Combien que Jésus-Christ, comme Soleil de justice, après avoir vaincu la mort ait esclairé le monde par son Evangile, pour mettre la vie en clairté (comme dit sainct Paul 2Tim. 1.10), dont il est dit qu’en croyant nous entrons de mort à vie Jean 5.24, et ne sommes plus estrangers ne forains, mais bourgeois avec les saincts, et domestiques de Dieu, lequel nous a fait seoir aux lieux célestes avec son Fils unique Eph. 2.6, 19 tellement que rien ne nous défaut à plene félicité : toutesfois afin qu’il ne nous ennuye point d’estre exercez à guerroyer encores sur la terre, voire avec condition dure et fascheuse, comme si nous ne voyions nul fruit de la victoire que Christ nous a acquise, nous avons à retenir ce qui est dit ailleurs de la nature d’espérance. Car puis que nous espérons ce qui n’apparoist point Rom. 8.25 : et (comme il est dit en un autre passage) la foy est une démonstrance des choses invisibles Héb. 11.1 : ce pendant que nous sommes enserrez en la prison de nostre corps, nous sommes d’autant eslongnez de Dieu 2Cor. 5.6. Pour laquelle raison sainct Paul dit ailleurs que nous sommes morts, et que nostre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ : et quand luy qui est nostre vie sera apparu, que nous apparoistrons aussi avec luy en gloire Col. 3.3-4. Voyci doncques quelle est nostre condition, asçavoir qu’en vivant sobrement, justement et sainctement en ce siècle, nous attendions l’espérance bienheureuse et l’advénement de la gloire du grand Dieu et nostre Sauveur Jésus-Christ Tite 2.12-13. Yci nous avons besoin d’une singulière patience, afin de ne nous point lasser ne fascher, pour tourner bride ou quitter la place qui nous a esté assignée. Parquoy tout ce qui a esté par ci-devant traitté de nostre salut, requiert que nous ayons les cœurs eslevez en haut pour aimer Christ, lequel nous ne voyons point : et que croyans en luy nous soyons ravis d’une joye inénarrable et magnifique, jusques à ce que nous rapportions la fin de nostre foy, suyvant l’admonition de sainct Pierre 1Pi. 1.8. Pour laquelle raison sainct Paul dit que la foy et charité des enfans de Dieu regardent à l’espérance qui leur est apprestée au ciel Col. 1.5. Quand nous avons les yeux ainsi arrestez en haut, et que rien ne les empesche ne retient yci-bas, qu’ils ne nous tirent et portent à la béatitude promise, ceste sentence est vrayement accomplie en nous, que nostre cœur est là où est nostre thrésor Matt. 6.21. Et voylà pourquoy la foy est si rare au monde : c’est qu’il n’y a rien plus difficile à nostre tardiveté, que de surmonter des obstacles infinis, pour continuer alaigrement nostre course, jusques à ce que nous ayons obtenu la palme de la vocation céleste. Outre ce que nous sommes quasi opprimez de grande multitude de misères, nous sommes asprement tentez des mocqueries de beaucoup de gaudisseurs, qui en plaisantant nous tienent pour simples et sots, en ce que de nostre bon gré nous renonçons aux alléchemens et délices présentes, pour parvenir à une béatitude qui nous est cachée, comme si nous pourchassions une ombre laquelle nous eschappera tousjours. Brief, haut et bas, en face et à dos, à dextre et à gauche nous sommes assiégez et assaillis de tentations si griefves et violentes que nous ne serions pas pour les soustenir ne pour y résister, si nous n’estions desveloppez des choses terrestres, pour estre comme attachez à la vie céleste, laquelle semble estre fort loing de nous. Parquoy nul n’a deuement ne fermement proufité en l’Evangile, s’il ne s’est accoustumé de méditer continuellement la résurrection bienheureuse.
Les Philosophes ont jadis fort curieusement disputé du souverain bien, et en ont débatu avec grande contradiction : nul toutesfois, excepté Platon, ne s’est peu résoudre que le souverain bien de l’homme est d’estre conjoinct à Dieu. Mais ce pendant il n’a peu gouster quelle estoit ceste conjonction. Dont il ne se faut esbahir : veu qu’il n’avoit rien apprins du vray bien, sans lequel elle ne peut consister. Or quant à nous, desjà en ce pèlerinage terrien nous cognoissons quelle est la félicité unique et parfaite : mais en telle sorte, qu’il faut qu’elle enflambe journellement de plus en plus nos cœurs à la désirer, jusques à ce que nous soyons rassasiez de la plene jouissance d’icelle. Voylà pourquoy j’ay dit que nous ne pouvons recevoir aucun fruit des bénéfices de Jésus-Christ, sinon en eslevant nos esprits à la résurrection. Comme aussi sainct Paul propose ce but à tous fidèles, disant qu’il s’efforce à y tendre, et qu’il oublie tout le reste pour y parvenir Phil. 3.14. Et d’autant plus nous y devons-nous de nostre part esvertuer d’un cœur ardent, de peur que si nous sommes occupez au monde, nous recevions un povre salaire de nostre lascheté et paresse. Pourtant en un autre lieu il donne ceste marque aux fidèles : c’est que leur conversation est au ciel, dont ils attendent leur Sauveur Phil. 3.20. Et afin qu’ils ne soyent point débilitez ou lasches à courir, il leur donne toutes créatures pour compagnes Rom. 8.19. Car comme ainsi soit qu’en tout le monde on voye des traces de ruine et désolation à cause du péché d’Adam, il dit que tout ce qui est au ciel et en la terre aspire avec travail à estre renouvelé. Car d’autant qu’Adam par sa cheute a dissipé le vray ordre et intégrité de nature, la servitude en laquelle toutes choses se voyent, leur est dure et griefve à porter. Non pas qu’elles ayent jugement ny intelligence : mais pource que naturellement elles appâtent de retourner en l’estat duquel elles sont décheutes. Parquoy sainct Paul leur attribue une douleur comme d’une femme qui enfante : afin que nous qui avons receu les prémices de l’Esprit, ayons tant plus grand’honte de croupir en nostre corruption, et n’ensuyvre pas pour le moins les élémens insensibles, qui portent la punition du péché d’autruy. Et afin de nous poindre plus au vif, il appelle l’advénement de Jésus-Christ, Nostre rédemption. Il est bien vray que toutes les parties de nostre rédemption sont desjà accomplies : mais pource que Jésus-Christ ayant esté une fois offert pour nos péchez, apparoistra derechef sans péché à salut Héb. 9.28, de quelques misères que nous soyons accablez, ceste rédemption dernière nous doit soustenir jusques en la fin.
