Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 19
L’Évangile dans le centre de l’Italie

(1520 à 1536)

7.19

Caractère d’Occhino – Il cherche le salut dans l’ascétisme – Un contraste – L’Écriture et son ministère – Grand concours de peuple – Sa prédication – Un enfant de Florence – L’ambition d’apprendre – Il étudie, il prêche – Aonio Paleario – Il passe de Rome à Sienne – Un poème sur l’immortalité – Paleario franchit le seuil – Sa femme et ses enfants – Amour de la campagne – Son ami Bellantes – Complot formé contre Paleario – Fauste Bellantes le lui annonce – Paleario demeure ferme – Sa femme. Les réformateurs – Douze accusateurs – Ils paraissent devant l’archevêque – Tout semble contre lui – Ses craintes – Il paraît devant le sénat – Oratio pro se ipso – Les Allemands – Plaidoyer pour les Réformateurs – Les études sorties des ténèbres – Jésus-Christ. Paroles de martyr – Ses amis, sa femme – Son acquittement. Son départ – Les évangéliques de Bologne – Leur adresse à l’ambassadeur saxon – Saint Paul expliqué

Tandis que Venise, Turin, Milan, Ferrare, Modène et d’autres villes de l’Italie supérieure entendaient la voix évangélique, le centre et le midi de la péninsule avaient aussi leurs témoins de la vérité.

Bernardino Occhino, né à Sienne en 1487, plus jeune de quatre ans que Luther et Zwingle, plus âgé de vingt-un ans que Calvin, était le plus fameux prédicateur de cette époque. On trouvait dans son discours cette élégance, ce choix de mots et de tours, d’où résulte la justesse, la grâce et la facilité du langage ; mais en même temps il n’était pas exempt d’imagination et d’enthousiasme et avait cette parole hardie, qui surprend et entraîne après elle ceux qui l’écoutent. Sans être de ces esprits solides et fermes qui approfondissent toutes les connaissances, qui pèsent et mesurent toutes les pensées, il avait des besoins religieux, et ému lui-même, il émouvait son auditoire. « Dès le commencement de ma vie, a-t-il dit, je sentis un profond désir du paradis céleste. » Il résolut d’en faire la conquête, mais s’égara par le chemin. Ses études furent imparfaites : il savait peu de grec, point d’hébreu ; il n’y avait ni une grande pénétration, ni une grande étendue dans sa connaissance de la doctrine chrétienne ; il se laissait quelquefois aller à des minuties, même à des contradictions, et sans nier les dogmes essentiels de la foi, on le vit, dans la seconde partie de sa vie, employer à leur sujet des expressions obscures et équivoques. Il défendit mal à propos des coutumes, tolérées sous l’ancienne alliance, mais évidemment interdites sous la nouvelle, et attira ainsi sur sa vieillesse de grandes adversités. Occhino fut un grand orateur, mais non un grand théologien.

Sienne, rivale de Florence dans le moyen âge, avait encore de quoi engager un jeune homme à suivre la carrière des lettres ou des honneurs ; mais l’esprit d’Occhino prit une autre direction. Dès sa première jeunesse, ses sentiments religieux le portèrent à la vie ascétique, et il chercha la paix de son âme dans les exercices de la vie spirituelle. « Je crois, disait-il, au salut par les œuvres, par les jeûnes, par les prières, par les mortifications, par les veilles. Avec le secours de la grâce de Dieu nous pouvons par ces pratiques satisfaire la justice de Dieu ; obtenir le pardon de nos péchés et mériter le ciela. » Bientôt ses macérations privées ne lui suffisant plus, il se fit moine. Toute société religieuse approuvée par l’Église romaine était sainte à ses yeux ; mais il se joignit aux franciscains de stricte observance, parce que cet ordre passait pour le plus sévère de tous. Le jeune Bernardino éprouva bientôt, comme Luther, que la vie du cloître ne pouvait satisfaire le besoin qu’il avait de sainteté. Il fut découragé, et, renonçant à poursuivre un but qu’il lui semblait ne pouvoir atteindre, il se livra, sans quitter le couvent, à l’étude de la médecine. Quelques franciscains s’étant séparés de l’ordre pour former une secte plus sévère encore, sous le nom de capucins, Occhino crut avoir trouvé ce qu’il cherchait et, se joignant à eux, il se livra, de toutes ses forces, à l’humilité volontaire et à la mortification des sens : Ne mange point, ne touche point, ne goûte point. Si de nouvelles lois plus strictes étaient formulées par les chefs de l’ordre, il se hâtait de s’y conformer. Il se jetait tête baissée dans un labyrinthe compliqué de traditions, de disciplines, de jeûnes, de mortifications, d’austérités, d’extases. Puis quand il en sortait, il se demandait s’il avait gagné quelque chose ? Il demeurait inquiet, immobile dans sa cellule, et s’écriait : « O Christ ! si maintenant je ne suis pas sauvé, je ne sais plus que faire ! » Le moment approchait où il s’apercevrait que toutes ces macérations n’étaient que des nœuds coulants, qui étreignent d’abord et qui à la fin étranglentb.

a – B. Occhini, « Respensio qua rationem reddit discessus ex Italia. »

b – Calvin.

On était en 1534 ; Occhino avait quarante-sept ans ; les agitations de son âme lui inspiraient quelquefois dans ses discours de ces mouvements pathétiques qui remuent les cœurs ; ses supérieurs, voulant mettre à profit ses dons, l’appelèrent aux fonctions de la prédication, et il entra ainsi dans une phase nouvelle, une révolution s’opéra alors dans sa pensée. Elle se détourna des pratiques superstitieuses, des petites chaînes des moines et des dévots, et se porta vers les saintes Écritures. La discipline monacale avait accru ses ténèbres ; la Parole devait lui apporter quelque lumière. Il sentit le besoin de préparer consciencieusement ses discours, et se mit à étudier la Bible. Mais, chose étonnante, l’Écriture, au lieu de lui rendre le travail plus facile, l’embarrassa au premier abord, l’inquiéta, le paralysa même. Un contraste étonnant se manifesta à son esprit. « Je crois, dit-il, que nous devons mériter le ciel par nos œuvres, et l’Écriture me dit que le ciel est donné par grâce, à cause de la rédemption de Jésus-Christ… ! » Il chercha quelque temps à concilier ces vues opposées ; mais quoi qu’il fît, Rome et la Bible restaient en un complet désaccord ; il se décida pour Rome. Douter que l’enseignement du pape fût divin eût été un crime. « L’autorité de l’Église, dit-il plus tard, fit taire mes scrupules. » Il s’appliqua de nouveau aux mortifications. Inutile ! il avait beau faire, il restait étranger à la paix de l’âme.

