Depuis que les premières éditions de ce livre ont paru, quelques changements se sont accomplis dans le sein de la communion réformée. Le moment n’est pas venu d’en apprécier les caractères et les effets : notre office ne sera ici que celui de simple rapporteur.
La nouvelle loi fondamentale, publiée le 14 janvier 1852, s’ouvre par la déclaration suivante : « La Constitution reconnaît et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des Français. »
On connaît les principes de 1789 sur les matières religieuses : distinction constante et précise entre le domaine spirituel et le domaine temporel ; liberté et égalité de tous les cultes reconnus par l’Etat ; admission de tous les citoyens aux charges publiques, selon leurs capacités et leurs talents, à quelque communion qu’ils appartiennent. Ces droits ont été placés, par l’article 26 de la Constitution, sous la garde du premier pouvoir délibérant du pays : « Le Sénat s’oppose à la promulgation des lois qui seraient contraires ou qui porteraient atteinte… à la religion ou à la liberté des cultes. »
La Constitution de 1852 ne fait pas plus mention que celle de 1848 d’une religion de l’Etat, ou d’une religion de la majorité des Français ; elle ne prononce pas même le nom d’une Église particulière. Dès lors, nulle différence quelconque entre les divers cultes dans la loi souveraine : c’est toujours l’égalité entière et absolue que nous avons déjà signalée. Il est permis d’espérer que de la Constitution elle passera de plus en plus dans les idées et les habitudes nationales.
Un décret, publié le 26 mars 1852, a profondément modifié le régime intérieur des Églises protestantes de France : il mérite à ce titre d’être étudié et analysé avec soin.
On a vu précédemment que la loi du 18 germinal an X était loin de donner une pleine satisfaction aux vœux des réformés, et avait provoqué de fréquentes réclamations. On a vu aussi que les différents projets de réorganisation avaient échoué, soit devant les plaintes des consistoires, qui n’y trouvaient pas de suffisantes garanties de liberté, soit devant les hésitations du pouvoir civil, qui répugnait à intervenir dans les affaires ecclésiastiques.
L’occasion parut plus favorable après les événements du 2 décembre, et le décret du 26 mars fut rendu afin de corriger les abus contre lesquels on avait réclamé, et de mettre les institutions du protestantisme français en harmonie avec celles de l’Etat.
Il faut remarquer que ce ne fut point un concordat entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique régulièrement saisie de la question. L’acte était sorti tout entier des mains du gouvernement. De là, des objections et des appréhensions de plus d’un genre. Les défenseurs du décret répondirent qu’il en avait été de même de la loi du 18 germinal ; qu’on avait dû profiter du moment où tous les pouvoirs publics étaient concentrés en une seule volonté ; que le ministre des cultes avait attentivement interrogé les requêtes des consistoires, et s’était efforcé de répondre aux désirs de la majorité des protestants ; que le décret, d’ailleurs, ne touchait pas au dogme, ni aux formes de culte, ni à l’administration des sacrements, et que l’Etat, par conséquent, n’avait pas excédé sa compétence ni ses droits.
Sans entrer plus avant dans cette controverse, on peut affirmer que plusieurs des nouvelles dispositions du décret ont obtenu l’assentiment presque unanime des Églises.
L’article premier reconstitue la commune ecclésiastique ou la paroisse, qui avait été presque entièrement absorbée, comme nous l’avons montré en son lieu, dans l’arbitraire création de l’Église consistoriale de six mille âmes. Il y a maintenant une paroisse distincte et légalement reconnue partout où l’Etat rétribue un ou plusieurs pasteurs. C’est un retour à l’ancienne organisation presbytérienne, et l’on s’est accordé à y voir un progrès sur le régime de l’an X. La commune ecclésiastique ayant sa vie en soi, et se distinguant de toute autre par la force même des choses, devait se relever de la déchéance où elle était tombée.
Chaque paroisse possède maintenant un consistoire particulier, où, selon les expressions du décret, un conseil presbytéral, composé de quatre membres laïques au moins, de sept au plus, et présidé par un pasteur. Ces conseils locaux administrent les paroisses sous l’autorité des consistoires. Ils sont renouvelés par moitié de trois en trois ans, au moyen du suffrage paroissial, nouveau mode d’élection qui sera expliqué plus loin.