L’importance de la chose doit bien aiguiser nostre estude ; car ce n’est pas sans cause que sainct Paul remonstre, que les morts ne ressuscitent ; tout l’Evangile n’est que fumée et mensonge 1Cor. 15.14 : pource que nostre condition seroit la pire d’entre les hommes mortels, d’autant que nous sommes exposez à la haine, reproches et vitupères de la pluspart du monde, sommes en hazard à chacune heure, mesmes sommes comme moutons qu’on meine à la boucherie Rom. 8.36 ; Ps. 44.22. Et ainsi l’authorité de l’Evangile seroit abatue non-seulement en cest endroict, mais en toute sa substance, laquelle est comprinse tant en nostre adoption qu’en l’accomplissement de nostre salut. Au reste soyons tellement attentifs à une chose de si grand pris, que nulle longueur de temps ne nous y apporte ennuy pour nous en fascher. Pour laquelle raison j’ay différé de traitter de la résurrection jusques à présent, afin que les lecteurs apprenent, après avoir receu Jésus-Christ pour autheur de leur salut parfaict, de s’eslever plus haut, et cognoistre qu’il a esté revestu d’immortalité et gloire céleste, afin que tout le corps soit conformé au chef. Comme aussi le sainct Esprit nous propose souvent l’exemple de la résurrection en la personne d’iceluy. C’est une chose difficile à croire, que les corps estans consumez en pourriture doyvent ressusciter en leur temps. Pourtant, combien que plusieurs des Philosophes ayent maintenu l’immortalité des âmes, la résurrection de la chair a esté approuvée de bien peu. Et combien qu’en cela ils ne soyent point à excuser, toutesfois nous sommes advertis que c’est une chose trop haute pour attirer à soy les sens humains. Or afin que la foy puisse outrepasser un si grand empeschement, l’Escriture nous donne deux aides : l’une est en la similitude de Jésus-Christ, l’autre en la puissance infinie de Dieu. Maintenant toutes fois et quantes qu’on parlera de la résurrection, mettons-nous devant les yeux l’image de Jésus-Christ, lequel a tellement achevé le cours de sa vie mortelle en la nature qu’il avoit prise de nous, qu’estant fait immortel, il nous est un bon gage de nostre immortalité à venir. Car en toutes les misères dont nous sommes environnez, nous portons sa mortification en nostre chair, afin que sa vie soit manifestée en nous 2Cor. 4.10. Et de le séparer d’avec nous, il n’est pas licite, ne mesmes possible, qu’on ne le deschire. Dont procède cest argument de sainct Paul, que si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est ressuscité non plus 1Cor. 15.13, 16 : d’autant qu’il prend ce principe pour résolu, que Jésus-Christ n’a point esté asservy à la mort pour son utilité privée, et qu’il n’a pas esté victorieux sur icelle en ressuscitant, pour son proufit : mais que ce qui doit estre accomply en tous les membres, selon l’ordre et degré d’un chacun, a esté commencé au chef. Car de faict, ce ne seroit pas raison qu’ils fussent en tout et par tout égualez à luy. Il est dit au Pseaume, Tu ne souffriras point que ton débonnaire voye Corruption Ps. 16.10. Combien qu’une portion de ceste fiance nous appartiene selon la mesure qui nous est donnée, toutesfois le plein effect n’en est apparu qu’en Jésus-Christ, lequel a esté affranchy de toute pourriture, pour reprendre son corps entier. Et afin qu’il n’y ait nulle ambiguïté ou scrupule, que Jésus-Christ ne nous associe à sa résurrection, tellement que ce gage nous contente, sainct Paul notamment prononce qu’il règne au ciel, et qu’il viendra au dernier jour comme juge, pour conformer nostre corps povre et contemptible au sien glorieux Phil. 3.21. En l’autre passage 1Cor. 15.23, il monstre que Dieu n’a point suscité son Fils de la mort, pour mettre seulement en avant un chef-d’œuvre de sa vertu, mais pour desployer une mesme efficace de son Esprit sur les fidèles, Parquoy il nomme cest Esprit, Vie, quand il habite en nous : pource qu’il nous est donné à ceste fin de vivifier ce que nous avons de mortel. Je touche briefvement les choses qui se pourroyent bien déduire plus au long, et méritent bien d’estre ornées d’un plus haut style : mais j’estime que les lecteurs chrestiens trouveront en ceste briefveté assez de matière pour édifier leur foy. Jésus-Christ doncques est ressuscité pour nous avoir compagnons de la vie future. Le Père l’a ressuscité comme chef de l’Eglise, de laquelle il ne nous souffre nullement estre séparez. Il est ressuscité en la vertu du sainct Esprit, lequel nous est commun avec luy quant à l’office de vivifier : brief, il est ressuscité pour nous estre résurrection et vie. Or comme nous avons dit que nous avons une image vive de nostre résurrection toute patente en ce miroir : aussi que ce nous soit un fondement certain pour appuyer nos esprits, afin que la trop longue attente ne nous fasche ou ennuyé : veu que ce n’est pas à nous de mesurer les minutes des temps à nostre fantasie, mais d’attendre patiemment que Dieu selon son opportunité dresse et establisse son règne. A quoy tend ceste exhortation de sainct Paul, que Jésus-Christ est les prémices : puis après ceux qui sont à luy, chacun selon son ordre Matt. 27.66 ; 28.11. Au reste afin qu’on n’esmeust point question ne doute de la résurrection de Jésus-Christ, en laquelle celle de nous tous est fondée, nous voyons en combien de sortes il la nous certifie. Les gaudisseurs se pourront mocquer du récit que font les Evangélistes, comme si c’estoyent des contes de petis enfans. Car quelle authorité, disent-ils, a un message apporté par des femmes si effrayées que rien plus, et puis confermé par les disciples, qui sont esperdus de frayeur ? Pourquoy Jésus-Christ n’a-il plustost fait les monstres et triomphes de sa victoire, au milieu du temple et aux places publiques ? Pourquoy ne s’est-il présenté redoutable en majesté devant les yeux de Pilate ? Pourquoy ne s’est-il monstré vivant aux Sacrificateurs, et à toute la ville de Jérusalem ? Brief, les hommes profanes n’accorderont point que les tesmoins qu’il a esleus soyent compétens. Je respon, combien que l’infirmité de ces commencemens fust contemptible, que néantmoins le tout s’est gouverné par une providence admirable de Dieu : afin que ceux qui avoyent un peu au paravant esté comme esvanouis de crainte, fussent attirez comme par force au sépulchre, partie par l’amour et zèle qu’ils avoyent envers leur maistre, partie par leur incrédulité : non-seulement pour estre tesmoins d’une chose veue, mais aussi pour ouyr des Anges ce qu’ils voyoyent des yeux. Comment leur authorité nous sera-elle suspecte, veu qu’ils ont tenu pour fable ce que les femmes racontoyent, jusques à ce qu’ils en ont eu plein regard ? Quant à Pilate, aux Sacrificateurs et à tout le peuple, il ne se faut esbahir si après avoir esté tant et plus convaincus, ils sont privez tant de la présence de Jésus-Christ, que de tous autres signes. Le sépulchre est cacheté, les gardes y font le guet, le corps ne se trouve point le troisième jour, les gendarmes estans corrompus par argent sèment le bruit qu’il a esté desrobé par ses disciples Luc 24.6. Voire comme s’ils eussent eu moyen d’amasser quelque grosse bande, ou qu’ils fussent garnis d’armes, ou qu’ils fussent exercez à oser attenter un tel acte. Que si les gendarmes n’estoyent assez hardis pour les rebouter et chasser, que ne les poursuyvoyent-ils, afin d’estre secourus du peuple pour les prendre ? Ainsi, à parler proprement, Pilate a scellé de son cachet la résurrection de Jésus-Christ : et les gardes qui avoyent esté establis au sépulchre, en se taisant ou en mentant ont esté faits héraux à publier la résurrection. Ce pendant la voix des Anges a retenty haut et clair, Il est ressuscité, il n’est plus yci Luc 24.39. La splendeur qui a reluy en eux a monstré clairement que c’estoyent Anges, non pas hommes mortels. Finalement, s’il y avoit encores quelque queue de doute, Jésus-Christ mesme l’a ostée. Les disciples l’ont veu, et non pas pour un coup. Ils ont manié ses pieds et ses mains : et leur incrédulité a grandement servy à confermer nostre foy. Il leur a familièrement parlé des secrets du royaume de Dieu Actes 1.3, 9. Finalement ils l’ont veu de leurs propres yeux monter au ciel. Et non-seulement les onze Apostres ont esté introduits à un tel spectacle, mais il a esté veu pour un coup de plus de cinq cens frères 1Cor. 15.6. Outreplus, envoyant le sainct Esprit, il a donné certaine approbation non-seulement de sa vie, mais aussi de son empire souverain : comme il avoit prédit. Il vous est expédient que je m’en aille, autrement le sainct Esprit ne viendra point Jean 16.7. Finalement, sainct Paul n’a pas esté abatu au chemin de Damas par la vertu d’un trespassé : mais a senty que celuy contre lequel il combatoit, estoit armé de puissance souveraine Actes 9.4. Il est apparu à sainct Estienne à autre fin Actes 7.55 : c’est pour luy faire vaincre la crainte de mort par la certitude de sa vie. De ne vouloir adjouster foy à tant de tesmoignages et si authentiques, ce ne seroit pas seulement incrédulité, mais une obstination perverse, voire du tout furieuse.
