédure de son oraison on voit bien comment il s’est ainsi abusé. Car pource qu’il fondoit l’élection sur le mérite des œuvres, il avoit assez de matière à espovanter les hommes, et les mettre en desfiance : de les confermer il ne pouvoit, pource qu’il ne les renvoyoit point à la fiance de la bonté de Dieu. Par cela les fidèles peuvent avoir quelque goust de ce que nous avons dit au commencement : asçavoir que la prédication, si elle est bien méditée, n’est pas pour troubler ou esbranler la foy, mais plustost pour la confermer très-bien. Toutesfois je ne nie pas que le sainct Esprit n’approprie quelquesfois les mots à la rudesse de nostre sens : comme quand il dit. Ils ne seront point au conseil de mon peuple, ils ne seront point escrits au rolle de mes serviteurs Ezéch. 13.9 : car c’est comme s’il commençoit d’escrire au livre de vie ceux qu’il veut advouer pour siens : comme ainsi soit que selon le tesmoignage de Jésus-Christ, les noms des enfans de Dieu ayent esté dés le commencement enregistrez au livre de vie. Mais par ces mots est signifiée la réjection des Juifs, qu’on avoit estimez pour un temps estre les pilliers de l’Eglise : suyvant ce qui est dit au Pseaume, Qu’ils soyent effacez du livre de vie, et ne soyent escrits avec les justes Ps. 69.28.
[b] Homil. XXXVIII.
Or les esleus ne sont point tous assemblez par la vocation du Seigneur au troupeau de Christ, ne dés le ventre de leur mère, ny en un mesme temps, mais comme il plaist à Dieu de leur dispenser sa grâce. Devant doncques qu’ils soyent convertis à ce souverain Pasteur, ils errent comme les autres, et sont dispersez en la dissipation universelle de ce monde, et ne diffèrent en rien des autres, sinon que Dieu par une miséricorde singulière les conserve, de peur qu’ils ne trébuschent en ruine éternelle. Si nous regardons doncques en eux, nous verrons la race d’Adam, laquelle ne peut sentir que la perversité de son origine. De ce qu’ils ne tombent point en impiété désespérée, cela ne se fait point par quelque bonté naturelle : mais pource que l’œil du Seigneur veille sur leur salut, et sa main est estendue pour les y conduire. Car ceux qui imaginent qu’ils ont je ne say quelle semence d’élection enracinée en leurs cœurs dés la nativité, et que par cela ils sont enclins toujours à la crainte de Dieu, n’ont nulle authorité de l’Escriture pour prouver leur opinion : et l’expérience mesme les rédargue. Ils produisent bien quelques exemples, pour prouver qu’aucuns des esleus n’ont point du tout esté sans religion devant qu’estre droictement illuminez ; car ils allèguent que sainct Paul a esté irrépréhensible en son Pharisaïsme Phil. 3.5-6 : que Cornille le Centenier a esté agréable à Dieu par ses prières et oraisons Actes 10.2. De sainct Paul, je leur concède ce qu’ils disent : de Cornille, je di qu’ils s’abusent : car il estoit desjà lors régénéré et illuminé, tellement qu’il ne luy défaloit plus rien, sinon une plus claire révélation de l’Evangile. Mais encores, qu’est-ce qu’ils obtiendront en la fin : quand nous leur accorderons d’une douzaine ? conclurront-ils que tous les esleus de Dieu ont eu un mesme esprit ? C’est autant comme si quelqu’un ayant démonstré l’intégrité de Socrates, Aristides, Xénocrates, Scipion, Curius, Camillus et autres Payens, vouloit inférer par cela, que tous ceux qui ont esté aveuglez en idolâtrie, ont esté de saincte vie et entière. Outre ce que leur argument ne vaut