L’article 2 réorganise les consistoires, en y faisant entrer, avec les conseils presbytéraux des chefs-lieux des circonscriptions consistoriales, tous les pasteurs du ressort et un certain nombre de délégués laïques des différentes paroisses. Les consistoires sont soumis, tous les trois ans, comme les conseils presbytéraux, à un renouvellement partiel, et c’est également le suffrage paroissial qui doit prononcer.
Les attributions de ces corps ecclésiastiques ont été modifiées en quelques points par un arrêté ministériel du 20 mai 1853. C’est aux consistoires qu’il appartient de correspondre avec le gouvernement, et de lui transmettre, avec son avis, les délibérations des conseils presbytéraux ; de veiller à la célébration régulière du culte, au maintien de la liturgie et de la discipline, à l’expédition des affaires dans les diverses paroisses de son ressort ; d’arrêter les budgets ; enfin, de nommer aux places de pasteurs sur une liste de trois candidats présentée par le conseil presbytéral de la paroisse intéressée.
L’innovation la plus grave du décret, c’est l’établissement du suffrage paroissial. Auparavant, selon les articles organiques de l’an X, le droit d’élection n’était exercé que par les protestants les plus imposés au rôle des contributions directes ; et les consistoires se perpétuaient ou se recrutaient comme ils le jugeaient bon, avec le concours d’un petit nombre de notables qu’ils désignaient eux-mêmes. C’était accorder un double privilège à la fortune et aux nominations antérieures. Il y parut bien dans plus d’un consistoire où les désordres s’étaient immobilisés avec les hommes. La masse des fidèles se plaignait, non sans de légitimes raisons, de ne pouvoir pas faire prévaloir sa volonté, ni même, en certaines rencontres, faire entendre ses doléances dans des corps ecclésiastiques ainsi constitués. Le suffrage paroissial, expliqué par l’arrêté du 10 septembre et la circulaire ministérielle du 14 septembre 1852, a complètement changé cet état de choses.
Pour être inscrit sur les registres de la paroisse et posséder le droit de suffrage, il suffit de justifier des conditions suivantes : être protestant, et âgé de trente ans révolus ; avoir deux ans de résidence dans la paroisse, ou trois ans, si l’on est étranger d’origine. Il n’y a d’exception que pour ceux qui auraient été judiciairement privés du droit électoral politique ou municipal, ou qui seraient rayés par le conseil presbytéral, pour cause d’indignité notoire, à l’unanimité des voix.
Quant aux garanties religieuses qui constatent la qualité de protestant, voici comment elles sont résumées dans la circulaire ministérielle : « Ceux qui voudront jouir du droit électoral paroissial justifieront qu’ils ont été admis dans l’Église conformément aux règles établies, qu’ils participent aux exercices et aux obligations du culte, et, en cas de mariage, qu’ils ont reçu la bénédiction nuptiale protestante. » Ces garanties religieuses, exprimées dans des termes si généraux, n’ont pas même été partout exigées.
Le suffrage paroissial équivaut donc à peu près au vote universel. C’est le principe démocratique de l’autorité du grand nombre introduit dans la société religieuse, après l’avoir été dans la société politique. L’ancienne constitution calviniste, tout en donnant au peuple un droit positif de consentement ou d’empêchement, n’avait pas été jusque-là ; et, en face d’un changement si radical, il était naturel d’éprouver quelque inquiétude. Que sortira-t-il, demandait-on, de l’application du suffrage universel au choix des membres de nos corps ecclésiastiques ? Les incrédules et les indifférents n’y prendront-ils pas la haute main ? Des intrigues locales, des inimitiés de famille, des passions de parti ne s’agiteront-elles pas autour de l’urne électorale ? Et le résultat définitif de ce nouveau mode de nomination ne sera-t-il pas plus nuisible que favorable au bien des Églises ?
Plusieurs épreuves ont été faites en 1852, 1853, 1856, et l’événement a dissipé ces craintes. Sauf quelques exceptions inévitables, les élections se sont généralement accomplies avec dignité, calme et intelligence. Les protestants ont compris, pour la plupart, qu’ils avaient à choisir, non des agitateurs, mais de bons conducteurs spirituels. Dans beaucoup de localités, une grande partie des membres des précédents consistoires a été réélue. C’était justice, puisque ces hommes avaient rendu des services réels aux troupeaux ; c’était sagesse, puisqu’ils avaient une expérience dont les Églises pouvaient encore profiter. Dans certaines paroisses, il y a eu transaction entre les positions acquises et les besoins nouveaux. A tout prendre, l’action de l’esprit religieux y a moins perdu que gagné.