Ce que nous avons dit, que pour estre certifiez de la résurrection il nous convient appliquer nos sens à la puissance infinie de Dieu, sainct Paul le déclaire en peu de mots, disant que nous espérons qu’il transfigurera nos corps contemptibles à son corps glorieux, selon l’efficace de sa vertu, par laquelle il se peut assujetir toutes choses Phil. 3.21. Et pourtant ce n’est pas raison de regarder yci ce qui se peut naturellement faire : veu qu’il est question d’un miracle qui engloutit par l’excellence de sa grandeur tous nos sens. Toutesfois sainct Paul use d’un exemple naturel pour rédarguer la bestise de ceux qui nient la résurrection : Fol, dit-il, ce que tu sèmes ne cueille point de vigueur, sinon qu’il soit mort au paravant 1Cor. 15.36. Il veut que nous contemplions l’image de la résurrection en la semence, laquelle se produit de pourriture. Et de faict, la chose ne nous seroit pas si difficile à croire, si nous estions attentifs comme il seroit requis, à tant de miracles qui se présentent à nos yeux par toutes les régions du monde. Au reste, notons bien que nul ne sera jamais vrayement persuadé de la résurrection à venir, sinon qu’estans ravy en admiration, il donne à la vertu de Dieu la gloire qu’elle mérite. Parquoy Isaïe estant animé de telle fiance s’escrie, Tes morts vivront, ils ressusciteront, voire mon corps pourry. Esveillez-vous et bénissez Dieu, vous qui habitez en la poudre Esaïe 26.19. Les choses estans désespérées tout à l’entour, il s’addresse à l’autheur de vie, lequel a en sa main les issues de mort, comme il est dit au Pseaume Ps. 68.20. Job aussi estant plus semblable à une povre charongne qu’à un homme, toutesfois s’appuyant sur la puissance de Dieu ne doute point, comme s’il estoit en plene et entière vigueur, se remettre à ce jour-là, Je sçay, dit-il, que mon rédempteur vit, et qu’au dernier jour il se lèvera sur la poudre (asçavoir pour y desployer sa vertu) et que derechef je seray vestu de ma peau, et verray Dieu en ma chair. Je le verray, et non autre Job 19.25. Car combien qu’aucuns destournent ces passages plus subtilement, comme s’ils ne devoyent point estre entendus de la résurrection : quoy qu’ils disent, ils conferment ce qu’ils veulent ruiner : d’autant que les saincts ne cherchent meilleur allégement en leurs fascheries, que de la similitude de la résurrection. Ce qui sera encores mieux entendu par le passage d’Ezéchiel, Car pource que les Juifs ne pouvoyent accepter la promesse de leur retour, mais objectoyent à l’encontre, qu’il n’estoit non plus vray-semblable que le chemin leur feust ouvert, que de faire sortir les morts du sépulchre : une vision est donnée au Prophète, c’est qu’il y a un champ plein d’os tout secs, ausquels Dieu commande de reprendre chair, peau et nerfs Ezéch. 37.8. Combien que Dieu, sous ceste figure incite son peuple à bien espérer de sa rédemption, toutesfois il prend l’argument d’espérance, de ce que son office est de ressusciter les morts : comme aussi ce nous est le souverain patron de toutes les délivrances que les fidèles reçoyvent au monde. Pourtant Jésus-Christ après avoir dit que la parole de l’Evangile a force de vivifier : d’autant que les Juifs rejettoyent cela bien loing, adjouste tantost après. Ne vous esbahissez pas de cela : car l’heure vient en laquelle tous ceux qui sont és sépulchres, orront la voix du Fils de Dieu, et en sortiront Jean 5.28-29. Commençons doncques à l’exemple de sainct Paul, de triompher desjà au milieu de nos combats d’autant que celuy qui nous a promis la vie à venir, est puissant pour garder nostre dépost 2Tim. 1.12. Et ainsi, glorifions-nous hardiment que la couronne de justice, laquelle le juste Juge nous rendra, nous est apprestée 2Tim. 4.8. Par ce moyen toutes les fascheries que nous avons à endurer, nous serviront de miroir pour contempler une meilleure vie : pource qu’il convient à la nature de Dieu, de rendre la pareille aux iniques qui nous molestent : et à nous qui sommes injustement affligez, nous donner repos en la manifestation de Jésus-Christ, quand il viendra avec les Anges de sa vertu en feu flamboyant 2Thess. 1.6-8 Mais retenons aussi ce qui est incontinent après dit, qu’il viendra pour estre glorifié en ses saincts, et rendu admirable en tous ceux qui auront creu pource qu’on aura adjousté foy à l’Evangile.
Or combien que les esprits des hommes se deussent du tout appliquer à ceci, et en faire estude continuelle, toutesfois comme si de propos délibéré ils vouloyent abolir toute mémoire de résurrection, ils ont appelé la mort, Le définement de toutes choses, et l’abolition de l’homme. Car de faict, quand Solomon dit, qu’un chien vif est meilleur qu’un lion mort Eccl. 9.4, il parle de l’opinion communément receue. Comme en l’autre passage, Qui sçait si l’âme de l’homme monte en haut, et l’âme d’une beste descend en bas Eccl. 3.21 ? Or ceste stupidité brutale a eu sa vogue en tout temps : et mesmes a trouvé entrée en l’Eglise, quand les Sadducéens n’ont point eu honte de maintenir publiquement qu’il n’y avoit nulle résurrection, et que les âmes estoyent mortelles Marc 12.18 ; Luc 20.27 ; Actes 23.8. Mais afin que ceste lourde ignorance ne servist d’excuse aux infidèles, ils ont esté tousjours incitez par un mouvement naturel de se mettre quelque image de la résurrection devant les yeux. Car à quoy tendoit l’observation d’ensevelir les morts, tant sacrée et inviolable, sinon pour estre arre d’une nouvelle vie ? Et ne peut-on répliquer que cela soit venu d’erreur ou de vaine fantasie, veu que le mesme a esté gardé en grande saincteté entre les Pères, voire de tout temps. Et Dieu a voulu que ceste coustume demeurast entre les Payens, afin que ce leur fust un mémorial et remembrance de la résurrection, pour esveiller leur tardiveté. Or combien que ceste cérémonie ne leur ait lors rien proufité, et elle nous est utile, si nous regardons prudemment à quelle fin elle a tendu. Car c’est une raison assez forte et péremptoire pour convaincre leur incrédulité, de ce que tous ont fait profession d’une chose laquelle nul d’eux n’a creue. Or Satan non-seulement a eslourdi les sens des hommes, pour leur faire ensevelir la mémoire de la résurrection avec les corps, mais s’est aussi efforcé de corrompre tout ce qui nous en est monstré, pour anéantir cest article. Je ne réciteray pas au long, que desjà du temps de sainct Paul il avoit commencé à l’esbran1er : mais tantost après sont sortis les Chiliastes, qui ont voulu accourcir le règne de Jésus-Christ : et le restreindre au terme de mille ans. Or leur badinage est si puérile, qu’il n’a besoin d’estre réfuté, non plus qu’il n’en est digne. Et l’Apocalypse, de laquelle ils ont prins couleur pour couvrir leur erreur, ne leur favorise en rien : veu que le nombre de mille dont il est là fait mention Apoc. 20.4 ne se rapporte point à la béatitude permanente de l’Eglise, mais à beaucoup de révolutions