Alors il revint à ce qu’il avait délaissé ; il se dit que, selon l’opinion générale de la chrétienté, les Écritures ont été données de Dieu pour montrer le chemin du ciel ; que s’il y a quelque part un remède au mal dont il se sentait atteint, ce devait être dans le Livre de Dieu. Il lut cette sainte Parole avec une pleine confiance ; il mit tout en œuvre pour la comprendre. Bientôt une lumière nouvelle se leva pour lui ; une lueur sainte éclaira à ses yeux le mystère de Golgotha ; il fut rempli d’une joie ineffable. « Certainement, dit-il, Christ par son obéissance et par sa mort a pleinement satisfait à la loi de Dieu et mérité le ciel pour ses élus. C’est la vraie justice ; c’est le vrai salutc ! » Il n’alla pas plus loin alors ; l’Église catholique romaine resta quelque temps encore à ses yeux la véritable, et les ordres religieux des institutions saintes. Il avait trouvé cette paix qu’il avait tant cherchée ; cela lui suffisait.

c – B. Occhini, « Responsio quarationem reddit discessus ex Italia. »

L’activité de sa vie s’accrut, la ferveur de son zèle s’augmenta, sa prédication devint plus spirituelle et plus vivante. Il continua son ministère itinérant et attira encore plus l’attention des populations de l’Italie. Il allait toujours à pied, quoique faible de corps. Son nom remplissait toute la péninsule, et quand il était attendu dans une ville, une multitude de peuple, des nobles, des princes mêmes allaient au devant de lui. Les plus notables de la cité lui témoignaient une vive affection, lui rendaient toutes sortes d’honneurs, s’opposaient à ce qu’il logeât dans la misérable cellule d’un cloître et le forçaient à recevoir dans leur palais une brillante hospitalité. La magnificence de ces demeures, les habits somptueux de ceux qui les habitaient « toute la pompe du siècle » ne changeaient rien à sa vie pauvre et austère. Assis aux riches festins des grands de ce monde, il ne buvait jamais de vin, il ne mangeait que d’un seul mets et du plus ordinaire. Conduit dans la meilleure chambre, invité à se mettre dans un lit tendre et richement garni, afin de se délasser des fatigues du voyage, il souriait, étendait lui-même son chétif manteau sur le plancher, et couchait sur la dure.

A peine la nouvelle de son arrivée s’était elle répandue que des troupes nombreuses accouraient de toutes parts. Des villes entières venaient pour l’entendre, dit l’évêque d’Amelia, et il n’y avait point d’église assez vaste pour contenir la multitude des auditeursd. Dès qu’il était monté en chaire, tous les regards étaient arrêtés sur lui. Son âge, son visage pâle et décharné, sa barbe qui descendait jusqu’au-dessous de sa poitrine, ses cheveux gris, la robe grossière dont il était revêtu, tout ce que l’on savait de sa vie, le faisaient contempler comme un homme extraordinaire, comme un saint. Y avait-il quelque affectation dans ces manières étranges d’Occhino ? Cela est probable ; quoique une création nouvelle eût commencé en lui, l’ancienne nature avait encore beaucoup de force. Il n’était pas insensible à la gloire qui vient des hommes et ne recherchait peut-être pas uniquement celle qui vient de Dieu.

d – Ant. M. Gratiani évêque d’Amelia. (Hist. du cardinal Commendon, liv. II, ch. 19.)

Enfin le grand orateur ouvrait la bouche, et toute l’assemblée était suspendue à ses lèvres. Il expliquait sa pensée avec tant de grâce et d’abandon, que dès le commencement de son ministère il ravissait tous ses auditeurs. Mais dès qu’il eut étudié les Écritures, il y eut dans ses discours plus que de l’élégance, de l’originalité, du talent ; il sut y répandre des paroles évangéliques qui pénétraient dans les âmes, sans que nul cependant, sauf quelque théologien subtil, osât lui attribuer des doctrines étrangères. La puissance intime dont il était revêtu remuait les cœurs ; les mouvements de son éloquence enlevaient ses auditeurs ; il les menait où il voulaite. A Pérouse, les ennemis s’embrassaient en sortant de l’église et renonçaient à des haines de famille, qui avaient traversé plusieurs générations. A Naples, quand il prêchait pour une œuvre de charité, toutes les bourses se déliaient ; un jour il recueillit la somme énorme pour ce temps de cinq mille écus. Les princes mêmes de l’Église, les cardinaux Sadolet et Bembo, lui adjugeaient la palme du discours populaire ; toutes les voix le proclamaient le premier prédicateur de l’Italief. Nous le verrons bientôt produire à Naples un réveil religieux. Il fut précédé et aidé dans cette œuvre par des hommes qui, inférieurs à lui sous le rapport de l’éloquence, lui étaient supérieurs sous celui de la science et celui de la foi.

e – « Ut auditorum animos quocumque vellet raperet. » (Bzovius ad annum 1542.)

f – « Ut unus optimus totius Italiæ concionator haberetur. » (Bzovius ad annum 1542.)

Au moment où la Parole était ainsi semée et portait partout quelques fruits, la terre des Médicis, Florence, si illustre par son amour des lettres et de la liberté, ne devait pas être un sol stérile. L’an 1500, année de la naissance de Charles-Quint, un riche patricien nommé Étienne Vermigli eut un fils qu’il appela Pierre Martyr, en l’honneur de Pierre de Milan, que les Ariens, disait-on, avaient mis à mort pour avoir défendu la foi orthodoxe, et auquel un temple était consacré près de la maison où l’enfant était nég. Sa mère, Maria Fumantina, femme instruite et d’une piété douce et tranquille, se consacra à ce fils unique, lui enseigna le latin dès ses premières années et répandit dans son cœur cet esprit incorruptible qui est d’un grand prix devant Dieu. Bientôt le jeune garçon fréquenta les écoles publiques destinées à la jeunesse florentine et se distingua par la promptitude de son intelligence, l’étendue de son esprit, la force de sa mémoire, et surtout par une ardeur d’apprendre telle qu’aucune difficulté ne pouvait l’arrêter. S’il y avait dans Occhino la vivacité du sentiment et de l’imagination, on trouvait dans Pierre Martyr la solidité du jugement et la profondeur de l’esprit.

g – « Ex voto quodam quod fuerunt Petro Martyri Mediolanensi, qui quondam ab Arianis occisus est. » (Simler, Vita P. il. Vermilii. Tiguri, 1569.)

Bientôt une lutte douloureuse commença pour l’adolescent. Son père, soit parce qu’il désapprouvait la vie monastique, dont, à Florence même, le Dante et plus tard Savonarola avaient exposé les abus, soit parce qu’il avait une grande ambition et désirait voir son fils parvenir à une position brillante, entendait lui donner une éducation propre à le pousser dans les charges de l’État. Pierre Martyr, animé, au contraire, de ces sentiments de piété qu’il avait hérités de sa mère, voulait se consacrer à Dieu. Sa plus grande ambition était d’apprendre ; sa gloire était de connaître ; la science, et surtout celle des choses divines, était à ses yeux ce qu’il y avait de plus éminent dans le monde. En vain son père ordonna, en vain même il le déshérita ; le jeune homme entra en 1516 à Fiésole, près de Florence, dans le monastère des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Pierre Martyr s’aperçut après un certain laps de temps qu’il n’apprenait pas beaucoup dans le cloître. Il était pénétré de la pensée que l’homme doit se proposer de répandre autour de lui des connaissances solides, des lumières véritables, surtout dans ce qui se rapporte à l’âme immortelle ; or, pour les répandre, il fallait les acquérir. Il obtint la permission de se rendre à Padoue, où se trouvait une université célèbre. Tranquille, posé, diligent, aimable, respectueux, il se faisait chérir et estimer de chacun. Il vénérait les vieillards comme des pères, et montrait à ses condisciples tant de modestie, d’affection et d’empressement à faire ce qui leur était agréable, qu’il eut toujours en eux, même aux jours de l’épreuve, les amis les plus fidèlesh. Quoiqu’il fût dans l’âge des passions et qu’il vécût dans des villes où les tentations étaient nombreuses, il sut conserver cette chasteté de pensée, cette conduite pure, si nécessaire au bonheur et au succès véritable du jeune homme. Il étudia la philosophie et acquit dans les disputes publiques une habileté dialectique très rare, dont il donna plus tard des preuves éclatantes. Mais il cherchait autre chose : savoir la vérité divine ; il se mit donc à suivre les cours des professeurs de théologie. Il en fut bientôt dégoûté ; car on n’y enseignait que la scolastique ; il résolut de chercher lui-même son chemin. Il passait souvent des nuits presque entières dans la bibliothèque de son monastère ; il lisait les auteurs grecs, puis il prenait en main les pères de l’Église : Tertullien, Athanase, Augustin et commençait à entrevoir que la théologie du catholicisme primitif était tout autre chose que celle de la papauté.