D’ailleurs les consistoires et les conseils presbytéraux ayant reçu, pour ainsi parler, le baptême populaire, y ont puisé plus de force au dedans et au dehors : au dedans, pour opérer d’utiles réformes ; au dehors, pour représenter la commune opinion des protestants auprès du pouvoir civil. La Réforme française est donc entrée, par le suffrage paroissial, dans une voie nouvelle à quelques égards et meilleure.
Le décret du 26 mars a encore institué, sous le nom de conseil central, une commission ecclésiastique permanente. Nous copions les propres termes de cette institution : « Il est établi, à Paris, un conseil central des Églises réformées de France. Ce conseil représente les Églises auprès du gouvernement et du chef de l’Etat. Il est appelé à s’occuper des questions d’intérêt général dont il est chargé par l’administration ou par les Églises, et notamment à concourir à l’exécution des mesures prescrites par le présent décret. Il est composé, pour la première fois, de notables protestants nommés par le gouvernement, et des deux plus anciens pasteurs de Paris. Lorsqu’une chaire de la communion réformée vient à vaquer dans les Facultés de théologie, le conseil central recueille les votes des consistoires, et les transmet avec son avis, au ministre. » A la suite du décret, le Moniteur publiait une liste de quinze membres de cette commission : l’amiral Baudin en avait été nommé président.
Dans son exposé des motifs, le ministre des cultes dit que, depuis cinquante ans, les Églises réformées de France ont demandé, dans l’intérêt d’une bonne organisation, l’établissement d’un conseil central qui pût servir d’intermédiaire entre le gouvernement et les consistoires. Il ajoute que des commissions analogues avaient été nommées en 1819 et 1839, et qu’elles avaient produit de bons résultats.
Plusieurs questions furent agitées à propos de cet établissement qui ne correspondait à aucune des institutions de l’ancienne discipline. Il ne pouvait, évidemment, tenir la place des synodes nationaux, composés d’un égal nombre de pasteurs et de laïques, délégués par les corps ecclésiastiques secondaires, et siégeant tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, afin d’éviter toute apparence de primauté, toute prétention à la permanence. La commission du 14 mars n’offrait rien de semblable ni d’approchant. Quel est donc son vrai caractère ? disait-on de toutes parts. Quelles seront ses attributions et son autorité ? Est-ce un corps simplement consultatif ? ou bien est-ce un corps délibérant, investi d’une portion de la puissance publique ? et à quelle époque les membres de cette commission seront-ils remplacés par les mandataires des Églises mêmes ? Autant de points sur lesquels le décret gardait le silence, et qui provoquèrent de grands débats.
Le conseil central se chargea de résoudre les questions en suspens, et proposa au ministre des cultes un projet de règlement connu sous le nom d’articles additionnels. Il y réclamait le droit de délibérer sur les peines applicables aux pasteurs, chaque fois qu’elles exigeaient l’intervention du gouvernement ; de donner son avis sur les conflits d’administration entre les consistoires et les conseils presbytéraux ; de prononcer sur les questions relatives à la compétence de ces corps, et ainsi pour d’autres attributions qui auraient donné à la commission ecclésiastique du pouvoir civil une autorité judiciaire et administrative considérable.
Attaqués à la fois par les consistoires les plus influents et les plus modérés, tels que celui de Nîmes, ces articles additionnels sont restés à l’état de projet, et le ministre des cultes a résumé la discussion de la manière suivante dans la circulaire de mai 1853 : « Si les attributions du conseil central ne sont pas nettement déterminées, c’est qu’il résulte des observations présentées par les consistoires, et des renseignements recueillis par l’administration, que les Églises sont loin d’être d’accord entre elles sur ce point important. Le gouvernement entend respecter l’indécision des Eglises, alors même qu’il ne saurait la partager. Il est convaincu du reste que les attributions du conseil central sont assez largement définies dans le décret du 26 mars pour que cette institution produise, dès à présent et sans développements nouveaux, la plupart des fruits qu’on pouvait s’en promettre à l’avantage réciproque des Églises et de l’Etat. »
Il faut maintenant laisser à l’avenir le soin de montrer plus clairement l’esprit et les conséquences des nouveaux articles organiques. Si la loi fait quelque chose pour le progrès spirituel de la communion réformée, les convictions et les mœurs chrétiennes y feraient encore beaucoup plus. N’oublions pas de signaler un autre bienfait du décret du 26 mars : c’est que les protestants disséminés, qui ne sont pas assez nombreux pour constituer une paroisse avec un pasteur salarié par le budget, ont été rattachés administrativement aux consistoires les plus voisins : d’où il suit que ces corps ecclésiastiques sont légalement investis du droit de pourvoir à leurs besoins religieux par des exercices publics. Vingt-sept départements, qui ne figuraient point sur la carte de France réformée, y ont de la sorte trouvé place avec leurs petites fractions de fidèles.
