1.[1] Cependant la jalousie et la haine de Saül furent excitées contre David. Les femmes, accourues au devant de l’armée victorieuse avec des cymbales, des tambourins et toute sorte de sigles de réjouissance, disaient dans leurs chants que Saül avait tué les Philistins par milliers, et les jeunes filles[2] disaient que David les avait anéantis par dizaines de milliers. Le roi, en entendant ces chants, qui lui réservaient la moindre part de gloire et qui attribuaient le plus gros chiffre au jeune homme, pensa qu’après ces brillantes acclamations il ne manquait plus à celui-ci que la royauté ; il commença dès lors à redouter David et à le tenir en suspicion. Alors, comme dans sa peur il lui semblait que David était trop proche de sa personne — car il avait fait de lui son écuyer — il lui enlève sa première fonction et le nomme chiliarque[3], emploi plus considérable, mais, pensait-il, plus dangereux ; il se proposait, en effet, de l’envoyer contre l’ennemi et a la bataille, pour l’exposer à la mort.
[1] I Samuel, XVIII, 6. Josèphe observe ici encore le même ordre que les LXX (Vaticanus), où l’épisode des femmes célébrant la victoire de Saül et David suit immédiatement la défaite de Goliath.
[2] La Bible ne distingue pas entre les acclamations des femmes et celles des jeunes filles.
[3] I Samuel, XVIII, 13.
2. Mais comme Dieu n’abandonnait jamais David partout ou il allait, celui-ci rencontrait le succès et on le voyait réussir dans toutes ses entreprises, si bien que, devant ses prodiges de valeur, tout le peuple ainsi que la fille même de Saül[4], vierge encore, se prirent pour lui d’amour ; la passion de la jeune fille, qui dépassait toutes les bornes, se trahit et fut dénoncée à son père. Celui-ci, saisissant cette occasion de perdre David, apprit la chose avec joie, et déclara a ceux qui lui en parlèrent qu’il donnerait de grand cœur sa fille à David, puisque cet amour, accueilli par lui, l’entraînerait à des dangers et à sa perte : « car, dit-il, je lui accorde la main de ma fille à condition qu’il me rapporte les têtes de six cents ennemis[5]. Devant l’offre d’une si brillante récompense, avide de se couvrir de gloire par un exploit extraordinaire et périlleux, il courra l’accomplir, mais il sera tué par les Philistins, et ainsi mes vœux seront exaucés le mieux du monde : je serai débarrassé de David, mais c’est la main des autres, non la mienne, qui l’aura immolé. » Il ordonne donc à ses serviteurs de sonder les sentiments de David, touchant ce mariage. Ceux-ci engagèrent l’entretien en lui disant que Saül l’aimait, ainsi que le peuple tout entier, et voulait unir sa fille avec lui. Mais David : « Est-ce donc si peu de chose à vos yeux, dit-il, que de devenir gendre du roi ? Je ne suis pas de ce sentiment, moi, surtout dans mon humble condition, n’ayant ni éclat ni rang. » Quand les serviteurs lui eurent rapporté la réponse de David, Saül leur dit : « Informez-le que je ne demande ni richesses, ni présents, — ce serait vendre ma fille et non la donner, — ce que je veux, c’est un gendre plein de courage et de toutes les autres vertus que j’aperçois en lui ; par conséquent, je ne veux obtenir de lui, en retour de ce mariage, ni or ni argent, ni tout ce qu’il pourrait m’apporter de la maison de son père[6], mais seulement le châtiment des Philistins et les têtes de six cents d’entre eux. Car, pour moi-même, je ne puis souhaiter de présent plus désirable, plus magnifique ni plus précieux, et ma fille aimera bien mieux, au lieu des cadeaux d’usage, la joie de vivre avec un tel homme, dont la seule présence lui rappellera la défaite de nos ennemis. »
[4] Il s’agit de Mikhal (v. § 3). Josèphe omet l’épisode de Mérab, fille aînée de Saül (ibid., 17), qui, destinée à David, est donnée à Adriel de Mehola.
[5] Dans la Bible, cent prépuces de Philistins.
[6] συδ õπως ταΰτα des mss. n’a guère de sens. Peut-être όπωστιούν.
3.[7] Ces paroles ayant été rapportées à David, celui-ci, joyeux de l’empressement que mettait Saül à le compter dans sa famille, sans s’arrêter à délibérer, sans calculer si l’entreprise proposée était facile ou ardue, partit sur-le-champ avec ses compagnons contre les ennemis pour accomplir une tâche couronnée d’un si beau prix. Grâce à Dieu, qui rendait tout possible et aisé à David, il tue un grand nombre de Philistins, en décapite six cents, et revient chez le roi, apportant ces têtes, et demandant la fiancée promise en récompense. Saül trouva impossible de se dérober à ses promesses, parce qu’il lui aurait été honteux de paraître avoir menti ou offert ce mariage comme un piège pour faire périr David dans une entreprise impossible ; il lui accorde donc sa fille, nommée Michal (Melcha)[8].
[7] I Samuel, XVIII, 26.
[8] Hébreu : Mikhal ; Μιχάλα. La forme Melchoné (S. P.) répond à la transcription des LXX : Μελχόλ.