h – « Æquales suos quamvis plerosque ingenio excelleret, ita tamen amabat, ita modestia sua sibi devinciebat, ut… amicissimos semper habuerit. » (Simler, Vita P. M. Vermilii. Tiguri, 1569)

En 1526, ses supérieurs, frappés de ses talents, l’appelèrent à la prédication. Pierre Martyr prêcha à Rome, Bologne, Pise, Venise, Mantoue, Bergame et d’autres villes encore. Il faisait en même temps des lectures publiques sur la littérature et la philosophie, en particulier sur Homère. Mais il résolut d’aller plus avant, et, ne se contentant plus des poètes, des philosophes, des pères de l’Église, il voulut connaître les saintes Écritures. Il en fut ravi ; le texte latin ne lui suffisant pas, il lut le Nouveau Testament grec ; puis il résolut de lire aussi l’Ancien dans sa langue originale, et ayant rencontré à Bologne un médecin juif nommé Isaac, il apprit de lui l’hébreu. Ce fut alors qu’une lumière nouvelle éclaira son beau génie. Tandis qu’il étudiait la lettre du livre sacré, l’Esprit de Dieu lui en ouvrait l’intelligence et déployait devant lui les mystères qui s’y trouvent cachési. Sa science, ses travaux, ses talents administrateurs, lui avaient déjà attiré la considération générale ; les sentiments de piété qu’il montrait alors ne firent que l’augmenter. Il fut nommé abbé de Spolète, et, en 1530, il fut appelé sur un plus grand théâtre, à Naples, comme prieur de Saint-Pierre ad Aram. Nous l’y retrouverons plus tard.

i – « Dum litteram aliquandiu sectatur, patefaciente Spiritu Dei, abdita et spiritualia mysteria salutariter cognovit. » (Ibid.)

Il y avait à Sienne, en 1534, un ami des lettres grecques et latines, passionné de Cicéron, dont il rendit mieux que personne la période nombreuse et élégante, et qui se distinguait surtout des professeurs de l’université par l’élévation de son âme, l’amour de la vérité, la hardiesse de ses pensées et le courage avec lequel il attaquait les faux docteurs et les faux ascètes. Il faisait sensation dans le monde des écoles et, quoiqu’il n’eût pas de charge officielle, les étudiants accouraient à ses leçons. Son nom était Antonio delia Paglia, mais, le latinisant selon la coutume, il en avait fait Aonius Palearius. Au milieu des collines qui terminent la campagne de Rome, près de la source du Garigliano, est la ville antique de Véroli ; c’est là qu’il était né, en 1503, d’une ancienne maison patricienne selon les uns, dans la famille d’un artisan suivant les autres. Il se rendit vers l’an 1520 à Rome où l’amour des arts et de l’antiquité était alors fort répandu, et, autour de chaires illustres, il s’enthousiasma de Démosthènes, d’Homère et de Virgile. Un bruit de guerre vint troubler ses paisibles travaux. En 1527, l’armée impériale descendait les Alpes, et, semblable à une avalanche qui, se détachant de leurs sommets glacés, roule jusque dans la plaine, elle détruisait et renversait tout sur son passage. Milan avait été écrasé, et la nouvelle en étant arrivée à Rome en même temps que les menaces furieuses prononcées par les impériaux contre la cité des pontifes, le jeune étudiant s’écria : S’ils s’approchent, nous sommes perdus ! » Paleario se réfugia en hâte dans la vallée où il était né ; mais où l’atteignirent toutefois les éclaboussures de l’avalanche. Il revint plus tard dans la ville des pontifes. Hélas, les maisons étaient en ruines, les lettrés s’étaient enfuis ; il tourna ses regards vers la Toscane, quitta Rome dans les derniers mois de 1529, et, après avoir passé quelque temps à Pérouse, se rendit à Sienne, où il arriva dans l’automne de 1530.

Cette ville antique des Etrusques, transformée en cité du moyen âge, charma d’abord l’ami des lettres. Sa situation au milieu de riantes collinesj, la fertilité de ses campagnes, l’abondance de toutes choses, la beauté des édifices, l’esprit orné de ses habitants, tout le ravissait. Mais bientôt il aperçut une plaie qui lui serra le cœur ; l’État était déchiré par les factions ; une démocratie ignorante, passionnée, turbulente avait le dessus ; la force du peuple, qui eût pu faire de grandes choses, se dispersait en discordes vaines et stériles. Les hommes les plus éminents versaient des larmes sur les malheurs de leur patrie et fuyaient avec leurs femmes et leurs enfants une terre désolée. Hélas ! s’écriait Paleario, il ne manque rien à cette cité, si ce n’est la concorde entre les citoyensk. Il trouva pourtant dans les familles de quelques seigneurs un aimable accueil. Et, après avoir visité Florence, Ferrare, Padoue, Bologne, il revint en 1532 à Sienne, où l’appelaient ses amis.

j – « Urbs situ, natura et ingeniis nobilis, inter amænos colles conclura, fertilis et copiosa. » (Oratio de Concordia civium, p. 380.)

k – « Nihil unquam enim civitati defuit, nisi concordia civilis. » (Oratio de Concordia civium.)

Paleario était poète ; sa verve le travaillait partout où il portait ses pas ; et, soit dans ses voyages, soit à son retour dans la ville gibeline, il composa un poème latin sur l’immortalité des âmesl. On y trouve encore des traces de la doctrine romaine, en particulier du purgatoirem et de la royauté de la Viergen ; toutefois, il y a déjà un regard porté sur la Réformation. Il souhaite des lecteurs tels que Sadolet, mais aussi la sympathie de l’Allemagneo. Ce poème montre une âme qui, sans avoir encore trouvé Dieu et la paix qu’il donne, soupire après une nouvelle terre, une humanité rajeunie, un bonheur qui consiste à contempler Celui qui est le Tout-Puissant, le Roi des hommes, la bonté éternelle et absolue, la félicité suprêmep.

lDe Immortalitate animarum. Ce poème parut en 1536, à Lyon, chez Gryphius, par les soins du cardinal Sadolet, évêque de Carpentras.

m – « Tres igitur sedes statuit pater optimus ipse. »

n – « …… Teque, optima Virgo,
Victricem, præclare acto Regina triumpho. »

o – « Quales nunc habei ingeniis Germania florens. »

p – « … Oculos defigite in unum,
Unus ego omnipotens, ego Rex hominumque, Deumque,
Æternumque bonum simplexque, et summa voluptas. »