rien, l’Escriture leur contredit apertement en plusieurs lieux. Car l’estat que descrit sainct Paul avoir esté entre les Ephésiens devant leur régénération, ne monstre pas un seul grain de ceste semence : Vous estiez, dit-il, morts en vices et péchez, esquels vous cheminiez selon ce monde, et selon le diable, lequel besongne maintenant aux rebelles, entre lesquels nous estions au paravant, suyvans les concupiscences de nostre chair, et faisans ce que bon nous sembloit, et estions tous naturellement héritiers de l’ire de Dieu comme les autres Eph. 2.1-3. Item, Qu’il vous souviene que vous avez esté quelquesfois sans espérance, et sans Dieu en ce monde Eph. 2.12. Item, Vous estiez quelquesfois ténèbres : maintenant estans lumière en Dieu, cheminez comme enfans de lumière Eph. 5.8. Ils diront, possible, que cela se doit référer à l’ignorance de vérité : en laquelle ils confessent bien les esleus estre détenus devant leur vocation ; combien que cela est une calomnie impudente, veu que sainct Paul infère de ce propos, que les Ephésiens ne doyvent plus mentir ne desrober Eph. 4.25, 28. Mais encores que nous leur concédions, que respondront-ils à d’autres passages ? comme quand ayant dénoncé aux Corinthiens, que les idolâtres, paillars, adultères, efféminez, bougres, larrons et avaricieux ne posséderont point le royaume de Dieu, il adjouste incontinent, qu’ils ont esté enveloppez en ces crimes devant qu’avoir cognu Christ : mais que maintenant ils en sont nettoyez par son sang, et délivrez par son Esprit 1Cor. 6.9-11. Item aux Romains, Comme vous avez abandonné vos membres au service d’immondicité et iniquité, maintenant adonnez-les au service de justice ; car quel fruit avez-vous eu de vostre vie précédente, de laquelle vous avez honte Rom. 6.19-21 ? etc.
Quelle semence d’élection, je vous prie, fructifioit en ceux lesquels menans une vie du tout meschante et vilene, quasi d’une malice désespérée s’estoyent abandonnez au vice le plus exécrable du monde ? Si l’Apostre eust voulu parler à la manière de ces nouveaux docteurs, il devoit leur remonstrer combien ils estoyent redevables à Dieu, de ce qu’ils ne les avoit point laissez tomber en telle povreté. Pareillement sainct Pierre devoit exhorter ceux ausquels il escrivoit son Epistre à rendre grâces à Dieu, de ce qu’il les avoit conservez, leur donnant dés le commencement une semence de saincteté. Mais au contraire, il les admoneste qu’il suffit bien que le temps passé ils eussent lasché la bride à toutes meschantes concupiscences 1Pi. 4.3. Et que sera-ce si nous venons à produire des exemples ? Quelle semence y avoit-il en Raab paillarde, devant la foy Josué 2.1 ? Pareillement en Manassé, ce pendant qu’il espandoit le sang des Prophètes, jusques à en faire regorger la ville de Jérusalem 2Rois 21.16. Aussi bien au brigand, lequel vint à repentance en rendant l’Esprit Luc 23.42. Pourtant laissons là ces inventions légères, que se forgent hors l’Escriture je ne sçay quels entendemens curieux. Plustost que ce que contient l’Escriture nous demeure ferme : asçavoir que nous avons esté comme povres brebis esgarées, et qu’un chacun est décliné en sa voye Esaïe 53.6, c’est-à-dire perdition. Ainsi que de ce gouffre de perdition le Seigneur retire ceux que bon luy semble, non pas du premier coup : mais différant en son opportunité : ce pendant qu’il les conserve, de peur qu’ils ne trébuschent en blasphème irrémissible.
