Les sacrifices de Dieu sont l’esprit froissé ; ô Dieu, tu ne méprises point le cœur froissé et brisé.
Ce passage serait digne d’être gravé en lettres d’or, car vous voyez ici quels sacrifices l’Esprit de Dieu établit pour toute la terre à la place des sacrifices de la Loi. Or, comme un sacrifice n’est pas sans un sacrificateur, en rejetant les sacrifices de la Loi, il abolit tout le sacerdoce lévitique, et en établit un nouveau avec de nouveaux sacrifices ; établissons donc avec David deux sacerdoces, un qu’il rejette et l’autre qu’il approuve. Le sacerdoce qu’il rejette, c’est celui qui a les sacrifices et les holocaustes établis par la Loi ; le sacerdoce qu’il approuve, c’est celui dans lequel on sacrifie non des bœufs et des bêtes, mais des cœurs humiliés et brisés ; observons et prenons bien garde à cette distinction, et croyons qu’elle n’est pas faite par David, mais par le Saint-Esprit : car nous verrons ci-après, qu’il n’y saurait avoir une plus grande consolation pour une âme que de savoir que Dieu ne demande pas des sacrifices de taureaux, et d’autres œuvres en dehors de nous (selon cette déclaration qu’il en fait ailleurs : En vain m’honorent-ils par les commandements et par les œuvres des hommes), mais que les sacrifices agréables à Dieu sont un cœur brisé et humilié.
Outre cette distinction insupportable aux Juifs que l’Esprit de Dieu fait ici, il nous donne une admirable description de Dieu, et plus pleine de consolation qu’il n’y en à jamais eu dans la parole de Dieu. Nos docteurs scolastiques définissent et décrivent Dieu par des comparaisons et des emblèmes, ils disent que c’est un centre qui est partout, et une sphère qui n’est nulle part ; mais ce sont là des descriptions et des définitions mathématiques et physiques que nous laissons à d’autres. Pour nous, nous voulons chercher des descriptions théologiques de Dieu, qui ne sont point des descriptions de son essence incompréhensible, mais des manifestations de sa volonté et de ses inclinations pour les hommes, et de ce qui lui plaît, ou qui ne lui plaît point. Ce n’est pas connaître un prince, que de savoir qu’il est riche et puissant, mais c’est quand on entre dans la connaissance de ses volontés et de ses secrets. Nous avons, il est vrai, devant nos yeux les œuvres de la création, par lesquelles nous voyons la puissance de Dieu, mais le principal est de savoir pourquoi et à quelle fin il a créé tout cela. C’est ce que ce psaume nous apprend d’une manière bien consolante, quand il nous le dépeint comme un Dieu qui n’a pour tout but dans ce qu’il fait, que d’aimer et d’avoir un œil de grâce ouvert sur les cœurs contrits, affligés et troublés, et qui se déclare pleinement le Dieu des humbles et des âmes angoissées. Celui qui comprendra bien cette définition, sera un bon théologien. Car Dieu ne peut pas être compris à l’égard de sa puissance et de sa Majesté. Mais cette description que notre psaume nous donne de Dieu, nous manifestant sa volonté, nous apprend que Dieu n’est point un Dieu qui veuille la mort, qui veuille la perdition, mais le salut des âmes ; qu’il n’est point l’ennemi des humbles et des pauvres pécheurs perdus, mais leur ami et leur secours, en un mot, que c’est un Dieu qui veut la vie, le salut, le repos, la paix, la consolation et la joie éternelle des âmes.
