« J’étais, dit-il, en bonne voie d’acquisition, il ne me manquait plus qu’un homme qui m’introduisît dans le sanctuaire de la sagesse : je cherchais ce guide, et comme mes recherches étaient infructueuses, j’eus recours à toi pour obtenir un tel homme. Ta réponse fut… (La réponse est tellement inintelligible qu’elle ne peut être traduite). Que dis-tu de cela ? Si je voulais devenir sculpteur ou peintre, et que je cherchasse des maîtres pour m’enseigner ces arts, la réponse me suffirait-elle ?… Ne prendrais-je pas plutôt pour un insensé celui qui m’en ferait une semblable ? Mais peut-être sont-ce là des choses qui sont au-delà des bornes de tes connaissances, parce qu’il n’est rien de plus impénétrable que les mœurs des hommes. Mais alors où irai-je pour trouver mieux qu’à Colophon ? Ailleurs le dieu verra-t-il plus clair ? Je l’entends qui répond :
« Fais vibrer ta fronde, tue adroitement de grandes oies herbivores. »
Mais qui m’apprendra ce qu’il faut entendre par ces grandes oies herbivores et par cette fronde qu’il faut faire vibrer ? Sera-ce Amphiloque ou Apollon de Dodone ou celui de Delphes, si je le consulte ? Que ne t’étrangles-tu avec ta fronde qui lance au loin des pierres ! Puisses-tu ainsi périr avec tes réponses inintelligibles ! »
Mais laissons ces reproches dont il accable son dieu, et voyons comment il traite en particulier le plus ancien des oracles de la Grèce, celui dont toutes les histoires grecques racontent tant de merveilles, l’oracle de Delphes.
« Une armée formidable de Perses marchant contre les Athéniens, auxquels il ne restait d’autre espoir de salut que la protection du dieu ; c’était Apollon de Delphes qu’ils invoquaient comme leur dieu tutélaire, par une méprise qui prouvait clairement qu’ils le connaissaient bien mal. Que fait donc cet admirable dieu ? Prendra-t-il la défense des siens ? Se souviendra-t-il des libations qui coulent sur ses autels, de la graisse qui fume en son honneur, des hécatombes que ce peuple immole régulièrement dans ses temples ? Rien de tout cela. Mais que leur ordonne-t-il ? de fuir et de chercher leur salut dans des murailles de bois (c’était la flotte qu’il voulait dire). Là était, disait-il, leur seule ressource après que la ville aurait été réduite en cendres. Admirable protection d’un dieu ! Il semble se plaire à prédire la ruine de tous les édifices de la ville, sans en excepter ceux qui étaient consacrés aux dieux. Mais à quoi bon son oracle ? Que pouvait-on attendre de plus de l’invasion des ennemis ? »
Il est vraiment bien permis à notre auteur après cela de tourner en ridicule les erreurs des Grecs, comme il le fait dans ce qui suit.