Comme le Seigneur par la vertu de sa vocation conduit ses esleus au salut, auquel il les avoit préordonnez en son conseil éternel : aussi d’autre part il a ses jugemens sur les réprouvez, par lesquels il exécute ce qu’il a déterminé d’en faire. Pourtant ceux qu’il a créez à damnation et mort éternelle, afin qu’ils soyent instrumens de son ire, et exemples de sa sévérité, pour les faire venir à leur fin, ou il les prive de la faculté d’ouyr sa Parole, ou par la prédication d’icelle il les aveugle et endurcit d’avantage. Du premier membre nous en avons exemples infinis : mais nous en eslirons un qui est notable par-dessus les autres. Il s’est passé plus de quatre mille ans devant l’advénement de Christ, que le Seigneur a tousjours caché à toutes gens la lumière de sa doctrine salutaire. Si quelqu’un allègue qu’il n’a point fait les hommes de ce temps-là participans d’un tel bien, pource qu’il les en estimoit indignes : les successeurs n’en sont non plus dignes. De laquelle chose le Prophète Malachie, outre l’expérience est très-certain tesmoin, lequel après avoir rédargué l’incrédulité, les blasphèmes énormes, et autres crimes de son peuple, dit que néantmoins le Rédempteur ne laissera pas de venir Malach. 4.1-2. Pourquoy doncques a-il fait ceste grâce aux uns plustost qu’aux autres ? Si quelqu’un veut yci chercher raison plus haute que le conseil secret et occulte de Dieu, il se tormentera en vain. Et ne faut craindre que quelque disciple de Porphyre, ou autre blasphémateur, ait licence de détracter contre la justice de Dieu, si nous ne respondons rien. Car quand nous affermons que nul ne périt sans l’avoir mérité, et que c’est de la bénéficence gratuite de Dieu qu’aucuns sont délivrez de damnation cela suffit pour maintenir sa gloire, sans ce qu’elle ait mestier de nos tergiversations pour estre défendue. Parquoy le souverain Juge, en privant de la lumière de sa vérité, et délaissant en aveuglement ceux qu’il a réprouvez, fait ainsi voye à sa prédestination. Quant est du second membre, nous en avons l’expérience journellement, et y en a beaucoup d’exemples en l’Escriture. Il y aura cent hommes qui escouteront un mesme sermon : vingt le recevront en obéissance de foy, les autres ou n’en tiendront conte, ou s’en mocqueront, ou le rejetteront et condamneront. Si quelqu’un allègue que ceste diversité vient de leur propre malice et perversité, cela ne satisfera pas. Car une mesme malice occuperoit les entendemens de tous, si le Seigneur n’en corrigeoit d’aucuns par sa grâce. Ainsi nous demeurerions tousjours enveloppez, si nous n’avions nostre recours à ce dire de sainct Paul, Qui est-ce qui te discerne 1Cor. 4.7 ? En quoy il signifie que si l’un est plus excellent que l’autre, ce n’est point de sa vertu propre, mais de la seule grâce de Dieu.
Pourquoy doncques en faisant grâce à l’un laisse-il l’autre derrière ? Sainct Luc rend la raison de ceux qu’il appelle, disant qu’il les avoit préordonnez à vie Actes 13.48. Que penserons-nous doncques des autres, sinon qu’ils sont instrumens de son ire en opprobre ? Pourtant, que nous n’ayons point honte de parler ainsi avec sainct Augustin : Dieu pourroit bien, dit-il, convertir en bien la volonté des meschans, veu qu’il est tout-puissant. De cela il n’y a doute. Pourquoy doncques ne le fait-il ? Pource qu’il ne le veut pas. Pourquoy c’est qu’il ne le veut, cela est caché en luy. Car nous ne devons pas plus sçavoir que de raison[c] ? Cela sera beaucoup meilleur, que de tergiverser avec Chrysostome, en disant qu’il attire celuy qui l’invoque et tend la main pour avoir aide[d] : et ainsi que la différence n’est point au jugement de Dieu, mais au vouloir des hommes. Brief, tant s’en faut qu’il gise au propre mouvement des hommes d’approcher, que mesmes les enfans de Dieu ont besoin d’estre poussez par inspiration singulière. Lydie, marchande de pourpre, craignoit Dieu : toutesfois il a falu que son cœur fust ouvert d’en haut, pour la rendre attentive à la doctrine de sainct Paul, et faire qu’elle y proufitast Actes 16.14. Cela n’est pas dit d’une femme seule, mais afin que nous sçachions que tout advancement en foy et en piété est œuvre admirable du sainct Esprit. Certes cela ne se peut révoquer en doute, que le Seigneur n’envoyé sa parole à d’aucuns desquels il cognoit la cécité en devoir estre augmentée. Pourquoy est-ce qu’il faisoit faire tant de messages à Pharaon ? Estoit-ce pource qu’il espérast pouvoir adoucir son cœur, envoyant ambassade sur ambassade ? Mais devant que commencer il sçavoit quelle issue il en viendroit, et l’avoit prédit : Va, disoit-il à Moyse, et expose-luy ma volonté : mais j’endurciray son cœur, afin qu’il n’obtempère point Exo. 4.21. En telle sorte suscitant Ezéchiel, il l’advertit qu’il l’envoyé à un peuple rebelle et obstiné, afin qu’il ne s’estonne quand il trouvera leurs aureilles sourdes Ezéch. 