Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE IV
Qui est des moyens extérieurs, ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ son Fils, et nous retenir en luy.

Chapitre IX
Des conciles et de leur authorité.

4.9.1

Mais encores que nous leur ottroyons tout ce qu’ils prétendent de l’Eglise, cela toutesfois ne leur proufitera de guères pour leur intention : car tout ce qui se dit de l’Eglise : ils le transfèrent puis après aux Conciles lesquels selon leur fantasie représentent l’Eglise. Qui plus est, ce qu’ils sont si grans zélateurs à maintenir la puissance de l’Eglise, ils ne le font à autre fin, sinon pour attribuer au Pape et à sa séquelle tout ce qu’ils auront peu obtenir. Or devant que je commence à despescher ceste question, je veux briefvement protester deux choses. La première est que si je tien yci la bride roide pour ne lascher rien facilement à nos adversaires, ce n’est pas à dire pourtant que je prise les Conciles anciens moins que je ne doy. Car je les honore de bonne affection, et désire que chacun les estime et les ait en révérence : mais il faut yci tenir mesure, que par cela il ne soit en rien dérogué à Jésus-Christ. Or voyci le droict et l’authorité qui appartient à Jésus-Christ : c’est de présider en tous Conciles, et n’avoir homme mortel, pour compagnon en ceste dignité. Or je di que lors il préside, quand il gouverne toute l’assemblée par son Esprit et par sa Parole. La seconde protestation est, que si j’attribue moins au Concile que nos adversaires ne voudroyent, je ne le feray point pour crainte que j’aye, comme si les Conciles favorisoyent à nos adversaires, et nous estoyent contraires. Car comme nous avons suffisamment en la Parole de Dieu, tout ce qui est requis pour l’approbation de nostre doctrine, et pour ruiner toute la Papauté, tellement qu’il n’est point mestier de chercher secours d’ailleurs, aussi d’autre part, quand il seroit besoin, nous pourrions bien nous armer des Conciles anciens, pour faire l’un et l’autre.

4.9.2

Maintenant venons au point : si on demande quelle est l’authorité des Conciles selon la Parole de Dieu, il n’y a nulle promesse plus ample ou plus claire pour la fonder, qu’en ceste sentence de Jésus-Christ, Par tout ou deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux Matt. 18.20. Mais ceste promesse compète tout aussi bien à une petite compagnie qu’à un Concile universel : combien que le nœud de la question ne gist point en cela, mais en ce qu’il y a une condition adjoustée, que lors Jésus-Christ sera au milieu d’une compagnie, si elle est assemblée en son nom. Parquoy que nos adversaires allèguent tant qu’ils voudront les Conciles des Evesques, ils ne proufiteront de guères, et ne nous feront point à croire ce qu’ils prétendent : c’est qu’ils sont gouvernez du sainct Esprit : jusques à ce qu’ils ayent prouvé qu’ils sont congrégez au nom de Christ. Car aussi bien peuvent conspirer à l’encontre de Christ les meschans Evesques, que les bons convenir en son nom. De laquelle chose nous peuvent faire foy plusieurs Décrets qui sont sortis de tels Conciles : desquels je pourroye facilement par argumens évidens faire apparoistre l’impiété : mais de cela nous en verrons puis après. Pour le présent je leur respon en un mot, que Christ ne promet rien en ce passage, sinon à ceux qui sont congrégez en son nom. Il nous faut définir que cela veut dire. Or je nie que ceux soyent congrégez au nom de Christ, lesquels en rejettant le commandement de Dieu : par lequel il défend de rien adjouster à sa Parole, ou diminuer d’icelle, ordonnent à leur plaisir ce que bon leur semble : lesquels non contens de ce qui est en la saincte Escriture, c’est-à-dire, en la reigle unique de vraye et parfaite sagesse, forgent de leur teste quelque nouveauté. Certes puis que Jésus-Christ ne promet point d’assister indifféremment à tous Conciles, mais adjouste une marque spéciale pour discerner les Conciles légitimes d’avec les autres : il ne nous faut point mespriser ceste différence. Dieu a fait une fois ceste alliance et paction avec les Prestres lévitiques, qu’ils enseignassent de sa bouche Malach. 2.7 : il a tousjours requis cela, mesmes de ses Prophètes. Nous voyons qu’il a imposé ceste mesme loi aux Apostres. Pourtant il ne recognoist point pour ses Prestres ne serviteurs ceux qui transgressent et violent ceste paction, et ne leur donne aucune authorité. Que nos adversaires me soudent ceste difficulté, s’ils veulent assujetir ma foy aux Décrets des hommes, qui seront faits outre la Parole de Dieu.

