Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE IV
Qui est des moyens extérieurs, ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ son Fils, et nous retenir en luy.

Chapitre VIII
De la puissance de l’Eglise quant à déterminer des articles de la foy : et comment on l’a tirée en la Papauté pour pervertir toute pureté de doctrine.

4.8.1

S’ensuyt maintenant le troisième point, qui est de la puissance de l’Eglise : laquelle est à considérer partie en chacun Evesque, partie aux Conciles, desquels les uns sont généraux, les autres provinciaux. Je parle seulement de la puissance spirituelle, laquelle est propre à l’Eglise. Or icelle consiste en trois membres : asçavoir en la doctrine, ou en la jurisdiction, ou en la faculté d’ordonner loix et statuts. Le point de la doctrine contient deux parties : la première est, de faire des articles de foy : la seconde est l’authorité d’exposer ce qui est contenu en l’Escriture. Or devant que commencer à entrer plus spécialement en matière, je prie et exhorte tous fidèles lecteurs qu’ils ayent ceste considération, de réduire tout ce qui est dit de la puissance de l’Eglise, à la fin pour laquelle sainct Paul dit qu’elle a esté donnée : c’est asçavoir en édification, et non point en destruction 2Cor. 10.8 ; 13.10. Ainsi tous ceux qui en veulent droictement user, ne doyvent point estre en autre réputation, que d’estre tenus pour ministres de Christ, et semblablement du peuple chrestien, comme dit sainct Paul 1Cor. 4.1. Or ceste est la seule façon d’édifier l’Eglise, si les ministres s’estudient et mettent peine de garder à Jésus-Christ son authorité entière : laquelle ne peut autrement estre sauve, sinon qu’on luy réserve ce qu’il a receu du Père : c’est-à-dire qu’il soit seul Maistre en l’Eglise. Car c’est de luy, et sinon point de nul autre, qu’il est escrit, Escoutez-le Matt. 17.5. Pourtant la Puissance ecclésiastique mérite bien d’estre prisée et estimée, moyennant qu’elle soit enclose en ces limites : c’est qu’on ne la tire point çà et là en plaisir des hommes. Pour ceste cause il est besoin d’observer comment elle est descrite et des Prophètes et des Apostres. Car si nous concédons simplement aux hommes telle puissance que bon leur semblera de demander, chacun voit par ce moyen que la porte seroit ouverte à une tyrannie désordonnée, laquelle ne doit avoir nulle entrée en l’Eglise de Dieu.

4.8.2

Pourtant il convient noter que tout ce qui est attribué par l’Escriture de dignité ou authorité tant aux Prophètes et Prestres de l’ancienne Loy, qu’aux Apostres et leurs successeurs, n’est point attribué à leurs personnes, mais au ministère et office ausquels ils sont constituez : ou pour dire plus clairement, à la Parole de Dieu, à l’administration de laquelle ils sont appelez. Car si nous les regardons tous par ordre, tant Prophètes et Prestres qu’Apostres et disciples, nous trouverons qu’il ne leur a esté jamais donné puissance aucune de commander ou enseigner, sinon au nom et en la parole du Seigneur. Car quand ils sont envoyez, il leur est quant et quant enjoinct de ne rien apporter du leur, mais de parler par la bouche du Seigneur. Dieu aussi ne les met pas en avant au peuple, pour commander qu’on leur donne audience, jusques à ce qu’il leur eust baillé leur charge et comme leur rolle de ce qu’ils devoyent dire. Il a bien voulu que Moyse, qui est le Prince des Prophètes, fust ouy par-dessus les autres : mais sa commission luy est donnée en premier lieu, à ce qu’il ne puisse rien annoncer sinon de par le Seigneur. Pourtant quand le peuple a receu sa doctrine, il est dit qu’il a creu à Dieu, et à Moyse son serviteur Exo. 14.31. Semblablement l’authorité des Prestres a esté establie avec grosses menaces, à ce qu’elle ne fust en mespris à personne Deut. 17.9-12. Mais le Seigneur démonstre de l’autre costé avec quelle condition on les devoit ouyr, disant qu’il a fait son alliance avec Lévi, afin que la Loy de vérité fust en sa bouche. Puis tantost après il adjouste, Que les lèvres du Prestre garderont la science : et qu’on cherchera la Loy en sa bouche, d’autant qu’il est messager du Seigneur Malach. 2.4-7. Pourtant si le Prestre veut estre escouté, il faut qu’il face comme bon messager de Dieu : c’est de fidèlement réciter ce qui luy est donné en charge. Et de faict, quand il est parlé de les escouter, nommément il leur est enjoinct de respondre selon la Loy du Seigneur Deut. 17.11.