qui devoyent advenir pour molester l’Eglise. Au reste, toute l’Escriture prononce qu’il n’y aura nulle fin à la punition des réprouvez non plus qu’à la félicité des esleus Matt. 25.41, 46. Or de toutes choses invisibles, et mesmes qui surmontent la capacité de nostre entendement il n’y en a nulle asseurance que par la seule Parole de Dieu. Ainsi c’est à icelle qu’il nous faut tenir, rejettans tout ce qu’on nous amènera d’avantage. Ceux qui assignent mille ans aux enfans de Dieu, pour la béatitude de la vie future, ne voyent point quelle injure ils font et à Christ et à son règne. Car si ainsi estoit que les fidèles ne deussent point estre vestus d’immortalité, il s’ensuyvroit que Christ (à la gloire duquel ils seront faits conformes) n’auroit point esté receu en gloire immortelle. Si leur béatitude a quelque fin, il s’ensuyt que le règne de Christ, sur la fermeté duquel elle est appuyée, est temporel. Finalement, ou telles gens sont fort ignorans des choses divines, ou ils s’efforcent d’une grande malice à renverser toute la grâce de Dieu et la vertu de Christ : desquelles l’accomplissement ne peut estre, sinon que le péché estant aboli, et la mort engloutie, la vie éternelle soit plenement restaurée. Ce qu’ils craignent d’attribuer trop grande cruauté à Dieu, en disant que les meschans seront punis de torment éternel, les aveugles mesmes voyent bien quelle folie c’est que cela. Comme si le Seigneur faisoit grande injure, en privant de son Royaume ceux qui par leur ingratitude s’en sont rendus indignes. Mais les péchez, disent-ils, sont temporels. Je leur confesse : mais la majesté de Dieu laquelle ils ont offensée, est éternelle. C’est doncques à bon droict que la mémoire de leur iniquité ne périt point. Mais si ainsi est, disent-ils, la correction surmontera la mesure du péché. Je respon que cela est un blasphème intolérable, quand la majesté de Dieu est si peu prisée de nous, que d’estimer moins le contemnement d’icelle que la perdition d’une âme. Parquoy laissons tels babillars, afin qu’il ne semble que nous les jugions dignes de responses, contre ce que nous avons dit au commencement.
Il y a encores deux resveries, que des esprits curieux et tortus ont mis en avant. Les uns ont pensé que les âmes doyvent ressusciter avec les corps, comme si tout l’homme périssoit en mourant. Les autres accordans l’immortalité des âmes, ont cuidé qu’elles doyvent estre revestues de nouveaux corps, en quoy ils nient la résurrection de la chair. Quant aux premiers, pource que j’en ay touché en la création de l’homme, ce me sera assez d’advertir derechef les lecteurs combien cest erreur est brutal, de faire de nos esprits formez à l’image de Dieu, un vent qui s’escoule et esvanouisse, ayant seulement végété le corps pour ceste vie caduque : secondement, de réduire à néant le temple du sainct Esprit : brief, de despouiller la partie de nous la plus noble et la plus excellente, des marques notables que Dieu y a imprimée de sa divinité, pour la déclairer immortelle : et tellement pervertir tout, que la condition du corps soit plus précieuse que celle de l’âme. L’Escriture parle bien autrement, laquelle compare nostre corps à une loge fragile, laquelle nous quittons et laissons en mourant. En quoy elle monstre que l’âme est la principale partie de l’homme : comme aussi elle le discerne d’avec les bestes brutes. Suyvant cela, sainct Pierre se voyant prochain de la mort, dit que le temps est venu qu’il luy faut quitter son tabernacle 2Pi. 1.14. Sainct Paul parlant des fidèles, après avoir dit que quand leur maison terrestre sera décheute, ils ont un édifice permanent au ciel, adjouste, Ce pendant que nous habitons en la chair, nous sommes séparez de Dieu comme pèlerins : et ainsi, que nous désirons de luy estre plus prochains par l’absence de nostre corps 2Cor. 5.1, 4. Si les âmes ne survivoyent après nostre trespas, quel fantosme seroit-ce qui auroit Dieu présent, veu qu’il faut que ce soit une chose séparée du corps ? Et l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux oste tous scrupules quant à cela, disant que nous sommes assemblez avec les esprits des justes Héb. 12.23. Par lesquels mots il entend que nous sommes associez avec les saincts Pères, lesquels estans trespassez ne laissent pas d’honorer Dieu en commun avec nous : comme de faict nous ne pouvons estre membres de Christ, sinon estans unis avec eux. D’avantage, si les âmes estans despouillées des corps, ne retenoyent leur essence pour estre capables de la gloire céleste, Jésus-Christ n’eust pas dit au brigand. Tu seras aujourd’huy en Paradis avec moy Luc 23.43. Estans munis de si bons tesmoignages et évidens, ne doutons point de recommander à l’exemple de Christ nos âmes à Dieu en mourant Luc 23.46 : et aussi les remettre avec sainct Estiene en la garde de nostre Seigneur Jésus Actes 7.59, lequel n’est pas nommé sans cause le fidèle Pasteur et Evesque d’icelles 1Pi. 2.25. De nous enquérir plus curieusement de l’estat qui est entre la mort et la résurrection, il n’est licite ny utile. Plusieurs se tormentent tant et plus à disputer en quel lieu les âmes sont logées, et si elles jouissent desjà de la gloire promise, ou non. Or c’est folie et témérité de nous enquérir de choses incognues, plus haut que Dieu ne nous permet d’en sçavoir. L’Escriture après avoir dit que Christ leur est présent, et qu’il les reçoit en Paradis pour leur donner repos et joye : à l’opposite, que les âmes des réprouvez sentent desjà les tormens qu’elles méritent Matt. 5.8, 26 ; Jean 12.32, s’arreste là, et ne passe point outre. Oui sera le maistre ou docteur qui nous enseignera ce que Dieu nous a celé ? La question quant au lieu, est bien frivole et sotte : veu que nous sçavons que l’âme n’a pas ses mesures de long et de large, comme le corps. Ce que la retraitte bienheureuse des saincts esprits est nommée le sein ou giron d’Abraham, c’est bien assez : d’autant que par là nous sommes instruits qu’en sortant de ce pèlerinage terrien nous sommes receus du Père de tous les fidèles, à ce qu’il participe du fruit de sa foy avec nous. Ce pendant, puis que l’Escriture veut que nous soyons en suspens jusques à la venue de nostre Seigneur Jésus, et nous commande de l’attendre, et nous remet à ce jour-là pour recevoir la couronne de gloire, tenons-nous comme barrez en ces bornes que Dieu nous assigne, asçavoir que les âmes fidèles, après avoir achevé leur terme de combatre et travailler, sont recueillies en repos, où elles attendent avec joye la fruition de la gloire promise ; et ainsi, que toutes choses demeurent en suspens jusques à ce que Jésus-Christ apparoisse pour Rédempteur. Quant aux réprouvez, il n’y a doute que leur condition ne soit conforme à ce que sainct Jude prononce de celle des diables : c’est qu’ils sont enchaînez comme malfaiteurs, jusques à ce qu’ils soyent traisnez à la punition qui leur est apprestée Jude 1.6.