Le prophète donc console ici tous les pauvres cœurs affligés, en les assurant qu’on ne saurait présenter à Dieu un sacrifice qui lui soit plus agréable, que lorsqu’ils sont épouvantés et affligés, et que dans leurs craintes et leurs frayeurs, ils s’assurent que ce Dieu est un Dieu propice et favorable aux pauvres affligés. Voilà la sagesse qui surpasse toutes les autres, c’est une sagesse divine que le Saint-Esprit seul peut enseigner. Car les sentiments naturels du cœur sont ceux-ci : Je vois que j’ai péché, j’en suis affligé et rempli de douleur, ainsi j’ai un Dieu courroucé et irrité qui n’a point de grâce et de bonté pour moi. C’est ainsi que la raison, lorsqu’on ne connaît point Jésus, conclut : d’ailleurs, Satan vient aussi pousser une âme qui penche déjà de soi-même vers le désespoir et le découragement ; il vient lui représenter les exemples de colère, et lui mettre dans l’esprit et devant les yeux les menaces et les paroles que Jésus-Christ et son Esprit emploient pour frapper et pour humilier les cœurs impénitents et qui sont dans la sécurité. C’est ainsi que le mal est augmenté, et que le découragement et le désespoir s’accroissent dans l’âme. Mais que nous apprend la sagesse du Saint-Esprit ? Elle nous propose un Dieu qui ne veut point épouvanter plus fortement ceux qui le sont, ni briser davantage ceux qui sont déjà brisés, mais un Dieu qui aime des esprits froissés, affligés et humiliés, qui entend et qui écoute les voix et les gémissements des désolés.
Mais à moins que le Saint-Esprit ne nous verse dans le cœur cette divine sagesse, elle sera sans fruit quand même nous en entendrions parler. Car les cœurs naturels ne peuvent point recevoir ni comprendre cette sagesse céleste ; mais quand ils sont affligés et pressés du sentiment de leurs péchés, ils n’osent pas seulement prier ; et quoique je n’aie pas une grande expérience de ce triste état, cependant j’ai éprouvé quelquefois combien il est difficile, au moment de la lutte et du combat, de dire à Dieu : Seigneur, aide-moi, de le dire avec foi, parce que les cœurs, quand ils sont dans le sentiment de la colère de Dieu, ne voient et ne connaissent rien qui puisse les consoler, de sorte que de leur nature, ils s’enfoncent et se livrent au désespoir et au découragement.
C’est pourquoi je vous exhorte, vous qui devez être un jour des pasteurs d’âmes, lorsque vous verrez les pauvres consciences dans l’extrémité et travaillées par les dards du désespoir, à leur apprendre à se relever, et à les instruire de manière qu’elles prennent courage et qu’elles puissent commencer à espérer, parce qu’il est écrit ici que de tels cœurs, ainsi affligés et humiliés, sont des sacrifices très agréables à Dieu, et qu’il regarde avant toute autre chose ; c’est là le culte qu’il demande à tous les hommes, et c’est pour les obliger à lui rendre ce culte d’un cœur froissé, qu’il envoie les pestes, les famines, les guerres, et toutes sortes d’autres fléaux, afin que sentant l’affliction et étant humiliés sous sa main, nous espérions en son secours. Car il frappe afin de nous convertir, mais nous, nous regardons ces coups et nous les recevons comme des choses qui nous éloignent de lui et qui nous font fuir de devant lui : il nous afflige afin que nous disions par expérience avec David : Le sacrifice de Dieu, c’est un esprit froissé. Mais nous, ou nous courons dans un couvent, comme chez les Papistes, ou nous cherchons quelqu’autre moyen de nous guérir et de nous soutenir : c’est ce que le Prophète Esaïe dit : Et ce peuple ne s’est point retourné vers celui qui le frappait. Voici la disposition générale de la raison : Quand elle est destituée de la parole et de l’Esprit de Dieu, elle fuit de devant Dieu, comme Pierre qui voulait que Jésus-Christ se retirât de lui ; sans doute s’il avait été proche du rivage, il se serait jeté dans la mer, pour éviter la présence de Jésus ; et cependant Jésus enseigne la même chose que notre psaume ici, savoir qu’un esprit froissé est agréable à Dieu, c’est pourquoi il rassure Pierre et lui dit de ne point craindre.