4.8.3

Touchant des Prophètes, nous avons une belle description en Ezéchiel, laquelle nous monstre quelle a esté en somme toute leur puissance : Homme, dit le Seigneur, je t’ay ordonné guide sur la maison d’Israël : tu orras doncques la parole de ma bouche, et leur annonceras de par moy Ezéch. 3.17. Quand nostre Seigneur luy commande d’escouter de sa bouche, ne luy défend-il pas d’inventer quelque chose de soy-mesme ? Et qu’est-ce, Annoncer de par le Seigneur, sinon qu’il parlast tellement, qu’il s’osast hardiment vanter que la parole qu’il apportoit n’estoit pas siene, mais du Seigneur ? Il en est autant dit en Jérémie sous autres mots. Le Prophète auquel est révélé le songe, qu’il raconte le songe : et celuy qui a ma parole, qu’il dise ma parole véritable Jér. 23.28. Certes il leur impose yci loy à tous : c’est qu’il ne souffre point que nul parle outre ce qu’il luy aura commandé. Puis conséquemment il nomme Paille, tout ce qui n’est point procédé de luy seul. Pourtant il n’y en a pas un de tous les Prophètes qui ait ouvert la bouche, sinon ayant receu en premier lieu la Parole de Dieu. Dont si souvent sont par eux répétez ces mots, Parole du Seigneur, Charge du Seigneur, La bouche du Seigneur a parlé, Vision receue du Seigneur, Le Seigneur des armées l’a dit : et ce à bon droict. Car Isaïe confessoit ses lèvres estre pollues Esaïe 6.5 : Jérémie disoit qu’il ne sçavoit parler, pource qu’il estoit enfant Jér. 1.6. Que pouvoit-il sortir de leurs bouches pollues et puériles, sinon choses folles ou immondes, s’ils eussent parlé leurs paroles mesmes ? Mais quand leurs bouches ont commencé à estre organes du sainct Esprit, elles ont esté pures et sainctes. Après que nostre Seigneur a restreint les Prophètes de ceste bride, qu’ils ne puissent rien enseigner ne dire, sinon ce qu’ils auront receu de luy : il les orne lors de tiltres magnifiques. Car après qu’il a testifié qu’il les a constituez sur les peuples et sur les royaumes, pour arracher et abatre, édifier et planter : il adjouste incontinent la cause. Pourtant qu’il avoit mis sa parole en leur bouche Jér. 1.9-10.

4.8.4

Si nous venons aux Apostres, il est vray que Dieu les a honorez de plusieurs beaux tiltres : c’est asçavoir, qu’ils sont la lumière du monde, le sel de la terre : qu’ils doyvent estre escoutez comme Jésus-Christ : que ce qu’ils auront lié ou deslié en terre, sera lié et deslié au ciel Matt. 5.13-14 ; Luc 10.16 ; Jean 20.23 ; Matt. 18.18 : mais par leur nom mesme, ils monstrent combien il leur est permis en leur office. Ils doyvent estre Apostres, c’est-à-dire envoyez, pour ne babiller point ce que bon leur semblera, mais fidèlement apporter le mandement de celuy duquel ils ont esté envoyez. Et les paroles de nostre Seigneur sont assez claires, où il leur commande d’aller, et enseigner ce qu’il leur avoit ordonné Matt. 28.19. Mesmes il s’est aussi submis à ceste condition, afin que nul ne refusast d’y estre sujet : Ma doctrine, dit-il, n’est pas miene, mais du Père qui m’a envoyé Jean 7.16. Celuy qui a tousjours esté le conseiller éternel et unique du Père, et a esté constitué de luy Maistre de tous, néantmoins entant qu’il est venu au monde pour enseigner, il démonstre par son exemple à tous ministres quelle reigle ils doyvent suyvre et tenir en leur doctrine. Par ainsi, la puissance de l’Eglise n’est pas infinie, mais sujette à la Parole de Dieu, et quasi enclose en icelle.

4.8.5

Or comme ainsi soit que tousjours cela ait eu lieu et ait deu valoir en l’Eglise de Dieu, comme encores y doit valoir de présent, asçavoir que les Docteurs qu’il envoye n’enseignent rien sinon ce qu’ils auront apprins de luy : toutesfois il y a eu diverses façons d’apprendre, selon la diversité des temps : et celle qui est maintenant, diffère de celle qu’ont eue les Prophètes et Apostres. Premièrement, si ce que dit le Seigneur Jésus est vray, que nul n’a veu le Père sinon le Fils, et celuy auquel le Fils le veut révéler Matt. 11.27, il a falu que ceux qui ont voulu dés le commencement parvenir à la cognoissance de Dieu, ayent esté addressez par luy qui est la sagesse éternelle. Car comment eussent-ils comprins du commencement les secrets de Dieu, ou comment les eussent-ils annoncez, sinon estans instruits par celuy qui seul les cognoist ? Pourtant les Saincts du temps passé n’ont jamais autrement cognu Dieu, sinon le regardant en son Fils comme en un miroir. Quand je di cela, j’enten que Dieu ne s’est jamais manifesté aux hommes que par son Fils : c’est-à-dire par sa vérité, sagesse et lumière unique. De ceste fontaine ont puisé Adam, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, fout ce qu’ils ont eu de la cognoissance spirituelle. D’icelle mesme ont puisé les Prophètes tout ce qu’ils ont enseigné et laissé par escrit de doctrine. Toutesfois ceste sagesse de Dieu ne s’est point tousjours communiquée aux hommes d’une mesme sorte. Car Dieu a parlé aux Patriarches par révélations secrètes, en telle sorte néantmoins qu’il leur donnoit quant et quant des signes pour la confirmation d’icelles, à ce qu’ils ne fussent point en doute que c’estoit Dieu qui parloit. Les Patriarches ont laissé de main en main à leurs successeurs ce qu’ils avoyent receu. Car aussi Dieu leur avoit commis sa Parole à tel si, qu’ils l’enseignassent aux autres, afin qu’elle fust tousjours entretenue. Les successeurs avoyent tesmoignage de Dieu en leur cœur, que ce qu’ils oyoyent estoit venu du ciel, et non pas de la terre.