Bientôt Paleario fit un nouveau pas ; les questions religieuses qui agitaient si vivement l’Italie vinrent préoccuper cet esprit éminent. Il se mit à lire non seulement saint Augustin, mais les Réformateurs, les saintes Écritures et commença à parler dans ses cours avec une liberté qui enthousiasmait ses auditeurs, mais irritait les prêtres, ce qui engagea Sadolet, son ami, son patron, à lui recommander plus de prudence. Paleario toutefois franchit hardiment le seuil qui sépare le monde littéraire du monde chrétien ; il reçut pleinement la doctrine de la justification par la foi, et y trouva une paix qui était pour lui le gage de la vérité. « Puisque Celui en qui la divinité réside, dit-il, a versé avec tant d’amour son sang pour notre salut, nous ne devons pas douter de la faveur du ciel. Tous ceux qui tournent leur âme vers Jésus crucifié et s’attachent à lui avec une entière confiance, sont délivrés du mal et reçoivent le pardon de tous leurs péchés. »

Paleario aimait la campagne. Il remarqua une villa qui avait appartenu à Aulus Cécina, ami de Cicéron, située entre Colle et Volterra, au sommet d’un plateau dont un ruisseau arrose les pentes et où l’on jouissait d’un air pur et de la tranquillité des champsq. Le poète chrétien l’acheta, et là, dans sa chère Cecignana, sur la terrasse où s’élevait la maison, ou au milieu des chênes, il passa des jours paisibles, consacrés à de sérieuses méditations. Il savait que ce monde, sur lequel se fixaient ses regards, était la création de la volonté suprême et libre de Dieu ; qu’un lien intime et continuel subsistait entre le créateur et ses créatures, et se réjouissait de ce que, grâce à la rédemption de Jésus-Christ, il se formerait au milieu de ses habitants un royaume de Dieu, dont le mal serait à jamais banni.

q – Cette villa appartient actuellement à M. le comte Guicciardini.

L’âme tendre de Paleario avait besoin des affections domestiques ; et à Sienne, il était sans famille. Il épousa une jeune personne de parents respectables, Marietta Guidotti, élevée dans une sainte modestier. Il en eut deux fils, Lampridius et Phædrus, et deux filles, Aspasia et Sophonisba, qu’il aima tendrement et qui furent, après Dieu, les consolations d’une vie sans cesse agitée par l’injustice de ses ennemis. Les affections de la famille et l’amour des beautés de la nature étaient dans Paleario, comme ils le sont souvent, des marques d’une âme élevée. Plus tard, lorsque sa vie était devenue toujours plus amère, qu’il avait perdu la santé, que sa foi l’avait rendu un objet d’horreur pour les fanatiques, quand il s’écriait : « Je ne vois que des hommes pleins de malveillance et de haines, » quand il prévoyait devoir bientôt succomber sous les coups de ses adversaires, il soupirait alors après la campagne, et il écrivait à l’un de ses amis, avec une simplicité qui rappelle les temps antiques : « Je suis las de l’étude ; je voudrais voler vers vous et passer des jours entiers sous le ciel chaud et serein de vos campagnes. Dans de belles matinées, ou quand le jour commence à s’incliner, nous errerons dans les champs, autour des chaumières, avec Lampridius et Phædrus, ces garçons si doux à mon cœur, et avec votre femme et la miennet. Faites préparer le jardin, et que nous puissions nous nourrir d’herbes potagères, car je suis tout à fait dégoûté du luxe de table de nos cités. La ferme nous fournira des œufs et de la volaille, la rivière des poissons. Oh ! que les repas où l’on mange les légumes qui sortent du jardin, les poulets nourris de nos mains dans la basse-cour, les oiseaux pris dans nos filets, sont plus agréables que ceux où l’on ne voit sur la table que des provisions achetées au marché ! Nous travaillerons aux champs ; nous nous fatiguerons. Préparez-vous ; ayez à la campagne une scie, une hache, un coin à fendre le bois, des ciseaux, une herse, une houe. Si ces instruments nous manquent, nous nous contenterons de planter des arbres, qui serviront aux siècles futurs. » On aime à voir le disciple de Cicéron et surtout de la Bible, à l’heure où la maladie et la haine des méchants le tourmentaient, se réjouir comme un enfant à la pensée de planter des arbres, qui donneront de frais ombrages et des fruits suaves aux générations à venir. Nous raconterons maintenant la fin de son séjour à Sienne, et ce qui lui attira ses grandes tristesses, quoique cela nous conduise au delà de l’époque que nous nous sommes assignée.

r – « Adolescentulam optimis parentibus bone et pudice educatam ducam in uxorem. » (Palearii, Ep., p. 61.)

s – « Malevolorum et invidorum plena sunt omnia. » (Ibid., p. 209.)

t – « Mane, aut inclinato in pomeridianum tempus die, cum Lampridio et Phædro, suavissimis pueris, et cum mulieribus nostris circum villulas errabimus. » (Palearii, Ep., p. 209.)

Le meilleur ami que Paleario possédât était Antoine Bellantes, président du conseil des Neuf, homme grave, bienveillant, généralement aimé et respecté ; dans un temps difficile, il était venu au secours de l’État par un don de deux mille écus d’or. Bellantes faisait grand cas de Paleario, et Paleario l’aimait au-dessus de tous. A la suite de troubles populaires, les membres du conseil des Neuf avaient été bannis ; mais le sénat et le peuple avaient conjuré Bellantes de demeurer à Sienne, ce qui avait fort irrité ses ennemis ; des bandits avaient envahi de nuit sa maison et l’avaient pillée. Plus tard, Bellantes étant mort avait laissé tout son argent comptant à sa mère, afin qu’elle le remît à ses fils, lors de leur majorité. La bonne dame était grande amie des moines ; chaque jour les capucins venaient lui faire visiteu, et, quand elle tomba malade, ils se hâtèrent d’entourer son lit. Après sa mort, on ne trouva aucune valeur chez elle, mais des sacs déchirés et qui paraissaient avoir contenu de l’argent. Les fils de Bellantes accusèrent les moines d’avoir dérobé leur héritage, et Paleario les appuya de son éloquence. Les religieux nièrent le fait et, ayant prêté serment, furent absous. Enflammés de colère contre Paleario, ils ne pensèrent plus qu’à le perdre.

u – « Lignipodas, qui in aviæ conclave quotidie curabant. » (Fauste Bellantes à Paleario, Ep., p. 97.)

A la tête de ses adversaires était un sénateur, Otto Melio Cotta, homme riche, puissant, ambitieux et d’un esprit dominateur. Il avait d’abord été mêlé dans des affaires politiques, puis il s’était rangé sous les drapeaux du clergé, et faisait cause commune avec les moines. Un complot fut formé dans le couvent de l’Observance, situé à un mille de Sienne, au milieu de bois, de grottes, de lieux saints. Trois cents membres d’une confrérie formée pour certains exercices de piété, les Joanelli, jurèrent sur les autels de perdre Paleario. Ne se contentant pas d’attaquer son enseignement, Cotta et ses autres adversaires se mirent à épier sa vie privée, à observer tous ses mouvements, à éplucher toutes ses paroles. On trouva bientôt contre lui de nouveaux sujets de plaintes. Paleario s’était moqué d’un prêtre opulent, qu’on voyait tous les matins dévotement à genoux devant la châsse d’un saint, mais qui refusait de payer ses dettes. La fine ironie avec laquelle il avait parlé de ce personnage avait causé un grand scandale dans tout le clergé. Ce n’était pourtant pas encore assez ; il fallait avoir une marque bien sensible d’hérésie ; ses adversaires cherchèrent donc à le surprendre, et quelques-uns des leurs, se présentant comme s’ils avaient envie d’être instruits, lui adressèrent des questions propres à le faire tomber dans le piège. « Quel est, lui demandèrent-ils, le premier moyen donné de Dieu à l’homme pour être sauvé ? » Il répondit : « Christ. » Ceci pouvait passer ; mais, continuant l’interrogation, les adversaires de Paleario ajoutèrent : « Quel est le second ? » Les œuvres méritoires, selon eux, devaient être indiquées. Paleario répondit : « Christ. » Alors les interrogateurs poursuivant dirent : « Et quel est le troisième ? » Ils pensaient que Paleario devait répondre : l’Église ; hors de l’Église, pas de salut ! mais il répondit encore : « Christv. » Dès lors il était perdu. Les moines et leurs amis rapportèrent à Cotta cette réponse, à leurs yeux si hérétique.

v – « Rogatus quid primum esset generi hominum a Deo datum, in quo salutem collorare mortales possent ? Responderim Christum. Quid secundum ? Christum. Quid tertium ? Christum. » (Palearii, Ep., p. 99.)

