Ce fut avec une entière confiance en Dieu, mais avec un sentiment profond de la gravité de la situation, qu'Hudson Taylor se prépara à quitter la Chine quand il devint évident que les difficultés ne pouvaient être résolues par correspondance. Les plans des nouveaux bâtiments de Shanghaï, auxquels il avait voué tous ses soins, étaient terminés et entre les mains de l'entrepreneur.
La Maison de la Mission, la salle de culte, les magasins et les logements pour le personnel permanent, tout cela devait s'élever sur le terrain acheté quelques années auparavant. Les détails en avaient été si minutieusement arrêtés qu'Hudson Taylor savait par cœur les dimensions de chaque porte et de chaque fenêtre. Il éprouvait une vive reconnaissance en pensant que ces vastes constructions ne seraient pas une charge pour la Mission.
Envisageant les difficultés qui l'attendaient, il écrivait avant son départ à un membre du Comité de Londres :
Priez pour que Dieu nous dirige dans la réorganisation de la base de la Mission en Angleterre et qu'Il transforme en bénédiction pour chacun ce grave problème. « Toutes choses travaillent ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu. » C'est bien ce que nous faisons, de tout notre cœur, même si nous manquons en d'autres choses, n'est-ce pas ? Aussi, le résultat est assuré.
Toutefois, ce ne fut pas dans un sentiment de suffisance qu'il se mit en route. On en peut juger par ce qu'il écrivit à M. Stevenson en approchant d'Aden :
Il est si solennel de sentir que l'on peut aller... comme Samson le fit, sans avoir le sentiment que Dieu vous a quitté, au-devant de la défaite, de la captivité et de l'aveuglement. Puisse le Seigneur me tenir, et vous tenir très près de Lui. Tout notre service serait pire qu'inutile sans cela. La solennité de notre situation me fait trembler, mais le Seigneur nous gardera.
Le voyage par paquebot français, quoique très fatigant, lui fournit l'occasion de s'attendre à Dieu. La chaleur était excessive et deux cents soldats, pris à bord à Saïgon, n'ajoutèrent pas au confort et au silence des troisièmes classes. Mais le voyageur anglais solitaire vivait moins au milieu des choses extérieures que dans les réalités invisibles.
Je suis solitaire au milieu de la foule qui encombre ce paquebot, écrivait-il à Mme Taylor. Si notre amour mutuel nous fait tellement soupirer après le jour du revoir, combien plus notre Maître désire-t-Il la réunion avec son Épouse qu'Il a acquise au prix de Son sang ! Puissions-nous en être plus conscients et plus décidés à faire tout ce que nous pouvons pour hâter ce jour... Oh ! Lui ressembler mieux, avoir une plus grande mesure de Sa patience, plus de communion dans Ses souffrances... Ma chérie, je Lui ressemble si peu !
Un très vif sentiment de sa propre insuffisance poussait Hudson Taylor à se réjouir, comme il ne l'avait jamais fait auparavant, que l'apôtre Paul eût été délivré non pas de, mais dans ses infirmités. À propos du passage « Ma grâce te suffit », il avait écrit, peu avant de quitter la Chine :
Quand il était le plus accablé et qu'il sentait le plus vivement sa faiblesse, l'apôtre était dans la situation qui lui permettait le mieux de devenir un moyen de bénédiction pour beaucoup. Et cet exaucement n'était-il pas une meilleure réponse à sa prière que si l'écharde lui eût été ôtée ? La guérison l'eût laissé exposé aux mêmes difficultés, mais la manière dont Dieu en usa avec lui le délivra, une fois pour toutes, de son accablement présent et de ses épreuves futures. C'est pourquoi il s'écrie triomphant : « Je me glorifierai plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi... » Et qui ne voudrait partager l'écharde dans la chair de l'apôtre si, par là, il pouvait parvenir aussi à être délivré de toute détresse et à avoir désormais que l'heure de la faiblesse est aussi l'heure de la véritable force ?
