Ce n’est pas rarement que ces mots se rencontrent ensemble, ainsi dans 2 Corinthiens 13.5 ; Psaumes 94.10 (dans Hébreux 3.9, la meilleure leçon est ἐν δοκιμασίᾳ) ; mais, quoique la version française les traduise tous deux par le même terme, « éprouver » (Jean 6.6 ; Luc 14.19 ; Apocalypse 2.2 ; 1 Corinthiens 3.13 ; 1 Corinthiens 11.28 ; 2 Corinthiens 13.5), ils ne sont pourtant pas parfaitement synonymes. Dans δοκιμάζειν, que l’on traduit par « discerner » (Luc 12.56) ; par « se soucier » (Romains 1.28) ; par « approuver » (Romains 14.22), gît toujours la notion d’examiner une chose, qu’elle mérite ou non la peine d’être reçue, car le mot est étroitement uni à δέχεσθαι. En grec classique, c’est le terme technique pour indiquer l’action de soumettre la monnaie à la δοκιμή, à l’épreuve par le moyen du δοκίμιον ou moyen de juger (Plato, Tim., 65 c ; Plutarch., Def. Orac. 21) ; ce qui est éprouvé étant δόκιμος et ce qui échoue ἀδόκιμος ; mais ces mots, on fera bien de se le rappeler, ne sont pas en rapport avec δοκιμάζειν, mais avec δέχεσθαι. Nous appuyant sur le fait que cette épreuve se fait par le feu (1 Corinthiens 3.13), nous trouvons souvent ensemble δοκιμάζειν et πυροῦν (Psaumes 95.9 ; Jérémie 9.7). Dans l’acception où le N. T. s’en sert, le mot implique presque toujours que la preuve a réussi, que ce qui est éprouvé est aussi approuvé (2 Corinthiens 8.8 ; 1 Thessaloniciens 2.4 ; 1 Timothée 3.10), absolument comme nous parlons d’un homme éprouvé (δεδοκιμασμένος), ne voulant pas simplement désigner par là celui qui a été mis à l’épreuve, mais encore celui qui en est sorti vainqueur. Δοκιμάζειν est alors bien près d’être l’équivalent d’ἀξιοῦν (1 Thessaloniciens 2.4 ; cf. Plutarch., Thés. 12). Quelquefois même le mot fait un pas de plus, et signifie, non pas simplement approuver ce qui est éprouvé, mais choisir ou préférer ce qui est approuvé (Xenoph., Anab. 3.3,12 ; cf. Romains 1.28). Mais dans δοκιμάζειν il n’y a pas seulement la plupart du temps une victoire à la suite de l’épreuve, mais il est encore sous entendu que l’épreuve fut elle-même imposée dans l’attente et l’espérance qu’il en serait ainsi. Le minerai n’est pas jeté dans la fournaise — telle est l’image qui se trouve continuellement à la base du mot dans l’A. T. (Zacharie 13.9 ; Proverbes 8.10 ; 18.3 ; 27.21 ; Jérémie 9.7 ; Sira.2.5 ; Sagesse 3.6 ; 1 Pierre 1.7) — si ce n’est dans l’espérance que (quelles que soient les scories qui s’y trouvent mêlées, tout n’est cependant pas scories) un bon métal, meilleur que ce qu’il est maintenant, sortira de l’épreuve du feu (Hébreux 12.5-11 ; 2 Maccabées 6.12-16). Il en est toujours ainsi des épreuves auxquelles soumet les siens Celui qui est assis comme un affineur dans son Église : son intention, en les éprouvant, est toujours, non de trouver dans ses saints de l’or pur (car il sait qu’ils ne sont pas parfaits), mais de les rendre tels, de purifier leur écume et de ne jamais montrer qu’ils ne sont qu’écume. Comme tel Il est δοκιμαστὴς τῶν καρδιῶν (1 Thessaloniciens 2.4 ; Jérémie 11.20 ; Psaumes 16.4) ; comme tel, Job pouvait dire de Lui, se servant d’un autre terme équivalent, διέκρινέ με ὥσπερ τὸ χρυσίον. Son peuple s’adresse à lui dans ces conditions, le priant dans les termes d’Abélard, quand il explique la sixième demande de l’oraison dominicale : « Da ut pertentationem probemur, non reprobemur. » Et voilà le point de divergence entre δοκιμάζειν et πειράζειν, comme cela paraîtra quand nous aurons un peu considéré ce dernier mot.