4.8.6

Or quand Il a pieu à Dieu d’ordonner et dresser une forme d’Eglise plus apparente, il a quant et quant voulu que sa Parole fust couchée par escrit, afin que les Prestres prinssent de là ce qu’ils voudroyent enseigner au peuple : et que toute doctrine laquelle on prescheroit, fust compassée et examinée à ceste reigle. Et pourtant, quand après la publication de la Loy il est commandé aux Prestres d’enseigner de la bouche du Seigneur Malach. 2.7 : le sens est, qu’ils n’enseignent rien estrange ou divers de la doctrine que Dieu avoit comprinse en sa Loy. Car d’adjouster à icelle, ou d’en rien diminuer, il ne leur estoit licite. Les Prophètes sont venus après, par lesquels Dieu a publié des nouveaux oracles, qui fussent adjoustez à la Loy : non pas toutesfois tellement nouveaux, qu’ils ne procédassent de la Loy, et qu’ils ne tendissent à icelle comme à leur but. Car quant à la doctrine, les Prophètes n’ont esté sinon expositeurs de la Loy : et n’ont rien adjousté à icelle, que les révélations des choses à venir. Cela excepté, ils n’ont rien mis en avant qu’une pure explication de la Loy. Toutesfois d’autant qu’il plaisoit à Dieu qu’il y eust une doctrine plus évidente et plus ample, pour satisfaire tant mieux aux consciences infirmes, il a ordonné que les Prophéties fussent aussi bien réduites par escrit, et qu’elles fussent portion de sa Parole. Les Histoires ont esté aussi bien adjoinctes avec, lesquelles ont esté composées par les Prophètes, le sainct Esprit les inspirant et dressant à cela. Je mets les Pseaumes en un mesme rang avec les Prophéties, pource que l’argument est commun et semblable. Parquoy tout ce corps d’Escriture composé de la Loy, des Prophéties, Pseaumes, et Histoires, a esté la Parole de Dieu au peuple ancien, ou l’Eglise d’Israël : et a falu que les Prestres et Docteurs ayent réduit et compassé à ceste reigle tout ce qu’ils ont enseigné jusques à l’advénement de Christ, sans qu’il leur fust licite de décliner on à dextre ou à gauche. Car toute leur authorité estoit enclose en ces bornes, qu’ils respondissent au peuple par la bouche du Seigneur ; ce qu’on peut recueillir de ce passage notable de Malachie, où il commande aux Juifs d’avoir mémoire de la Loy, et estre attentifs à icelle jusques à la prédication de l’Evangile Malach. 4.4. Car par cela il les retire de toutes doctrines estranges, et ne leur permet de décliner tant peu que ce soit du chemin que Moyse leur avoit fidèlement monstré. Et c’est pourquoy David magnifie tant l’excellence de la Loy, et luy attribue de si hauts tiltres Ps. 19.8 ; 119.89, 105 : asçavoir pour destourner les Juifs de n’appéter rien de nouveau, ou aucune addition, veu que tout ce qui estoit requis à leur salut leur estoit desjà déclairé.

4.8.7

Mais quand finalement la sagesse de Dieu a esté manifestée en chair, elle nous a déclairé à bouche ouverte tout ce qui peut entrer de Dieu en l’humain esprit, et tout ce qui s’en peut penser. Puis, di-je, que nous avons Jésus-Christ le Soleil de justice luisant sur nous, il nous donne parfaite clairté de la vérité de son Père, comme en plein midi : au lieu qu’elle n’estoit pas au paravant du tout descouverte, mais aucunement obscure. Car certes l’Apostre n’a pas voulu signifier une chose vulgaire, quand il a dit que Dieu avoit parlé aux anciens Pères par ses Prophètes en plusieurs sortes et en plusieurs manières : mais qu’en ces derniers jours il a parlé à nous par son cher Fils Héb. 1.1-2. Car par ceci il déclaire que ci-après Dieu ne parlera point comme paravant, par les uns ou les autres : et qu’il n’adjoustera point prophéties sur prophéties, ne révélations sur révélations : mais que tellement il a accomply toute perfection d’enseignemens en son Fils, qu’il nous faut sçavoir que cestuy-ci est le dernier et éternel tesmoignage que nous aurons de luy. Pour laquelle raison tout ce temps du Nouveau Testament, depuis que Jésus-Christ nous est apparu avec la prédication de son Evangile, jusques au jour du jugement, nous est dénoté par La dernière heure, les derniers temps, les derniers jours : afin qu’estans contens de la perfection de la doctrine de Jésus-Christ, nous apprenions de ne nous en forger d’autre nouvelle, n’en recevoir de forgée par homme. Et pourtant non sans cause le Père nous envoyant son Fils par un privilège singulier, nous l’a ordonné Docteur et Précepteur, nous commandant de l’escouter, et non aucun des hommes. Certes il nous a recommandé sa maistrise en peu de paroles, quand il a dit, Escoutez-le Matt. 17.5. Mais en ce peu de paroles il y a plus de force et d’importance qu’il ne semble ; car cela vaut autant comme si nous ayant retirez et révoquez de la doctrine de tous les hommes, il nous eust arrestez à son seul Fils, et nous eust commandé de prendre de luy toute doctrine de salut, de dépendre de luy seul, d’estre fichez en luy seul : brief (ce que le mot porte) d’obéir à luy seul. Et pour dire vray, que sçaurions-nous plus attendre ou souhaiter des hommes, puis que la Parole de vie mesme a familièrement conversé en chair avec nous ? si quelqu’un d’adventure n’avoit espérance que la Sapience de Dieu peust estre surmontée par l’homme. Plustost il faut que toute bouche d’homme soit close, depuis que celuy a parlé, auquel par la volonté du Père sont cachez tous les thrésors de science et sapience Col. 2.3 : et a parlé en telle sorte qu’il appartenoit à la Sapience de Dieu (laquelle ne défaut en nulle part) et au Messias, duquel on attendoit la révélation de toutes choses Jean 4.25 : c’est-à-dire qu’il a tellement parlé, qu’il n’a rien laissé à dire aux autres après soy.