Vous voyez donc bien que notre théologie n’est pas pour les pécheurs endurcis et impénitents, qui sont sans sentiment de leurs péchés, ceux-là n’entendent rien et ne savent rien de ces choses spirituelles et divines, au contraire ils les persécutent tous, tant les Princes et les Magistrats que les Docteurs et les gens d’Église. Mais cotte doctrine et cette théologie sont pour les âmes affligées, misérables, qui combattent contre le désespoir, afin de les consoler et de les fortifier ; ce sont ces âmes-là qui sont languissantes et malades, et qui par conséquent ont besoin d’un médecin et d’un médecin qui leur dise et qui leur fasse sentir que leur maladie n’est point à la mort, mais qu’au contraire, c’est un agréable sacrifice à Dieu. C’est cette médecine qui adoucit les douleurs inexprimables que ces âmes-là sentent ; il n’y a point d’autres remèdes ; mais le monde aveugle et nos adversaires, parce qu’ils ne comprennent rien à ces choses, s’en moquent et les regardent comme des folies, pourtant le Saint-Esprit en juge bien autrement ; il nous dit que c’est la vraie sagesse divine, que d’espérer la miséricorde dans ses plus grandes angoisses et dans ses plus grands combats contre le désespoir, et qu’au contraire lorsque nous sentons nos cœurs présomptueux et fissurés, nous devons alors le plus craindre. C’est ce culte-là que le Prophète estime plus que tous les sacrifices, et il nous invite, quand nous voudrons offrir à Dieu un sacrifice qui lui soit agréable, à ne point chercher des hécatombes et des holocaustes, mais à chanter par expérience cet hymne du Saint-Esprit : Les sacrifices de Dieu sont un cœur froissé, afin que nous croyions et que nous nous assurions que nos tristesses nos afflictions et nos douleurs sont agréables à Dieu, et que nous nous confions en sa miséricorde.
Ô Dieu, tu ne méprises point un cœur froissé et brisé, ajoute le Prophète ; il dit brisé, non simplement par une manière de parler, mais véritablement, comme réduit à petits morceaux, et comme menuisé et prêt d’expirer dans le sentiment de son désespoir ; c’est un tel cœur, dit-il, ô Dieu, que tu ne méprises point comme notre raison nous le veut faire croire, mais tu le reçois et le regardes avec plaisir. Vous voyez aussi que notre théologie est une parole de vie et de justice, parce qu’elle combat, et qu’elle relève et soutient une âme contre le péché et contre la mort, et elle ne peut être expérimentée que dans le péché et dans le sentiment de ses infirmités.
C’est aussi une parole de joie et d’allégresse dont on ne saurait exprimer la force, ni expérimenter l’efficace, à moins qu’on ne le fasse dans la tristesse et dans l’affliction. Mais nous autres hommes, nous voudrions bien éprouver la joie, et la vie nous ne voudrions point être exposés aux tentations de mort, de péché et aux tristesses spirituelles : voilà comment nous sommes de bons et de braves théologiens.
Il nous faut donc apprendre et savoir qu’un chrétien doit être exposé et se trouver comme au milieu des courants et des flots de la mort, au milieu des remords et des frayeurs de sa conscience, et même au milieu de l’Enfer et entre les dents du Démon, et que pourtant dans cet état-là, il faut qu’il retienne la parole de grâce et de vie, et qu’il puisse dire alors : « Toi Seigneur, tu m’es pourtant favorable, parce qu’il est écrit, qu’il n’est point de sacrifice qui te soit plus agréable qu’un cœur froissé, et que le sacerdoce qui est véritablement reçu de toi, c’est celui par lequel des cœurs contrits et humiliés te sont offerts. » Le Pape, quand il offre son sacrifice de la Messe dans une pompe plus que royale, est une puanteur aux narines de Dieu, et lui est en abomination ; tandis qu’un pauvre pécheur qui lui dit en frappant sa poitrine : Seigneur, sois apaisé envers moi, comme le péager pénitent (Luc ch. 18), lui est agréable et recevable. C’est une telle âme qui est devant Dieu un vrai Pape, un véritable sacrificateur, agréable à Dieu et qui offre des sacrifices auxquels il prend plaisir, qui sont un esprit froissé, brisé, et qui pourtant espère en ces miséricordes.
