Le mercredi 5 juin, veille du jour fixé pour la réunion du Synode, M. le pasteur Babut, de Nîmes, prêcha, dans le temple de l'Oratoire, le sermon d’ouverture.
Le lendemain, à midi, dans le temple du Saint-Esprit, s’ouvrait la première séance du Synode, sous la présidence provisoire de M. le pasteur Emilien Frossard, le plus âgé des pasteurs présents. Cette première séance fut consacrée tout entière à la vérification des pouvoirs. L’assemblée se partagea en sept bureaux, qui se retirèrent dans leurs salles respectives pour examiner les procès-verbaux des élections. Ces élections furent toutes validées.
Dans la séance du lendemain, le synode nomma son bureau : un président, — qui prit le nom de modérateur porté autrefois par les présidents de nos anciens synodes ; deux vice-présidents, et six secrétaires. Chacune des deux fractions de l’Église représentées au synode avait son candidat à la présidence, et le vote fut une première et naturelle occasion de se compter. M. le pasteur Bastie, de Bergerac, candidat des orthodoxes, fut élu contre M. le pasteur Viguié, président du Consistoire de Nîmes, candidat des libéraux, à une majorité de onze voix, c’est-à-dire par 56 suffrages contre 45, sur 101 votants.
[Parmi les membres de la gauche, se trouvaient les représentants le plus avancés de l’opinion libérale : MM. Athanase et Etienne Coquerel, Colani, Pécaut, Jules Steeg, etc. On remarquait sur les bancs de la droite, MM. Guizot, Mettetal, de Chabeaud-Latour ; MM. les pasteurs Babut, Bastie, Dhombres ; Delmas, Vaurigaud, et M. le professeur Bois.]
Nos lecteurs n’attendent pas de nous que nous racontions en détail, et séance après séance, les travaux du Synode. Nous les renvoyons aux Procès-verbaux du Synode qui viennent d’êtres publiés, et à l’intéressant ouvrage de M. le pasteur Bersier[a]. Il nous suffira d’indiquer la physionomie générale des débats et les principales résolutions prises par l’assemblée.
[a] Histoire du Synode général de l’Église réformée de France. Paris, juin, juillet 1872, par Eugène Bersier. 2 vol. in-8°. Paris, Sandoz et Fischbacher, 1872.
Trois sortes de questions furent abordées tour à tour :
La première question fut soulevée au commencement de la troisième séance par une proposition signée de M. Bordier et d’une quarantaine de membres de la gauche. Les signataires de cette proposition, s’appropriant une déclaration récemment votée par le Consistoire de Lyon, contestaient la légalité et la compétence du Synode. Ils trouvaient également « vicieux la manière dont les consistoires avaient été groupés pour former les synodes particuliers, et le mode de votation institué dans ces dernières assemblées pour choisir les délégués au Synode général. » Le Synode actuel, n’étant pas à leurs yeux la représentation vraie de l’Église, manquait de l’autorité nécessaire pour trancher les grandes questions pendantes. Il ne devait s’occuper, officiellement du moins, que du remaniement des circonscriptions synodales, et du meilleur mode de répartition des suffrages en vue de la réunion plus ou moins prochaine d’un nouveau Synode général. Sur toute autre question ses décisions ne pouvaient avoir qu’un caractère officieux et consultatif. Enfin les signataires « protestaient d’avance contre toute tentative que le Synode pourrait faire de scinder en deux ou plusieurs fractions l’Église réformée de France, par exemple en édictant une confession de foi obligatoire et exclusive. »
La discussion de cette proposition, qui mettait en cause l’existence même du Synode et la validité de ses décisions ultérieures, remplit plus de trois séances.