4.8.8

Pourtant que ce nous soit une conclusion résolue, que nous ne devons point tenir en l’Eglise pour Parole de Dieu, sinon ce qui est contenu en la Loy et aux Prophètes, puis après aux escrits des Apostres : et qu’il n’y a nulle autre façon de bien et deuement enseigner en l’Eglise, que de rapporter toute doctrine à ceste reigle. De là aussi nous avons à inférer, qu’il n’a rien esté permis d’avantage aux Apostres, que ce que les Prophètes avoyent eu anciennement, asçavoir d’exposer l’Escriture jà donnée, et monstrer toutes les choses qui sont jà dites, estre accomplies en Jésus-Christ : combien encores qu’ils n’ont point fait cela, et ne l’ont deu faire, sinon de par le Seigneur, c’est-à-dire, ayans l’Esprit de Jésus-Christ, leur dictant ce qu’ils avoyent à dire. Car le Seigneur Jésus a limité toute leur ambassade en ceste sorte, leur commandant d’aller et enseigner : non point ce qu’ils auroyent forgé à la volée d’eux-mesmes, mais seulement tout ce qu’il leur avoit enjoint Matt. 28.20. D’avantage, on ne pourroit souhaiter sentence plus claire, que quand il leur dit, Ne soyez point appelez Maistres : car vous avez vous tous un Ministre au ciel, asçavoir moy Matt. 23.8. Et afin de leur ficher ceste parole plus avant au cœur, il la répète en un mesme lieu deux fois. Or pource que leur rudesse les empeschoit de comprendre ce qu’ils avoyent ouy et apprins de leur Maistre, il leur promet l’esprit de vérité pour les addresser en la vraye intelligence de toutes choses Jean 14.26 ; 16.13. Car ceste restriction est bien notable, quand il assigne au sainct Esprit cest office, de suggérer ce qu’il avoit desjà enseigné de sa bouche.

4.8.9

Pourtant sainct Pierre estant très-bien enseigné de son Maistre quel estoit son office, ne réserve ny à soy ny aux autres sinon de dispenser ce qui luy estoit commis. Celuy qui parle, dit-il, qu’il parle comme les paroles de Dieu 1Pi. 4.11 : c’est-à-dire hardiment, et non pas en chancelant, comme font ceux qui ne sont pas authoritez d’en haut, et n’ont pas la magnanimité qui est requise en bons serviteurs de Dieu. Qu’est-ce là autre chose, sinon rejetter toutes inventions de l’esprit humain, de quelque cerveau qu’elles soyent procédées, afin que la pure Parole de Dieu soit enseignée et apprinse en l’Eglise des fidèles ? et subvertir tous décrets d’hommes, de quelque estat qu’ils soyent, afin que les seules ordonnances de Dieu soyent tenues ? Voylà les armes spirituelles, puissantes à Dieu pour la démolition des munitions : par lesquelles les bons gendarmes de Dieu destruisent les conseils et toute hautesse qui s’eslève à l’encontre de la cognoissance de Dieu et meinent toute cogitation captive à l’obéissance de Christ, et ont vengence preste contre toute désobéissance 2Cor. 10.4-6. Voylà la puissance ecclésiastique clairement déclairée, laquelle est donnée aux Pasteurs de l’Eglise, de quelque nom qu’ils soyent appelez : c’est asçavoir que par la Parole de Dieu, de laquelle ils sont constituez administrateurs, hardiment ils osent toutes choses, et contraignent toute gloire, hautesse et vertu de ce monde, d’obéir et succomber à la majesté divine : que par icelle Parole ils ayent commandement sur tout le monde : qu’ils édifient la maison de Christ, subvertissent le règne de Satan : qu’ils paissent les brebis et exterminent les loups : qu’ils conduisent par enseignemens et exhortations ceux qui sont dociles : qu’ils contraignent et corrigent les rebelles et obstinez : qu’ils lient, et deslient, tonnent et foudroyent, si mestier est : mais tout en la Parole de Dieu. Combien qu’entre les Apostres et leurs successeurs il y a ceste différence, comme j’ay dit, que les Apostres ont esté comme Notaires jurez du sainct Esprit, à ce que leurs Escritures soyent tenues comme authentiques : les successeurs n’ont autre commission que d’enseigner ce qu’ils trouvent estre contenu aux sainctes Escritures. (Concluons doncques qu’il n’est point permis à tous ministres fidèles de forger de nouveau quelque article de foy : mais qu’il faut simplement adhérer à la doctrine à laquelle Dieu nous a tous assujetis sans exception. Quand je di cela, mon intention est non-seulement de monstrer ce qui est licite à chacun particulier, mais aussi à toute l’Eglise universelle. Quant est des personnes, nous sçavons que sainct Paul estoit ordonné Apostre sur les Corinthiens : toutesfois il dit qu’il ne domine point sur leur foy 2Cor. 1.24. Qui sera celuy qui osera maintenant usurper domination, laquelle sainct Paul testifie ne compéter point à sa personne ? Que s’il eust approuvé ceste licence desbridée, qu’un Pasteur peust demander qu’on adjoustast certaine foy à tout ce qu’il luy plaira d’enseigner, jamais il n’eust estably ceste police entre les Corinthiens, que deux ou trois Prophètes parlassent, et que les autres jugeassent : que si quelqu’un des autres avoit meilleure révélation, qu’il parlast, et que le premier se teust 1Cor. 14.29-30. Car par ces paroles, sans nul espargner, il a assujeti l’authorité de tous hommes à la censure et jugement de la Parole de Dieu. Mais quelqu’un me dira que c’est autre chose de l’Eglise universelle. Je respon que sainct Paul a aussi bien prévenu ceste doute, quand il dit en un autre passage, que la foy est par l’ouye, voire l’ouye de la Parole de Dieu Rom. 10.17. Je vous prie, si la foy dépend de la seule Parole de Dieu, et regarde à icelle seule, et sur icelle seule se repose, que reste-il plus à la parole de tout le monde ? Et de cela, nul qui sçaura bien que c’est de foy, n’en pourra douter ny hésiter. Car il faut qu’elle soit fondée en une telle fermeté, qu’elle puisse consister invincible et sans s’estonner à l’encontre de Satan, toutes les machinations d’enfer, et toutes les tentations du monde. Or ceste fermeté ne se trouvera qu’en la seule Parole de Dieu. D’avantage, il y a une raison universelle, laquelle il nous faut yci considérer : c’est que Dieu oste aux hommes la faculté de forger aucun article nouveau, afin que luy seul nous soit pour Maistre et Docteur en la doctrine spirituelle : comme il est luy seul véritable, ne pouvant mentir ne tromper. Ceste raison n’appartient pas moins à toute l’Eglise qu’à chacun fidèle.