Paleario ne se doutait pas du danger. Le cardinal Sadolet et quelques autres de ses amis l’invitaient à venir les voir à Rome ; il s’y rendit. Il n’y avait pas longtemps qu’il s’y trouvait quand il reçut une lettre fort émue de Fauste Bellantes. « Il y a, lui disait-il, une grande agitation dans la ville ; une conspiration inouïe est ourdie contre vous par les plus criminels des hommesw. Nous ne savons sur quoi l’accusation se fonde ; nous ignorons les noms de vos adversaires. Le bruit court que les chefs de l’État sont excités contre vous à la suite de délations calomnieuses touchant la religion. On dit que de misérables moines ont juré votre perte ; mais la trame doit avoir des racines plus profondes. J’irai demain à Sienne : je parlerai avec mes amis et mes proches. Je suis prêt à tout, même à perdre la vie pour vous défendre. En attendant, je vous en conjure, que votre esprit soit en paix. »

w – « Incredibilem conspirationem scelestissimorum hominum contra te esse factam. » (Ibid., p. 97.)

Bellantes ne se trompait pas. Cotta, sans perdre de temps, prit la parole dans le sénat, rapporta à ses collègues les propos inouïs de Paleario et s’écria que, si on le laissait vivre, « il ne resterait plus trace de religion dans toute la villex ! » Chacun se tut ; l’épouvante que causait cette accusation d’hérésie était telle que nul n’osait prendre la défense de ce courageux chrétien.

x – « Cotta asserebat, me salvo, vestigium religionis in civitate reliquum esse nullum. » (Palearii, Ep., p. 99.)

Paleario l’apprit ; il s’en affligea, mais ne s’en étonna pas. Une vérité s’était profondément gravée dans son cœur : Tout pouvoir de sauver est donné à Jésus-Christ ; il est la source unique où la vie nouvelle se puise. Il lui semblait que les prêtres forgeaient tant de moyens pour acquérir le pardon, qu’ils en laissaient à peine à Christ la centième partie. Il comprenait que les ecclésiastiques devaient être irrités contre un homme qui faisait si peu de cas de toutes leurs petites recettes ; mais quoiqu’il vît clairement le danger qui le menaçait, il demeura ferme. « La puissance des conjurés est immense, dit-il ; plus un homme m’attaque avec dureté, plus on l’estime pieux. N’importe ; mon Christ, que j’ai toujours adoré saintement, religieusement, est mon espérancey. Je méprise les cabales des hommes et mon cœur est plein de couragez. » Christ était son roi. Il savait que ce grand dominateur, qui accomplit la conquête du monde, garde en même temps tous ceux qui ont déjà trouvé par lui la réconciliation avec Dieu.

y – « Christus tamen meus mihi spem facit, quem sancte et auguste semper colui. » (Ibid., p. 100.)

z – « Sed ego jam humana contemno, fortissimo animo sum. » (Ibid., p. 103.)

Sa femme n’était pas si tranquille. Marietta, épouse vertueuse, dévouée, ardente dans son affection, était pleine d’inquiétude et d’angoisse ; son imagination plaçait devant ses yeux non seulement les infortunes du moment, mais encore celles de l’avenir ; elle était la plus malheureuse de toutes les femmesa. Sa douleur excédait ses forces ; elle passait des jours entiers dans les larmesb. Troublée, épuisée, elle perdait sa santé, et chacun pouvait voir sur sa figure le chagrin qui la rongeait. Quand son mari l’apprit à Rome, il en fut désolé et conjura Bellantes et sa mère de se rendre vers Marietta afin d’arracher à sa douleur cette épouse affligée.

a – « Miserrima est omnium mulierum. » (Palearii, Ep, p. 103.)

b – « In lacrymis jacet totos dies et mærore conficitur. » (Ibid.)

Paleario eût voulu courir lui-même vers elle et se présenter à ses accusateurs ; mais ses amis de Sienne et de Rome l’en détournaient également. Les citoyens qui se trouvaient alors à la tête de l’État étaient violents, sans moralité, prêts à condamner l’innocent comme à absoudre le coupable. On espérait qu’une nouvelle élection amènerait au pouvoir des hommes justes ; on conjurait l’accusé d’attendre ; il le fit. Rien ne changeait ; les délations, les accusations, les murmures ne faisaient que s’accroître. Les ennemis de l’Évangile ne s’attaquaient plus seulement à Paleario, mais aux réformateurs, aux Allemands, comme ils disaient ; ils cherchaient à envelopper tous les amis de la Bible, germains et italiens, dans la même réprobation. Enfin, il arriva ce qu’on avait espéré ; un changement important s’opéra dans le gouvernement de la république, l’ordre et la liberté furent rétablis. Paleario pensa ne pouvoir rester plus longtemps éloigné ; il quitta Rome et rejoignit sa famille à sa campagne, près de Colle.

A peine ses adversaires furent-ils informés de son arrivée qu’ils formulèrent une accusation d’hérésie devant le sénat de Sienne et devant la cour de Rome. Décidés à employer tous les moyens pour perdre Paleario, ils résolurent de contraindre l’autorité ecclésiastique à marcher avec eux, par la forte pression qu’ils lui feraient subir. Douze d’entre eux se réunirent à cet effet, et décidés à obtenir de l’archevêque qu’il demandât la mise en accusation de Paleario, ils traversèrent les rues de la ville pour se rendre au palais du prélat. Il y avait dans cette troupe agitée le sénateur Cotta et cinq autres notables, parmi lesquels se distinguait Alexis Lucrinas, esprit à la fois impétueux et ridicule ; puis trois prêtres, hommes de peu d’importance, mais d’une grande violence, d’une ignorance grossière et d’un intarissable babilc ; enfin trois moines. L’archevêque se trouvait alors, pour jouir d’un meilleur air, dans sa villa, au faubourg ; les délégués allèrent aussitôt l’y chercher, accompagnant leur marche de tant de cris, de menaces et de disputes, que les femmes, attirées par ce bruit inusité, accouraient aux fenêtres, s’imaginant que l’on menait au supplice un criminel. Tels des conjurés disaient : « On entendra les témoins, on déclarera les motifs de la condamnation et puis on jettera Paleario dans les flammes ; » mais d’autres voulaient qu’on procédât plus vite et que le châtiment suivît immédiatement l’énoncé du délit, sans forme de procès, sans entendre l’accuséd. L’archevêque François Bandini, de l’illustre maison des Piccolomini, était ami des lettres et par conséquent de Paleario. C’était l’après-midi ; le prélat qui faisait la sieste, réveillé par le bruit, appela un valet et lui demanda qui vociférait ainsi. Ayant apprit que c’étaient des hommes considérables, il ordonna de les laisser entrer. Il se leva, s’assit et attendit cette étrange députation. Elle arriva ; Lucrinas, qui avait été quelquefois invité à la table de Monseigneur, était plein de confiance en lui-même ; aussi avait-il prié qu’on le laissât parler. Regardant tout autour de lui d’un air satisfait et glorieux, il prit la parole et débita contre Paleario une longue série d’injures et de malédictions, avec l’accent de la passion. L’évêque, homme sage et grave avait peine à se contenir, et dit que cette démarche lui paraissait pleine de légèreté. « Il ne peut être question de légèreté, s’écria avec audace Lucrinas, quand trois cents citoyens sont prêts à signer l’accusation ! Et moi, répliqua le prélat, je pourrais produire six cents témoins, lesquels ont juré que tu es un impitoyable usurier. Je n’ai pourtant pas donné de suite à leur dénonciation. Ai-je fait bien ou mal ? dis !… » Le misérable se lut ; le fait était trop connu pour le nier et trop honteux pour le confesser ; mais ses compagnons ne se troublèrent pas pour si peu de chose ; ils exposèrent les motifs de leur poursuite, ils se jetèrent tous les onze aux pieds du prélat ; ils le conjurèrent au nom de la religion d’appuyer la mise en accusation de Paleario. L’archevêque, considérant qu’il s’agissait d’hérésie, pensa que c’était à la justice de décider, et consentit à ce qu’on lui demandait.

