Ô Dieu, Dieu de mon salut, délivre-moi de tant de sang, et ma langue chantera hautement ta justice.
Ce verset est un peu obscur, et semble interrompre l’ordre que nous nous sommes proposés dans ce psaume, mais je crois que nous viendrons à bout de le bien expliquer. Quant à la connaissance des termes, il faut savoir que ce que David nomme ici sang, et dans l’original des sangs, signifie la coulpe et la peine du sang répandu. Quelques-uns entendent par une espèce de synecdoque, par ce sang tous les péchés par lesquels nous méritons la mort, de sorte que David, selon eux, ne parle pas seulement de son meurtre commis sur Urie, mais aussi de son adultère et de tous les péchés qu’il avait commis, desquels il demande le pardon et la rémission.
Mais on objecte à ceci, que David avait déjà demandé et même obtenu le pardon de ses péchés, et comment peut-on admettre qu’il demande encore ici ce qu’il avait déjà obtenu ? Mais je réponds : David avait promis dans le verset précédent qu’il enseignerait les voies de Dieu aux transgresseurs ; et il est certain que c’est une chose non seulement difficile, mais même qui expose à la honte et aux reproches des hommes, lorsqu’on veut enseigner les autres dans le temps qu’on est convaincu d’avoir commis un crime public et connu, selon ce proverbe qui dit : Que c’est une chose honteuse à celui qui enseigne d’être repris par son propre crime. Comme donc David avait obtenu le pardon de ses péchés devant Dieu, ici il demande l’absolution de ces mêmes péchés devant l’Église, afin qu’elle sache qu’il en avait reçu la rémission de Dieu, et que cela n’empêche point le fruit de ses enseignements. C’est ainsi que nous avons les sacrements pour nous être des témoignages publics devant toute l’Église que nous nous reconnaissons pécheurs, et que nous croyons que nos péchés nous sont pardonnés pour l’amour de Jésus. C’est pourquoi, sans préjudice du sentiment des autres, pour moi, je crois que l’on doit entendre ce verset de la manifestation que David demande qui soit faite à l’Église et au peuple de Dieu, du pardon et de la rémission qu’il a obtenu de Dieu de son péché. De sorte qu’il demande que ses péchés, ces sangs et leur coulpe, soient tellement effacés qu’ils ne scandalisent plus ceux qui en avaient été scandalisés. Car qui ne voit combien c’est une chose honteuse à une personne qui doit enseigner les autres d’être entachée d’un infâme adultère et de meurtre ?
Voici donc sa prière : Ô Dieu, veut-il dire, délivre-moi de ces crimes que les sacrificateurs et les docteurs du peuple pourraient me reprocher ; j’ai péché contre toi, j’ai transgressé la loi de Moïse ou plutôt ta Loi ; il est certain que tu m’as pardonné mon péché, et que tu m’en as assuré en remplissant mon cœur de confiance en tes miséricordes, par l’ouïr de l’acte que tu as fait entendre à mon âme. Fais-moi aussi la grâce de m’en affranchir et de m’en décharger devant ton Église, afin que le cours et le fruit de ta parole ne soit point empêché. Il semble qu’il ne veuille parler que de ces péchés particuliers qu’il avait commis dans l’adultère avec Bathsébah, et dans le meurtre d’Urie ; et sans doute que ces crimes-là lui sont des occasions de reconnaître tous ses autres péchés. Mais il faut pourtant remarquer comme nous avons déjà dit ci-dessus, qu’il se sert de l’espèce pour entendre tout le genre, et qu’il nomme quelques péchés en les sous-entendant tous, et en demandant que le scandale de tous les péchés qu’il pouvait avoir commis et à cause desquels il avait été couvert de confusion devant l’Église soit lavé, et que les hommes témoins et informés de ses péchés, ne s’en offensent plus, mais qu’ils soient édifiés par la parole de repentance, comme Saint Paul confesse de lui-même qu’il avait été un blasphémateur, et un persécuteur de l’Église. Ce qui non seulement ne scandalisait point ses auditeurs, mais qui plutôt les confirmait et les consolait, sachant qu’ils lui avaient été gratuitement remis ; ils étaient par là animés à concevoir l’espérance de recevoir de Dieu les mêmes grâces que Paul, comme aussi il le dit, que Dieu avait voulu établir en lui un exemple de sa miséricorde pour donner courage à ceux qui viendraient à croire en lui pour la vie éternelle.