Le gouvernement a augmenté le nombre des consistoires, et l’a porté à cent cinq par un arrêté du mois de novembre 1852. De nouvelles paroisses ont été créées, et le sont encore à mesure que la légitimité de leurs titres est bien établie. En général les protestants de naissance, et spécialement ceux qui continuent à faire partie des Églises reconnues, n’ont eu qu’à se louer de l’esprit de justice, de la protection et de la libéralité du pouvoir civil. Leurs corps ecclésiastiques sont toujours admis, dans les réceptions officielles, immédiatement après les membres du clergé catholique, ce qui est, aux yeux des peuples, une éclatante sanction de l’égalité des cultes proclamée sur la loi.
On ne saurait en dire de même de ceux qui, sous l’influence du prosélytisme de la communion nationale ou des congrégations indépendantes, ont embrassé les doctrines de la Réforme. Il semble que dans notre pays, autant il est permis de garder la religion de ses pères, autant il l’est peu d’y renoncer. Œuvre d’évangélisation et de colportage, écoles, chapelles, réunions périodiques d’édification, tout ce qui a été fondé par des prosélytes et pour eux, a suscité de longs et laborieux conflits. En quelques lieux, la liberté religieuse a prévalu ; en d’autres, non.
Les poursuites judiciaires, si fréquentes sous les précédents régimes, se sont incessamment renouvelées. D’un côté, l’autorité administrative et le ministère public, rendant indirectement hommage aux droits sacrés de la conscience, ont soutenu, pour légitimer leurs mesures préventives, que ces prosélytes étaient, non de vrais protestants, mais des hommes inquiets, turbulents, mal famés, qui cachaient de mauvais desseins sous le masque de la religion. D’un autre côté, leurs défenseurs se sont appliqués à prouver que les nouveaux convertis n’avaient fait qu’obéir à de saintes convictions, et que, loin d’être dangereux, ils offraient au gouvernement, par le réveil même de leur piété, de plus solides garanties de soumission et de bonnes mœurs.
Un mémorable arrêt de la Cour de Cassation, daté du 10 décembre 1853, et habituellement suivi par les tribunaux inférieurs, a décidé que les articles 291, 292, 294 du Code pénal, et la loi de 1834 sur les associations, ainsi que le décret du 24 mars 1852, qui aggrave les anciennes dispositions, sont applicables à toutes les nouvelles réunions de culte qui n’auraient pas été préalablement autorisées, lors même qu’elles seraient présidées par le pasteur d’une Église reconnue, et dans les limites de sa circonscription consistoriale. Les assemblées de moins de vingt personnes sont exposées à être poursuivies comme les autres, s’il est constaté qu’elles se rattachent à une association plus considérable, divisée en sections.
Les protestants nationaux et les indépendants ont compris leur solidarité dans cette grande cause, et adressé d’un commun accord de nombreuses requêtes à l’autorité séculière. Des réponses encourageantes leur ont été faites à plus d’une reprise, et quelques décisions récentes permettent d’espérer mieux de l’avenir ; mais la question de principe et de droit n’est pas encore vidée. Quoi qu’il en puisse être, le prosélytisme est un impérieux devoir pour toute communion chrétienne, et particulièrement pour une minorité constamment enveloppée de l’action envahissante d’une immense majorité. Si elle renonçait à s’étendre, elle reculerait, et au bout d’une période donnée se condamnerait à périr. Nul ne demandera au protestantisme français cet acte de suicide, ni ne peut l’attendre de lui.
L’opinion s’est profondément émue d’une affaire qui menaçait la liberté religieuse dans le sanctuaire même du foyer domestique. Un honorable père de famille, pour avoir passé de la communion romaine à la protestante, avait été déclaré par quelques parents réunis en conseil indigne ou incapable de présider à l’éducation de ses enfants mineurs : comme si la conversion à la foi réformée était un acte immoral, et imprimait une flétrissure incompatible avec l’exercice de la puissance paternelle ! La Cour impériale d’Orléans, de concert avec l’organe du ministère public, a fait justice de cette inqualifiable entreprise, qui blessait les principes de 1789 tout ensemble et dans leurs conséquences religieuses et dans leurs effets civils.
