Explication du Psaume 51

Verset 15

Seigneur ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.

Sans doute que çà été dans une bonne intention qu’on a établi que les prières publiques commençassent par ces paroles ; parce que dans la louange et dans la confession publique du nom de Dieu, elles peuvent fort bien s’employer. Mais dans les prières particulières il est d’autant moins nécessaire de s’en servir, qu’on n’a pas à craindre la tyrannie et les oppositions du monde. Aussi est-il certain que le Prophète ne veut pas parler ici de l’entretien familier et privé que le pécheur a avec Dieu, mais il veut parler de toute l’Église, du ministère public, des ministres, des docteurs et de tout le peuple. Car ceux qui sont justifiés n’ont plus qu’à dire avec David : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Venez donc et voyez les œuvres de Dieu en moi, et je raconterai son nom à mes frères. Ici aussi le Prophète se sentant justifié par la miséricorde gratuite de son Dieu, qu’il embrassait par la foi, et se voyant aussi absous devant l’Église, du scandale que son péché avait donné, et aurait pu donner, maintenant il demande que Dieu ouvre ses lèvres afin qu’il puisse annoncer les gratuités et les miséricordes de son Dieu avec assurance et liberté et sans crainte, non dans quelque coin, comme font les fanatiques, mais publiquement et hautement au milieu de son peuple.

§ 78. Les sacrifices de louange.

Quand il demande à Dieu d’ouvrir ses lèvres, il veut insinuer par là combien c’est une chose difficile que de présenter à Dieu ce sacrifice de louange que Dieu demande (Psaumes 50.14) ; car c’est une audace, une force et une vertu qui surpasse toutes les autres, d’oser parler en public, et de confesser hautement le nom de Dieu ; car Satan tend toutes sortes d’embûches, pour empêcher cette confession et cette louange de Dieu. Si nous voyions des yeux du corps toutes ces embûches, nous comprendrions facilement la cause pour laquelle David demandait avec tant d’instances d’être fortifié par un esprit franc, et pour laquelle il demande maintenant que Dieu veuille ouvrir ses lèvres, non pour dire ses heures régulières, mais pour porter son nom à la barbe du Diable, du monde et des enfers, et le manifester aux rois, aux princes et à toute chair. Car il se rencontre ici beaucoup de choses qui ferment la bouche : les craintes, les dangers, l’espoir du gain, les conseils, et les sollicitations des amis, par où Satan tâche d’empêcher qu’on ne rende à Dieu ce sacrifice de louange. Comme je l’ai souvent éprouvé ; cependant dans les occasions où la gloire de Dieu était en danger, Dieu m’a assisté, il a ouvert ma bouche, et m’a fortifié contre tous ces obstacles.

Il nous parle donc ici de la confession publique qu’une âme fait de ce qu’elle a expérimenté dans la grâce de sa justification, pour nous apprendre que c’est une chose fort difficile de témoigner même des choses qu’on a apprises par sa propre expérience. Car non seulement Satan, mais aussi la tyrannie des princes et des grands de la terre, aussi bien que la propre chair corrompue, et le sentiment du péché veulent empêcher cette confession. Pourtant de l’autre côté l’Esprit pousse, excite et anime, comme St Pierre disait aux Juifs : Nous ne pouvons faire que nous ne disions les choses que nous avons vues et entendues. Or l’esprit de Dieu excite cette prière dans une telle âme par beaucoup de profonds soupirs, pour demander à Dieu qu’il ouvre ses lèvres pour annoncer sa louange et sa gloire.

Souvenez-vous aussi, quand vous verrez dans la parole de Dieu, qu’il est parlé d’annoncer la louange, la justice, la gloire de Dieu, que par là est aussi insinué le parti qu’une âme prend de s’exposer aux plus grands dangers ; car annoncer la louange de Dieu, c’est s’exposer au Diable, au monde, à la chair, et à tous les maux. Comment loueras-tu Dieu, sans premièrement condamner tout le monde, avec toutes ses justices et sa sainteté ? Or ceux qui veulent le faire s’attirent non seulement la haine des hommes, mais s’exposent à d’éminents dangers ; au contraire, ceux qui annoncent et qui louent les différents ordres : l’invocation des Saints, les mérites, les confréries, et des choses semblables, ne louent pas Dieu, mais se louent eux-mêmes, c’est pourquoi on les souffre, on les aime et on les approuve. C’est la cause pour laquelle le Prophète dit à Dieu avec tant de zèle : Ô Seigneur ! ouvre mes lèvres et me donne les forces de crier avec hardiesse, d’enseigner et d’instruire les autres de ce que j’ai appris de toi, savoir que toi seul es digne de louange et de gloire éternellement, parce que tu justifies le méchant par ta pure grâce et miséricorde.