4.9.3

Car touchant ce qu’ils ne pensent point que la vérité demeure en l’Eglise, si elle ne consiste entre les Pasteurs : ne que l’Eglise mesme puisse consister, si elle ne se monstre aux Conciles généraux, il y a bien à dire que cela ait esté tousjours vray, si les tesmoignages que nous ont laissez les Prophètes de leur temps sont véritables. Il y avoit encores du temps d’Isaïe Eglise en Jérusalem, laquelle Dieu n’avoit point délaissée : toutesfois il dit des Pasteurs, Toutes ses gardes sont aveugles, et ne cognoissent rien. Tous sont chiens muets, ne sçachans abbayer. Ils dorment, et aiment le dormir Esaïe 56.10. Tous les Pasteurs n’ont nulle cognoissance, ny intelligence, et universellement ont décliné chacun en sa voye. Pareillement Osée, Le spéculateur d’Ephraïm se couvrant de Dieu, est un laqs de chasseur, et abomination au temple de Dieu Osée 9.8. Nous voyons qu’il se mocque des tiltres honorables desquels les Sacrificateurs se vantoyent. Ceste Eglise dura jusques au temps de Jérémie. Or oyons ce qu’il dit des Pasteurs : Depuis le Prophète jusques aux Prestres, chacun forge mensonge Jér. 6.13. Item, Les Prophètes ont prophétisé mensonge en mon nom, combien que je ne les eusse point envoyez, et ne leur eusse donné mandement Jér. 14.14. Et afin que nous ne soyons trop longs à réciter toutes ces sentences, qu’on lise ce qui en est escrit au XXIIIe et XLe chapitre Jér. 23.1. De ce temps-là mesme, Ezéchiel les traittoit bien aussi asprement de l’autre costé : La conjuration, dit-il, de ses Prophètes au milieu d’elle, est comme un lion rugissant et qui ravit sa proye. Ils ont dévoré la vie, et ont ravy ce qui estoit précieux : et ont fait beaucoup de vefves. Ses Prestres ont violé ma Loy, et ont pollu mes lieux saincts : et n’ont fait différence entre choses profanes, et celles qui me sont dédiées. Les Prophètes ont édifié de mauvais ciment, voyans choses vaines, devinans mensonges, disans que le Seigneur a parlé quand il n’a point parlé Ezéch. 22.25-28. Ces quérimonies sont si fréquentes en tous les Prophètes, qu’il n’y a rien qui y soit plus réitéré.

4.9.4

Ces choses, dira quelqu’un, ont eu lieu entre les Juifs, mais elles n’appartienent de rien à nostre temps. Pleust à Dieu que cela fust vray : mais sainct Pierre a dénoncé que tout le contraire adviendroit : Comme il y a eu, dit-il, au peuple d’Israël des faux Prophètes, ainsi entre vous il y aura faux Docteurs, induisans sectes de perdition 2Pi. 2.1. Voyez-vous comment il advertit que le danger ne sera point des idiots d’entre le populaire, mais de ceux qui se tiendront fiers du tiltre de Docteurs et de Pasteurs ? D’avantage, combien de fois a-il esté prédit par Christ et ses Apostres, en combien grand danger l’Eglise seroit mise par ses Pasteurs Matt. 24.11, 24 ? Mesmes sainct Paul dénonce ouvertement, que l’Antéchrist n’aura autre part son siège qu’au temple de Dieu 2Thess. 2.4 : en quoy il signifie que l’horrible calamité dont il parle là, ne viendra d’ailleurs que de ceux qui seront assis en l’Eglise comme Pasteurs. Et en un autre passage, il démonstre que cela commençoit desjà de son temps. Car en parlant aux Evesques d’Ephèse, il leur dit entre autres choses. Je sçay qu’après mon départ il y surviendra des loups ravissans entre vous, n’espargnans point le troupeau : et d’entre vous il y en aura qui diront choses perverses pour attirer à eux le peuple Actes 20.29-30. Puis que les Pasteurs se sont peu corrompre en si peu de temps, combien la corruption a-elle peu croistre par longues successions d’années ? Et afin qu’en continuant ce propos, je ne remplisse pas beaucoup de papier, nous sommes advertis par les exemples de tous les aages qui ont esté jusques à ceste heure, que la vérité n’est pas tousjours nourrie au sein des Pasteurs, et que le salut de l’Eglise ne dépend pas du tout de leur bon gouvernement. Il convenoit certes qu’ils fussent bons gardiens de la paix et salut de l’Eglise : car ils sont destinez pour les conserver. Mais c’est autre chose d’accomplir ce qu’on doit, et de devoir faire ce qu’on ne fait point.