L’erreur de ceux qui imaginent que les âmes ne reprendront point les corps desquels elles sont à présent vestues, mais qu’il leur en sera forgé de tout nouveaux, est si énorme, que nous le devons tenir comme un monstre détestable. Les Manichéens en cest endroict ont jadis amené une raison trop frivole : c’est qu’il n’est pas raisonnable que la chair, laquelle est souillée d’immondicité, ressuscite ; voire comme s’il n’y avoit nulle souilleure aux âmes, lesquelles toutesfois ils confessoyent devoir estre participantes du salut éternel. C’est doncques autant comme s’ils eussent dit que ce qui est infecté des macules de péché, ne peut estre purgé. Car de l’autre resverie infernale qu’ils ont tenue, c’est que les âmes sont naturellement pollues, pource qu’elles ont leur origine du diable : je n’en parle point, comme d’une chose trop brutale ; seulement j’adverti, que tout ce que nous avons en nous indigne du ciel, n’empeschera point la résurrection, en laquelle tout sera réparé. Mesmes quand sainct Paul commande aux fidèles de se nettoyer de toute ordure de chair et d’esprit 2Cor. 7.1, le jugement qu’il dénonce ailleurs s’ensuyt quant et quant de là : asçavoir que chacun recevra loyer selon ce qu’il aura fait en son corps, soit bien soit mal 2Cor. 5.10. A quoy s’accorde ce qu’il dit ailleurs, Afin que la vie de Jésus-Christ soit manifestée en nostre chair mortelle 2Cor. 4.10. Pour laquelle raison il prie aussi bien que Dieu garde les corps entiers jusques au jour de Jésus-Christ, comme les âmes et esprits 1Thess. 5.23. Et n’est point de merveilles : veu que ce seroit chose trop absurde, que les corps, lesquels Dieu s’est dédiez pour temples 1Cor. 3.16 ; 6.19, tombassent en pourriture sans espérance de résurrection. Il y a encores plus, qu’ils sont membres de Jésus-Christ. Item, que Dieu veut et ordonne que toutes les parties luy en soyent sanctifiées. Item, qu’il requiert que son nom soit célébré par les langues, qu’on luy lève les mains pures au ciel 1Tim. 2.8, et qu’elles soyent instrumens pour luy offrir sacrifices. Puis que le Juge céleste fait un tel honneur à nos corps, quelle rage est-ce à un homme mortel de les réduire en poudre, sans espérance qu’ils doyvent estre restaurez ? Pareillement sainct Paul, en nous exhortant de porter le Seigneur tant en nos corps qu’en nos âmes, d’autant que l’un et l’autre est à luy 1Cor. 6.20, ne permet pas qu’on condamne à pourrir à jamais ce que Dieu s’est ainsi précieusement réservé. Et de faict, il n’y a article si bien liquidé en l’Escriture que cestuy-ci : c’est que nous ressusciterons en la chair que nous portons. Il faut, dit sainct Paul, que ce corruptible-ci soit revestu d’incorruption ; et ce mortel-ci, d’immortalité 1Cor. 15.53. Si Dieu créoit des nouveaux corps, que deviendroit ce changement dont il parle ? S’il eust dit qu’il nous faut estre renouvelez, la façon de parler ambiguë eust possible donné occasion de caviller : mais quand il monstre au doigt les corps dont nous sommes environnez, et leur promet incorruption, ce n’est pas à dire que Dieu nous en forge de nouveaux. Mesmes, comme dit Terlullien, il ne pouvoit plus expressément parler, s’il n’eust tenu sa peau à la main pour en faire monstre. On ne trouvera point aussi d’eschappatoire, en ce que luy-mesme alléguant le Prophète Isaïe, que Jésus-Christ sera Juge du monde, récite ces mots, Je suis vivant, dit le Seigneur, et tout genouil se ployera devant moy Rom. 14.11 ; Esaïe 45.23. Car il déclaire ouvertement que ceux-là mesmes ausquels il parle, seront appelez à rendre conte : ce qui ne conviendroit pas, si des autres corps nouvellement créez y comparoissoyent. Il n’y a aussi nulle obscureté au passage de Daniel, quand il dit, Plusieurs qui dorment en la poudre, seront ressuscitez : les uns en vie permanente, les autres en opprobre éternel Dan. 12.2. Car il ne dit pas que Dieu prendra matière des quatre élémens, pour forger des corps nouveaux, mais qu’il les prendra des sépulchres, où ils auront esté mis. Et la raison est trop manifeste quant à cela. Car si la mort ayant son origine de la cheute de l’homme, est accidentale, la restauration acquise par Jésus-Christ appartient aux mesmes corps, qui sont devenus mortels par le péché. Et aussi de ce que les Athéniens se mocquent quand sainct Paul leur parle de la résurrection Actes 17.32, de là nous pouvons recueillir quelle en estoit sa doctrine : et pourtant ceste risée peut beaucoup valoir à confermer nostre foy. Pareillement la sentence de Jésus-Christ est beaucoup à observer, quand il dit, Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme : mais craignez celuy qui peut jetter corps et âme en la géhenne du feu Matt. 10.28. Car il n’y auroit point cause de craindre cela, si le corps que nous portons à ceste heure, n’estoit sujet au supplice dont il parle. L’autre sentence n’est pas plus obscure, L’heure est venue, en laquelle tous ceux qui sont és sépulchres orront la voix du Fils de Dieu : et ceux qui auront bien fait, sortiront en résurrection de vie : et ceux qui auront mal fait, en condamnation Jean 5.28-29. Dirons-nous que les âmes se reposent aux sépulchres, pour ouyr de là au dernier jour la voix de Jésus-Christ ? N’est-ce pas plustost à dire que les corps par son commandement reprendront la vigueur dont ils estoyent décheus. D’avantage, si Dieu nous donnoit d’autres corps, où seroit la conformité du chef avec les membres ? Christ est ressuscité : a-ce esté en se bastissant un corps nouveau ? Mais plustost selon qu’il avoit prédit, Destruisez ce temple, et je le réédifieray en trois jours Jean 2.19. Il a doncques prins derechef le corps mortel, duquel il s’estoit chargé. Car il ne nous eust guères proufité, qu’il y eust eu un autre corps substitué, et que celuy qui a esté offert en sacrifice de nostre purgation eust esté aboli. Car il nous faut bien retenir la conjonction et société dont traitte l’Apostre : c’est que nous ressusciterons, puis que le Seigneur Jésus-Christ est ressuscité 1Cor. 15.12. Comme aussi ce ne seroit pas raison que nostre chair, en laquelle nous portons la mortification de Jésus-Christ 2Cor. 4.10, fust privée de sa résurrection. Ce qui a esté aussi manifesté par exemple notable, quand luy ressuscitant plusieurs corps des saincts sont aussi sortis des sépulchres Matt. 27.52. Car on ne peut nier que ce n’ait esté un préambule, ou plustost une arre de la résurrection dernière que nous attendons, comme au paravant les Pères avoyent semblable tesmoignage en Enoch et Elie, lesquels Tertullien dit estre assignez à la résurrection : d’autant que Dieu les ayant exemptez en corps et en âme de leur fragilité, les a prins en sa garde jusques alors.