c – « Tenues homines, sed arrogantes, imperiti, loqualissimi. » (Palearii Opera, Wetstein, Amsterdam, p. 86.)

d – « Alii…, auditis testibus, mox in ignem conjiciendum censebant, indicta causa. Alii, causa dicta pœnam sequi oportere putabant. » (Palearii Opera.)

Aussitôt les ennemis de Paleario se mirent à l’œuvre ; ils s’efforcèrent d’indisposer contre lui les hommes les plus notables de Sienne ; ils choisirent dans la populace des individus sans lumière, sans conscience, auxquels ils demandèrent d’appuyer par leur témoignage, devant la cour, des choses dont ils ne savaient riene. En vain le célèbre Sadolet, appelé à Rome par le pape, s’arrêta-t-il à Sienne et y prit-il la défense de Paleario. En vain même ce cardinal, l’archevêque et Paleario eurent-ils ensemble une conférence, dans laquelle Sadolet recommanda à l’archevêque l’accusé, auquel il donna de touchants témoignages de son estime et de son affection ; les conjurés surent faire tourner cette entrevue contre celui qu’ils avaient juré d’immoler à leur haine. Un grand nombre de citoyens, s’étant réunis sur la place publique, se mirent à parler de cette conférence : « Paleario, ayant été accusé par le prélat, disaient les uns, a honteusement gardé le silence ! Non, disaient les autres, il a répondu, mais il a été vivement réprimandé par Sadoletf. » Impatients de voir leur victime livrée à la mort, heureux d’avoir déjà jeté des doutes dans l’esprit de l’archevêque, s’imaginant avoir convaincu le président de la république Sfondrati et le préteur Crasso, les douze obtinrent que Paleario serait cité devant le Sénat pour crime d’hérésie.

e – « Testes partim e plebecula tenues, rerum de quibus testimonium dixerunt imperiti. » (Palearii, Ep., p. 116.)

f – « Alii respondentem graviter objurgatum a Sadoleto. » (Pal., Ep., p. 118.)

Cet homme innocent et juste ne se cachait pas ce qu’il y avait de redoutable et d’angoissant dans sa position. Il sentait que les calomnies de ses ennemis empêcheraient tout le bien qu’il espérait faire, qu’elles briseraient d’anciennes amitiés et détruiraient la paix dont la ville commençait à jouir. Bientôt peut-être sa femme serait veuve et ses enfants orphelins ; un voile de tristesse couvrait son visage. Oh, que l’épreuve est amère ! Il savait bien qu’elle doit réveiller dans le chrétien une vie céleste ; qu’elle est un privilège de l’enfant de Dieu ; mais il fut quelque temps sans consolation ; son âme était accablée. « Mes adversaires ne savent qu’ajouter, disait-il, injures sur injures, accumuler haine sur haineg ! voilà six mois qu’ils ne font pas autre chose. Y a-t-il jamais eu un homme assez saint pour ne pas succomber sous les attaques d’un zèle aussi pervers ? Je ne veux pas parler de Socrate, de Scipion, de Rutilius, de Métellus ; certains défauts pouvaient prêter chez eux aux attaques de leurs ennemis. Mais celui qui fut tel que nul n’a été bon comme lui, nul saint comme lui, le très innocent Jésus-Christ lui-même, n’a-t-il pas été assailli de toutes partsh ? Hélas, de quel côté le juste se tournera-t-il ? Qui peut-il implorer ?… »

g – « Injuria augere injuria, et odio cumulare odium. » (Ibid., p. 119.)

h – « Quo nemo melior, nemo sanctior circumventus est innocentissimus Christus. » (Palearii, Ep., p. 116.)

Paleario l’apprit. Quand il se vit cité à comparaître devant le Sénat, il reprit courage. Non seulement il était fort de son innocence, mais encore la foi qui animait son cœur lui dit que Dieu aime ses serviteurs et qu’avec lui ils sont hors de tout danger. Il se rendit au palais de la seigneurie ; il entra dans la salle, appuyé sur le fils de son ancien ami, son cher et jeune Fauste Bellantes, accompagné de quelques hommes fidèles qui n’avaient pas voulu l’abandonner au jour de la détresse. Enfin il se trouvait devant ceux qui tenaient ses jours en leurs mains. Le président Sfondrati, le préteur Crasso, le Sénat et les Neuf étaient là sur leurs sièges judiciaires. Ses adversaires y étaient aussi, et surtout Cotta, plein d’une présomptueuse assurance et ne doutant pas que l’heure était enfin arrivée où il pourrait se jeter sur sa proie. Paleario le reconnut ; il fut ému, indigné en le voyant siéger dans le Sénat avec une apparence de tranquillité, au moment où il poursuivait un infâme complot. Il se contint pourtant et, s’adressant d’abord aux sénateurs, en leur donnant le titre usité dans l’ancienne Rome : « Pères conscrits, dit-ili, quand, dans les années précédentes, il a été question de moi, je ne m’en suis pas grandement, ému ; c’étaient alors des temps de désolation ; tous les droits divins et humains étaient confondus dans un même désordre. Mais à présent que, par la bonté de Dieu, des hommes d’une grande sagesse ont été placés à la tête de la République, maintenant que la sève, que le sang circulent de nouveau dans l’Étatj, pourquoi ne lèverais-je pas la tête ? »

iOratio tertia pro se ipso. C’est le discours que l’autorité ecclésiastique de Naples fit couper dans tous les exemplaires (en particulier dans celui dont nous nous servons habituellement, mais que nous avons retrouvé en entier dans l’édition d’Amsterdam, p. 73-97. Nous regrettons de ne pouvoir en citer que quelques paroles.

j – « Cum succus et sanguis Reipublicæ sit restitutus. » (Opera, édit. d’Amsterdam, p. 73.)