4.8.10

Or si ceste puissance est comparée avec celle de laquelle se vantent les tyrans spirituels, qui contrefont les Evesques et recteurs des âmes, il n’y aura nulle meilleure similitude qu’entre Christ et Bélial. Mon intention n’est pas d’exposer comment et en quel désordre ils ont exercé leur tyrannie : seulement je réciteray la doctrine laquelle ils défendent, premièrement par livres et prédication, puis après par feu et par glaive. D’autant qu’ils tienent pour une résolution certaine, qu’un Concile universel représente vrayement l’Eglise : se fondans sur ce principe, ils concluent sans aucune doute, que tous Conciles universels sont régis directement du sainct Esprit : et pourtant qu’ils ne peuvent errer. Or comme ainsi soit qu’eux-mesmes régissent les Conciles, et mesmes qu’ils les facent : tout ce qu’ils leur attribuent d’authorité, ils le prenent à la vérité pour eux. Ils veulent doncques que nostre foy se tiene debout, ou qu’elle tombe bas à leur plaisir : tellement que tout ce qu’ils auront arresté d’une part ou d’autre, nous soit ferme et résolu. S’ils ont rien approuvé, que nous le recevions sans aucun scrupule : s’ils ont rien condamné, que nous le tenions aussi pour condamné ; ce pendant ils forgent à leur poste, et sans avoir esgard à la Parole de Dieu telles doctrines qu’ils veulent : ausquelles pour ceste seule raison ils entendent qu’on doit adjouster foy. Car ils n’estiment point qu’un homme soit Chrestien, sinon qu’il s’accorde à toutes leurs déterminations, tant affirmatives que négatives : pour le moins de foy implicite, comme ils appellent : se fondans là-dessus, qu’il est en l’authorité de l’Eglise de faire nouveaux articles de foy.

4.8.11

Premièrement voyons de quels argumens ils s’aident, pour monstrer que ceste puissance ait esté donnée à l’Eglise : puis après nous verrons de quoy leur proufite ce qu’ils allèguent, touchant l’Eglise. L’Eglise, disent-ils, est garnie de belles et excellentes promesses, de n’estre jamais abandonnée de Christ son espoux, qu’il ne la conduise par son Esprit à toute vérité. Mais des promesses qu’ils ont coustume d’alléguer, il y en a une grande partie qui ne sont pas moins données à un chacun fidèle en particulier, qu’à toute l’Eglise ensemble. Car combien que Jésus-Christ parloit aux douze Apostres, en leur disant, Je seray avec vous jusques à la fin du monde Matt. 28.20. Item, Je prieray le Père, et il vous donnera un autre consolateur, asçavoir l’Esprit de vérité Jean 14.16-17 : toutesfois il ne promettoit point cela seulement au nombre des douze, mais à chacun d’eux, voire mesmes à ses disciples, lesquels il avoit desjà esleus, ou devoit eslire après. Or quand ils interprètent tellement ces promesses plenes de singulière consolation, comme si elles n’estoyent données à nul des Chrestiens, mais à toute l’Eglise ensemble, que font-ils autre chose qu’oster à chacun Chrestien la consolation qui luy en devoit venir pour luy donner tant plus de fiance ? Je ne nie pas yci, que la compagnie des fidèles garnie de ceste diversité de grâces ne soit ensemble beaucoup plus riche de toute sapience céleste que chacun n’est à part : mais je veux seulement débatre, que perversement ils tirent les paroles de nostre Seigneur en autre sens qu’elles n’ont esté dites. Nous confessons doncques (comme la vérité est) que le Seigneur éternellement assiste aux siens, et qu’il les conduit de son Esprit : que cest Esprit n’est pas d’erreur, ignorance, mensonge ou ténèbres : mais de révélation, vérité, sapience et lumière : duquel ils puissent sans tromperie apprendre quelles choses leur sont données de Dieu 1Cor. 2.12 : c’est-à-dire : quelle est l’espérance de leur vocation, et quelles sont les richesses de la gloire de l’héritage de Dieu, et combien est excellente la grandeur de sa vertu sur tous les croyans Eph. 1.18-19. Mais comme ainsi soit que les fidèles reçoyvent seulement quelque goust et commencement de cest Esprit en ceste chair, mesmes ceux qui par-dessus les autres sont pleins de richesses et grâces de Dieu : il ne reste rien meilleur, sinon qu’en recognoissant leur imbécillité, ils se contienent songneusement sous les termes de la Parole de Dieu : de peur que s’ils vouloyent procéder outre par leurs sens, ils ne se desvoyent incontinent de la droicte voye. Et à dire vray, il ne faut douter, que s’ils venoyent à décliner le moins du monde de ceste Parole, qu’ils ne s’abusassent à chacun coup : c’est asçavoir d’autant qu’ils sont encores en partie vuides de cest Esprit, par le seul enseignement duquel on discerne la vérité du mensonge. Car tous confessent avec sainct Paul, qu’ils ne sont pas encores venus au but Phil. 3.12 : pourtant ils continuent de jour en jour à proufiter, plustost que de se glorifier en perfection.

