La Légende dorée

LXXXI
SAINT BASILE, ÉVÊQUE ET DOCTEUR

(14 ;juin)

I. Saint Basile, dont la vie a été écrite par Amphiloque, évêque d’Icône, était un évêque vénérable et un éminent docteur ; et à quel degré de sainteté il s’était élevé, c’est ce que put apprendre, dans une vision, certain ermite nommé Éphrem. Cet Éphrem, étant en extase, vit une colonne de feu dont le sommet touchait au ciel, et il entendit, une voix qui disait, d’en haut : « Basile est grand comme cette colonne ! » L’ermite se rendit donc à la ville, le jour de l’Épiphanie, désireux de connaître un si grand homme. Mais, en voyant l’évêque revêtu de l’étole blanche et occupé à officier au milieu de la troupe de son clergé, il se dit : « Sans doute je me serai dérangé en vain, car, pour vivre entouré de tels honneurs, cet homme n’est certainement pas le saint que je pensais. Je ne puis croire qu’un homme qui vit entouré de tels honneurs soit regardé au ciel comme une colonne de feu, de préférence à nous, qui portons le poids des saisons dans nos ermitages ! » Mais Basile, devinant sa pensée, le fit venir en sa présence ; et Éphrem vit alors qu’une langue de feu était dans sa bouche, et il lui dit : « Oui, Basile, tu es vraiment grand, oui, Basile, tu es vraiment une colonne de feu, et c’est vraiment l’Esprit-Saint qui parle par ta bouche ! » Et il dit encore à l’évêque : « Je t’en prie, saint père, obtiens pour moi que je parle grec ! » Et Basile : « Quelle étrange chose tu souhaites là ! » Mais il pria pour lui, et aussitôt Éphrem sut parler la langue grecque.

II. Un autre ermite, voyant Basile officier dans son église en habit pontifical, le méprisa, car il s’imaginait que cette pompe plaisait à l’évêque. Mais voici qu’il entendit une voix qui lui disait : « Tu prends plus de plaisir à caresser le dos de ta chatte, dans ton ermitage, que Basile n’en prend à vivre dans l’appareil de sa dignité ! »

III. L’empereur Valens, qui favorisait les ariens, leur donna une église qu’il enleva aux catholiques. Alors Basile vint le trouver et lui dit : « Sire, il est écrit que l’honneur du roi aime la justice. Pourquoi donc as-tu consenti à ce que les catholiques fussent dépouillés de leur église au profit des ariens ? » Et l’empereur : « Voici de nouveau que tu viens m’injurier, Basile ! cela n’est pas digne de toi ! » Mais Basile : « Il est digne de moi de mourir même, au besoin, pour la justice ! » Alors Démosthène, préfet de la table impériale et partisan des ariens, se mit à l’invectiver. Et Basile lui dit : « Mon ami, ton affaire est de faire cuire les poulets de l’empereur, et non pas de faire cuire les dogmes divins ! » Sur quoi le garde-bouche se tut, plein de confusion. Et l’empereur dit : « Basile, va et sois arbitre entre les deux partis, mais ne te laisse pas entraîner par ton amour excessif du peuple ! » Alors Basile se rendit à l’endroit où catholiques et ariens était rassemblés, fit fermer les portes de l’église, et ordonna à chacun des deux partis de les sceller de son sceau, ajoutant que l’église devrait appartenir au parti qui, par ses prières, parviendrait à l’ouvrir. Sur quoi, tous s’étant mis d’accord, les ariens prièrent durant trois jours et trois nuits, et vinrent ensuite voir les portes de l’église ; mais celles-ci restaient fermées. Alors Basile conduisit son clergé en procession jusqu’à l’église ; et là, après avoir prié, du bout de son bâton pastoral il toucha les portes, en leur enjoignant de s’ouvrir. Et aussitôt les portes s’ouvrirent ; et l’église fut restituée aux catholiques.