4.9.5

Toutesfois je ne veux point que ces propos soient entendus comme si je vouloye amoindrir l’authorité des Pasteurs, et induire le peuple à la mespriser légèrement. Seulement mon intention est d’advertir qu’il faudroit qu’il y eust quelque chois entre les Pasteurs, afin qu’on n’estime point incontinent Pasteurs, tous ceux qui sont ainsi appelez. Or le Pape et tous les Evesques de sa bande n’ont autre raison de remuer et renverser tout à leur poste, sans avoir esgard à la Parole de Dieu, sinon qu’ils ont le tiltre de Pasteurs. Et pour ceste mesme raison ils veulent persuader qu’ils ne peuvent estre destituez de la lumière de vérité, que le sainct Esprit réside en eux, mesmes que l’Eglise vit et meurt avec eux. Comme s’il n’y avoit plus nul jugement de Dieu pour chastier le monde d’une mesme punition dont il a usé envers le peuple ancien ; asçavoir de frapper d’aveuglement et stupidité les Pasteurs Zach. 12.4. Sont-ils pas bien insensez, de ne considérer qu’ils chantent une mesme chanson qu’avoyent anciennement en la bouche les meschans Prestres qui faisoyent la guerre à Dieu ? Car voyci comme ils s’armoyent contre la vérité et les Prophètes, Venez, et faisons consultation contre Jérémie. Car la Loy ne périra point des Prestres, ne le conseil des Sages, ne la doctrine des Prophètes Jér. 18.18.

4.9.6

Par cela mesme il est facile à respondre à l’autre point, touchant les Conciles généraux. On ne peut nier que les Juifs n’ayent eu vraye Eglise du temps des Prophètes. Si lors il se fust tenu un Concile général, quelle apparence d’Eglise y eust-on cognue ? Nous oyons ce que nostre Seigneur leur dénonce, non point à un ou à deux, mais à tous ensemble : c’est que les Prestres seront eslourdis, et les Prophètes seront estonnez Jér. 4.9. Item, La Loy périra des Prophètes, et le conseil des Anciens Ezéch. 7.26. Item, La nuict vous sera au lieu de vision, et les ténèbres au lieu de révélation ; car le soleil sera caché pour les Prophètes, et le jour sera obscurcy Mich. 3.6. Je vous prie, s’ils se fussent tous assemblez en un, quel esprit eust présidé en leur compagnie ? De cela nous en avons un bel exemple et notable au Concile qu’assembla Achab. Il y avoit là quatre cens Prophètes : mais pource qu’ils n’estoyent là venus à autre fin, sinon pour flatter ce meschant Roy et infidèle, Satan est envoyé de Dieu pour estre un esprit menteur en la bouche de tous. Ainsi la vérité est là condamnée d’un commun accord : Michée fidèle serviteur de Dieu, réprouvé comme hérétique, batu et mis en prison 1Rois 22.6, 22, 27. Autant en fut-il fait à Jérémie Jér. 20.2 : autant en est-il advenu aux autres Prophètes.