2.3 ; 12.2. Il prédit pareillement à Jérémie, que sa doctrine sera comme feu, pour perdre et dissiper le peuple comme paille Jér. 1.10. Mais la prophétie que nous avons en Isaïe, presse encores plus fort ; car le Seigneur l’envoyé avec ce mandement, Va, et di aux enfans d’Israël, Oyez en oyant, et n’entendez point : voyez et ne cognoissez point. Endurcy le cœur de ce peuple, estouppe ses aureilles et bande ses yeux, de peur qu’il ne voye, et escoute, et entende, et qu’il soit converty pour estre sauvé Esaïe 6.9-10. Voylà comment il leur addresse sa parole, mais c’est pour les faire plus sourds : il allume la clairté, mais c’est pour les rendre plus aveugles : il leur présente la doctrine, mais c’est pour les rendre plus estourdis : il leur donne remède, mais c’est afin qu’ils ne guairissent. Sainct Jehan alléguant ceste prophétie, dit que les Juifs n’ont peu croire à la doctrine de Christ : pource que ceste malédiction de Dieu estoit sur eux Jean 12.39. Cela aussi ne se peut mettre en doute, que quand Dieu ne veut point illuminer quelqu’un, qu’il luy baille sa doctrine enveloppée afin qu’il n’y proufite, mais qu’il en viene en plus grand estonnement et stupidité. Car Christ tesmoigne qu’il expose à ses Apostres seulement les paraboles dont il avoit usé entre le populaire, pource que la grâce est faite aux Apostres, de cognoistre les mystères de son Royaume, et non aux autres Matt. 13.11. Qu’est-ce que veut le Seigneur, en enseignant ceux desquels il se donne garde de n’estre entendu ? Considérons dont vient le vice, et nous laisserons là ceste question ; car quelque obscurité qu’il y ait en la doctrine, il y a tousjours assez de clairté pour convaincre les consciences des meschans.
[c] De Genes. ad literam, lib. II, cap. X.
[d] Homil. de convers. Pauli.
Mais il reste encores de veoir pourquoy c’est que le Seigneur fait cela : veu qu’il est certain qu’il le fait. Si on respond que cela se fait à cause que les hommes l’ont mérité pour leur perversité et ingratitude, ce sera bien et véritablement parlé. Mais pource que la raison de ceste diversité n’apparoist point, pourquoy il fleschit les uns en obéissance, et fait persister les autres en dureté, pour la bien résoudre, il faut venir à ce que sainct Paul a noté du tesmoignage de Moyse : c’est que Dieu dés le commencement les a suscitez, afin de monstrer son Nom en toute la terré Rom. 9.17. Parquoy ce que les réprouvez, ayans le Royaume de Dieu ouvert n’obtempèrent point, cela sera droictement rejetté sur leur perversité et malice : moyennant qu’on adjouste conséquemment, qu’ils ont esté asservis à ceste perversité, d’autant que par le, jugement équitable, mais incompréhensible de Dieu, ils ont esté suscitez pour illustrer sa gloire en leur damnation. En ceste manière quand il est dit des fils d’Hély, qu’ils n’ont point escouté les admonitions salutaires de leur père, pource que le Seigneur les vouloit perdre 1Sam. 2.25, il n’est pas signifié que ceste contumace ne soit venue de leur propre malice, mais il est pareillement noté pourquoy c’est qu’ils ont esté délaissez en ceste contumace, veu que Dieu pouvoit amollir leurs cœurs : asçavoir pource que le décret immuable de Dieu les avoit une fois destinez à perdition. A quoy aussi tend le dire de sainct Jehan : c’est, combien que Jésus-Christ eust fait beaucoup de miracles, que nul ne creut en luy, afin que la parole d’Isaïe fust accomplie : Seigneur, qui a creu à nostre prédication Jean 12.38 ? Car combien qu’il ne vueille absoudre les incrédules, comme s’ils n’estoyent point coulpables : il se contente toutesfois de ceste raison, que les hommes ne trouveront ne goust ne saveur en la Parole de Dieu, jusques à ce qu’il leur soit donné de la bien gouster. Et Jésus-Christ alléguant