Les orateurs qui vinrent défendre à la tribune les opinions de la gauche invoquaient contre la légalité du Synode le silence de la loi de germinal qui ne reconnaissait que des synodes d’arrondissement. Il faudrait, disaient-ils, une loi nouvelle pour instituer un Synode général ; car une loi ne peut être modifiée que par une autre loi. Pour établir l’incompétence de l’assemblée actuelle, ils insistaient sur ce fait qu’elle n’était pas, grâce au mode essentiellement vicieux d’élection qui avait été suivi, la représentation exacte de l’Église. Un grand nombre de consistoires, disaient-ils, n’étaient pas représentés au Synode. Certains consistoires, comprenant une population protestante très considérable, n’avaient pas envoyé au Synode plus de délégués que certains autres qui représentaient une population trois ou quatre fois moindre.
M. Laurens, de Saverdun, dans un discours qui révélait une connaissance très approfondie du sujet, réfuta d’une manière victorieuse cette double argumentation.
En ce qui concerne la légalité du Synode et la loi du 18 germinal, l’orateur faisait remarquer que l’Église réformée de France préexistait à la loi de l’an X, qu’au moment où le Premier Consul traita avec elle, elle avait son organisation et sa discipline, et que cette discipline instituait non seulement des colloques et des synodes provinciaux, auxquels correspondaient, dans la loi de germinal, les consistoires et les synodes d’arrondissement, mais aussi des conseils de paroisses, appelés consistoires, et un synode général, représentation suprême de l’Église. La loi de germinal, continuait-il, reconnaît l’existence de cette discipline, puisqu’après l’avoir visée dans son préambule, elle interdit d’y apporter aucune modification sans l’autorisation du gouvernement, et charge les consistoires de veiller à ce qu’elle soit maintenue (Art. VI et art. XX). Le silence gardé par la loi sur les conseils de paroisse et sur le Synode général n’entraîne en aucune façon la suppression définitive de ces deux éléments si essentiels de l’ancienne organisation des Églises réformées. Le silence de la loi, en effet, peut être considéré comme la suspension de l’exercice d’un droit, mais jamais comme la condamnation du principe de ce droit lui-même. Ce droit subsiste tout entier parce qu’il est antérieur et supérieur à la loi. Il n’est pas besoin, par conséquent, d’une loi nouvelle pour en rétablir l’exercice. Quant aux règles suivies pour la formation du Synode, elles ont été parfaitement conformes à la loi. Il était impossible, sans sortir des voies de la légalité, de procéder autrement qu’on ne l’a fait. Qu’il y ait quelque chose de défectueux dans la répartition des consistoires en circonscriptions synodales, ou dans la détermination du nombre de délégués à élire par chaque circonscription, cela est possible. Mais c’est à l’Église elle-même, représentée par son Synode général, qu’il appartient d’apporter aux dispositions du décret de novembre toutes les modifications qui paraîtront nécessaires.
Il n’y a donc aucune raison légitime, concluait M. Laurens, de contester l’autorité ou la compétence du Synode actuel. On ne saurait non plus limiter cette compétence d’une façon arbitraire. Il y aurait, en effet, une contradiction évidente à déclarer le Synode compétent sur un point et incompétent sur un autre. S’il a l’autorité nécessaire pour remanier les circonscriptions synodales et instituer un mode nouveau de délégation au Synode général, pourquoi ne pourrait-il pas, avec la même autorité, s’occuper des questions de foi et de discipline ? « En droit, la validité d’un acte accompli par le mandataire a toujours pour condition absolue la validité du mandat lui-même. Si le nôtre est contestable, tout ce que nous ferons en vertu de ce mandat le sera fatalement aussi. La limitation que nous pourrions en faire n’en corrigerait pas l’origine, et l’assemblée prochaine, issue de notre loi électorale, aurait le même vice d’origine qui infirmerait toutes ses délibérations comme les nôtres. »
M. le professeur Jalabert avait proposé un ordre du jour motivé qui, tout en formulant des réserves sur la manière dont le protestantisme français était représenté au Synode, déclarait que « l’assemblée se considérait, dans ses différentes fractions, comme étant auprès du gouvernement l’organe autorisé des besoins, des vœux et des sentiments des différentes parties de l’Église. » M. le professeur Bois combattit avec succès cet ordre du jour. Enfin, dans sa séance du 12 juin, l’assemblée vota, à une majorité de soixante et une voix contre quarante-six, un ordre du jour constatant :
Après avoir ainsi affirmé son autorité et la plénitude de son pouvoir constituant, le Synode aborda la seconde et la plus importante des questions qui se posaient devant lui : la question de doctrine.