La controverse entre les Églises rivales s’est reproduite dans ces dernières années. On ne doit pas plus s’en étonner que s’en plaindre. Sur le pacifique terrain des idées, cette lutte est inévitable ; et pourvu qu’elle n’aille point jusqu’à la calomnie ou l’injure, elle peut servir au développement de la vie spirituelle. Il est seulement regrettable que certains adversaires de la Réforme aient employé contre elle des armes peu loyales, et se soient obstinés à la représenter comme une source de révolutions pour les Etats, de dissolution pour les familles, de dérèglement pour les individus. C’était copier, en les exagérant, les vieux sophismes de MM. de Bonald et Joseph de Maistre. C’était aussi dénoncer les protestants à la défiance des hommes du pouvoir, et l’on n’a pas même eu toujours la pudeur de s’en cacher. Heureusement les catholiques intelligents et réfléchis se sont indignés les premiers d’une pareille polémique, et c’est ce qui fait comprendre, indépendamment d’autres causes accidentelles, pourquoi les disciples de la Réforme n’y ont guère répondu. Ils avaient le droit de s’en remettre aux données du sens commun, au témoignage de l’histoire, à l’expérience des choses contemporaines, en un mot à ce qui éclaircit le mieux les questions. Qui donc aujourd’hui, sauf une poignée d’ultramontains, refuse d’admettre que le protestantisme soit aussi capable que le catholicisme, tout au moins, de donner aux sociétés humaines de l’ordre, du bien-être et des vertus ?
La communion réformée s’est attachée depuis quelque temps à recueillir avec une pieuse sollicitude les documents inédits de ses annales, et a fondé, pour y réussir, une Société de l’Histoire du protestantisme français. Il était bien désirable, en effet, d’arracher à la poussière des bibliothèques, des archives consistoriales et des collections domestiques les pièces, en trop petit nombre, qui ont échappé aux flammes des persécuteurs et aux ravages des siècles : ce sont de précieux matériaux pour la construction d’un édifice qui soit digne des glorieuses traditions de la Réforme française.
Au moment de poser la plume, nous apprenons qu’une grande lumière s’est éteinte dans l’Église : le pasteur Adolphe Monod a cessé de vivre. La profonde douleur d’une perte si récente et les souvenirs d’une longue amitié personnelle ne laissent pas à l’historien la liberté d’esprit nécessaire pour prononcer le jugement calme et définitif qu’on attendrait de lui. Qu’il nous soit permis, du moins, de déposer sur cette tombe à peine fermée l’hommage de nos respects, de notre admiration et de notre deuil. M. Adolphe Monod était deux fois le premier des pasteurs protestants de France à notre époque, et par la hauteur de son génie oratoire et par la sainteté de sa vie. Au milieu de nos agitations religieuses, chacun se tournait vers lui, comme le matelot se tourne vers un phare dans la tempête, et quand il parlait dans les heures d’incertitude et de combat, on écoutait sa parole comme la voix de la conscience chrétienne. Humble et fort, aussi jaloux de se faire oublier lui-même que d’autres le sont de se faire applaudir, dévoué sans partage à la cause de la vérité qu’il avait embrassée de toutes les puissances de son âme, parfaitement droit et intègre dans les moindres choses comme dans les plus grandes, patient jusqu’à l’héroïsme sur son lit de souffrance, et ne recueillant ses dernières forces que pour les consacrer au divin Maître qu’il a tant aimé et si fidèlement servi, il nous a rappelé mieux que personne la vénérable image des chrétiens de l’Église primitive. M. Adolphe Monod, né le 21 janvier 1802, est mort le 6 avril 1856 ; hélas ! et cette place qu’il a laissée vide, qui donc d’entre les hommes de notre génération pourra la remplir ?
Au reste, depuis la révolution de 1848, point de nom nouveau qui ait conquis une place éminente dans la chaire ou dans la littérature du protestantisme français. La théologie allemande, transplantée dans la nôtre, par fragments rares et incomplets, n’a rencontré jusqu’à présent personne qui soit parvenu à lui donner l’empreinte du génie national. Nous sommes évidemment à une époque de transition, mais la foi évangélique n’a rien à en redouter : ses principes essentiels, étant l’expression de la vérité même qui est immuable, prévaudront tôt ou tard dans la conscience du genre humain.