la prophétie d’Isaïe, que tous seront enseignez de Dieu Jean 6.45, ne tend à autre fin, sinon de monstrer que les Juifs sont réprouvez et estrangez de l’Eglise, pource qu’ils ne sont point capables d’estre enseignez : n’amenant autre raison que ceste-ci, que la promesse ne leur appartient point. Ce que sainct Paul conferme, en disant que Jésus-Christ, qui est scandale aux Juifs, et folie aux Payens, est néantmoins la vertu et sagesse de Dieu à ceux qui sont appelez 1Cor. 1.23-24. Car après avoir récité ce qui advient ordinairement quand l’Evangile se presche, c’est qu’il envenime les uns, et est vilipendé des autres, il adjouste qu’il n’est prisé que de ceux qui sont appelez. Il les avoit bien un peu au paravant nommez Fidèles ; mais pas pour déroguer à la grâce de l’élection de Dieu, laquelle précède en degré : plustost il a adjousté ce membre second pour déclaration plus certaine : afin que ceux qui avoyent receu l’Evangile attribuassent la louange de leur foy à la vocation de Dieu, comme aussi il l’exprime puis après. Quand les meschans oyent cela, ils se plaignent que Dieu abuse de ses povres créatures, s’en jouant cruellement d’une puissance désordonnée, mais nous qui sçavons les hommes estre coulpables en tant de manières devant le throne de Dieu, que quand il les interrogueroit de mille points, ils ne pourroyent respondre à un, confessons que les réprouvez n’endurent rien qui ne conviene à son juste jugement. Ce que nous n’en comprenons point la raison, il nous faut prendre cela patiemment : et ne refuser point d’ignorer quelque chose : où la sapience de Dieu eslève sa hautesse.
Mais pource qu’on a accoustumé d’objecter quelques passages de l’Escriture, où il semble que Dieu n’accorde pas que les iniques périssent par son décret, sinon entant que contre son vouloir et quasi maugré luy ils se jettent à perdition, il nous les faut briefvement expliquer, pour monstrer qu’ils ne contrarient point à nostre doctrine. On allègue le passage d’Ezéchiel, où il est dit que Dieu ne veut point la mort du pécheur, mais plustost qu’il se convertisse et vive Ezéch. 33.11. Si on veut estendre cela à tout le genre humain, je demande doncques pourquoy il ne solicite beaucoup de gens à repentance, desquels les cœurs seroyent plus ployables à obéir, que de ceux qui s’endurcissent de plus en plus quand il les convie journellement. Jésus-Christ testifie que sa prédication et ses miracles, qui eussent plus apporté de fruit en Ninive et Sodome qu’en Judée Matt. 11.23 : comment doncques cela s’est-il fait, si Dieu veut que tout le monde soit sauvé, qu’il n’ait point ouvert la porte à ces povres misérables, qui eussent esté mieux disposez à recevoir la grâce, si elle leur eust esté offerte ? Nous voyons doncques que ce passage est perverty et comme tiré par les cheveux, si sous ombre des mots du Prophète on veut anéantir le conseil éternel de Dieu, par lequel il a discerné les réprouvez d’avec les esleus. Maintenant cherchons le sens naturel. Son intention est de donner bonne espérance à ceux qui se repentiront, qu’ils seront receus à merci. La somme est telle, que les pécheurs ne doyvent douter que Dieu ne leur pardonne si tost qu’ils sont convertis. Il ne veut doncques point leur mort, entant qu’il veut leur conversion. Or l’expérience monstre comment il veut que plusieurs qu’il convie à soy se repentent : c’est en telle sorte, que ce pendant il ne touche point leur cœur. Toutesfois ce n’est pas à dire qu’il use de fallace pour les abuser ; car combien que la voix externe ne serve qu’à rendre inexcusables ceux qui l’oyent sans y obéir, toutesfois si doit-elle estre tenue vrayement pour tesmoignage de la grâce de Dieu, par lequel il réconcilie les hommes à soy. Notons bien doncques l’intention du Prophète, quand il dit, que Dieu ne prend point plaisir à la mort du pécheur : c’est afin que les fidèles se confient que Dieu sera prest de leur pardonner leurs fautes, si tost qu’ils seront venus à repentance : et que les contempteurs sçachent à l’opposite, que leur crime est tant plus aggravé, quand ils ne respondent pas à une telle humanité et clémence de Dieu. Ainsi Dieu viendra tousjours au-devant de ceux qui se convertissent, leur présentant sa merci : mais que la conversion ne soit pas donnée à tous, il nous est clairement monstre tant