Elle fut introduite par une proposition déposée par M. le professeur Bois au nom de quelques membres de la majorité, et conçue dans les termes suivants :
« Au moment où elle reprend la suite de ses synodes, interrompus depuis tant d’années, l’Église réformée de France éprouve, avant toutes choses, le besoin de rendre grâces à Dieu, et de témoigner son amour à Jésus-Christ, son divin chef, qui l’a soutenue et consolée durant le cours de ses épreuves.
Elle déclare qu’elle reste fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels elle a été fondée.
Avec ses pères et ses martyrs dans la confession de La Rochelle, avec toutes les Églises de la Réformation dans leurs symboles, elle proclame l’autorité souveraine des saintes Écritures en matière de foi et le salut par la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification.
Elle conserve donc et elle maintient à la base de son enseignement, de son culte et de sa discipline les grands faits chrétiens représentés dans ses solennités religieuses et exprimés dans ses liturgies, notamment dans la confession des péchés, dans le Symbole des apôtres et dans la liturgie de la sainte Cène. »
Une longue discussion s’engagea à l’occasion de cette proposition. Elle ne remplit pas moins de sept séances. Ce fut, sans contredit, la plus importante et la plus remarquable de toutes celles qui eurent lieu pendant cette première session du Synode. Tout le monde sentait la gravité de la question posée : il s’agissait de savoir si l’Église réformée de France avait ou non une foi positive, il s’agissait de savoir si elle croyait encore aux grandes doctrines de la Réformation, aux faits et aux vérités évangéliques en dehors desquels il n’y a plus ni christianisme ni Église chrétienne. Il s’agissait de savoir enfin, si, ayant conservé cette foi, elle devait la proclamer et la faire respecter. La décision prise par le Synode sur cette question capitale devait avoir les conséquences les plus graves. Il pouvait en résulter un schisme entre les deux partis qui se trouvaient en présence au sein de l’Église réformée. C’est là ce qu’avaient compris et prévu les membres de la minorité, lorsqu’ils avaient protesté d’avance contre toute promulgation d’une confession de foi qui aurait pour résultat de séparer en deux ou en plusieurs fractions l’Église nationale. La gravité des intérêts engagés dans le débat explique l’ardeur avec laquelle la proposition de la majorité fut tour à tour attaquée et défendue.
Elle se trouvait en présence de deux autres propositions, émanant, l’une de la gauche, l’autre du centre gauche, dont M. Jalabert s’était fait, au Synode, le chef et l’interprète.