4.9.7

Mais un seul exemple nous suffira pour tous, d’autant qu’il est notable entre les autres. Au concile qu’assemblèrent les Sacrificateurs et Pharisiens en Jérusalem contre Jésus-Christ, qu’y peut-on reprendre quant à l’apparence extérieure ? Car s’il n’y eust eu lors Eglise en Jérusalem, jamais nostre Seigneur Jésus n’eust assisté aux sacrifices ny autres cérémonies. La convocation se fait solennellement, le grand Prestre y préside, tout le Clergé s’y trouve Jean 11.47 : toutesfois Jésus-Christ y est condamné, et sa doctrine mise au bas. Cest acte-là nous monstre que l’Eglise n’est point enclose en ce Concile. Mais il ne faut point craindre, diront-ils, que cela nous puisse advenir. Mais qui est-ce qui nous en fera foy ? Car d’estre nonchalans en une chose de si grosse importance, c’est trop grande sottise. Qui plus est, puis que le sainct Esprit a clairement prophétisé par la bouche de sainct Paul, qu’il se feroit un révoltement, lequel ne peut advenir que les Pasteurs ne se destornent de Dieu les premiers 2Thess. 2.3 : pourquoy fermons-nous les yeux de propos délibéré, pour ne point regarder nostre ruine ? Pourtant il ne faut nullement concéder que l’Eglise consiste en l’assemblée des Prélats, lesquels Dieu n’a jamais promis devoir estre bons à tousjours : mais au contraire, a prononcé qu’ils seront quelquesfois mauvais. Or quand il nous advertit d’un danger, il le fait pour nous rendre plus sages et mieux advisez.

4.9.8

Quoy doncques, dira quelqu’un : les résolutions des Conciles n’auront-elles nulle authorité ? Je respon que si. Car je ne dispute point qu’il fale rejetter tous les Conciles, et rescinder les actes de tous, ou canceler depuis un bout jusques à l’autre. Mais on répliquera que je les mets trop bas, jusques à permettre à chacun de recevoir ou rejetter ce qui aura esté déterminé en un Concile. Je di que non. Mais toutes fois et quantes qu’on met en avant un Décret de quelque Concile, je voudroye qu’on poisast diligemment en quel temps il a esté tenu, pour quelle cause, et à quelle fin, et quelles gens y ont assisté : puis après qu’on examinast à la reigle de l’Escriture, le point dont il est question, et que le tout se feist en sorte que la détermination du Concile eust son poids, et qu’elle fust comme un advertissement : toutesfois qu’elle n’empeschast point l’examen que j’ay dit. Je voudroye bien qu’on gardast ce qu’enseigne sainct Augustin au troisième livre contre Maximin. Car pour clorre la bouche à cest hérétique, qui débatoit touchant les Décrets des Conciles : Je ne doy pas, dit-il, mettre en avant le Concile de Nice : et tu ne me dois pas aussi alléguer celuy d’Ariminie, comme pour oster la liberté de juger : car tu n’y es pas sujet, ne moy au second. Que la chose soit débatue par bonne cognoissance de cause et par raison, et que le tout soit fondé en l’authorité de l’Escriture, laquelle est commune à foutes les deux parties. Si cela se faisoit, les Conciles retiendroyent leur authorité qu’ils doyvent avoir : et toutesfois l’Escriture demeureroit en sa prééminence, à ce que le tout fust assujeti à la reigle d’icelle. Suyvant cela nous recevons volontiers les anciens Conciles, comme de Nice, de Constantinoble, le premier d’Ephèse, Chalcédoine, et les semblables qu’on a tenus pour condamner les erreurs et opinions meschantes des hérétiques : nous leur portons, di-je, honneur et révérence, entant qu’il appartient aux articles là définis. Car iceux Conciles ne contienent rien qu’une pure et naturelle interprétation de l’Escriture, laquelle les saincts Pères par bonne prudence ont accomodée, pour renverser les ennemis de la Chrestienté. Semblablement en d’aucuns de ceux qui ont esté tenus depuis, nous appercevons un bon zèle et signes évidens de doctrine, de prudence et d’esprit : mais selon que le monde a accoustumé de décliner en empirant, il est facile de veoir combien l’Eglise petit à petit a décliné de sa droicte pureté. Je ne doute pas que mesmes en ces temps qui ont esté fort corrompus, il n’y ait assisté des Evesques de bonne sorte aux Conciles : mais il en est advenu comme les Sénateurs romains se sont autresfois complaints qu’il en advenoit à leur Sénat, c’est asçavoir que quand on a conté les voix sans considérer les raisons, pour conclurre selon la pluralité, la plus grande partie a souvent emporté la meilleure. Certes il en est sorti de meschantes conclusions : et n’est jà mestier d’amener yci les exemples en particulier, tant pource que ce seroit un trop long procès, que pource que des autres l’ont desjà fait si diligemment, que je n’ay que faire d’y rien adjouster.