par Ezéchiel, que par tous les Prophètes et Apostres. Secondement, on ameine le passage de sainct Paul, où il dit que Dieu veut que tous soyent sauvez 1Tim. 2.4. Or combien qu’il ait quelque chose diverse d’avec le dire du Prophète, si est-ce qu’il y a quelque similitude. Je respon qu’en premier lieu il est notoire par le fil du texte, comment Dieu veut le salut de tous. Car sainct Paul conjoinct ces deux choses, qu’il veut que tous soyent sauvez, et qu’ils vienent à la cognoissance de vérité. S’il a esté conclu et establi par le conseil éternel de Dieu, que tous fussent faits participans de la doctrine de salut, que deviendra ceste sentence de Moyse, qu’il n’y a eu peuple au monde tant noble, duquel Dieu se soit approché comme des Juifs Deut. 4.7 ? Comment cela s’est-il fait, que Dieu ait privé tant de nations de la clairté de son Evangile, de laquelle il a fait jouir les autres ? Comment est-il advenu que la pure cognoissance de la vérité céleste ne soit jamais parvenue à beaucoup de gens, et les autres à grand’peine en ont gousté quelques petis rudimens ? Maintenant il est aisé de recueillir à quoy tend sainct Paul. Il avoit commandé à Timothée de faire prières solennelles pour les Rois et Princes. Or pource qu’il sembloit advis aucunement estrange, de faire prières à Dieu pour une manière de gens tant désespérée, veu que non-seulement ils estoyent hors de la compagnie des fidèles, mais s’efforçoyent de leur pouvoir d’opprimer le règne de Christ : il adjouste, que cela est agréable à Dieu, lequel veut tous hommes estre sauvez. En quoy certes il ne signifie autre chose, sinon qu’il n’a forclos la voye de salut à aucun estat : mais que plustost il a espandu sa miséricorde en telle sorte, qu’il en veut faire tous estats participans. Les autres tesmoignages ne déclairent point ce que le Seigneur a déterminé en son jugement occulte : mais seulement dénoncent que le pardon est appareillé à tous pécheurs qui le requerront en vraye pénitence. Car si quelqu’un s’opiniastre sur ce mot, où il est dit qu’il veut faire merci à tous : je répliqueray au contraire, qu’il est dit autre part que nostre Dieu est au ciel, dont il fait tout ce que bon luy semble Ps. 115.3. Il faut doncques tellement exposer ce mot, qu’il conviene avec l’autre sentence : c’est qu’il fera merci à celuy à qui il fera merci : et qu’il aura pitié de celuy de qui il aura pitié Exo. 33.19. Puis qu’il choisit ceux à qui il doit faire miséricorde, il ne la fait pas à tous. Mais puis qu’il appert que sainct Paul ne traitte pas de chacun homme, ains des estats et conditions, je me déporte de plus longue dispute, combien qu’il est aussi à noter, que sainct Paul ne prononce pas que c’est que Dieu fait tousjours, et par tout, et en tous : mais advertit qu’il nous luy faut laisser en sa liberté d’attirer les Rois, Princes et Magistrats à obéir à sa doctrine : combien que pour un temps ils soyent comme enragez contre icelle, pource qu’ils sont aveugles errans en ténèbres. Il sembleroit bien de prime face, que le passage de sainct Pierre nous fust contraire ? c’est que Dieu ne veut point que personne périsse, mais qu’il reçoit tous à pénitence 2Pi. 3.9 : sinon qu’en ce dernier mot le nœud est solu, veu qu’on ne peut dire que Dieu vueille recevoir à repentance, sinon à la façon qui est monstrée par toute l’Escriture. Certes la conversion des hommes est en sa main. Qu’on l’interrogue s’il les veut tous convertir, veu qu’il promet seurement à un petit nombre de leur donner un cœur de chair, laissant les autres avec leur cœur de pierre Ezéch. 36.26. Vray est que s’il n’estoit prest et appareillé de recevoir ceux qui ont leur refuge à sa miséricorde, ceste sentence ne consisteroit pas. Convertissez-vous à moy, et je me convertiray à vous Zach. 1.3. Mais je di que nul n’approche jamais de Dieu, sans estre prévenu et attiré de luy. Et de faict, si la pénitence estoit au propre mouvement et arbitre de l’homme, sainct Paul ne diroit pas qu’il faut essayer si Dieu donnera repentance à ceux qui ont esté endurcis 2Tim. 2.25 ? Mesmes si ce n’estoit Dieu qui attirast par secrette inspiration ses esleus à repentance, à laquelle il convie tout le monde, Jérémie ne diroit pas, Seigneur, converti-moy, et je seray converty. Car depuis que tu m’as converti, je me suis amendé Jér. 31.18.