Il en était ainsi dans cette sérieuse crise. Preuve en est la joie avec laquelle Hudson Taylor écrivait à M. Stevenson que ses prières étaient exaucées. Le jour même de son arrivée, le 21 mai, il constata que Dieu était intervenu pour lui permettre de pour suivre d'heureuses relations1 et les réunions annuelles, une ou deux semaines plus tard, furent une époque de remarquable bénédiction.
Il est impossible de ne pas voir dans ces affaires la bonne main de Dieu. Je ne crois pas que nos rapports aient été aussi cordiaux, depuis des années. En tout cela, il y a sujet de louange et de gratitude.
Ainsi les nuages noirs commençaient à se dissiper, laissant derrière eux une vue plus claire des desseins de Dieu et des cœurs plus disposés à les accepter. Immédiatement l'œuvre, en Angleterre, se développa à plusieurs égards.
Un acte fut dressé pour sauvegarder les propriétés de la Mission. Le Comité fut renforcé par la nomination de M. Scott comme trésorier et de quelques nouveaux membres ; un comité auxiliaire fut organisé à Glasgow et un comité de dames à Londres, dont Mlle Soltau fut nommée secrétaire, avec la charge entière de la préparation et de l'entretien des dames missionnaires.
Au milieu de tous ces travaux, il n'était pas facile pour Hudson Taylor de traverser l'Atlantique et d'assister aux conférences de Northfield et de Niagara. Cependant une visite en Amérique semblait nécessaire pour fortifier les rapports entre le plus ancien et le plus récent Comité de l'œuvre. Muni d'une lettre cordiale de bienvenue adressée par le Comité de Londres à celui de Toronto, il se mit en route au mois de juillet. Une de ses lettres à Mme Taylor nous dit quelque chose des vives espérances qui se formaient en lui, et de la manière dont il s'efforçait de mieux connaître la puissance merveilleuse de Dieu.
Je désire que notre vie soit une ascension et que nous ne nous contentions pas de ce que nous avons appris, senti ou atteint, mais continuions d'avancer et de monter... Dieu a été fidèle envers nous, aussi longtemps que nous avons compté sur Ses promesses et que nous nous sommes fiés à Sa fidélité. Mais combien peu nous l'avons fait !
Que penserait un grand souverain de la prière d'ajouter cent soldats, dans une année, à son armée d'invasion dans un pays comme la Chine ? Nous devons nous élever à un degré plus haut de pensée et de prière si nous voulons marcher d'une manière digne de Dieu et répondre d'une manière appréciable aux besoins pressants du monde. Demandons avec foi des travailleurs capables d'accomplir utilement leur service, dans leur domaine, en Angleterre, en Amérique, ou en Chine et prions-Le de les revêtir de puissance afin que les plus faibles deviennent forts et les forts comme des anges de Dieu. Est-ce trop attendre de Lui et trop demander pour Sa gloire ? Dieu nous préserve de limiter le Saint d'Israël ! Qu'Il ouvre nos yeux afin que nous puissions Le contempler, Lui, et qu'Il nous aide à avancer en nous fortifiant par Sa promesse : « Ne t'ai-je pas envoyé ? »
Nous poursuivons l'œuvre, sentant notre faiblesse et tous nos besoins ; sentant la faiblesse et la pauvreté de l'Église et la superficialité de sa consécration ; sentant la force du front uni que forment la chair et le diable. Nous avons besoin de penser davantage à Dieu, de regarder à Lui, de puiser dans Sa puissance, Ses ressources, dans Ses promesses. Demeurant en Lui, nous comprendrons mieux Son caractère et Ses plans, et serons mieux à même de faire Sa volonté...