4.9.9

D’avantage, qu’est-il besoin de raconter la répugnance des Conciles, et comme ce qui a esté fait en l’un, a esté desfait en l’autre ? Et ne faut pas qu’on m’allègue que quand il y a ainsi deux Conciles répugnans, l’un n’est pas légitime. Car d’où est-ce que nous estimerons cela ? Je pense qu’il n’y a point d’autre moyen sinon que de juger par l’Escriture lequel c’est qui a mal résolu : car il n’y a point d’autre loy certaine pour discerner. Il y a environ neuf cens ans qu’il se feit un Concile à Constantinoble du temps de Léon Empereur, où il fui ordonné qu’on abatroit et qu’on romproit toutes les images qu’on avoit aux Eglises. Tantost après, Irène, mère de l’Empereur, assembla un autre Concile à Nice, lequel ordonna qu’on les remeist. Lequel des deux tiendrons-nous pour légitime ? Le second a gaigné le jeu : car les images ont tenu bon aux Eglises. Mais sainct Augustin dit que cela ne se peut faire sans péril éminent d’idolâtrie. Epiphanius plus ancien Docteur, parle encores plus rudement : car il dit que c’est meschanceté et abomination, de veoir des images aux temples des Chrestiens. Puis qu’ils ont ainsi parlé de leur temps, approuveroyent-ils un tel Concile, s’ils vivoyent aujourd’huy ? Qui pis est, si les Historiens disent vray, ce Concile-là non-seulement a receu les images, mais aussi a conclud qu’on les devoit honorer. Or c’est chose notoire qu’un tel Décret est procédé de Satan. Que dirons-nous de ce qu’ils ont si vilenement dépravé, falsifié et deschiré par pièces toute l’Escriture ? qui monstre bien qu’ils ne s’en sont faits que mocquer : ce que j’ay descouvert ci-dessus autant qu’il estoit besoin. Quoy qu’il en soit nous ne pourrons autrement discerner entre les Conciles qui se contrarient l’un à l’autre, comme il y en a plusieurs, sinon en les examinant tous par la Parole de Dieu, qui est la balance à laquelle sont sujets non-seulement les hommes, mais aussi les Anges. Pour ceste cause nous rejetions le Concile second d’Ephèse, et approuvons celuy de Chalcédoine, pource qu’au premier l’impiété d’Eutyches a esté confermée, laquelle a esté condamnée au second. Et de faict les Pères qui ont assisté au Concile de Chalcédoine, n’ont prins leur jugement que de la Parole de Dieu. Pourtant nous les ensuyvons avec telle condition que nous avons la Parole de Dieu pour nous esclairer : selon laquelle ils se sont aussi conduits. Voysent maintenant les Romanisques ; et qu’ils se vantent, comme ils ont accoustumé, que le sainct Esprit soit lié et attaché à leurs Conciles.

4.9.10

Combien que mesmes aux anciens Conciles qui sont les plus purs, il y a quelque chose à redire : ou à cause que les Evesques qui estoyent pour lors, combien, qu’ils fussent gens sçavans et prudens, toutesfois estans empeschez aux matières pour lesquelles ils estoyent assemblez, ne regardoyent pas beaucoup d’autres choses : ou qu’estans occupez en grans affaires, ils ne prenoyent esgard à ceux qui estoyent de moindre importance : ou qu’ils pouvoyent faillir par ignorance : ou bien qu’aucunesfois ils estoyent trop ardens en leurs affections. Ceste dernière raison pourroit sembler la plus dure ; toutesfois nous en avons un exemple notable au premier Concile de Nice, duquel la dignité a esté prisée par-dessus tous autres. Car les Evesques qui estoyent là venus pour défendre le principal point de nostre foy, combien qu’ils veissent Arrius en leurs présences prest de batailler, et que pour le convaincre il leur fust nécessaire de bien accorder ensemble : néantmoins comme s’ils fussent là venus de propos délibéré pour luy faire plaisir, ne se soucians point en quel danger estoit l’Eglise, commencèrent à se mordre, accuser et injurier l’un l’autre, à présenter libelles diffamatoires, ausquels toute leur vie estoit traduite : brief, ils laissoyent Arrius pour se desfaire eux-mesmes. Et estoyent d’une telle intempérance acharnez ensemble, qu’il n’y eust jamais eu fin à leurs contentions, si Constantin Empereur, protestant qu’il ne vouloit point estre le juge, n’eust réprimé leurs débats. Combien est-il plus vray-semblable, que les autres Conciles qui depuis se sont ensuyvis, ayent peu avoir quelque faute ? Cela n’a point mestier de longue probation : car quiconques lira les actes des Conciles anciens, y trouvera beaucoup d’infirmité ; je ne di non plus.