Cette mise à l’épreuve peut avoir un tout autre résultat que ceux que nous venons de décrire ; et certes, tout sera bien différent dans le cas de ceux dont le cœur n’est pas droit et de ceux qui semblent appartenir à Dieu, mais qui n’ont point la racine de sa crainte en eux-mêmes. Éprouvés ou tentés, ils feront l’effet d’être ce qu’ils ont toujours été, et ce fait, quoiqu’il ne fasse pas loi dans tous les cas ou s’emploie πειράζειν, cependant affecte ces cas d’une manière sensible. Il n’y a rien dans le mot même qui exige que le plus souvent il signifie l’action de soumettre à l’épreuve avec l’intention et l’espérance d’embarrasser dans les liens du péché la personne éprouvée. Πειράζειν, allié à « perior », « experior », πείρω, ne signifie proprement rien autre que « faire une expérience » (πεῖραν λαμβάνειν, Hébreux 11.29,36) ; « pénétrer ou chercher dedans » (ainsi il est dit des méchants : πειράζουσι θάνατον, Sagesse 2.25 ; cf. Sagesse 12.26 ; Siracide 39.4) ; ou « essayer » (Actes 16.7 ; 24.6). Ensuite πειράζειν signifie essayer avec le dessein de découvrir ce qu’il y avait de bon ou de mauvais, de puissance ou de faiblesse dans une personne ou dans une chose (Matthieu 16.1 ; 19.3 ; 22.18 ; 1 Rois 10.1) ; ou, quand celui qui éprouvait, connaissait ce qui en était à cet égard, dans le but de le révéler aussi à ceux-là mêmes qu’on éprouvait ; ainsi Saint Paul, s’adressant aux Corinthiens, dit : ἑαυτοὺς πειράζετε, « éprouvez-vous », ou, comme on a traduit, « examinez-vous vous-mêmes » (2 Corinthiens 13.5). Il est encore dit que les pécheurs tentent Dieu (Matthieu 4.7 ἐκπειράζειν ; Actes 5.9 ; 1 Corinthiens 10.9 ; Sagesse 1.2), le mettant à l’épreuve, refusant de le croire sur parole ou avant qu’il ait déployé sa puissance. Nous devons aussi nous arrêter à ce sens du mot quand nous affirmons de Dieu qu’il tente l’homme (Hébreux 11.17 ; cf. Genèse 22.1 ; Exode 15.25 ; Deutéronome 13.3) ; dans aucun autre sens ou intention Dieu ne peut tenter (Jacques 1.13) ; mais il le fait dans ce sens (γυμνασίας χαρὶν καὶ ἀναῤῥήσεως, Œcumenius), et à cause de la connaissance de soi-même que procurent les épreuves, — en sorte que les hommes peuvent sortir de ces tentations, et qu’ils en sortent souvent, plus saints, plus humbles, plus forts qu’ils n’étaient au moment de les subir, — Saint Jacques peut dire : « Estimez-le comme le sujet d’une grande joie, quand vous êtes exposés à diverses tentations » (Jacques 1.2 ; cf. ver. 12). Mais le mot lui-même ne s’arrête pas à cette signification. — Le triste fait que les hommes succombent si souvent à la tentation donne à πειράζειν un sens prédominant, celui de mettre à l’épreuve avec l’intention et l’espoir que ce qui est éprouvé ne sortira pas de la fournaise approuvé mais réprouvé, succombera à l’épreuve ; et c’est ainsi que le mot est constamment appliqué aux tentations venant de Satan (Matthieu 4.1 ; 1 Corinthiens 7.5 ; Apocalypse 2.10), à celles qu’il envoie toujours avec une malicieuse espérance, fidèle à son titre de tentateur (Matthieu 4.3 ; 1 Thessaloniciens 3.5), et se révélant toujours comme tel (Genèse 3.1, 4-5 ; 1 Chroniques 21.1).
En conclusion, disons que, si πειράζειν peut être employé par exception en parlant de Dieu, δοκιμάζειν ne pourrait pas l’être en parlant de Satan, vu que jamais Satan n’éprouve pour approuver ou ne sonde pour connaître et accepter.