La première affirmait simplement la liberté d’examen et la responsabilité individuelle de la foi comme étant l’unique et distinctif caractère de l’Église protestante. Au nom de ce principe, on réclamait l’union, dans les cadres de la même Église, de toutes les fractions du protestantisme français, quelles que fussent d’ailleurs les divergences graves qui pouvaient exister entre elles,
La seconde, beaucoup plus religieuse dans son accent et beaucoup plus chrétienne dans ses affirmations, proclamait comme le seul fondement qui pût être posé : « Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, celui que Dieu, dans son amour, a donné au monde, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Mais les signataires de cette proposition protestaient contre toute déclaration de foi pouvant conduire au schisme, et indiquaient comme but à atteindre, « l’union en un seul corps d’Église de toutes les fractions du protestantisme français. »
La discussion s’ouvrit par un remarquable discours de M. le professeur Bois, dans lequel, en développant la proposition dont il était l’auteur, il déterminait, avec une grande netteté, le but et la portée de la déclaration de loi qui devait être soumise au vote de l’assemblée. « A notre sens, disait-il, il n’y a pas d’Église sans une foi commune. Qui dit Église, dit société de croyants. Il nous est impossible d’admettre que l’Église se recrute par les accidents de la naissance. Notre Église réformée n’a jamais accepté ce principe : chacun de ses membres est appelé, au jour de la réception des catéchumènes, à contracter par un oui personnel et public un engagement sacré. Et nous estimons que c’est là le point de vue vraiment protestant et vraiment libéral. Quoi de plus libéral, en effet, que le principe d’après lequel toute Église se recrute par des adhésions individuelles à la foi et aux principes qu’elle professe ? Nous estimons aussi que c’est un devoir pour une Église de rendre témoignage à cette foi commune qui la constitue. Il faut qu’elle dise au monde et à ses propres enfants ce qu’elle croit. C’est ce devoir que nous voulons remplir. Nous voulons déclarer, par un acte solennel, quelle est l’affirmation fondamentale qui est à la base de notre Église. Ce n’est pas une confession de foi achevée que nous avons prétendu faire. Dans une pensée d’union et de largeur, nous avons voulu nous borner au minimum absolument nécessaire à notre conscience, et sans lequel nous ne comprenons pas une Église chrétienne. Nous n’avons pas la prétention de faire quelque chose de nouveau ; nous n’avons pas davantage le dessein de retourner en arrière de trois siècles. Nous ne voulons qu’une chose : déclarer ce qu’est actuellement la foi de nos Églises ; et nous en cherchons l’expression dans les actes de leur culte et dans le texte de leurs liturgies. »
L’orateur démontrait ensuite l’opportunité et l’urgente nécessité d’une pareille déclaration. Aujourd’hui, disait-il, se trouvent en présence, au sein de notre Église, deux conceptions opposées de la religion ou plutôt deux religions différentes. Il s’agit de savoir laquelle de ces deux religions est celle de l’Église réformée de France. Il s’agit de savoir si notre Église veut changer de religion ; si elle veut conserver la religion de ses pères, la foi en Jésus-Christ venu du ciel sur la terre pour sauver les hommes pécheurs, ou si elle veut accepter la religion nouvelle qu’on lui propose, religion sans dogmes, sans surnaturel et sans prière, qui n’a plus du christianisme que le nom.
Après M. Bois, parlèrent tour à tour les représentants de la gauche et ceux du centre gauche. Les premiers, — parmi lesquels il faut citer MM. Athanase Coquerel et Colani, — reprochaient, avant tout, à la déclaration proposée par la majorité d’être une confession de foi, et ils en contestaient les divers articles au nom de la science théologique comme au nom de ce qu’ils appelaient le spiritualisme chrétien. Les seconds l’accusaient d’être à la fois trop dogmatique et pas assez religieuse. Les uns et les autres s’accordaient à y voir un instrument dangereux, une sorte de machine de guerre dont voulait se servir la majorité pour provoquer le schisme. La déclaration de foi fut défendue, du côté de la droite, par MM. Guizot, Babut, Dhombres, Vaurigaud, Delmas fils. M. Bois dut remonter à la tribune pour dissiper les malentendus et réfuter les objections. Il déclara en outre que la question de savoir si la déclaration de foi serait obligatoire pour les pasteurs et pour les anciens était formellement réservée.
L’un des articles de la déclaration sur lequel s’engagea la discussion la plus vive fut celui où était affirmée la résurrection de Jésus-Christ. Preuve nouvelle que ce qui séparait désormais les deux fractions du protestantisme français, c’était la grande question du surnaturel. Les membres du centre gauche croyaient, il est vrai, aux faits surnaturels de l’Évangile et acceptaient dans son contenu essentiel la déclaration de foi proposée par la droite. Ils ne la votèrent pas cependant, parce qu’ils s’accordaient avec la gauche pour refuser au Synode le droit de proclamer la foi de l’Église. L’un d’eux, M. Pelon, proposa de faire précéder la déclaration de foi d’un préambule dont voici le texte : « Les membres du Synode général, sans prétendre au droit de décréter la foi de leurs frères, adoptent comme l’expression des doctrines religieuses professées par les Églises réformées de France la déclaration suivante, qu’ils recommandent à la conscience des fidèles. » La droite, qui n’avait jamais songé à « décréter » la foi de personne, pouvait se rallier à l’amendement de M. Pelon, et elle parut un instant disposée à le faire. Mais comme, dans le cours de la discussion, cet amendement sembla donner lieu à plusieurs interprétations différentes, elle finit par l’abandonner.