IV. L’Histoire tripartite raconte que l’empereur promit de grandes récompenses à Basile s’il voulait se convertir à l’arianisme. Mais l’évêque : « Seul un enfant pourrait se rendre à de telles raisons ; car, pour peu qu’on ait pratiqué les sciences divines, on sait que les dogmes de la foi ne souffrent pas qu’on altère la moindre de leurs syllabes ! » Alors l’empereur voulut écrire la sentence d’exil de l’évêque ; mais, à trois reprises, la plume se brisa entre ses doigts ; et, à la troisième reprise, sa main fut saisie d’un grand tremblement ; et l’empereur, honteux de lui-même, renonça à son projet.

V. Un saint homme nommé Héradius avait une fille unique, qu’il voulait consacrer au Seigneur. Mais le diable, dans sa haine du genre humain, enflamma d’un grand amour pour la jeune fille un des esclaves du susdit Héradius. Et l’esclave, voyant que c’était chose impossible pour lui d’être admis à partager la couche d’une si noble jeune fille, vint trouver un sorcier et lui promit beaucoup d’argent s’il voulait l’aider. Et le sorcier lui dit : « Je ne puis rien pour toi ; mais, si tu veux, je t’enverrai vers le diable, mon maître ; et si tu fais ce qu’il te dira, tu obtiendras ton désir. » Et le jeune homme dit : « Je suis prêt à tout pour avoir cette jeune fille ! » Alors le sorcier l’envoya vers le diable avec une lettre, en lui disant : « Rends-toi, à l’heure de minuit, sur le tombeau d’un païen, et, là, invoque les démons en élevant en l’air la lettre que voici ! » Le jeune homme fit tout cela, et bientôt il vit apparaître le prince des ténèbres, entouré d’une foule de démons ; et Satan, ayant lu la lettre, lui dit : « Crois-tu en moi, toi qui veux que j’accomplisse ta volonté ? » L’esclave répondit : « Seigneur, je crois en toi ! » Et le diable : « Et renies-tu ton ancien maître le Christ ? » Et l’esclave : « Je le renie ! » Mais le diable lui dit : « C’est que vous autres, les chrétiens, vous êtes des perfides ! Quand vous avez besoin de moi, vous venez à moi ; et, quand ensuite vous avez obtenu ce que vous désiriez, aussitôt vous me reniez de nouveau pour vous retourner vers votre Christ, qui, avec son indulgence ordinaire, ne manque jamais à vous accueillir. Mais toi, si tu veux que j’accomplisse ton désir, tu auras à m’écrire de ta propre main un papier où tu reconnaîtras que tu renonces au Christ, au baptême, et à la foi chrétienne, pour devenir mon serviteur. » L’esclave écrivit aussitôt le papier et le donna au diable. Alors celui-ci manda devant lui ceux de ses dénions qui étaient préposés à la luxure : il leur ordonna de s’approcher de la fille d’Héradius et de lui inspirer l’amour du jeune esclave. Et les démons y réussirent si bien que la jeune fille, se roulant à terre, suppliait son père d’une voix lamentable : « Aie pitié de moi, père, aie pitié de moi, car je souffre cruellement à cause de l’amour que j’éprouve pour un de nos esclaves ! Montre-moi ta tendresse paternelle, et permets-moi de m’unir à ce jeune homme, que j’aime ! Et, si tu t’y refuses, bientôt tu me verras mourir, et tu en seras responsable au jour du jugement ! » Le père était désolé. Il disait : « Malheureux que je suis ! Qu’est-il arrivé à ma pauvre fille ? Qui m’a dérobé mon trésor ? Qui a éteint la douce lumière de mes yeux ? Ma fille, je voulais te donner pour femme à l’époux céleste, et j’espérais avoir ainsi mon salut grâce à toi ! Et toi, voici que la luxure amoureuse t’a rendue folle ! Permets-moi, ma chère fille, de t’unir au Seigneur suivant mon projet ! » Mais la jeune fille continuait à crier que, si son père n’accomplissait pas son désir, elle mourrait de chagrin. Et elle pleurait amèrement, et délirait, de telle sorte que son père, désespéré, sur le conseil de ses amis, céda à son désir et la maria avec l’esclave, après lui avoir légué tous ses biens. Mais bientôt des voisins dirent à la jeune femme que son mari n’entrait jamais à l’église, ne faisait jamais le signe de la croix, ne priait jamais, et, sans doute, n’était pas chrétien. La jeune femme, entendant cela, fut épouvantée. Elle rapporta la chose à son mari ; et, comme celui-ci affectait de ne point prendre au sérieux ces accusations, elle lui dit : « Si tu veux que je te croie, tu entreras demain à l’église avec moi ! » Alors le mari, ne pouvant pas dissimuler davantage, lui raconta toute son aventure, dont elle fut bouleversée ; et, tout en larmes, elle courut raconter à saint Basile ce qui était arrivé à son mari et à elle.