J’ay honte d’employer tant de paroles en une chose si claire : mais je prie les lecteurs d’avoir patience avec moy, afin que les esprits pervers et hardis n’ayent nuls pertuis ne bresches à tromper les simples. Ces gens volages contre lesquels je dispute, mettent en avant la resverie de leur cerveau, qu’il y aura une création nouvelle de corps. De quelle raison sont-ils esmeus de le penser, sinon pource qu’il leur semble incroyable, qu’une charongne qui aura esté consumée de longtemps en pourriture, recouvre son estat premier. Ainsi la seule incrédulité leur est mère de ceste opinion : au contraire, le sainct Esprit nous exhorte par toute l’Escriture, d’espérer la résurrection de nostre chair. Pour ceste cause, comme sainct Paul tesmoigne, le Baptesme nous en est comme un seau Col. 2.12 : la saincte Cène nous convie à une mesme fiance, quand nous prenons en la bouche les signes de la grâce spirituelle. Et de faict, l’exhortation de sainct Paul d’offrir nos membres pour armes en obéissance de justice Rom. 6.19, seroit bien froide et maigre, si ce qu’il adjouste n’estoit conjoinct quant et quant : asçavoir que celuy qui a ressuscité Jésus-Christ, vivifiera aussi nos corps mortels Rom. 8.11. Car de quoy serviroit-il d’appliquer nos pieds et mains, yeux et langues au service de Dieu, s’ils n’estoyent participans du fruit et loyer ? Ce que sainct Paul conferme ouvertement, disant que le corps ne doit point estre adonné à paillardise, mais au Seigneur ; et que le Seigneur est sur le corps, et que celuy qui a ressuscité Jésus-Christ, nous ressuscitera aussi par sa vertu. Ce qui s’ensuyt est encores plus clair, que nos corps sont temples du sainct Esprit, et membres de Christ 1Cor.6.13-15, 19. Ce pendant nous voyons comme il conjoinct la résurrection avec la chasteté et saincteté : comme un peu après il estend le pris de la rédemption jusques à nos corps. Et de faict, il n’y auroit nul propos que le corps de sainct Paul, auquel il a porté les marques de Jésus-Christ Gal. 6.17, et auquel il l’a magnifiquement glorifié, fust privé du loyer de la couronne. Et voylà pourquoy il dit que nous attendons nostre Rédempteur des cieux, lequel transfigurera nos corps mesprisez en la gloire du sien Phil. 3.21. D’avantage, si ceste sentence est vraye, qu’il nous convient entrer au Royaume de Dieu par beaucoup d’afflictions Actes 14.22, il n’est pas équitable de repousser de ceste entrée les corps que Dieu exerce sous la bannière de la croix, et lesquels il honore de victoire. Par ainsi jamais il n’y a eu doute entre les fidèles, qu’ils n’espérassent d’estre en la suyte de Jésus-Christ, lequel transfère à sa personne nos afflictions, pour monstrer qu’elles nous meinent à vie. Mesmes Dieu a confermé de cela les Pères anciens sous la Loy, par cérémonie visible. Car la façon d’ensevelir, comme nous avons veu, a servi à monstrer que les corps estoyent mis en repos pour attendre une vie meilleure. Ce qui a esté mesmes signifié par les onguens aromatiques, et autres figures d’immortalité, pour suppléer à l’obscurité de la doctrine, ainsi que par les sacrifices et choses semblables. Car la superstition n’a pas engendré ceste coustume, veu que nous voyons le sainct Esprit insister aussi diligemment sur les sépultures, que sur les principaux mystères de nostre foy. Et Jésus-Christ prise ceste humanité d’ensevelir, comme chose digne d’estre en grande recommandation Matt. 26.10 : et non pour autre cause, sinon que par ce moyen les yeux sont destournez du sépulchre qui engloutit et abolit toutes choses, à un spectacle du renouvellement à venir. D’avantage, l’observation tant songneuse qu’en ont eue les Pères, et de laquelle ils sont louez, prouve bien que ce leur a esté une aide chère et précieuse pour nourrir leur foy. Car Abraham ne se fust pas si fort empesché d’avoir sépulchre pour sa femme Gen. 23.4, 19, si la religion ne l’eust incité à cela, et qu’il se fust mis devant les yeux quelque utilité par-dessus le monde : asçavoir qu’en ornant le corps de sa femme trespassée des enseignes et marques de la résurrection, il confermast la foy tant de luy que de sa famille. Il y en a encores une preuve plus évidente en l’exemple de Jacob, lequel pour testifier à ses successeurs que l’espérance de la terre promise ne luy estoit point esvanouye du cœur, mesmes en la mort commande que ses os y soyent transportez Gen. 47.30. Je vous prie, s’il eust deu estre revestu d’un nouveau corps au dernier jour, le commandement n’eust-il pas esté ridicule d’avoir soin d’une masse de poudre, qui devoit estre réduite à néant ? Parquoy si l’Escriture a telle authorité envers nous qu’elle mérite, il n’y aura nulle doctrine mieux approuvée que ceste-ci. Qui plus est, les mots de Résurrection et de Ressusciter signifient cela, voire aux petis enfans : veu que nous ne dirons pas que ce qui est créé de nouveau, ressuscite ; et autrement le dire de Jésus-Christ tomberoit bas. De tout ce que le Père m’a donné, rien ne périra : mais je le ressusciteray au dernier jour Jean 6.39. A quoy aussi tend le mot de Dormir, lequel ne se peut approprier qu’aux corps, dont aussi est venu le mot de Cimetière, qui vaut autant comme dormitoire. Il reste que je touche aucunement de la manière de ressusciter. Notamment je préten d’en donner quelque petit goust, pource que sainct Paul usant du mot de Mystère 1Cor. 15.51, nous exhorte à sobriété, et bride la licence de spéculer trop hardiment et trop subtilement. En premier lieu nous avons à retenir ce qui a esté exposé : c’est que nous ressusciterons en la mesme chair que nous portons aujourd’huy, quant à la substance : mais non pas quant à la qualité ; comme la mesme chair de Jésus-Christ, qui avoit esté offerte en sacrifice, estant ressuscitée a eu autre dignité et excellence en soy, tout ainsi presque que si elle eust esté changée. Ce que sainct Paul exprime par similitudes familières : c’est comme la chair de l’homme et des bestes est d’une mesme substance, non point de qualité : la matière des estoiles est une, la clairté diverse 1Cor. 15.39-40 : aussi combien que nous retenions la substance de nos corps, qu’il se fera changement pour les rendre de condition plus noble. Parquoy ce corps corruptible ne périra point, et ne s’esvanouira, pour nous faire ressusciter : mais sera despouillé de sa corruption, pour recevoir estat incorruptible. Or pource que Dieu a tous les élémens en sa sujétion, nulle difficulté ne l’empeschera qu’il ne commande à la terre, à l’eau et au feu de rendre ce qui semblera avoir esté consumé par eux. Ce qu’aussi Isaïe testifie, Voyci, le Seigneur sortira de son lieu, pour visiter l’iniquité de la terre : et la terre descouvrira son sang, et ne cachera plus ses occis Esaïe 26.21. Ce pendant il faut noter la diversité d’entre ceux qui seront jadis trespassez, et ceux qui seront trouvez survivans en ce jour-là. Car nous ne dormirons pas tous, dit sainct Paul, combien que nous soyons tous changez 1Cor. 15.51 : c’est-à-dire qu’il ne sera point nécessaire qu’il y entreviene distance de temps entre la mort et le commencement de la seconde vie ; car en une minute de temps, et moins qu’on ne mettroit à ciller l’œil, le son de la trompette pénétrera par tout, pour appeler les morts à un estat incorruptible, et pour reformer les vivans en pareille gloire par changement soudain. Et voylà comme il console en un autre lieu les fidèles qui ont à mourir : c’est que ceux qui seront survivans au dernier jour, ne préviendront point les morts : mais plustost que ceux qui dorment en Christ ressusciteront les premiers 1Thess. 4.15. Si quelqu’un objecte le passage de l’Apostre, qu’il est ordonné à tous hommes de mourir une fois Héb. 9.27 : la solution est facile, que c’est une espèce de mort, quand l’estat de nature est changé : et qu’on en peut ainsi parler proprement. Parquoy ces deux s’accordent très-bien : c’est que ceux qui despouilleront leurs corps mortels, seront renouvelez par la mort : toutesfois puis que le changement se fera soudain, qu’il n’est point requis que le corps soit séparé de l’âme.