Dans la petite ville d'Attica, deux autres cœurs, tendrement unis également, apprenaient de semblables leçons. La situation de M. et Mme Frost s'était bien modifiée depuis la première visite d'Hudson Taylor, mais leur demeure semblait plus attrayante encore. Présent de noces de son père, elle avait été embellie par des plafonds de bois sculptés pour remplacer le plâtre qui était tombé çà et là. Vivant dans l'abondance, au milieu d'un nombreux cercle d'amis et n'ayant que des sujets de joie dans leurs enfants, il semblait que rien ne manquât à leur bonheur terrestre. Mais une main invisible secouait ce nid. Leurs revenus, jusque-là largement suffisants, venaient d'être supprimés par l'échec d'un commerce prospère. Suivant le désir formel de son père, M. Frost s'était retiré des affaires, quelques années auparavant, pour se consacrer entièrement à une œuvre d'évangélisation. Le père pouvait alors subvenir aux besoins de la famille et il se réjouissait de participer ainsi aux travaux de son fils pour le Seigneur. Maintenant, à son grand regret, ce n'était plus possible. Or, revenir aux affaires, c'était pour M. Henry Frost réduire grandement son travail d'évangéliste et se contraindre à abandonner toute participation active à l'œuvre de la Mission en Chine.
Il n'arrivait pas à admettre que telle fût la volonté de Dieu et il en vint à se poser la question : « En quel Père as-tu confiance ? »
Sauf leur propre famille, tout le monde ignorait leur situation, et ils y virent une occasion de mettre à l'épreuve non seulement leur foi, mais les promesses de Dieu. Quelques mois auparavant, ils avaient pris la résolution de ne jamais faire de dettes. Or, malgré les apparences, ils dépendaient de leur Père Céleste même pour le pain quotidien. Nous ne pouvons entrer dans le détail des expériences par lesquelles ils apprirent à connaître Sa fidélité. Il nous suffira de dire que leur joie en Dieu devint toujours plus profonde et leur désir plus grand d'être entièrement à Son service.
L'accueil que reçurent M. Frost et Hudson Taylor à la Conférence de Niagara fut un grand encouragement pour eux. L'intérêt pour la Chine et la Mission semblait grandir. Les dons pour l'entretien des missionnaires dépassaient les sommes reçues en 1888. De nouvelles et heureuses relations furent nouées, tandis que les anciennes étaient renforcées.
Le but principal d'Hudson Taylor étant d'établir l'œuvre sur une base solide, il eut de fréquents entretiens avec les membres du Comité. L'effectif du Comité fut augmenté, et comme M. Sandham désirait se démettre des fonctions qu'il avait remplies jusqu'alors, M. Frost fut invité à assumer la charge de trésorier et de secrétaire, en résidence à Toronto.
Voilà donc à quoi il avait été conduit ! Ses récentes expériences l'avaient préparé pour une vie de foi en ce qui concerne les ressources matérielles, mais il savait qu'il serait dur à Mme Frost de quitter leur charmante demeure, à cause des enfants. Comme ils demandaient ensemble à Dieu Ses directives, Mme Frost reçut la lumière, qu'elle cherchait ardemment, par la lecture du prophète Aggée.
Elle vint s'asseoir près de moi, raconta son mari, et sans dire un mot m'indiqua du doigt le verset : « Est-ce le temps pour vous d'habiter vos demeures lambrissées, quand cette maison est détruite ? » Toute explication était inutile, et la leçon évidente. Un regard sur son visage me montra que le Seigneur avait remporté la victoire pour elle et un regard au plafond trancha tout à fait la question pour moi. Dès cette heure, nous décidâmes de quitter notre demeure, pour avoir notre part dans la construction de cette maison spirituelle, le temple du corps de Christ.
Hudson Taylor eût bien voulu leur épargner tout embarras financier, mais il ne pouvait guère leur donner plus que leurs frais de déménagement. Les dons s'élevaient à des milliers de dollars, mais presque tous avec des affectations spéciales. Il leur remit cinquante livres sterling qu'il avait reçues pour son usage personnel. « À part cela, leur dit-il, je ne puis rien vous promettre. Vous aurez à vous attendre au Seigneur, comme nous le faisons en Angleterre et en Chine. »
Je confesse, raconta plus tard M. Frost, que les paroles de M. Taylor me parurent d'abord bien peu encourageantes. Déménager avec ma famille, m'établir dans une ville étrangère, y inviter un grand nombre de candidats, pourvoir à leurs besoins et aux nôtres et poursuivre l'œuvre de la Mission avec environ deux cent cinquante dollars n'était point une perspective engageante du point de vue terrestre. Mais des expériences récentes me firent comprendre qu'il y avait un facteur à ne pas oublier, dont la seule présence changeait tout : l'Éternel lui-même. Deux cent cinquante dollars étaient peu pour une telle entreprise, mais avec le Seigneur, c'était tout ce qu'il nous fallait. Ainsi, en ce qui concernait les ressources, je fus bientôt prêt à accepter les offres de M. Taylor.