4.8.12

Mais ils répliqueront que ce qui est attribué en partie à chacun des saincts, compète du tout entièrement à l’Eglise. La response. Combien qu’il semble advis que cela ait apparence de vérité : toutesfois je nie qu’il soit vray. Je confesse bien que nostre Seigneur distribue par mesure les dons de son Esprit à chacun membre de son corps, en sorte que rien ne défaut au corps universel, quand tous les dons sont conférez ensemble. Mais les richesses de l’Eglise sont tousjours telles, qu’elles sont bien loing de ceste souveraine perfection, laquelle prétendent nos adversaires. Combien que l’Eglise n’est pas destituée en rien, qu’elle n’ait tousjours ce dont elle a besoin : car le Seigneur cognoist ce qui est requis pour sa nécessité. Mais afin de l’entretenir en humilité et modestie, il ne luy donne pas plus que ce qu’il cognoist luy estre expédient. Je sçay aussi qu’ils ont accoustumé d’objecter ce que dit sainct Paul, que Christ a purgé son Eglise au Baptesme d’eau en la Parole de vie, pour se la rendre glorieuse espouse, n’ayant tache ne ride : mais afin qu’elle soit saincte et immaculée Eph. 5.25-27 : et que pour ceste raison il la nomme en un autre lieu, Pillier et firmament de vérité 1Tim. 3.15. Quant au premier, il monstre plus ce que continue de faire tous les jours Christ en ses esleus, que ce qu’il a desjà parfait. Car si de jour en jour il les sanctifie, purge, polit et nettoye de leurs taches, certainement il appert qu’ils sont encores ridez et maculez, et qu’il défaut quelque chose à leur sanctification. D’avantage, estimer l’Eglise desjà saincte et immaculée, de laquelle les membres, soyent encores souillez et immondes, n’est-ce pas pure mocquerie ? Il est doncques vray que Christ a lavé son Eglise au Baptesme d’eau par la Parole de vie : c’est-à-dire, qu’il l’a purgée par la rémission des péchez : de laquelle purgation le Baptesme est enseigne : et l’a purgée pour la sanctifier ; mais de ceste sanctification, le commencement tant seulement en apparoist yci : la fin et l’accomplissement en sera entier, quand Christ le sainct des saincts l’aura remplie du tout de sa saincteté. Il est vray aussi que les rides et macules d’icelle sont effacées : mais c’est tellement, que de jour en jour elles s’effacent encores, jusques à ce que Christ par son advénement oste entièrement ce qui en reste. Car si nous ne confessons cela, il nous sera nécessaire de consentir avec les Pélagiens, que la justice des fidèles est parfaite en ce monde : item, de dire avec les Cathares et Donatistes, que ce n’est point Eglise, où il y a quelque infirmité ; or nos adversaires mesmes tienent tous ceux-là pour hérétiques. L’autre passage, comme nous avons veu ailleurs, a un sens tout divers de celuy qu’ils prétendent. Car après que sainct Paul a instruit Timothée en office d’Evesque, il adjouste qu’il luy a monstré une telle leçon, afin qu’il sçache comme il luy faut converser en l’Eglise de Dieu. Et afin de monstrer mieux l’importance de la chose, il dit aussi qu’icelle Eglise est Pillier et firmament de la vérité. Or que signifient ces paroles autre chose, sinon que la vérité de Dieu est conservée en l’Eglise par le ministère de la prédication ? comme il le déclaire en autre lieu en disant, Jésus-Christ a donné des Apostres, des Pasteurs et Docteurs, afin que nous ne soyons plus esbranlez et transportez à tout vent de doctrine, ou déceus par l’astuce des hommes : mais qu’estans illuminez à la cognoissance du Fils de Dieu, nous soyons tous réduits en unité de foy Eph. 4.11-15. Pourtant ce que la vérité n’est point esteinte au monde, mais qu’elle demeure en vigueur, cela se fait d’autant que l’Eglise est gardienne seure et fidèle pour la maintenir, à ce qu’elle ne déchée point. Or si ceste garde que l’Eglise en fait, est située au ministère des Prophètes et Apostres, il s’ensuyt que le tout dépend de là, que la Parole de Dieu, soit entretenue en sa pureté.