Mais il s’esmeut yci une question plus difficile : asçavoir de quel droict ou tiltre la résurrection doit estre commune aux iniques qui sont maudits de Dieu, veu que c’est un singulier bénéfice de Jésus-Christ. Nous sçavons que tous ont esté asservis à la mort en Adam : Jésus-Christ estant la résurrection et la vie Jean 11.25, est venu : est-ce pour vivifier indifféremment tout le genre humain ? Mais il ne semble pas estre probable, que les incrédules obtienent en leur aveuglement obstiné ce que les serviteurs de Dieu recouvrent par la seule foy. Ce point toutesfois demeure arresté, que la résurrection sera d’un costé à vie, et de l’autre costé à mort : et que Jésus-Christ viendra pour séparer les boucs des agneaux Matt. 25.32. Je respon que nous ne devons pas trouver ceci tant estrange, veu que nous en avons journellement la similitude. Nous sçavons que tous ont esté privez en Adam de l’héritage du monde, et que nous méritons d’estre bannis du monde comme de Paradis terrestre, et estre privez de toute nourriture aussi bien que de l’arbre de vie. Dont vient ceci doncques que Dieu non-seulement fait luire son soleil sur les bons et sur les mauvais Matt. 5.45, mais que sa libéralité inestimable descoule sur les incrédules en toute planté et largesse, quant aux commoditez de la vie présente ? Certes nous voyons de là que les biens qui sont propres à Christ et à ses membres, s’espandent aussi bien sur les contempteurs de Dieu : non pas à ce que la possession leur en soit légitime, mais afin qu’ils en soient rendus plus inexcusables. Et de faict. Dieu se monstrera souvent si large bienfaiteur envers les meschans, que les bénédictions que les fidèles reçoyvent de luy en seront obscurcies : toutesfois le bien qu’il fait à ceux qui en sont indignes leur tourne en plus grande condamnation. Si quelqu’un réplique que la résurrection ne doit point estre comparée aux biens caduques et terrestres : je respon derechef, que les hommes estans aliénez de Dieu, qui est la seule fontaine de vie, ont mérité une mesme ruine que le diable, pour estre du tout exterminez : mais que par le conseil admirable de Dieu ce moyen a esté establi, qu’ils vesquissent en la mort et hors de la vie. Parquoy on ne doit point trouver ceci estrange, que la résurrection soit commune aussi aux iniques par accident, pour les traisner maugré leurs dents au siège judicial de Christ, lequel ils refusent maintenant ouyr comme Maistre. Car ce seroit une peine bien légère, d’estre ravis par mort, s’ils ne comparoissoyent devant leur Juge, duquel ils ont provoqué sans fin, sans cesse et sans mesure la vengence, pour recevoir le loyer de leur rébellion. Au reste, combien que nous devons tenir pour conclu ce qui a esté dit, et ce que porte la confession mémorable de sainct Paul, c’est d’attendre la résurrection à venir tant des justes que des meschans Actes 24.15, toutesfois l’Escriture met souvent en avant la résurrection, seulement au regard des enfans de Dieu et aussi la conjoinct avec la gloire céleste, pource qu’à parler proprement, Jésus-Christ n’est point venu pour la perdition, mais pour le salut du monde. Parquoy il est simplement fait mention au Symbole de la vie bienheureuse.
Or pource que la prophétie sera lors accomplie entièrement, où il est prédit que la mort doit estre engloutie en victoire Osée 13.14 ; 1Cor. 15.54 : que nostre félicité permanente nous viene tousjours en mémoire, comme c’est la fin de nostre résurrection. De l’excellence de laquelle quand on aura dit tout ce que pourront exprimer toutes langues humaines, à grand’peine en aura-on touché la moindre partie. Car combien que l’Escriture enseigne que le Royaume de Dieu est plein de clairté, joye, félicité et gloire, néantmoins tout ce qu’elle en dit est bien loing de nostre intelligence, et quasi enveloppée en figure, jusques à ce que le jour viendra auquel le Seigneur se déclairera à nous face à face. Nous sçavons, dit sainct Jehan, que nous sommes enfans de Dieu, mais il n’est pas encores apparu : quand nous serons semblables à luy, nous le verrons tel qu’il est 1Jean 3.2. Parquoy les Prophètes, pource qu’ils ne pouvoyent exprimer de paroles ceste béatitude spirituelle en sa substance, l’ont descrite et quasi dépeinte sous figures corporelles. Néantmoins pource qu’il est besoin que nostre cœur soit enflambé en l’amour et attente d’icelle, il nous faut principalement arrester en ceste cogitation, c’est que si Dieu, comme une fontaine vive et qui ne tarit jamais, contient en soy la plénitude de tous biens, que ceux qui tendent au souverain bien et à toutes les parties de félicité, ne peuvent rien désirer outre luy ; comme nous sommes enseignez en plusieurs passages : Abraham, je suis ton loyer très ample Gen. 15.1. Auquel s’accorde celuy de David, L’Eternel est ma portion, mon sort m’est très-bien escheu Ps. 16.6. Item, Je seray rassasié de ta veue Ps. 17.15. Or sainct Pierre dénonce que les fidèles sont appelez, à ce qu’ils soyent quelquesfois participans de la nature divine 2Pi. 1.4. Comment cela ? c’est que le Seigneur sera glorifié en ses Saincts, et exalté en ceux qui ont creu à son Evangile 2Thess. 1.10. Si le Seigneur doit départir à ses esleus de sa gloire, vertu et justice, voire se donner à eux en plene jouissance, et estre fait un avec eux, ce qui surmonte toute dignité, il nous faut considérer que sous ceste grâce tous biens sont comprins. Et encores quand nous aurons bien proufité en ceste méditation, si nous faut-il entendre que nous sommes encores tout au bas et à la première entrée, et que jamais nous n’approcherons durant ceste vie à la hautesse de ce mystère. Ainsi d’autant plus devons-nous suyvre sobriété en cest endroict, de peur que si ayans oublié nostre petitesse, en prétendant de voltiger par nostre folle audace sur les nues, nous soyons opprimez de la clairté céleste. Nous sentons bien comment nous sommes tousjours frétillans en appétit désordonné de plus sçavoir qu’il n’est licite : dont beaucoup de questions frivoles et mauvaises sourdent journellement. Je nomme Questions frivoles, dont il ne se peut tirer nul proufit. Mais le second est encores pire : c’est que ceux qui s’y laschent la bride, s’enveloppent de spéculations mortelles, et voylà pourquoy je di qu’elles emportent grande nuisance. Ce que l’Escriture enseigne doit estre résolu entre nous sans contredit, c’est comme Dieu distribuant ses dons au monde à ses fidèles en diverse sorte, fait luire inégalement ses rayons sur eux : que pareillement au ciel où il couronnera les mesmes dons, la mesure de gloire ne sera point égale. Car ce que sainct Paul dit de soy, ne compète pas généralement à tous : Vous estes ma gloire et ma couronne au jour de Christ 1Thess. 2.19 ; pareillement ce que dit le Seigneur Jésus à ses Apostres, Vous serez assis sur douze thrones, pour juger les douze Lignées d’Israël Matt. 19.28. Sainct Paul doncques sçachant que Dieu glorifie au ciel ses Saincts, selon qu’il les a enrichis en la terre de ses dons spirituels, ne doute point qu’il ne doyve recevoir une couronne spéciale selon ses labeurs, et Jésus-Christ pour magnifier la dignité de l’office auquel il avoit establi ses Apostres, les advertit que le fruit leur en est réservé au ciel. Comme au paravant il avoit esté dit par Daniel, Les gens entendus luiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en justifient plusieurs seront comme estoilles à tout jamais Dan. 12.3. De faict en considérant attentivement l’Escriture, nous trouverons que non-seulement elle promet vie éternelle aux fidèles, mais aussi quelque loyer particulier en icelle. A quoy tend ce dire de sainct Paul, que Dieu rende à Onésiphore en ce jour-là les bienfaits qu’il avoit receus de luy 2Tim. 1.18. Ce qui est aussi confermé par la promesse de Jésus-Christ, que les disciples recevront en la vie éternelle cent fois plus qu’ils n’ont quittée Matt. 19.29. En somme, comme le Seigneur Jésus par la variété des dons qu’il eslargit aux siens, commence la gloire de son corps yci-bas, et l’amplifie par degrez, aussi il la parfera au ciel.