S'il avait pu prévoir les merveilleux exaucements de prières qui devaient procurer à la branche américaine de la Mission plus d'un demi-million de dollars pendant les dix-sept années suivantes et en mettre quarante mille à sa disposition personnelle, il se serait avancé avec moins de crainte et de tremblement. Mais alors, y aurait-il eu la même foi, le même esprit de prière, l'étroite, dépendance à l'égard de Dieu qui firent de M. Frost une force pour la Mission ?
Tout cela était encore à venir, et il voyait avec chagrin s'écouler les jours et les semaines de la trop courte visite d'Hudson Taylor. En cinq semaines, celui-ci participa à plus de quarante réunions, dans dix-huit localités. Quatre jours à Northfield complétèrent le programme. L'intérêt de M. Moody fut si vivement ,éveillé qu'il offrit le vaste hôtel de Northfield, pendant l'hiver, comme maison d'études pour les candidats missionnaires... Il s'engagea à donner un cours biblique d'un mois, tandis que le Dr A. T. Pierson en donnerait un autre.
Réjoui et encouragé, Hudson Taylor quitta l'Amérique en août, pour remplir un nouveau et vaste programme qui comportait une visite en Suède avant la fin de l'année. Ses occupations étaient si pressantes qu'il avait de la peine à trouver le temps nécessaire pour se souvenir devant Dieu, chaque jour, de tous ses compagnons d'œuvre. Il savait bien que se relâcher dans la prière, c'était ouvrir la porte à l'ennemi et, tandis qu'il voyageait de lieu en lieu, il était contraint de saisir les moindres occasions d'accomplir cette tâche invisible, mais combien importante.
— De quoi comptez-vous parler ce soir ? lui demanda, après une ou deux heures de voyage, l'un de ses compagnons qui devait prendre part à la même réunion.
— Je ne puis guère le dire ; je n'ai pas encore eu le temps d'y penser.
— Pas le temps, s'écria l'autre, mais qu'avez-vous fait sinon vous reposer, depuis que nous sommes entrés dans ce wagon ?
— Je ne sais pas ce que vous appelez se reposer, répondit-il tranquillement, mais je sais que depuis que nous avons quitté Édimbourg, j'ai prié pour chacun des membres de la Mission à l'Intérieur de la Chine, individuellement.
Ce genre de préoccupations ne lui faisait pas oublier les intérêts de ceux qui lui offraient l'hospitalité. Maintes lettres en témoignent :
Je ne puis oublier votre bonté paternelle, lui écrivait Mme Colville chez qui il avait été reçu. Souvent, le souvenir de votre visite me fait du bien ; il y avait un tel parfum de Christ dans toutes vos paroles et dans vos actes que la maison en est encore remplie. Je sais que vous êtes heureux, car vous marchez dans la lumière du Seigneur.
Cette puissance d'attraction, cette influence inconsciente, se faisant sentir en Écosse comme en Amérique, était pour beaucoup dans l'intérêt considérable qui s'était éveillé en Suède pour la Mission. Rencontrant un jour un jeune Suédois à Londres, Hudson Taylor, par bonté, s'était occupé de lui. Ils se virent de nouveau à Exeter Hall, en 1883, lors du départ des Soixante-dix, et Hudson Taylor aurait pu, alors, se borner simplement à le saluer.
Mais, écrivit plus tard l'étranger, nous eûmes une conversation après la réunion, et M. Taylor me parla d'une manière si aimable que mon cœur s'attacha à lui. Il était rempli d'amour...