4.8.13

Et afin que les Lecteurs entendent mieux quel est le nœud de la matière, j’exposeray en brief ce que demandent nos adversaires, et en quoy c’est que nous leur résistons. Quand ils disent que l’Eglise ne peut errer, voyci comment ils l’entendent : que d’autant qu’elle est gouvernée par l’Esprit de Dieu : elle peut cheminer seurement sans la Parole : et comment qu’elle aille, qu’elle ne peut sentir ne parler que vray : et par ainsi encores qu’elle détermine de quelque chose outre la Parole de Dieu, qu’il faut tenir sa sentence comme un certain oracle venant du ciel. De nous, si nous leur concédons ce point, que l’Eglise ne puisse errer aux choses nécessaires à salut : c’est avec tel sens, qu’elle ne peut faillir, d’autant qu’en se démettant de sa propre sagesse elle souffre d’estre enseignée du sainct Esprit par la Parole de Dieu. Voyci doncques le différent qui est entre nous : ils attribuent authorité à l’Eglise hors la Parole : nous au contraire conjoignons l’un avec l’autre inséparablement. Or ce n’est point de merveille si l’espouse et l’escholière de Christ est sujette à son Maistre et à son Mari, pour s’arrester entièrement à ce qu’il dit et commande : car la façon d’une maison bien reiglée requiert cela, que la femme obtempère à son mari, et le tiene pour son supérieur. C’est aussi l’ordre d’une bonne eschole, que le seul maistre ait là l’authorité d’enseigner, et qu’il soit escouté. Pourtant, que l’Eglise ne soit point sage de soy-mesme, et qu’elle ne songe rien de soy : mais qu’elle constitue le but de sa sagesse là où Jésus-Christ fait fin de parler : En ceste manière elle se desfiera de toutes les inventions de sa raison : et au contraire, estant appuyée sur la Parole de Dieu, elle ne chancellera ne doutera aucunement : mais avec plene certitude et constance elle se reposera sur icelle. Pareillement se confiant des promesses qui luy sont données, elle aura sur quoy s’appuyer seurement, afin de ne point douter que le sainct Esprit ne luy assiste tousjours, pour luy estre bon conducteur et guide. Mais d’autre part elle se souviendra à quelle fin et à quel usage le Seigneur veut qu’on reçoyve son Esprit. L’Esprit, dit-il, que je vous envoyeray du Père, vous conduira en toute vérité. Mais comment cela ? Il adjouste conséquemment, Car il vous suggérera toutes les choses que je vous ay enseignées Jean 16.13. Il dénonce doncques qu’il ne faut rien d’avantage attendre de son Esprit, sinon qu’en illuminant nos entendemens, il nous face recevoir la vérité de sa doctrine. Pourtant la sentence de Chrysostome est notable : Plusieurs, dit-il, se vantent de l’Esprit : mais ceux qui apportent du leur, le prétendent faussement. Comme Christ testifioit qu’il ne parloit point de soy-mesme, d’autant que sa doctrine estoit prinse de la Loy et des Prophètes : en telle manière, si on nous apporte sous le tiltre de l’Esprit, quelque chose qui ne soit contenue en l’Evangile, ne la croyons pas. Car comme Christ est l’accomplissement de la Loy et des Prophètes : aussi est l’Esprit, de l’Evangile[j] Jean 12.49 ; 14.10. Voylà les paroles de sainct Chrysostome. Maintenant il est facile de veoir combien nos adversaires s’esgarent du droict chemin, quand ils n’allèguent que le sainct Esprit, et ne le mettent en avant à autre fin, que pour conserver, sous ombre d’iceluy, des doctrines estranges et diverses de la Parole de Dieu : comme ainsi soit qu’il vueille estre conjoinct avec icelle Parole, comme d’un lien indissoluble : et que Jésus-Christ proteste cela de luy, en le promettant à ses Apostres. Et de faict, il est ainsi. Car telle sobriété que Dieu a une fois recommandée à son Eglise, il veut qu’elle soit gardée jusques en la fin. Or il luy a défendu de ne rien adjouster à sa Parole, ny en rien diminuer. Voylà un décret inviolable de Dieu et de son Esprit, lequel nos adversaires veulent casser, quand ils feignent que l’Eglise est gouvernée par le sainct Esprit, sans la Parole de Dieu.

[j] Serm. De sancto et adorando Spiritu.

4.8.14

Derechef ils cavillent, qu’il a falu que l’Eglise ait adjousté aux escrits des Apostres : ou bien qu’eux-mesmes ayent ordonné plusieurs choses par vive voix, pour suppléer à leurs escrits, ausquels ils n’avoyent point clairement tout exposé. Pour prouver cela, ils allèguent ce que Jésus-Christ leur dit, J’ay beaucoup de choses à vous dire, lesquelles vous ne pouvez encore porter Jean 16.12. Ils exposent doncques, que ces choses-là sont les ordonnances lesquelles ont esté receues par usage sans Escriture. Mais quelle est ceste impudence ? Je confesse que les Apostres estoyent encores rudes et grossiers, quand nostre Seigneur disoit cela. Mais ceste ignorance estoit-elle encores en eux quand ils ont réduit leur doctrine par escrit : en sorte qu’il ait falu après suppléer de vive voix ce qu’ils avoyent oublié, ou laissé arrière par faute d’intelligence ? Mais au contraire, puis que nous sçavons qu’ils estoyent desjà menez par l’Esprit en toute vérité, quand ils ont composé ce que nous avons de leurs escrits, qu’est-ce qui a empesché qu’ils n’ayent là comprins une parfaite cognoissance de la doctrine évangélique ? Mais encores donnons-leur ce qu’ils demandent, que les Apostres ayent laissé par vive voix à l’Eglise plus qu’ils n’ont point escrit : je demande maintenant qu’ils m’en facent le dénombrement. S’ils osent attenter cela, je répliqueray à l’encontre par la bouche de sainct Augustin, Puis que le Seigneur n’a point exprimé quelles estoyent ces choses, qui sera celuy de nous qui dira, Ce sont celles-ci, ou celles-là ? ou s’il l’ose dire, comment le prouvera-il[k] ? Toutesfois c’est folie à moy de plus débatre d’une chose superflue : car les petis enfans mesmes sçavent bien, que ce que nostre Seigneur promit de révéler aux Apostres les choses qu’ils ne pouvoyent adoncques porter, cela a esté accomply quand il leur a envoyé le sainct Esprit, et que nous en avons le fruit en leurs Escritures.