Enfin, dans la séance du jeudi 20 juin, la déclaration de foi fut votée par une majorité de 61 voix contre 45, sur 106 votants.
Le synode venait de proclamer solennellement la foi de l’Église réformée de France ; il avait ainsi posé le fondement sur lequel reposait cette Église, et arboré d’une main ferme le drapeau autour duquel devaient se rallier tous ses enfants. Il s’agissait maintenant pour achever l’œuvre commencée, de donner à l’Église réformée une constitution capable d’assurer son libre et normal développement. Nous arrivons ainsi au troisième ordre de questions dont nous avons parlé plus haut : les questions relatives à l’organisation ecclésiastique. Elles occupèrent le Synode pendant les dix-sept dernières séances de cette première session.
Une commission de vingt et un membres avait été chargée de présenter à l’assemblée un projet de loi organique qui devait, après avoir été voté par le Synode, être soumis à l’approbation du gouvernement.
Nous ne reproduirons pas les discussions qui s’engagèrent sur les différents articles de ce projet. Nous nous bornerons à signaler les points principaux sur lesquels portèrent les débats, et les dispositions nouvelles qui vinrent modifier ou compléter les institutions existantes.
La question de l’électorat religieux semblait devoir s’imposer la première à l’attention de l’assemblée. Toutefois le Synode commença par voter, à la presque unanimité des suffrages, un premier article ainsi conçu : « Le régime presbytérien synodal est celui de l’Église réformée de France. Le Synode général est la plus haute représentation de l’Église. Il se réunit périodiquement. »
Puis, la question des attributions du Synode général ayant été ajournée, on passa à la discussion de la loi électorale. Les conditions civiles de l’électorat paroissial furent maintenues telles que les avaient déterminées les décrets et règlements de 1852, avec une double modification toutefois : l’âge fut abaissé de trente ans à vingt-cinq ans ; la durée de la résidence fut réduite de deux ans à un an pour les Français, et de trois ans à deux, pour les étrangers.
La question importante était celle des garanties religieuses à exiger des électeurs. Elle fut abordée et résolue dans la séance du mercredi 26 juin. La discussion fut très animée et la séance assez orageuse. S’inspirant du projet de loi organique élaboré par le Synode officieux de 1848, la commission proposait que l’on demandât à l’électeur de « reconnaître l’autorité souveraine des saintes Écritures en matière de foi. » Cette formule fut attaquée de divers côtés de l’assemblée. Les membres de la gauche repoussaient absolument toute condition religieuse nouvelle ajoutée aux conditions déterminées par les lois existantes. Exiger de l’électeur une déclaration du genre de celle que proposait la commission, c’était, selon eux, changer le caractère de notre Église, et en faire d’une Église de multitude une Église de professants.