De nouveaux contacts à la rue de Pyrland rendirent plus profond son intérêt, et quand M. Holmgren retourna en Suède, il était devenu un ami dévoué de la Mission à l'Intérieur de la Chine. Premièrement en qualité d'éditeur d'un périodique religieux, puis comme pasteur d'une des principales églises de Stockholm, il fit tout ce qu'il était en son pouvoir pour éveiller chez les chrétiens suédois le sentiment de leur responsabilité à l'égard des millions de Chinois parmi lesquels ils n'avaient encore aucun missionnaire. Un gradué d'Upsal, Erie Folke, appelé par Dieu à travailler dans ce vaste champ et qui ne trouvait aucune société suédoise de mission pour l'y envoyer, se rendit seul à Shanghaï et passa six mois à l'école d'Anking, pour apprendre la langue. De là, il écrivit à M. Holmgreen son désir de se joindre à la Mission à l'Intérieur de la Chine et un comité se constitua à Stockholm pour faciliter le départ d'autres missionnaires.
Hudson Taylor fut sollicité de visiter la Suède où son nom était bien connu et où le Comité avait besoin de ses conseils pour une œuvre qui devait être étroitement unie à celle de la Mission.
La chose se présentait d'une façon si naturelle qu'il ne pouvait guère concevoir combien son ministère personnel et les ramifications de la Mission allaient s'étendre, et cela conjointement avec d'autres mouvements, résultat d'instantes prières, en Amérique et en Australie. Ce développement avait débuté à la Conférence de Niagara, l'année précédente, et, cet été-ci l'on pouvait observer cette envolée plus large, cet essor comparable au vol de l'aigle, qui devait avoir des conséquences si lointaines. Hudson Taylor lui-même grandissait avec l'œuvre. Les difficultés récentes avaient encore fortifié sa foi en Dieu, et il était plein du désir de mieux comprendre Son caractère et Ses plans et d'accomplir Sa volonté.
Conscient que Dieu l'appelait, il accepta l'invitation des chrétiens suédois dont l'accueil empressé dépassa tout ce qu'il avait jamais vu.
Je parle rarement, écrivait-il, à moins de deux à cinq mille personnes par jour ; même dans les petites villes nous trouvons de grands auditoires. Hier soir, des centaines de personnes ne purent entrer et quelques-unes avaient fait plus de quarante kilomètres pour assister à la réunion. Puissent de grandes et durables bénédictions en résulter.
L'empressement des gens les plus modestes à offrir leurs dons émut vivement le visiteur :
Un cher vieux marin qui ne semblait pas avoir beaucoup à donner mit dans le plateau de la collecte sa boîte de tabac à priser ! Elle avait été sa compagne pendant trente ou quarante ans. En écaille, avec un lourd fermoir d'argent, elle fut vendue vingt couronnes.
Ailleurs, une dame s'approcha et mit dans ma main une magnifique montre, tandis qu'elle me parlait en anglais ; mais son émotion l'empêcha d'achever sa phrase et elle ne put que me dire, en suédois : « C'est pour le Seigneur Jésus, le Seigneur Jésus, le bien-aimé Seigneur Jésus. »
OÙ CHRIST N'A PAS ENCORE ÉTÉ ANNONCÉ La Mission à l'Intérieur de la Chine a été fondée à la vue des besoins urgents de ce vaste pays, avec le désir profond, créé par l'amour de Christ et l'espérance de Son retour, d'obéir à son ordre de prêcher l'Évangile à toute créature. |
Dans les riches demeures, comme dans les universités, le même intérêt se manifestait.
À Upsal, j'eus plus de deux mille auditeurs, soir et matin. Beaucoup ont promis de ne pas nous oublier. Je dois avoir parlé à soixante mille personnes depuis mon arrivée et je suis certain que beaucoup ont dit dans leur cœur : « Me voici, envoie-moi... » La bonté, l'hospitalité des Suédois dépasse ce que j'ai vu jusqu'ici.
Avec autant de simplicité qu'il en mettait à voyager en troisième classe, malgré bien des remontrances amicales, il se rendit à une réception à laquelle la reine l'invitait.