4.9.11

Et de faict, Léon Evesque de Rome n’a point douté d’arguer le Concile de Chalcédoine d’ambition et de témérité inconsidérée, combien qu’il le confesse estre sainct et chrestien quant à la doctrine. Il ne nie pas que ce soit un Concile légitime : mais il dit plat et court, qu’il a peu errer. Il semblera advis à quelqu’un que je soye mal advisé, de mettre peine à monstrer tels erreurs, veu que les Papistes mesmes confessent que les Conciles peuvent errer aux choses qui ne sont point nécessaires à salut. Mais ce que je di n’est point superflu. Car combien que les Papistes, quand on les contraint par vives raisons, confessent cela de bouche : toutesfois puis qu’ils veulent que nous recevions indifféremment et sans exception, pour révélation du sainct Esprit tout ce qui aura esté déterminé aux Conciles, en quelque affaire que ce soit, ils requièrent de faict plus qu’ils ne disent de paroles. En faisant ainsi où tendent-ils, sinon d’obtenir que les Conciles ne peuvent errer ? ou bien s’ils errent, qu’il n’est point licite de veoir la vérité, ou ne point consentir aux erreurs ? La fin de mon intention est de monstrer que le sainct Esprit a tellement gouverné les bons Conciles et chrestiens, qu’il a néantmoins permis qu’il y eust quelque infirmité humaine meslée : afin de nous apprendre qu’il ne nous faut point trop fier aux hommes. Ceste sentence est beaucoup plus douce que le dire de Grégoire Nazianzène, asçavoir que jamais il n’a veu bonne issue d’aucun Concile. Car en affermant que tous sans exception ont eu mauvaise fin, il ne leur laisse guères d’authorité. Il n’est jà mestier de faire plus mention à part des Conciles provinciaux, d’autant qu’il est aisé de juger par ce qui a esté dit, quelle authorité ils doyvent avoir pour bastir articles de foy, et faire recevoir telle doctrine qu’il semblera bon à quelque nombre d’Evesques, si tost qu’ils seront assemblez en un lieu.

4.9.12

Or nos Romanisques se voyans destituez de toute aide de raison, recourent finalement à ce dernier et malheureux refuge : c’est qu’encores qu’ils soyent ignorans et pervers, néantmoins la Parole de Dieu demeure, laquelle commande d’obéir à nos supérieurs. Mais que sera-ce, si je nie que ceux qui sont tels soyent nos supérieurs ? Car ils ne doyvent point plus usurper de dignité qu’en a eu Josué, lequel estoit Prophète de Dieu, et excellent Pasteur. Or oyons avec quelles paroles il a esté ordonné en son office de par le Seigneur : Que le livre de la Loy, dit-il, ne soit jamais eslongné de tes yeux : mais que tu médites en iceluy nuict et jour. Tu ne déclineras ni à dextre ni à senestre, et lors tu chemineras droictement Jos. 1.7-8. Nous tiendrons doncques pour nos Prélats spirituels ceux qui ne déclineront de la Loy de Dieu ne d’un costé ne d’autre. Que s’il faloit indifféremment recevoir la doctrine de tous Pasteurs, quel mestier estoit-il que fussions si souvent et tant songneusement advertis par la Parole de Dieu, de n’escouter la doctrine des faux Prophètes et des faux Pasteurs ? N’escoutez point, dit-il par Jérémie, les paroles des Prophètes qui vous prophétisent : car ils vous enseignent mensonges, et vous annoncent la vision de leur cœur, non pas ce qui est procédé de la bouche de Dieu Jér. 23.16. Item, Gardez-vous des faux Prophètes qui vienent à vous en habits de brebis : mais par dedans sont loups ravissans Mat. 7.15. Sans propos sainct Jehan nous eust admonestez d’esprouver les esprits, pour sçavoir s’ils sont de Dieu 1Jean 4.1. De laquelle espreuve ne doyvent estre exempts les mensonges du diable, puis que les Anges mesmes de Paradis y sont sujets. D’avantage, ceste parole de nostre Seigneur, c’est asçavoir que si un aveugle meine l’autre, tous deux chéent en la fosse Matt. 15.14 : ne nous monstre-elle point assez qu’il y a bien à regarder quels Pasteurs on escoute, et qu’il n’est pas bon de légèrement les escouter tous Gal. 1.8. Parquoy ils ne nous peuvent estonner de leurs tiltres d’authorité, pour nous attirer en leur aveuglement : puis que nous voyons au contraire le soin qu’a nostre Seigneur de nous donner terreur, à ce que ne nous laissions point aisément mener par l’erreur d’autruy, sous quelque masque et grand nom qu’il soit caché. Car si la response de Jésus-Christ est véritable, tous les conducteurs aveugles, soit qu’ils soyent nommez Evesques, Prélats ou Pontifes, ne pourroyent autre chose que tirer en une mesme ruine tous ceux qui les suyvront. Pourtant, que d’oresenvant ces noms de Conciles, d’Evesques et de Prélats, lesquels se peuvent aussi tost faussement prétendre qu’usurper à bon droict, ne nous empeschent point que nous n’examinions tous esprits à la reigle de la Parole de Dieu, pour esprouver s’ils sont de Dieu.