Mais quelqu’un me dira, Si ainsi est, il y aura peu de certitude aux promesses évangéliques, lesquelles en testifiant de la volonté de Dieu déclairent qu’il veut ce qui répugne à ce qu’il a déterminé en secret. Je respon que non. Car combien que les promesses de salut soyent universelles, toutesfois elles ne contrarient nullement à la prédestination des réprouvez, moyennant que nous regardions l’accomplissement d’icelles. Nous sçavons que les promesses de Dieu nous sont lors vallables, quand nous les recevons par foy : au contraire, quand la foy est anéantie, qu’elles sont abolies. Si la nature des promesses est telle, regardons maintenant si elles contrevienent à la prédestination de Dieu : c’est qu’il est dit que Dieu a déterminé dés le commencement, lesquels il vouloit prendre en grâce, et lesquels il vouloit rejetter : et néantmoins qu’il promet indifféremment salut à tous. Je di que cela convient très-bien. Car le Seigneur en promettant ainsi, ne signifie autre chose sinon que sa miséricorde est exposée à tous ceux qui la chercheront. Or nul ne la cherche, sinon ceux qu’il a illuminez. Finalement, il illumine ceux qu’il a prédestinez à salut. Or ceux-là expérimentent la vérité des promesses seure et certaine : tellement qu’on ne peut dire qu’il y ait quelque contrariété entre l’élection éternelle de Dieu, et ce qu’il offre le tesmoignage de sa grâce à ses fidèles. Mais pourquoy nomme-il Tous hommes ? c’est afin que les bonnes consciences reposent plus seurement : voyant qu’il n’y a nulle différence entre les pécheurs, moyennant qu’on ait foy. Et d’autre part, que les iniques n’allèguent point qu’ils n’ont nul refuge pour se retirer de leur misère : veu qu’ils le rejettent par leur ingratitude. Comme ainsi soit donc que la miséricorde de Dieu soit présentée aux uns et aux autres par l’Evangile, il n’y a que la foy, c’est-à-dire l’illumination de Dieu, qui discerne entre les fidèles et incrédules : à ce que les premiers sentent l’efficace de l’Evangile, les seconds n’en reçoyvent nulle utilité. Or ceste illumination a l’élection éternelle de Dieu pour sa reigle. La complainte et lamentation de Jésus-Christ sur Jérusalem, asçavoir qu’il a voulu amasser ses poucins, et qu’elle l’a refusé Matt. 23.37 : combien qu’ils en facent un grand bouclier, ne leur aide en rien. Je confesse que Jésus-Christ ne parle point comme homme, mais qu’il reproche aux Juifs qu’ils ont refusé de tout temps sa grâce. Ce pendant nous avons à regarder quelle est ceste volonté de Dieu, de laquelle il fait mention. C’est chose toute patente, comment Dieu a songneusement travaillé à retenir ce peuple-là. On sçait aussi, comme estans adonnez à leurs concupiscences esgarées, ils ont résisté obstinément à n’estre point recueillis : mais il ne s’ensuyt pas de là, que le conseil immuable de Dieu ait esté rendu frustratoire par la malice des hommes. Nos contredisans répliquent, qu’il n’y a rien moins convenable à la nature de Dieu, que d’avoir double volonté. Ce que je leur accorde, moyennant qu’ils sçachent interpréter ce dire droictement. Mais comment ne considèrent-ils tant de passages, ausquels Dieu prenant en soy les affections des hommes, descend (par manière de dire) de sa majesté pour se conformer à nostre rudesse ? Il dit par Isaïe qu’il a tendu les bras à