Vous voyez ce que c’est qu’une âme justifiée, quelles œuvres elle choisit pour s’y adonner : ce ne sont point des jeûnes, des abstinences, des cilices, des déserts et des choses de cette nature, qui peuvent aussi avoir leur prix ; mais si on les considère en comparaison de cette excellente œuvre d’annoncer la louange de la grâce et de la miséricorde de Dieu, ce ne sont que des jeux, non seulement si on les regarde comme ils sont chez nos adversaires, mais si on les envisage comme ils se trouvent chez les véritables saints. Car saint Jean-Baptiste n’était pas si recommandable par sa vie austère que par son cœur plein de zèle divin, par lequel il nommait les Pharisiens des races de vipères ; qui osait dire à Hérode, ce tyran, qu’il ne lui était pas permis d’épouser celle qui était femme de son frère ; et qui avait la hardiesse de rendre témoignage à Jésus à la face de tous ses ennemis, et de tous ceux qui méprisaient ce chétif fils de charpentier, lorsqu’il disait de lui : il en vient un après moi duquel je ne suis pas digne de délier la courroie du soulier. Ce sont là des choses qui rendaient saint Jean recommandable, et qui font que Jésus le nomme le plus grand d’entre ceux qui étaient nés de femme. Car un méchant homme peut l’imiter dans ses manières extérieures de vivre ; il peut se retirer dans un désert, se vêtir et se nourrir comme lui, sans que cela l’expose à aucun danger. Mais de l’imiter dans son zèle, dans sa charge, c’est ce qu’on ne saurait faire sans s’exposer à des dangers éminents, ce qui paraît par la récompense que saint Jean a remportée de son ministère, ayant été obligé de donner sa tête pour satisfaire et contenter une indigne prostituée. Ceux donc qui voudront s’occuper à une œuvre digne d’un Chrétien, qu’ils n’entreprennent point de louer les avanies et les puérilités des papes, ni les exercices particuliers et les afflictions des saints, mais qu’ils s’attachent à confesser et à louer le nom du grand Dieu devant le monde ; car c’est là la plus grande des vertus, et l’œuvre la plus haute et la plus difficile.

Même dans la politique, nous voyons combien peu il y en a qui embrassent courageusement un juste et équitable gouvernement de la société, et qui méprisent les dangers auxquels ils pourraient par là s’exposer, et qu’il est souvent vrai, comme Cicéron le dit, que plusieurs qui parviennent au gouvernement de la république dans l’espérance de grandes récompenses, et d’une grande gloire, ne sont pas exempts d’être exposés aux plus grands dangers. C’est ce que les exemples de ces hommes illustres prouvent assez, comme un Thémistocle, un Cicéron, un Démosthène, et d’autres personnages de distinction ; que ces personnes sont très exposées aux dangers lorsqu’elles veulent se conduire sagement et justement. C’est une vertu de femme que de parler des défauts des autres dans un coin ; mais en plein sénat, dans des assemblées générales de princes, dire son sentiment librement, il y en a peu qui le fassent, quand même ils voient bien qu’il serait nécessaire de le faire : combien plus croyez-vous qu’il est dangereux, et en même temps glorieux de confesser, d’annoncer la louange et la gloire d’un Dieu, non seulement en la présence de Dieu et des anges, mais à la face du Diable, du monde, et contre la volonté de tous les grands et les princes de la terre. Sans doute qu’il y a ici plus de danger que dans une république, quoiqu’il n’y en manque pas non plus, et qu’il soit bien nécessaire qu’on reçoive aussi de Dieu un esprit courageux et généreux. Oh ! sans doute qu’on a besoin de l’Esprit de Dieu, et de ce doigt divin qui touche et qui ouvre les lèvres, afin qu’elles annoncent les louanges de Dieu.

Il n’y a donc point d’œuvre plus digne d’une âme justifiée que d’annoncer la gloire et la vérité de Jésus. Les exercices corporels peuvent être pratiqués non seulement par tous les hommes mais aussi par les bêtes, qui peuvent être affligées par les jeûnes et les abstinences. Les Turcs exercent une grande sévérité sur leur corps dans leurs mortifications volontaires. Et sans doute qu’entre les chrétiens, on ne doit pas rejeter les exercices qui servent à mortifier et à réfréner la chair. Mais d’oser pour la confession du nom de Jésus, exposer sa vie et ses biens, c’est en quoi l’on a besoin de cet esprit franc que David demande, et pour lequel on doit dire avec lui, à Dieu : Ô Seigneur, ouvre mes lèvres. Nous allons maintenant voir la raison pour laquelle il ajoute qu’après être justifié par la grâce de son Dieu, il ne veut et ne peut s’occuper de rien de plus digne, que de louer et d’exalter la grandeur de la grâce de son Dieu, et de recommander aux autres de le faire.

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