Alors le saint fit venir le mari, lui fit tout avouer, et lui dit : « Cher fils, veux-tu revenir à Dieu ? » Et le jeune homme : « Ah ! mon père, je le voudrais de tout mon cœur, mais je ne le puis, car je me suis livré au diable, et ai renié le Christ, et ai donné au diable un papier où j’ai écrit mon reniement, de ma propre main ! » Et Basile : « Ne t’en fais point de souci ! Jésus est bon : il t’admettra à faire pénitence ! » Puis, s’approchant du jeune homme, il lui fit au front le signe de la croix, et l’enferma dans une cellule, où il revint le voir trois jours après. Et il lui demanda comment il se trouvait. Et le jeune homme : « Seigneur, je suis bien en peine, car les diables, tenant en main mon papier, m’invectivent jour et nuit en me disant : C’est toi qui es venu nous trouver, et non pas nous qui sommes allés te chercher ! » Alors saint Basile lui dit : « Mon fils, ne crains rien, mais aie seulement la foi ! » Puis il lui donna un peu de nourriture, fit de nouveau sur lui le signe de la croix, l’enferma de nouveau, et pria pour lui. Revenant le voir, quelques jours après, il lui demanda comment il se trouvait. Le jeune homme répondit : « Mon père, j’entends toujours leurs cris et leurs reproches, mais du moins je ne les vois plus ! » Et de nouveau l’évêque lui donna de la nourriture, fit sur lui le signe de la croix, l’enferma, et pria pour lui. Le quarantième jour, il lui demanda une troisième fois comment il se trouvait. Et le jeune homme : « Je me trouve très bien, mon saint père, car aujourd’hui je t’ai vu, en rêve, combattant pour moi et vainquant le diable ! »

Alors Basile le fit sortir de sa cellule, le recommanda aux prières de son clergé, des moines et du peuple ; puis, le prenant par la main, il le conduisit vers l’église. Or le diable, avec la troupe des démons, accourut, et, tout en restant invisibles, ils saisirent le jeune homme et s’efforcèrent de l’arracher des mains de l’évêque. Et Satan, toujours invisible, disait, d’une voix si haute que chacun pouvait l’entendre : « Basile, tu me fais tort ! Cet homme m’appartient ! Et ce n’est pas moi qui suis allé le chercher : il est venu à moi de son plein gré, s’est offert à moi et a renié le Christ. J’ai là, dans ma main, l’écrit qu’il m’a signé ! » Mais Basile lui répondit : « Nous ne cesserons pas de prier, jusqu’à ce que tu nous aies rendu cet écrit ! » Et comme Basile priait, les mains levées au ciel, voici qu’une feuille de papier, traversant les airs, tomba dans ses mains au vu de tous. Et Basile la montra au jeune homme, en lui disant : « Frère, reconnais-tu cette écriture ? » Et le jeune homme : « Certes, car elle vient de ma propre main ! » Alors Basile, après avoir déchiré le papier, fit entrer le jeune homme dans l’église, l’initia aux saints mystères, lui imposa une règle de vie, et le rendit à sa femme.