Bientôt l’esprit de Paleario s’émeut ; ses regards tombant de nouveau sur son orgueilleux ennemi, il apostrophe, comme Cicéron, son Catilina : « Cotta, dit-il, homme méchant, arrogant et factieux, qui pratique, non cette religion où l’on adore Dieu selon la vérité et la piété, mais celle qui se plonge dans toutes les superstitions, parce qu’elle est la plus propre à en imposer aux hommes ; — Cotta ! tu t’imagines être chrétien, parce que tu portes sur la pourpre l’image du Christ, tandis que, par tes calomnies, tu écrases un innocent qui est, aussi lui, une image, mais une image vivante de Jésus-Christ ! Quand tu m’as accusé faussement d’un crime, obéissais-tu à Jésus-Christ ? Quand tu t’es rendu à la maison des Huit pour débiter contre moi tes mensonges, pensais-tu, Cotta, faire alors un pèlerinage à Jérusalem ? Je m’étonne que tu ne mettes pas en croix des innocents… Tu le ferais, oui, tu le ferais ! si tu pouvais faire tout ce qu’emporte ton orgueilk ! »

k – « … Homines innocentes in crucem tollas… Tolieres, tolieres quidem si quantum furor iste, superbia, iracundia affert, tantum tibi liceret. » (Opera, édit. d’Amsterdam, p. 80.)

Paleario en vint alors à un sujet plus important. C’est l’Évangile, c’est la Réformation, ce sont ces hommes excellents dont Dieu se sert pour transformer la société chrétienne, qui sont au fond attaqués dans sa personne. Paleario défendra les Réformateurs en présence de toute l’Italie.

« Tu me fais d’impudents reproches, Cotta, continue-t-il. Tu prétends que je pense mal en religion, que je tombe dans l’hérésie ; tu m’accuses d’avoir adopté les opinions des Allemands. Quelle insignifiante accusation ! Prétends-tu lier tous les Allemands dans le même faisceau ? Tous les Allemands sont-ils mauvais ? Ne sais-tu pas que l’auguste empereur est un Allemand ? Diras-tu que c’est des théologiens que tu parles ? Que de généreux théologiens n’y a-t-il pas en Allemagne ! Mais, je le sais, quoique tes accusations soient ineptes en apparence, un aiguillon est caché par-dessous. Je connais le venin qu’elles répandent… Ceux que tu appelles des Allemands, ce sont sans doute Œcolampade, Érasme, Mélanchthon, Luther, Pomeranus, Bucer et d’autres de leurs amis. Mais y a-t-il en Italie un seul théologien assez stupide pour ne pas connaître que, dans les ouvrages de ces docteurs, il se trouve beaucoup de choses dignes de toute louange ?… Exacts, sincères, graves, ils ont professé les vérités que nous trouvons exposées par les premiers Pères. Accuser les Allemands, c’est accuser Origène, Chrysostôme, Cyrille, Irénée, Hilaire, Augustin, Jérôme. Si je me suis proposé d’imiter ces illustres docteurs de l’antiquité chrétienne, pourquoi répéter sans fin que je pense comme les Allemands ? Quoi ! parce que les savants professeurs des écoles allemandes ont suivi les traces de ces saints hommes des premiers siècles, je ne puis, moi, les suivre de même ? Tu voudrais que j’imitasse la folie de ceux qui, pour obtenir de belles places, combattent même ce qu’il y a de bon dans l’Allemagne ?… Ah ! Pères conscrits, plutôt que de rechercher ces délices qui en égarent plusieurs, je préfère vivre dans la petitesse. Je serai à l’étroit dans ma maison ; mais je serai au large dans ma consciencel. Que ces lâches flatteurs s’asseyent sur leur sièges de docteur ou d’évêque, qu’ils mettent des mitres ou des tiares sur leurs têtes, qu’ils portent la pourprem …, moi je reste dans ma bibliothèque, assis solitairement sur un escabeau de bois, vêtu d’un habit de laine contre le froid, d’un habit de toile dans la chaleur, et n’ayant qu’un petit lit pour goûter le repos du sommeil.

l – « Res domi angusta est ; at conscientia in animi penetralibus augusta, læta, alacris. » (Opera, édit. d’Amsterdam, p. 84.)

m – « Sedeant illi in cathedra, diademata imponant, dibaphum vestiant… » (Ibid., p. 84.)

Mais, ô Cotta, tu poursuis tes attaques ; tu me reproches de louer tout ce que font, tout ce que disent les Allemands. Non, il y a chez eux des choses que j’approuve, et d’autres que je n’approuve pas. Quand je vois des pensées, qui depuis des siècles étaient enveloppées d’un style barbare, enfouies sous les buissons d’épines de la scolastique, plongées dans de profondes ténèbres, quand je les vois mises au grand jour, placées à la portée de tous, exprimées dans le plus beau latin, alors certes, non seulement je loue les Allemands, mais je leur rends des actions de grâces. Les saintes études s’étaient endormies dans des cellules ; les hommes oisifs qui devaient les cultiver s’étaient enfoncés, cachés comme dans de sombres forêts, soi-disant pour s’appliquer au travail. Mais qu’est-il arrivé ? Ils ronflaient si fort que nous pouvions entendre le bruit de leurs narines jusque dans nos villes et dans nos bourgsn. Eh bien ! les études nous ont été rendues ; des bibliothèques latines, grecques, chaldaïques ont été formées ; des secours ont été honorablement accordés aux théologiens ; des écrits précieux ont été reproduits par des types merveilleusement inventés. Y a-t-il quelque chose de plus éclatant, de plus glorieux et qui se recommande plus à notre éternelle reconnaissance ? »

n – « Jacebant divina studia, strata in cellulis hominum otiosorum, qui licet in sylvas se abstrussissent, ni in hæc incumberent ; ita stertebant tamen, ut nos in urbibus et vicis audiremus. » (Opera, édit. d’Amsterdam, pages 84-85.)

Paleario, après avoir ainsi défendu le mouvement littéraire et réformateur de l’Allemagne, en vient à ce qu’il y a de plus grand, à Christ : « Ne sont-ils pas des hommes fâcheux, dit-il, des hommes criminels, ceux devant lesquels on ne peut louer et le Dieu de notre salut, Jésus-Christ, le roi de tous les peuples, par la mort duquel des biens si précieux ont été apportés à l’espèce humaine ? C’est là pourtant, Pères conscrits, ce qui m’a été reproché dans l’accusation qui m’a été intentée. Appuyé sur les monuments les plus antiques et les plus certains, j’avais déclaré que la fin de tous les maux était arrivée, que toute condamnation était abolie pour ceux qui, se convertissant à Christ crucifié, se remettaient à lui avec une entière confiance. Voilà les choses qui ont paru si détestables à ces douze…, dois-je dire à ces douze hommes, ou bien à ces douze bêtes féroces, au jugement desquelles celui qui a écrit ces paroles doit être jeté dans les flammes ! S’il me faut subir cette peine pour le témoignage que j’ai rendu au Fils de Dieu, croyez-en ma parole, il ne saurait y avoir pour moi de sort plus fortuné ; en vérité, je ne pense pas que de nos jours un chrétien doive mourir dans son lit. Ah ! Pères conscrits, être accusé, être jeté en prison, c’est peu de chose ; être frappé de verges, être suspendu par des cordes, être cousu dans un sac de cuir, être exposé aux bêtes, être consumé par le feu, c’est peu de chose, — pourvu que par ces supplices la vérité soit mise au grand jouro ! »

o – « Parum est accusari et deduci in carcerem, virgis cædi, reste suspendi, insui in culleum, feris objici, ad ignem torreri nos decet, si his suppliciis veritas in lucem est proferenda. » (Opera, édit. d’Amsterdam, p. 91.) — Ces paroles méritent d’être citées dans la langue originale.

