« Mais il fallait que nous fussions joués nous-mêmes comme les autres ; il ne fallait pas que nous pussions nous vanter d’avoir échappé à la maladie commune, afin que nous eussions à exposer publiquement la sagesse dont nous avons fait provision en Asie auprès de toi, grand Apollon Clarius. Il existe dans le pays de Trachinie un jardin d’Hercule où tout est dans une perpétuelle végétation. On y cueille tous les jours, et jamais il ne s’épuise, fertilisé qu’il est par une source intarissable. A la nouvelle de ce phénomène, insensé que j’étais ! je m’imaginai, inspiré sans doute par Hercule et aussi trompé peut-être par le nom de Trachinie, que ce qui entretenait la perpétuelle verdure de ce jardin d’Hercule, était une certaine humidité dont parle Hésiode : et ce jardin, toujours vert, me fit rêver une vie douce et aisée. Je m’informai si les dieux viendraient à mon aide, et un homme (du peuple) me garantit par serment leur assistance ; car il se souvenait, disait-il, d’avoir entendu dire que tu avais fait cette faveur à un marchand du Pont, nommé Callistrate. Tu comprends quelle fut mon indignation en apprenant que j’avais été prévenu par un autre dans la possession de ce trésor. Dans ma douleur, je voulus savoir si réellement ce marchand avait reçu d’Hercule quelque faveur signalée ; et je vis que cet homme n’était pas entièrement exempt de peine, qu’il était possédé de l’amour du gain, espérant y trouver la source d’une vie plus douce. Cet état du marchand m’apprit que, moi aussi, je ne devais compter ni sur l’oracle ni sur Hercule, et je ne voulus plus être de ceux dont les travaux présents étaient bien réels, mais dont les jouissances futures n’étaient qu’en espérance. Mais du reste, il n’est pas de voleur, ni de soldat, ni d’amant, ni d’amante, ni de flatteur, ni de rhéteur, ni de sycophante, qui n’ait son oracle ; car, dans la passion qui le possède chacun prend toujours pour du malheur son état présent, et en espoir un meilleur pour l’avenir. »
A la suite de ce récit, notre auteur ajoute qu’ayant eu occasion de s’adresser une seconde et une troisième fois à ces admirables oracles, il a pu se convaincre que toute leur science et toute leur habileté consistaient à cacher leur ignorance sous des expressions obscures.