Les membres du centre gauche reconnaissaient en principe la nécessité de garanties religieuses nouvelles à exiger de l’électeur. Ils s’accordaient à penser, avec la majorité, que, pour être électeur dans une Église, il faut adhérer à sa foi. Mais ils n’acceptaient pas la formule de la commission, qu’ils trouvaient à la fois trop dogmatique dans le fond et trop inquisitoriale dans la forme. Quelques-uns auraient voulu que le seul fait de l’inscription sur le registre paroissial demandée par l’électeur impliquât son adhésion à la foi de l’Église réformée. Une proposition de M. Maurin, rédigée dans ce sens, ne put réunir que cinq voix. Un autre membre du même groupe, M. le pasteur Corbière, de Montpellier, proposa d’adresser à l’électeur, au moment de son inscription, la question suivante : « Persévérez-vous dans la profession de l’Évangile, et appartenez-vous de cœur à l’Église réformée de France ? »
Enfin, un membre de la droite, M. le pasteur Abt, de Besançon, d’accord avec la commission sur la question de principe, mais trouvant, lui aussi, sa formule défectueuse, proposa l’amendement suivant : « Seront électeurs ceux qui déclarent rester attachés de cœur à l’Église réformée et à la foi chrétienne contenue dans les livres sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament. » Plusieurs membres du centre gauche et de la gauche déclarèrent accepter cet amendement. La droite se disait prête à s’y rallier aussi, pourvu que la dernière phrase en fût modifiée de la manière suivante : « et à la vérité révélée telle quelle est contenue dans les livres sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament. »
Cette formule ainsi corrigée fut votée par soixante et dix-sept voix, c’est-à-dire par la droite et par le centre gauche tout entier. La gauche s’abstint de voter, ce qui porta à vingt-quatre le chiffre des abstentions.
Une autre question, non moins grave que celle des conditions religieuses de l’électorat, fut abordée ensuite par le Synode. La déclaration de foi, votée dans la séance du 20 juin, devait-elle être obligatoire pour les pasteurs et pour les membres laïques des conseils presbytéraux et des consistoires ? Sur le dernier point le Synode se décida pour la négative. On n’exigea, comme condition d’éligibilité à la charge d’ancien, que deux choses : 1o Etre électeur, c’est-à-dire réunir toutes conditions civiles et religieuses déterminées par la loi électorale déjà votée ; 2o être âgé de trente ans révolus. — La question concernant les pasteurs fut discutée dans la séance du 5 juillet. La proposition de la commission, défendue à la tribune par MM. Dhombres, Babut, Delmas et Bois, fut adoptée par 62 voix contre 39, sur 101 votants. Elle était ainsi conçue : « Tout candidat au Saint-Ministère devra, avant de recevoir la consécration, déclarer qu’il adhère à la foi de l’Église telle qu’elle est constatée par le Synode général. » Suit le texte de la déclaration de foi précédemment votée.
Les derniers articles de la loi organique et du projet de règlement qui devait y être annexé, furent discutés dans les deux séances suivantes, et, le 9 juillet, dans sa vingt-huitième séance, le Synode vota sur l’ensemble de ce double projet.
Nous croyons devoir indiquer ici les dispositions les plus importantes de la loi nouvelle :
Deux questions furent encore discutées par le Synode dans ses deux dernières séances : celle de la réorganisation des facultés de théologie et celle de la séparation de l’Église de l’Etat.
La première question avait été posée par les événements de la dernière guerre. La perte de l’Alsace avait enlevé à la France protestante l’une de ses deux facultés de théologie, celle de Strasbourg. Il fallait songer à la remplacer ou à la reconstituer ailleurs. Le Synode émit le vœu que la faculté de Strasbourg et celle de Montauban fussent transportées à Paris et réunies en une seule Faculté.
Quant à la question de la séparation de l’Église et de l’Etat, elle avait été l’objet de diverses propositions déposées sur le bureau du Synode. L’examen de ces propositions avait été confié à une commission spéciale qui choisit pour rapporteur M. le pasteur Viguié. La commission, disait le rapport, s’était trouvée en présence de quatre propositions différentes. La première, signée par MM. Babut, Bois et Capillery, invitait le Synode à adresser à l’Assemblée nationale un vœu formel en faveur de la séparation de l’Église et de l’Etat ; mais les signataires ne se prononçaient pas sur la question de savoir s’il serait ou non opportun, pour l’Église réformée, de se séparer de l’Etat isolément et immédiatement.
La seconde proposition, signée par M. Colani et quelques membres de la gauche, demandait la séparation de toutes les Églises à partir de 1874, mais en ajoutant que l’Église réformée ne devait pas se séparer seule.