C’est ainsi que d’avouer que j’ai été entre les monstres de la papauté, n’est point déshonorant pour moi, ni n’est point préjudiciable à la saine doctrine que je professe : j’ai été un moine qui, par mes messes et par tout mon genre de vie, ai non seulement renié le Seigneur Jésus, mais ai même crucifié de nouveau mon bon Rédempteur. Car j’étais tellement plongé dans la confiance en ma propre justice que si quelqu’un eût enseigné et eût annoncé la doctrine que maintenant j’annonce et que je crois par la grâce de Dieu, je pense que je l’aurais déchiré à belles dents. Mais que Dieu m’ait délivré de ces horribles blasphèmes, et m’ait établi pour un héraut de sa parole et de sa véritable justice, je crois que c’est une chose douce et consolante pour l’Église de Dieu.
C’est ainsi que David demande aussi d’être délivré de son état de criminel et de l’ignominie de ses péchés devant l’Église, afin que comme il a été absous devant Dieu, il soit aussi absous de la loi, et qu’il puisse lever sa tête avec assurance devant l’Église : comme j’ai déjà dit de mon propre exemple que j’avais crucifié le Seigneur Jésus, et avant que d’embrasser les ordres, et quand je les eus embrassés, je continuai de le crucifier. Bien loin qu’une telle confession affaiblisse la force de la Parole, au contraire cela augmente en ceux qui l’entendent, la confiance en la miséricorde de Dieu, et elle est agréable à Jésus-Christ. C’est pourquoi le prophète ajoute : Et ma langue chantera hautement ta justice, ce qui appartient au désir qu’il a d’annoncer la vérité de son Dieu : comme s’il disait : Lorsque j’aurai été ainsi absous de mon péché devant toi et devant les hommes, alors ma langue chantera ta justice, elle annoncera avec joie et prêchera ta justice ; savoir, la grâce par laquelle tu pardonnes les péchés, et tu as pitié des pauvres pécheurs.
Ce mot de justice m’a fait souvent suer, car je voyais qu’on l’expliquait toujours de cette vérité de Dieu par laquelle il condamne et juge ceux qui font le mal : et ainsi on opposait la justice à la miséricorde, par laquelle Dieu sauve ceux qui croient. Cette exposition, cette explication outre qu’elle est vaine, est encore très dangereuse, parce qu’elle laisse dans l’âme une secrète haine contre Dieu et contre sa justice. Car qui peut aimer un Dieu qui veut agir envers les pécheurs selon sa justice ? Souvenez-vous donc que la justice, c’est celle par laquelle Dieu justifie le pécheur, et lui accorde le pardon de ses péchés. Une telle justice dans Dieu est agréable, car elle fait de Dieu non un juge rigoureux, mais un Père débonnaire qui veut se servir de sa justice non pour juger et condamner, mais pour absoudre et justifier les pécheurs. C’est cette justice-là, dit David, non la justice de Moïse où des hommes, que j’annoncerai avec joie, quand même tous les hommes devraient devenir mes ennemis, pourvu seulement que tu m’absolves devant ton Église, et que je puisse me produire devant les hommes, sans honte, et sans rougir à cause de mes grands péchés, qui sont aussi connus à ton peuple. C’est ici sans doute un exemple qui peut servir de grande consolation pour ceux qui sont dans le ministère et qui sont répréhensibles pour quelque péché scandaleux qu’ils ont commis : car ce péché particulier de David est mis pour un exemple général, comme nous l’avons déjà souvent insinué.