4.9.13

Puis que nous avons monstré que l’Eglise n’a pas puissance de forger doctrine nouvelle, disons maintenant de la puissance que luy attribuent les Papistes en l’interprétation de l’Escriture. Certes nous confessons très-volontiers, que s’il se lève dispute de quelque article, il n’y a meilleur remède ne plus certain, que d’assembler un Concile de vrais Evesques pour en faire la discussion. Car une telle décision, qui aura esté faite en commun et d’un accord par les Pasteurs des Eglises, après avoir demandé la grâce du sainct Esprit, aura beaucoup plus de poids, que si chacun d’eux à part en prenoit sa résolution pour la prescher au peuple : combien que seulement deux ou trois la feissent. D’avantage, quand les Evesques sont ensemble, ils ont plus de commodité de conférer et regarder que c’est qu’ils doyvent enseigner, et en quelle forme, pour avoir conformité, afin que la diversité n’engendre scandale. Tiercement, sainct Paul nous monstre que c’est l’ordre qu’il faut tenir pour juger des doctrines 1Cor. 14.29. Car entant qu’il attribue à chacune Eglise l’office de juger, il démonstre bien par cela comment on y doit procéder si la chose vient plus avant : asçavoir que les Eglises se conjoignent pour en cognoistre. Et la raison aussi nous meine là, que si quelqu’un trouble une Eglise en semant une doctrine incognue et qui ne soit point en usage, et que la chose viene jusques-là, qu’on craigne qu’une plus grosse dissension ne s’ensuyve, les Eglises s’assemblent pour examiner la question : et après en avoir débatu, qu’elles donnent une résolution prinse de l’Escriture, laquelle oste toute doute au populaire, et ferme la bouche à ceux qui demandent d’esmouvoir noise et troubles par leur ambition ou orgueil. En ceste manière, quand Arrius se leva, le Concile de Nice fut tenu : afin que par l’authorité commune de tous les Evesques, l’audace de ce meschant homme fust réprouvée, et que les Eglises qu’il avoit troublées fussent remises en leur estat, et que son hérésie fust exterminée, comme il en adveint, quelque temps après pource qu’Eunome et Macédone autres hérétiques esmouvoyent autre contention, on leur résista par un semblable remède en assemblant le Concile de Constantinoble. Le Concile premier d’Ephèse fut tenu pour destruire l’erreur de Nestorius. Brief, c’a esté la façon ordinaire de conserver l’unité des Eglises, depuis le commencement, toutes fois et quantes que le diable avoit commencé de machiner quelque chose. Mais nous avons à noter qu’on n’a point en tous lieux ni en tous temps des Athanases, des Basiles, et des Cyrilles, et autres semblables défenseurs de la vraye doctrine comme nostre Seigneur les avoit adoncques suscitez. Mesmes qu’il nous souviene de ce qui adveint au Concile second d’Ephèse, où l’hérésie eutychienne fut receue, et Flavien sainct Evesque banny avec ses adhérens, d’autant qu’il y résistoit : et beaucoup d’autres méchancetez commises : asçavoir, d’autant que Dioscore homme séditieux et de mauvais courage présidoit là, et non point l’Esprit de Dieu. Mais quelqu’un me dira que ce n’estoit point l’Eglise, Je le confesse ; car j’ay cela tout persuadé, que la vérité ne meurt point, et n’est pas esteinte en l’Eglise, encores qu’elle soit oppressée en un Concile : mais qu’elle est miraculeusement conservée de Dieu, afin de se remettre au-dessus en son temps. Mais je nie que cela soit perpétuel, de dire que toute interprétation qui aura esté approuvée en un Concile, soit pourtant vraye et convenante à l’Escriture.