Nous avons donc dans ce verset une définition et une description de Dieu qui est toute pleine de consolation, savoir que Dieu est un Dieu qui aime les affligés, qui a pitié des âmes humiliées, qui pardonne à ceux qui sont tombés et qui supporte les faibles et les infirmes. Peut-on donner une idée de Dieu plus douce et plus consolante ? Dieu étant en effet tel, nous en possédons autant que nous avons de foi ; ensuite ce verset rejette absolument tous les autres cultes et nous ramène à la seule confiance en la miséricorde de Dieu, et veut que nous croyons que Dieu nous est favorable, dans le temps qu’il nous semble que nous sommes les plus abandonnés et les plus misérables ; comme quand Nathan dit à David : Tu es cet homme digne de mort, David s’humilia et présenta à Dieu ce sacrifice d’un cœur froissé ; ensuite quand il entendit cette parole : Tu ne mourras point, il obtint le but et la fin de son sacrifice, car au milieu de la colère il espère la miséricorde ; au milieu du sentiment de la mort, il conçoit des espérances de vie. C’est de cette expérience qu’a faite David que vient cet excellent verset dans lequel il nous enseigne quel est le sacrifice agréable à Dieu, qui est d’espérer la grâce et la vie, au milieu même de la mort et de la colère de Dieu. C’est ici une théologie qui ne s’apprend que par l’expérience ; sans expérience, jamais on ne pourra comprendre, comment les pauvres en esprit sont alors les plus avancés en la grâce de Dieu, lorsqu’ils sentent le plus la colère de Dieu, afin qu’ils conservent de l’espérance au milieu du désespoir, et qu’ainsi quand ils croient être en assurance, ils demeurent pourtant en crainte devant Dieu, comme l’Écriture dit en un autre endroit, que le bon plaisir de Dieu est en ceux qui le craignent et sur ceux qui espèrent en sa miséricorde (Psaumes 145.18). Ainsi, selon ce passage Dieu n’est autre chose qu’amour et que faveur, mais envers les humbles et les affligés. Il faut aussi remarquer l’antithèse et la négative de ce verset ; si les sacrifices de Dieu sont un esprit froissé, si un tel cœur lui est agréable, il veut par là condamner tout désespoir comme une souveraine impiété, car il veut qu’on supporte l’affliction et la tentation avec foi et qu’on ne se laisse point aller au désespoir. Car c’est un même péché de présumer de sa propre justice, ou de désespérer à cause de son indignité. Il faut tenir le milieu, autrement, d’un sacrifice agréable à Dieu, on fait une abomination. Que le sacrifice demeure donc un sacrifice et qu’il ne soit point tourné en ruine et en perdition, s’il allait jusqu’au désespoir et au découragement. Supportons donc ainsi la croix et les afflictions afin que nous ne tombions pas dans le désespoir et que nous ne soyons pas abîmés par une trop grande tristesse, car ce serait là ravir la gloire de sa divinité qu’il manifeste si glorieusement dans la grandeur de sa miséricorde. 11 est vrai qu’on dit et qu’on enseigne ces choses ici tous les jours, mais quand il s’agit de la pratique, la plus grande partie n’en font rien. Mais, comme des soldats paresseux, au premier choc de la tentation, nous quittons nos rangs ; au lieu qu’il faudrait demeurer fermes dans la confiance en la miséricorde de Dieu, dans le temps qu’on est le plus opprimé et pressé par la douleur, pour parachever cet aimable sacrifice, que le Saint-Esprit nous recommande tant. Car ce verset est écrit pour les faibles et les affligés, afin qu’ils ne quittent pas leurs rangs. Or il n’y a personne qui soit maître dans cet art, mais nous y demeurerons toujours des écoliers et des apprentis, comme Saint-Paul disait : Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu, ou que je sois déjà rendu accompli, mais je poursuis ma course, etc.