Une des dames d'honneur vint me prendre à l'hôtel dans un carrosse royal pour me conduire au Palais. Peu après notre arrivée la reine entra ; elle se dirigea vers moi et, très simplement, me tendit la main. Après quelques moments d'entretien sur la Chine, elle me demanda de lui faire une lecture biblique. Je lus au premier livre des Rois 10.1-13. Puis je montrai à Sa Majesté notre carte de la Chine, ce qui donna l'occasion de parler encore de la Mission. Enfin, elle me fit apporter du café et des sandwiches, me serra très cordialement la main et se retira.
En Suède comme ailleurs, c'était l'âme d'Hudson Taylor qui donnait du poids à sa parole.
Partout, écrivait M. Holmgren, les gens étaient attirés vers lui. Il témoignait beaucoup d'affection et il était payé en retour. C'était une joie de voir les enfants faire cercle autour de lui, dans les familles que nous visitions, bien qu'ils ne comprissent pas ses paroles.
M. Taylor retira beaucoup de joie de son voyage en Suède. Il y gagna beaucoup d'amis et, aujourd'hui encore, quand son nom est mentionné devant ceux qui l'entendirent, leur visage s'illumine. Il était simple et sans prétentions. En quittant Linköping, il se sentait très fatigué. La veille, il avait présidé plusieurs réunions ; il venait d'en présider une à onze heures et devait en tenir une autre à six heures du soir, à près de cent kilomètres de là. En chemin, son fils lui dit :
— Tu es très fatigué, laisse-moi prendre un billet de seconde classe.
M. Taylor répondit avec douceur :
— Non, c'est l'argent du Seigneur : il vaut mieux que nous en soyons économes.
Cette réponse, à laquelle j'ai souvent pensé, me fit une grande impression.
Enfin, j'aimerais à relever un incident qui m'a beaucoup frappé et illustre sa confiance en Dieu. Le Comité avait l'intention de couvrir les frais de voyage de M. Taylor et de son fils en faisant des collectes aux réunions. Quand nous nous rencontrâmes à Göteborg, je le lui dis. Il me regarda en souriant :
— Savez-vous que j'ai un Père fort riche ? Je Lui parlerai de cela, mais je ne crois pas que ce soit Sa volonté. Il pourvoira à mes besoins et j'estime que le produit de ces collectes doit être affecté à la Mission suédoise.
Cette réponse me toucha beaucoup et, si je l'avais pu, j'aurais volontiers payé moi-même tous ses frais de voyage en Suède. Quant à la confiance qu'il témoignait ainsi, je pensais : « C'est très bien en Angleterre, mais en Suède il n'en va pas de même. » Dans sa première lettre datée de Londres, après son retour, il m'écrivit : « Quelques jours après mon arrivée, j'ai reçu de Suède une lettre anonyme avec un chèque de cinquante livres sterling : « Pour vos frais de voyage en Suède ». « Si vous en connaissez l'auteur, veuillez lui dire mon plus chaud merci. »
Je n'en connaissais pas l'auteur, mais je me sentis grandement humilié de mon manque de foi.
Le fardeau qui pesait sur le cœur d'Hudson Taylor pendant son voyage en Suède venait d'une intelligence plus complète de l'ordre du Maître : « Allez par tout le monde et prêchez l'Évangile à toute créature. » Pendant plus de quarante ans, cet ordre, suivi sans réserve, avait dominé sa vie. Que n'avait-il pas fait et souffert ? N'avait-il pas aidé d'autres dans leurs efforts pour l'exécuter ? Certes, si un homme pouvait avoir le sentiment d'être libre de toute responsabilité à cet égard, c'était Hudson Taylor.
Et cependant, le dimanche 6 octobre, au bord de la mer, une nouvelle conception du sens de ces paroles bien connues avait illuminé son esprit. C'était l'anniversaire de Mme Taylor. Se rappelait-il cet autre mémorable dimanche, où, sur la plage, à Brighton, il s'était livré lui-même à Dieu pour l'évangélisation de l'intérieur de la Chine ?
Ce qu'il comprenait maintenant, à la lumière du Saint-Esprit, c'était la portée si étendue de ces quelques simples paroles, les dernières qui fussent tombées des lèvres du Seigneur au moment de Son ascension. Il lui semblait les entendre pour la première fois.
