Une discussion sur les rapports entre ψυχικός et σαρκικός entraîne naturellement à sa suite une autre sur les rapports entre σαρκικός et cette autre forme du même mot, σάρκινος qui se trouve trois ou peut-être quatre fois dans le N. T. ; une fois seulement, il est vrai, dans le texte reçu (2 Corinthiens 3.3) ; mais les preuves sont accablantes quant à son droit de figurer dans Romains 7.14 ; Hébreux 7.16, et elles l’emportent encore en faveur de σάρκινος, dans 1 Corinthiens 3.1.
Les mots terminés en ινος (μετουσιαστικά, comme on les appelle) désignent le plus souvent la substance dont est faite une chose quelconque (voir Donaldson, Cratylus, 3e édit. p. 458 ; Winer, Gram. § 16, 3). Ils sont communs dans le N. T. ; ainsi θύϊνος, de bois de thuya (Apocalypse 18.12), ὑάλινος, de verre, « glassen » (Apocalypse 4.6), ὑακίνθινος (Apocalypse 9.17), δερμάτινος (Matthieu 3.4), ἀκάνθινος (Marc 15.17). L’un de ces vocables en ινος est σάρκινος, la seule forme du mot que reconnaisse l’antiquité classique (σαρκικός, comme le latin « carnalis », a été créé par les nécessités morales de l’Église). Elle est bien rendue, 2 Corinthiens 3.3, par « charnel » ; c’est à dire, ayant la chair, indiquant la substance et la matière dont la chose est composée.
Des convoitises « charnelles » sont des convoitises qui se meuvent et s’agitent dans le domaine éthique de la chair. Elles ont leur source dans la région de la corruption et de la nature déchue de l’homme. Telles sont les σαρκικαὶ ἐπιθυμίαι (1 Pierre 2.11), et l’homme est σαρκικός qui accorde à la chair une place qui, de droit, ne lui appartient point. La chair est à sa place aussi longtemps qu’elle est sous la domination du πνεῦμα, et qu’elle en subit la loi, mais elle devient la source de tout péché et de toute opposition à Dieu aussitôt que sont interverties les vraies positions de ces deux puissances et que celle-là règne qui aurait dû être soumise. Mais quand saint Paul dit des Corinthiens (1 Corinthiens 3.1) « qu’ils sont σάρκινοι, il les trouve sans doute en faute, mais l’accusation est bien moins grave que s’il avait écrit σαρκικοί. Il ne les accuse point d’une opposition positive et active contre l’Esprit de Dieu — cela est évident d’après le ὡς νήπιοι dont il se sert ensuite pour expliquer sa pensée — mais il veut leur dire seulement qu’intellectuellement, aussi bien que spirituellement, ils s’arrêtaient sur le seuil de la foi ; qu’ils ne faisaient point de progrès, et qu’ils se contentaient de demeurer où ils en étaient, tandis qu’ils auraient pu être bien plus avancés par la puissance de cet Esprit que Dieu leur avait librement donné. En les caractérisant de σάρκινοι, Paul ne les accuse pas d’être des anti-spirituels, mais simplement d’être des non-spirituels, de n’être que chair et un peu moins, quand ils auraient pu être bien plus. Il continue, il est vrai, aux versets 3, 4, à mettre à leur charge une faute plus grave, celle de permettre à la σάρξ de travailler activement, comme principe prédominant chez eux, mais alors il change d’expression. Les Corinthiens ne sont plus seulement des σάρκινοι, car nul homme, nulle église ne peut en rester longtemps à ce point, mais encore des σαρκικοί, et, comme tels, « pleins d’envie, de querelles et de divisions. » (v. 3).
De quelle manière les traducteurs auraient dû marquer la distinction entre σάρκινος et σαρκικός dans cet endroit n’est pas chose facile à dire. Il est très probable qu’ils ne se Sont pas même doutés de la difficulté, puisqu’ils ont suivi le texte reçu, qui n’a pas les deux formes. Dans 2 Corinthiens 3.3, tout était facile ; les σάρκιναι πλάκες, sont, comme on l’a bien rendu, les « tables charnelles du cœur. » Érasme fait ici l’observation que σάρκινος et non σαρκικός, est employé « ut materiam intelligas, non qualitatem. » Saint Paul établit un contraste entre les tables de pierre sur lesquelles était écrite la Loi de Moïse et les tables de chair sur lesquelles est écrite la Loi de Christ, et il élève les dernières au-dessus des premières. L’épithète de charnel est, dans sa bouche, si loin d’impliquer quelque chose de déshonorable, qu’au contraire elle est très honorable, vu qu’elle sert à mettre en relief la supériorité de la nouvelle loi sur l’ancienne — celle-ci écrite sur des tables (mortes) de pierre, celle-là sur les cœurs (vivants) des hommes (cf. Ézéchiel 11.19 ; 31.33).