4.9.14

Mais les Romanisques tendent à autre fin, en voulant que les Conciles ayent puissance souveraine d’interpréter l’Escriture, et sans appel : car ils abusent de ceste couverture pour appeler Interprétation de l’Escriture, tout ce qui a esté déterminé en un Concile. Touchant du purgatoire, de l’intercession des saints, de la confession secrète, et de toutes telles fariboles, on n’en trouvera point une seule syllabe en l’Escriture. Mais pource que toutes ces choses ont esté définies par l’authorité de l’Eglise, comme ils le disent, c’est-à-dire, pour parler plus à la vérité, qu’elles ont esté receues par opinion et par usage, il les faudra tenir pour interprétations de l’Escriture. Et non-seulement cela, mais si un Concile a rien ordonné directement répugnant à l’Escriture, cela mesmes aura le tiltre d’interprétation. Jésus-Christ commande à tous de boire du calice en sa Cène Matt. 26.27 : le Concile de Constance a défendu de le donner au peuple, et a voulu que le seul prestre qui célèbre la Messe en beust. Ils veulent que nous tenions pour interprétation de l’Escriture, une chose qui est si évidemment contraire à l’institution de Jésus-Christ. Sainct Paul appelle la défense du mariage, Hypocrisie des diables 1Tim. 4.1-3 : et en un autre lieu le sainct Esprit prononce que le mariage est sainct et honorable en tous estats Héb. 13.4 : Ce que le mariage a esté depuis défendu aux Prestres, ils veulent que cela soit pour interprétation de l’Escriture, combien qu’on ne puisse rien imaginer plus contraire. Si quelqu’un ose ouvrir la bouche pour sonner mot, il est jugé hérétique, d’autant que la détermination de l’Eglise est sans appel : et qu’on ne doit douter que toute interprétation qu’elle fait ne soit vraye. Qu’est-ce que je crierai contre une telle impudence ? Car il suffit de l’avoir démonstrée. Touchant ce qu’ils babillent, que l’Eglise a puissance d’approuver l’Escriture : je me déporte d’en traitter, pour cause. Car d’assujetir ainsi la sagesse de Dieu à la censure des hommes, qu’elle n’ait authorité sinon entant qu’il leur plaist, c’est un blasphème indigne d’estre mentionné. D’avantage, j’en ay touché ci-dessus au premier livre. Seulement je leur demanderay une question : Si l’authorité de l’Escriture est fondée en l’approbation de l’Eglise, quel décret de Concile ils me peuvent alléguer de cela. Je pense qu’ils n’en ont nul. Comment doncques Arrius souffroit-il d’estre vaincu à Nice par les tesmoignages qu’on luy alléguoit de l’Evangile de sainct Jehan ? Car selon ceste raison des papistes, il les pouvoit répudier, veu qu’il n’y en avoit encores approbation aucune de Concile universel. Ils allèguent un rolle ancien, qui se nomme le Canon de l’Escriture, lequel ils disent estre procédé de la définition de l’Eglise. Mais je demande derechef, en quel Concile ce Canon-là a esté composé. Yci il faut qu’ils demeurent muets. Combien que je voudroye encores sçavoir plus outre, quel ils pensent que soit ce Canon : car je voy que cela n’estoit point arresté entre les Anciens. Si ce que dit sainct Hiérosme a lieu[a] nous tiendrons pour Apocryphes les livres des Machabées, l’histoire de Tobie, l’Ecclésiastique, et autres livres semblables. Ce que toutesfois ces bonnes gens ne veulent point permettre.

[a] Praefat. in libros Salom.

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