ce peuple rebelle Esaïe 65.2, qu’il s’est levé matin, et a veillé tard pour le réduire. S’ils veulent approprier tout ceci à Dieu, en rejettant la figure et façon de parler que nous avons dite, ils ouvriront la porte à beaucoup de contentions superflues, lesquelles se peuvent appaiser en un mot : c’est que Dieu transfère à soy par similitude ce qui est propre aux hommes. Combien que la solution que nous avons desjà amenée suffise : c’est combien que la volonté de Dieu soit diverse quant à nostre sens, que toutesfois il ne veut pas ceci et cela en soy, mais seulement rendre nos sens estonnez de la variété de sa sagesse (comme sainct Paul en parle Ephés. 3.10), jusques à ce qu’il nous soit donné de comprendre au dernier jour, comment il veut d’une façon admirable ce qui semble aujourd’huy estre contraire à son vouloir. Ils ameinent aussi des cavillations indignes de response : Puis que Dieu est Père de tous, ce n’est pas raison qu’il en déshérite nuls, sinon ceux qui de leur propre coulpe se sont desjà rendus indignes de salut. Voire, comme si la libéralité de Dieu ne s’estendoit pas jusques aux chiens et aux pourceaux. S’il est question du genre humain, qu’ils me respondent pourquoy Dieu s’est voulu allier à un seul peuple pour luy estre Père, laissant les autres derrière : et pourquoy de ce peuple-là qu’il avoit choisi, il en a seulement réservé un petit nombre à soy comme la fleur. Mais l’appétit enragé de mesdire qui incite ces vileins, les empesche qu’ils ne peuvent considérer ce que tout le monde voit : asçavoir que Dieu fait tellement luire chacun jour son soleil sur les bons et sur les mauvais Matt. 5.45, que cependant il réserve l’héritage éternel au petit troupeau de ses esleus, ausquels il sera dit, Venez bénits de mon Père, possédez le royaume qui vous a esté appresté devant la création du monde Matt. 25.34. Ils objectent plus outre, que Dieu ne hait rien de ce qu’il a fait. Ce que je leur puis accorder sans préjudicier à ce que j’enseigne : asçavoir, que les réprouvez sont hays de Dieu, voire à bon droict : pource qu’estans destituez de son Esprit ils ne peuvent apporter que cause de malédiction. Ils se servent aussi trop sottement de ce propos que la grâce de Dieu est indifféremment commune à tous, d’autant qu’il n’y a nulle diversité entre le Juif et le Gentil. Ce que je leur accorde, derechef, moyennant que ce soit selon que sainct Paul le déclaire, asçavoir que Dieu appelle tant des Juifs que des Payens Rom. 9.24 ceux que bon luy semble, sans estre obligé à nul. Par ceci est aussi bien rabatu ce qu’ils allèguent, que Dieu a tout enclos sous péché, afin d’avoir pitié de tous Rom. 11.32. Ouy bien, pource qu’il veut que le salut de tous soit attribué à sa miséricorde : combien qu’un tel bénéfice n’est pas commun à tous. Or quand on aura amené beaucoup de raisons, et débatu d’un costé et d’autre, si nous faut-il venir à ceste conclusion, d’estre ravis en estonnement avec sainct Paul : et si les langues desbordées jettent leurs brocars à l’encontre, que nous n’ayons point honte de nous escrier, homme, qui es-tu, pour plaider contre Dieu Rom. 9.20 ? Car sainct Augustin dit bien vray, que ceux qui mesurent la justice de Dieu à la proportion de celle des hommes, font trop perversement[e].
[e] De praedes. et gratia, cap. II.