Or comme les enfans de Dieu doyvent recevoir cela d’un commun accord, puis qu’il leur est si bien testifié par l’Escriture, aussi faut-il qu’en chassant loing toutes questions entortillées, lesquelles ils cognoistront ne leur pouvoir tourner qu’à retardement, ils se tienent tout cois entre les bornes que Dieu leur a mises. Quant à moy, non-seulement je me déporte en mon privé de m’enquérir de choses superflues et inutiles, mais aussi je me veux donner garde qu’en respondant à beaucoup de curiositez, je ne nourrisse le mal que je dois réprimer. Beaucoup de légers esprits estans affamez d’humeur de vent, s’enquièrent quelle distance il y aura entre les Prophètes et Apostres, derechef entre les Apostres et Martyrs : en combien de degrez les vierges précéderont les mariez : brief, ils ne laissent nul anglet au ciel, lequel ils ne sondent avec leurs disputes. Et puis ils entrent en fantasie de quoy servira la réparation du monde, veu que les enfans de Dieu n’auront besoin de tout ce que la terre produit : mais seront semblables aux Anges Matt. 22.30, lesquels ne sont point soustenus par boire et manger, mais ont leur immortalité sans ces aides basses. Or je respon qu’il y aura un tel plaisir au seul regard des biens de Dieu, et combien que les Saints n’en jouyssent pas, que la seule cognoissance les esjouira tellement, que ceste félicité surmontera de beaucoup toutes les commoditez qui nous sont maintenant données. Prenons le cas que nous soyons situez en la région la plus opulente du monde, et où nulle volupté ne défaille : combien y en a-il qui ne soyent empeschez chacun coup par maladie de jouir des bénéfices de Dieu ? Et qui est celuy qui ne soit contraint de s’abstenir des biens qu’il a, et de jusner à cause de son intempérance ? Dont il s’ensuyt que le comble de félicité est, d’avoir jouissance pure et nette des biens de Dieu, encores qu’ils ne servent point à certain usage de la vie corruptible. Les autres se transportent encores plus loing, et demandent si l’escume aux métaux et telles superfluitez ne sont pas contrevenantes à la restauration de toutes choses ; ce que je leur puis accorder en partie : et toutesfois je ne laisseray pas d’attendre avec sainct Paul, la réparation des vices qui ont eu leur origine du péché, à laquelle toutes créatures gémissent Rom. 8.22. Derechef ils passent outre, en demandant quelle sera la condition du genre humain, veu que la bénédiction d’engendrer prendra fin alors. La solution est aisée, asçavoir quand l’Escriture prise tant le don de lignée, que cela se rapporte à l’augmentation de l’estat présent, selon que Dieu advance l’ordre de nature de jour en jour, jusques à ce qu’il l’ait amené à sa perfection : mais lors qu’il n’en sera point besoin. Mais pource que beaucoup de gens simples et inconsidérez sont facilement surprins de tels alléchemens, et puis se jettent plus profond au labyrinthe : et finalement quand chacun se plaist en son opinion, il n’y a nulle mesure de combats : le meilleur expédient est, de nous contenter ce pendant que nous sommes pèlerins en terre, de veoir en miroir et obscureté les choses que nous verrons en la fin face à face 1Cor. 13.12. Car on en trouve bien peu en tout le monde, qui se soucient par où il faut aller, et ce pendant veulent sçavoir qu’on fait en Paradis. Tous presque sont lasches et froids à combatre, et ce pendant ils se forgent des triomphes imaginaires.
Or pource que nulle description ne suffiroit à bien exprimer l’horreur de la vengence de Dieu sur les incrédules, les tormens qu’ils doyvent endurer nous sont figurez par choses corporelles : asçavoir par ténèbres, pleurs, grincemens de dents, feu éternel, et vers rongeans leur cœur incessamment Matt. 8.12 ; 22.13 ; 3.12 ; Marc 9.43-44 ; Esaïe 66.24 ; 30.33. Car il est certain que le sainct Esprit, par telles manières de parler a voulu dénoter une extrême horreur, qui esmeuve tous les sens : comme quand il dit, qu’une géhenne profonde leur est préparée de toute éternité, laquelle est ardente en feu : pour lequel entretenir il y a tousjours bois appareillé, et que l’Esprit de Dieu est comme soulphre pour l’enflamber. Combien doncques que par telles formes de parler nous devions estre instruits à concevoir aucunement la misérable condition des iniques, toutesfois si nous faut-il là principalement ficher nostre pensement, quelle malheureté c’est d’estre séparé de toute compagnie de Dieu. Et non-seulement ce, mais sentir sa Majesté contraire à nous : laquelle nous ne puissions fuir qu’elle ne nous persécute tousjours. Car premièrement son indignation est comme un feu embrasé, lequel de son attouchement dévore et engloutit toutes choses Héb. 10.27. Puis après, toutes créatures servent tellement à icelles pour exécuter sa rigueur, que tous ceux ausquels Dieu a révélé son ire, sentent le ciel, la terre, la mer, toutes bestes et toutes autres choses comme armées en leur ruine et perdition. Pourtant l’Apostre n’a pas dit une chose de petite conséquence, disant que les infidèles seront punis éternellement en ce que la face du Seigneur et la gloire de sa vertu les persécutera 2Thess. 1.9. Et toutes fois et quantes que les Prophètes menacent pour effrayer les iniques sous similitudes corporelles, combien qu’ils n’excèdent point mesure en leur parler, si est-ce qu’ils meslent souvent quelques traces du jugement à venir, disans que le soleil sera obscurci, et la lune perdra sa clairté, et tout le bastiment du monde sera dissipé et confus. Parquoy les misérables consciences ne peuvent trouver aucun repos, qu’elles ne soyent agitées et poussées commede tourbillons, qu’elles ne se sentent comme déchirées de l’ire de Dieu, qu’elles ne soyent poinctes et navrées de playes mortelles, brief : qu’elles ne soyent effrayées et comme esperdues de la foudre du ciel, et qu’elles ne soyent brisées de la main puissante de Dieu : tellement qu’il seroit plus supportable d’estre abysmé en tous gouffres, que d’estre en telles frayeurs : et ne fust-ce que pour une minute de temps. Je vous prie, quelle punition leur est-ce, d’estre ainsi affligées et pressées à jamais sans remède ? De quoy il y a une sentence notable au Pseaume XC : c’est combien que Dieu extermine de son seul regard toutes créatures mortelles Ps. 90.9, 11, qu’il presse plus asprement ses serviteurs en ce monde, voire d’autant qu’ils sont plus timides que les autres : afin de les inciter sous le fardeau de la croix à se haster, jusques à ce qu’il soit tout en toutes choses 1Cor. 15.28.