Ce n’était pas un discours de rhéteur et des périodes cicéroniennes que faisait Aonio Paleario. Celui qui professait alors avec tant d’énergie l’importance souveraine de la vérité et fit de même dans son Beneficio di Gesu Cristo crocifissop, donna sa vie pour elle. S’il parlait à Sienne, il devait faire à Rome. On devine sous chacune de ces expressions la noble victime de l’an 1570.

p – Le fait que Paleario est l’auteur de cet écrit nous semble bien établi par M. Babington, ainsi que par M. J. Bonnet et Madame Young.

Après avoir parlé comme un martyr, il parle comme un homme. Il jette tout autour de lui ses regards. Quelques-uns des citoyens les plus éminents les Tancredi, les Placidi, les Malevolta l’entouraient, pleins d’émotion. Egidio, supérieur des Augustins et ses religieux, hommes remplis de piété et de modestie, l’appuyaient de leur approbation et de leurs vœux. Ses deux jeunes amis, Fauste et Evandre Bellantes, les yeux fixés sur lui, ne pouvaient retenir leurs larmes. Bientôt un spectacle plus saisissant frappe Paleario ; ses regards tombent sur Marietta, pâle et versant des pleurs. « Que vois-je ? s’écrie-t-il. Quoi, toi aussi, ô ma femme, tu es venue ici, couverte d’habits de deuil, entourée des plus nobles et des plus saintes dames, tu es venue avec tes enfants, te jeter aux pieds des Sénateurs ! O toi, ma lumière, ma vie, mon âme ! va, retourne dans ta maison, élève nos enfants ; ne crains point, Christ qui est ton époux, Christ sera leur pèreq … Hélas ! la douleur lui fait perdre presque la vier. Soutenez-la, de grâce, ô Vous, sa mère ; reconduisez-la, si vous le pouvez, sous votre toit… et que votre amour tarisse ses larmes. »

q – « Nunquam ils sponsore Christo deerit pater. » (Opera, p. 97.)

r – « Præ dolore misere exanimatam. » (Ibid.)

L’impression produite par ce discours fut profonde, le Sénat déclara Paleario innocent ; mais cet éclatant triomphe ne fit qu’irriter plus encore ses ennemis ; il comprit qu’il ne pouvait rester à Sienne et il prit congé de tous ses amis. Bellantes, avant de mourir, lui avait recommandé ses enfants ; Paleario les conjura d’aspirer à quelque chose de grand. Peut-être alla-t-il alors pour peu de temps à Rome, où ses amis avaient écarté le procès que ses adversaires avaient voulu susciter contre lui ; puis il se rendit à Lucques, où la chaire d’éloquence lui fut donnée. Il laissait à Sienne un grand vide, et ses amis étaient dans la douleur. Fauste Bellantes semble exprimer la pensée de tous quand il dit : Depuis que vous êtes parti, la torpeur qui m’accable est telle, que je suis presque incapable d’écrires. »

s – « Postquam in urbem profectus es, ita nescio quomodo animus meus torpuit, ut difficillimum mihi fuerit scribere epistolam hanc. » (Palearii Ep., p. 93.)

Ce n’étaient pas seulement des lumières çà et là éparses, un Curione, un Paleario, que l’on trouvait alors en Italie ; il y avait dans plusieurs villes des réunions d’hommes chrétiens qui professaient avec courage la vérité évangélique. Bologne en particulier, rapprochée de Ferrare et dont l’université était avec celle de Paris la première des grandes écoles de l’Europe, comptait un bon nombre de laïques et d’ecclésiastiques qui, comme ceux de Venise, montraient beaucoup de décision et de zèle pour les grands principes de la Réformation. Jean de Planitz, ambassadeur de Saxe auprès de l’empereur, ayant passé les Alpes en 1533, ces chrétiens évangéliques de Bologne s’adressèrent à lui avec une vivacité tout italienne. « Nous savons, lui dirent-ils, que les Allemands ont rejeté le joug de l’Antichrist et sont parvenus à la liberté du règne de Dieu. Nous savons qu’ils s’embarrassent peu de ce qu’on leur donne le nom détesté d’hérétiques et qu’ils se réjouissent au contraire de ce que, pour la cause de Christ, ils sont jugés dignes d’endurer la honte, la prison, le feu, l’épée. Nous savons que, s’ils demandent un concile, ce n’est pas pour leur intérêt propre, mais en vue du salut des autres peuples. C’est pourquoi tous les peuples de la chrétienté doivent à eux et à vous, très honoré seigneur, la plus grande reconnaissance ; mais il n’en est aucun qui vous soit plus redevable que le nôtre. L’Italie étant, de toutes les contrées soumises au tyran, la plus rapprochée de lui, étant même son sièget, éprouve une joie plus vive, une gratitude toute particulière de ce que, par la bonté de Dieu, la rédemption s’est enfin rapprochée d’elle. Nous vous supplions de vous employer de toutes vos forces à la convocation d’un concile. Dans toutes les villes de la péninsule, et à Rome même, l’empereur le sait, grand nombre d’hommes pieux, savants, distingués, le désirent, l’attendent, le demandent à grands cris. Si le pape réunit cette assemblée, il supprimera facilement les maux qui, par la faute de ses prédécesseurs, se sont glissés dans l’Église, et il recevra, pour cette œuvre excellente, des hommes un juste honneur, et de Christ la vie éternelle. Que chacun puisse lire les écrits où de savants docteurs (les Réformateurs) ont exposé leur foi. Que du moins, prêtres, moines et laïques puissent posséder la Bible, sans encourir le reproche d’hérésie, et même citer les paroles de Jésus-Christ et de Paul, sans être décriés comme sectaires. Si, au contraire, Rome foule aux pieds les commandements du Seigneur, sa grâce, sa doctrine, sa paix, la liberté qu’il donne, n’est-ce pas là le règne de l’Antichrist ?… Si vous avez besoin de notre aide, parlez ! nous sommes prêts. Nous sacrifierons, s’il le faut, notre fortune et notre vie à la cause du Rédempteur ; et, tant que nous vivrons, nous la recommanderons chaque jour à Dieu par de ferventes prières. » — Telle était la décision des chrétiens de l’Italie, même dans les villes soumises au papeu.

t – « Besonders Italien, welches dem Tyrannus ani næhesten unterworfen ; ja dessen Sitz sey. » (Traduction de Seckendorff. p. 1366)

u – L’original italien qui porte la date du 5 janvier 1533, se trouve dans les archives de Weymar. Seckendorff le donne en allemand dans son Histoire du Luthéranisme, p. 1365 à 1367.

Dans le même temps où cette éloquente adresse parvenait au seigneur de Planitz, Bologne voyait arriver dans ses murs, comme professeur à l’université, un franciscain, Jean Mollio, des environs de Sienne. Pénétré de l’enseignement des saintes Ecritures et des Réformateurs, il professa la vérité chrétienne avec une grande liberté, d’après les écrits de saint Paul ; le pape lui défendit d’exposer les épîtres de l’Apôtre. Mollio se mit alors à expliquer d’autres livres du Nouveau Testament ; mais c’était toujours la même doctrine qu’il y puisait, et ses auditeurs, ravis de voir la défense du pape ainsi éludée, l’applaudissaient avec enthousiasme. La cour de Rome, voyant qu’il n’y avait pas moyen de mettre la grâce hors de la Bible, donna l’ordre de mettre Mollio hors de l’université ; ce qui fut plus facile. Toutefois, le nombre des chrétiens évangéliques ne fit que s’accroître dans Bolognev.

v – Mac Crie, Histoire de la Réforme en Italie, p. 88.

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