Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre III

Marcion a lu dans l’Epître aux Galates les reproches que Paul adresse aux apôtres eux-mêmes, « de ne pas marcher droit selon la vérité de l’Evangile, » et à quelques faux prophètes, « de pervertir l’Evangile de Jésus-Christ. » Le sectaire s’arme de ces paroles pour ruiner l’authenticité de nos livres, propriété légitime des apôtres ou des hommes apostoliques qui les ont publiés sous leur nom. Il veut par-là concilier à ses impostures la créance dont il dépouille leurs ouvrages. « Sans doute Pierre, Jean et Jacques, qui passaient pour les colonnes de l’Église, » furent censurés ; mais nous savons pourquoi. Les collègues de Paul semblaient accommoder la doctrine aux convenances des personnes. Toutefois, « puisque lui-même se fait tout à tous pour sauver tous ses frères, » Pierre ne pourrait-il pas alléguer aussi une charité semblable, quand ses actions dérogeaient un peu à ses enseignements ?

La nature des faux prophètes qui se glissaient dans l’Église n’est pas moins connue. Ils maintenaient la circoncision et les observances judaïques ; Paul attaquait non pas leur prédication, mais leur manière de vivre : s’ils eussent erré sur le Dieu Créateur, ou son Christ, l’apôtre eût-il manqué de le remarquer ? tout cela est bien à distinguer. Marcion veut-il que les apôtres aient été soupçonnés d’une perversité et d’une hypocrisie, qui aurait été jusqu’à corrompre l’Evangile ? Alors il accuse le Christ, en accusant les instruments choisis par le Christ. Accorde-t-il que les apôtres censurés uniquement pour un léger changement dans la discipline, ont concerté entre eux une œuvre intacte et fidèle, mais qu’après eux des faussaires ont corrompu la vérité primitive ; falsification d’où résultent nos Ecritures ? je le demande, où sera l’œuvre authentique des apôtres parmi tous ces livres adultères ? Sera-ce l’Evangile qui a illuminé Paul, et par Paul, Luc, son disciple ? ou bien si la vérité a péri sans retour, sous ce débordement universel de falsifications, Marcion peut-il se vanter d’avoir seul l’Evangile véritable ? Je le veux bien cependant ; il possède le véritable, celui des apôtres. Pourquoi, dès lors, s’accorde-t-il avec celui que nous avons, et qui nous vient non pas des apôtres, mais de Luc ? Ou bien si l’Evangile à l’usage de Marcion ne doit, pas être attribué à Luc par la raison seule qu’il est d’accord avec le nôtre, tout corrompu qu’il est dans son titre, il appartient donc aux apôtres. Donc notre Évangile, qui est d’accord avec lui, est l’œuvre des apôtres, mais altérée dans son titre.

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