Je confesse avec honte, écrivait-il quelques mois plus tard, que, jusqu'à ce moment-là, je ne m'étais jamais demandé ce qu'Il voulait réellement dire lorsqu'Il donnait Son ordre : « Prêchez l'Évangile à toute créature. » J'avais travaillé pendant bien des années, comme beaucoup d'autres, pour répandre l'Évangile, j'avais formé des plans pour atteindre les provinces non encore visitées de la Chine, mais sans saisir la signification profonde des paroles de notre Sauveur :
À toute créature !
« À toute créature ! » Et le nombre total des chrétiens protestants dans ce vaste pays était de quarante mille seulement. Doublez-le, triplez-le, supposez que chacun soit un messager de l'Évangile pour huit de ses compatriotes, même ainsi un million seulement seront atteints. Ces mots « à toute créature » étaient brûlants dans son âme. Combien l'Église et lui-même avaient été loin de les prendre à la lettre ! Il s'en rendait compte et il ne lui restait qu'à leur obéir plus parfaitement.
Quelle attitude allons-nous adopter à l'égard du Seigneur Jésus-Christ en rapport avec cet ordre suprême ? Renierons-nous Son titre de Seigneur ? Dirons-nous que nous sommes disposés à Le reconnaître comme notre Sauveur, pour ce qui concerne l'expiation de notre péché, sans être pour cela prêts à considérer qu'Il nous a « achetés à grand prix » et qu'Il a tous les droits sur nous ? Prétendrons-nous que nous sommes nos propres maîtres et que nous sommes d'accord de Lui céder ce qui Lui est dû, à Lui qui nous a acquis par Son sang, à la condition qu'Il ne nous demande pas trop ? Nos vies, nos bien-aimés, nos biens sont à nous et non à Lui. Nous Lui donnerons ce que nous estimons raisonnable, et nous obéirons aux commandements qui ne nous imposent pas de sacrifices trop douloureux ? Nous voulons bien que Jésus-Christ nous prenne auprès de Lui dans le ciel. Mais nous ne voulons pas qu'Il règne sur nous ?
Le cœur de chaque croyant rejetterait certainement une proposition formulée ainsi. Et pourtant d'innombrables vies chrétiennes ont été vécues de cette manière-là. Combien peu, dans le peuple de Dieu, ont reconnu que si Christ n'est pas le Seigneur de tout, il n'est pas le Seigneur du tout ! Si nous jugeons la Parole de Dieu au lieu que ce soit elle qui nous juge, si nous donnons à Dieu autant ou aussi peu que ce qui nous plaît, alors nous sommes les seigneurs, nous, et Il est notre débiteur, Lui, qui doit être reconnaissant de notre charité et se sentir obligé parce que nous avons bien voulu nous conformer à Ses désirs. Si, d'autre part, Il est le Seigneur, traitons-Le comme tel. « Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas les choses que je vous commande ? »
Ainsi, d'une façon inattendue, Hudson Taylor en vint à la vision suprême de sa vie, au plan qui devait dominer les dix dernières années de son service actif. Âgé de cinquante-sept ans, riche d'expériences, il accepta cette nouvelle responsabilité avec la même foi et la même confiance qui l'avaient animé autrefois. Son âme était encore toute fraîche devant l'idéal de jadis, fidèle à la vision des premiers jours et du premier appel. Oh ! la puissance rayonnante de l'Amour éternel ! Tout est là, condensé ; tout l'esprit d'entreprise de la jeunesse, sans lassitude, sans compromis, en dépit des sévères réalités apprises au cours des vingt-quatre années passées à la tête de la Mission à l'Intérieur de la Chine. Pas d'autre nom que Christ, pas d'autres ressources ! Christ, et Christ crucifié, seul remède pour le péché et la détresse du monde. Et, derrière Ses commandements et Ses promesses, Dieu, toujours le même, pleinement suffisant, avec Son amour divin comme puissance agissante.
1 Merci beaucoup de vos bons vœux pour mon anniversaire, écrivait-il quelques semaines plus tard à M. Stevenson. Je suis arrivé en Angleterre ce jour-là et trouvai la pierre déjà enlevée.