[k] Homil. in Joan., XCVI.

4.8.15

Quoy doncques ? disent-ils, Jésus-Christ n’a-il point mis hors de doute tout ce que l’Eglise enseigne et décrète, quand il a voulu estre tenu pour Publicain et Payen celuy qui y contreviendroit Matt. 18.17 ? Premièrement, il n’est point là fait mention de la doctrine, mais Jésus-Christ veut que les censures qui se font pour corriger les vices, ayent plene authorité : afin que ceux qui seront admonestez et corrigez, ne se rebecquent point à l’encontre. Mais laissant cela, c’est merveille comment ces trompeurs sont si effrontez, qu’ils s’osent glorifier de ce tesmoignage. Car que peuvent-ils conclurre de ce, sinon qu’il n’est pas licite de contemner le consentement de l’Eglise, laquelle n’accorde jamais sinon en la vérité de Dieu ? Il faut escouter l’Eglise, disent-ils. Qui le nie, d’autant qu’elle ne prononce rien, sinon de la Parole de Dieu ? S’ils demandent quelque chose d’avantage, qu’ils entendent que ces paroles de Christ ne leur favorisent en rien. Et ne faut qu’on m’estime trop contentieux, de ce que j’insiste si fort sur ce point, qu’il n’est licite à l’Eglise de forger aucune doctrine nouvelle : c’est-à-dire de plus enseigner que Dieu n’a révélé par sa Parole. Car tout homme de sens rassis voit bien quel danger il s’en ensuyvroit, si on donnoit une fois aux hommes tant de puissance. On voit comment la fenestre seroit ouverte à tous blasphémateurs pour se mocquer de la Chrestienté, si on disoit que les Chrestiens deussent tenir comme article de foy ce que les hommes auroyent déterminé. Il y a aussi ce point à noter, que Jésus Christ selon l’ordre accoustumé en son temps donne ce nom-là au consistoire qui estoit estably entre les Juifs : voulant par ceste similitude induire ses disciples à porter révérence aux superintendans, de l’Eglise. Or si on veut croire nos adversaires, il s’ensuyvroit que chacune ville et village auroit pareille authorité à forger des articles de foy.

4.8.16

Ces exemples dont ils se veulent servir, ne font rien à leur propos. Ils disent que le Baptesme des petis enfans est fondé plus sur le décret de l’Eglise, que sur quelque commandement exprès de l’Escriture. Mais ce seroit un très-povre et malheureux refuge, si pour défendre le Baptesme des petis enfans, nous estions contraints de recourir à la pure et simple authorité de l’Eglise ; mais il apparoistra en un autre lieu qu’il n’est pas ainsi. Semblablement ce qu’ils allèguent, que l’on ne trouve point aux Escritures la détermination faite au Concile de Nice, que le Fils de Dieu est d’une mesme substance avec le Père : en cela ils font une grosse injure aux saincts Evesques du Concile : comme s’ils eussent témérairement condamné Arrius de ce qu’il ne vouloit point s’astreindre à leurs mots, combien qu’il confessast toute la doctrine laquelle est comprinse aux Escritures des Prophètes et Apostres : je confesse bien que ce mot de Consubstantiel n’est point en l’Escriture : mais puis que tant de fois il nous est montré en icelle qu’il n’y a qu’un seul Dieu : et derechef que Jésus-Christ y est appelé vray Dieu et éternel, un avec le Père : qu’ont fait autre chose les saincts Evesques, en déclairant qu’il estoit d’une mesme essence, sinon qu’ils ont simplement exposé le sens naturel de l’Escriture ? Et de faict, Théodorite historien raconte que Constantin l’Empereur usa de ceste préface au Concile, de première entrée : Il y a la doctrine du sainct Esprit, à laquelle il nous faut tenir en disputant des choses divines : les livres des Apostres et Prophètes nous monstrent plenement la volonté de Dieu. Pourtant en laissant toutes contentions, prenons des paroles du sainct Esprit, la décision et vuidange de la question qui est à présent[l]. Il n’y eut nul qui contredist à ces sainctes admonitions : nul ne répliqua que l’Eglise pouvoit adjouster quelque chose du sien : que le sainct Esprit n’avoit point tout révélé aux Apostres, ou pour le moins qu’ils n’avoyent pas tout laissé par escrit ; rien de tout cela. Si ce que nos adversaires prétendent est vray : premièrement l’Empereur Constantin eust mal fait en ostant à l’Eglise sa puissance. Secondement, c’eust esté une dissimulation meschante et desloyale aux Evesques, que nul d’eux ne se leva pour maintenir l’authorité de l’Eglise. Mais au contraire, Théodorite réfère que tous receurent volontiers l’admonition de l’Empereur, et l’approuvèrent. Dont il appert que ce que maintenant disent nos adversaires, est nouveau, et qu’il n’estoit point encores cognu adoncques.

[l] Histor. Ecclesiastic., lib. I, cap. V.

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