VI. Certaine femme qui avait sur la conscience beaucoup de péchés, en avait écrit la liste ; et comme, un jour, elle avait commis un péché plus grave que tous les autres, elle l’inscrivit aussi dans sa liste ; après quoi elle remit sa liste à saint Basile en lui demandant de prier pour que ses péchés lui fussent remis. Le saint pria, et la femme, rouvrant le papier, vit que tous ses péchés étaient effacés de la liste, à l’exception du plus grave d’entre eux. Elle dit alors au saint : « Aie pitié de moi, et obtiens la miséricorde de Dieu pour ce péché-là, comme tu l’as obtenue pour tous les autres ! » Et Basile lui dit : « Hélas, ma sœur, je ne suis qu’un pécheur comme toi, et j’ai moi-même besoin d’indulgence, au moins autant que toi ! » Mais comme la femme insistait, il lui dit : « Va trouver le saint ermite Éphrem ! Celui-là, sans doute, pourra obtenir ce que tu demandes. » Et la femme alla à l’ermite Éphrem, et lui dit pourquoi Basile l’envoyait à lui. Mais l’ermite répondit : « Hélas, ma fille, je ne suis qu’un pauvre pécheur ! Retourne vers Basile ! Il a déjà obtenu pour toi le pardon de tes autres péchés : il obtiendra bien encore le pardon de celui-là ! Mais hâte-toi, si tu veux le trouver en vie ! » Et, au moment où la femme rentrait en ville, voici qu’on portait au cimetière le corps du saint. Alors la femme s’écria : « Que Dieu nous voie et qu’il juge entre moi et toi, car tu m’as envoyée vers un homme qui ne pouvait rien pour moi, tandis que tu avais toi-même le pouvoir de me gagner le pardon du ciel ! » Alors elle jeta sur le cercueil le papier où était écrit son péché ; et quand on reprit le papier, on vit que le dernier péché avait été effacé, comme tous les autres.

VII. Au moment où il sentait qu’il allait mourir, saint Basile appela près de lui un savant médecin juif nommé Joseph, qu’il aimait beaucoup, et qu’il aurait voulu convertir à la foi du Christ. Et Joseph, lui ayant tâté le pouls, reconnut que l’heure de mourir était venue pour lui. Il dit donc aux serviteurs de l’évêque : « Préparez ce qui est nécessaire à sa sépulture, car il va mourir d’un instant à l’autre ! » Mais Basile, l’ayant entendu, lui dit : « Tu ne sais pas ce que tu dis ! » Et Joseph : « Seigneur, je ne me trompe pas ! Bientôt le soleil va se coucher, et toi aussi tu t’éteindras avec le soleil. » Alors Basile : « Et que diras-tu si je ne meurs pas aujourd’hui ? » Et Joseph : « Seigneur, c’est impossible ! » Et Basile : « Mais si cependant, je survis jusqu’à la sixième heure de demain, que feras-tu ? » Et Joseph : « Si tu survis jusqu’à cette heure-là, je consens moi-même à mourir ! » Et Basile : « Consens seulement à mourir au péché, pour vivre dans le Christ ! » Et Joseph : « Seigneur, je comprends ce que tu veux dire : et si tu survis jusqu’à la sixième heure de demain, je ferai ce que tu m’engages à faire ! » Alors saint Basile, qui, suivant la nature, devait mourir en ce jour, obtint de Dieu que la mort l’épargnât jusqu’au lendemain. Et Joseph, voyant qu’il ne mourait pas, en fut émerveillé, et crut au Christ. Sur quoi Basile, trouvant dans son âme la force de vaincre la faiblesse de son corps, se leva de son lit, entra dans l’église, et baptisa Joseph de sa propre main ; puis il revint s’étendre sur son lit, et aussitôt rendit doucement son âme à Dieu. Ce grand saint florissait vers l’an du Seigneur 370.

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