Les deux dernières propositions demandaient la séparation immédiate pour l’Église réformée, alors même que les autres Églises concordataires devraient demeurer unies à l’Etat.
Le rapport, examinant tour à tour la question de principe et celle d’opportunité, se prononçait pour le principe de la séparation, mais déconseillait toute démarche immédiate ayant pour effet la résiliation du Concordat. Ce serait là, dans la pensée de la commission, excéder le mandat confié par les Églises aux membres du Synode. Cependant la commission, estimant que la séparation était une éventualité possible et peut-être même désirable, proposait à l’assemblée de voter la résolution suivante :
« Le Synode général,
Cette résolution fut adoptée par le Synode à une très grande majorité. On vit par là combien l’idée de la séparation de l’Église et de l’Etat avait fait de progrès, en ces dernières années, au sein de l’Église nationale.
Avant de se séparer, l’assemblée nomma une commission de sept membres (trois pasteurs et quatre laïques), dite Commission permanente, qui fut chargée « de soutenir auprès du gouvernement le projet de loi organique et le projet de règlement adoptés par le Synode général. » N’ayant pas pour mandat de consentir les changements qui pourraient être demandés, elle devait soumettre de nouveau les deux projets au Synode avec les modifications proposées par le gouvernement. « Au Synode seul il appartenait d’arrêter, de concert avec l’Etat, les nouvelles dispositions de la loi concordataire qui devaient être présentées à l’Assemblée nationale, et les dispositions du règlement destiné à assurer l’exécution de la loi. »
Une nouvelle session du Synode fut indiquée pour le mois de novembre suivant. Puis, après la lecture d’une adresse envoyée par le Synode aux fidèles, le président prononça le discours de clôture, dans lequel il résumait les travaux du Synode et exprimait les vœux et les espérances de l’Église. Il relevait ce fait significatif : que les dernières décisions synodales — sur les questions qui divisaient les deux fractions de l’assemblée — avaient été prises à la même majorité que les premières. Ce qui montrait combien l’attitude des partis était nettement dessinée, et combien peu elle avait été modifiée par le cours des débats. « L’Église réformée de France, » ajoutait le modérateur du Synode, « vient d’affirmer les bases sur lesquelles repose la foi de ses membres. Elle a usé du droit naturel, qui appartient à toute société comme à tout individu, de protéger et de défendre son existence. Y a-t-il péril ? Messieurs, vous le savez. Si le péril n’avait pas existé, vous ne seriez pas ici. Avez-vous écarté ce péril, ou n’avez-vous fait qu’en créer un autre plus dangereux et plus funeste ? L’avenir, et un avenir prochain, le dira. »
Le Synode se sépara le mercredi 10 juillet, après une session qui n’avait pas compté moins de trente séances. C’était assurément l’événement le plus considérable qui se fût accompli au sein de l’Église réformée de France depuis le commencement du siècle. Aussi eut-il un grand retentissement au dehors. Les Églises protestantes du monde entier avaient salué avec d’unanimes sympathies la restauration de l’ancienne constitution de l’Église française. Toutes avaient tenu à honneur d’envoyer à l’assemblée de Paris des délégués chargés de lui apporter, avec leurs salutations fraternelles, l’expression de leurs félicitations et de leurs vœux. Elles comprenaient que, dans la situation si critique où se trouvait depuis quelques années, l’Église réformée de France, les décisions du Synode devaient avoir les plus graves conséquences. Aussi suivaient-elles les débats de l’assemblée de Paris avec le plus vif intérêt. La presse religieuse de tous les pays en entretenait ses lecteurs. Le télégraphe transmettait par delà l’Atlantique le résumé des discussions synodales et le résultat des votes qui les avaient suivies. La presse politique se faisait l’écho de la presse religieuse. Les grands journaux français et, à leur exemple, quelques journaux étrangers, s’occupaient de notre Synode. Ils publiaient le compte rendu de ses séances, et essayaient même quelquefois d’en apprécier et d’en discuter les résultats. Le Synode de 1872 était l’un des événements du jour.