1.[1] Sur ces entrefaites, les Philistins résolurent de faire une expédition contre les Israélites et envoyèrent des messagers à la ronde chez tous leurs alliés, leur donnant rendez-vous à Rengàn[2], d’où ils devaient, tous ensemble, partir en guerre contre les Hébreux. Le roi des Gittiens, Anchous, invita David à l’assister avec ses soldats contre les Hébreux. David s’empresse de le lui promettre et déclare que c’est là une occasion pour lui de payer Anchous de retour pour ses bons offices et son hospitalité : le roi s’engage alors à faire de lui son garde du corps[3] si la lutte contre l’ennemi commun tourne à souhait[4], espérant échauffer encore son zèle par cette marque d’honneur et de confiance[5].
[1] I Samuel, XXVIII, 1.
[2] On ne voit pas où Josèphe a pris ce nom de ville.
[3] C’est-à-dire le capitaine de ses gardes (άρχισωματοφύλαξ, LXX, I Samuel, XXVIII, 2).
[4] Texte suspect. Les mots μετά τήν νίxην pourraient être une glose.
[5] Dans la Bible, Akis confère ce titre à David hic et nunc.
2. Or, il faut savoir que le roi Saül avait banni de ses états les devins, les ventriloques[6] et tous les professionnels de ce genre, à l’exception des prophètes[7]. Quand il apprit que les Philistins étaient à ses portes et qu’ils avaient posé leur camp tout près de la ville de Souna[8], située dans la plaine, il se mit en route contre eux à la tête de son armée. Parvenu près d’un mont nommé Gelboué, il établit son camp en face des ennemis. Mais un grand trouble le saisit en apercevant leurs forces si nombreuses et, en toute apparence, supérieures aux siennes ; alors il interroge Dieu, par le ministère des prophètes, au sujet du combat et lui demande l’issue qu’il doit en attendre. Dieu ne répondant pas, ce silence redouble sa crainte ; il perd courage, prévoyant, compte de juste, un désastre, puisque la divinité l’abandonnait. Dans cette extrémité, il ordonne qu’on aille lui chercher une femme, ventriloque de son métier, et sachant évoquer les âmes des morts, dans l’espoir qu’il pourra apprendre ainsi comment les événements tourneront pour lui. Car les ventriloques, par le moyen des âmes des morts qu’ils font surgir, prédisent l’avenir a ceux qui les interrogent. Informé par un de ses serviteurs qu’il y avait une femme de cette sorte dans la ville d’Endor(os), Saül s’en va à l’insu de tout le camp et, dépouillé de son costume royal, accompagné seulement de deux serviteurs d’une fidélité assurée, se rend à Endor chez cette femme et lui demande de lui prédire l’avenir et de faire revenir l’âme qu’il lui désignerait. D’abord la femme s’en défendit, protestant qu’elle n’osait pas enfreindre l’édit du roi, qui avait banni ce genre de devins ; c’était mal à lui, qui n’avait reçu d’elle aucun tort, de lui tendre ce piège et de lui faire commettre un acte défendu qui lui attirerait un châtiment. Saül jure alors que nul n’en saura rien, qu’il ne confiera à personne son oracle et qu’elle n’a rien à redouter. L’avant rassurée par ses serments, il lui commande d’évoquer devant lui l’âme de Samuel. La femme, ignorant qui était Samuel, l’appelle de l’Hadès. Il apparaît : elle, apercevant un homme vénérable et d’aspect divin, se trouble et s’effraye à ce spectacle : « N’es-tu pas, s’écrie-t-elle, le roi Saül ? » Car Samuel le lui avait désigné. Saül répond affirmativement et demande d’où lui vient ce grand trouble. « C’est, dit-elle, que je vois surgir un homme semblable par son aspect à un Dieu. » Saül l’invite à lui décrire la forme, le vêtement, l’âge de l’apparition. Elle le dépeint ainsi : c’est déjà un vieillard, d’apparence très vénérable, revêtu de la robe sacerdotale[9]. À ce signalement, elle reconnaît Samuel et, se jetant à terre, le salue et lui rend hommage. L’ombre de Samuel lui demande pourquoi il l’a dérangé et fait remonter sur la terre. Saül, en gémissant, lui fait connaître la nécessité qui le presse : les ennemis tombent sur lui de tout leur poids, il se voit à bout de ressources, abandonné de Dieu et n’ayant pas même le réconfort d’une prédiction, soit par des prophètes, soit par des songes : « C’est pourquoi, dit-il, je me suis réfugié auprès de toi pour que tu me prennes sous ta garde. » Mais Samuel, sachant qu’il touchait au terme de ses vicissitudes : « C’est chose superflue, dit-il, que de vouloir rien apprendre de moi, dès que Dieu t’a abandonné ; sache cependant que David doit régner et achever heureusement cette guerre, et que toi, tu dois perdre le pouvoir et la vie pour avoir désobéi à Dieu lors de la guerre contre les Amalécites et n’avoir pas observé ses commandements, ainsi que je te l’ai annoncé de mon vivant. Apprends donc que ton peuple sera terrassé par tes ennemis, que toi-même avec tes enfants tu tomberas demain dans la bataille et que tu viendras me rejoindre. »
[6] έγγαστριμύθους. Josèphe traduit comme les LXX l’hébreu ov (I Samuel, XXVIII, 3, 7, 8).
[7] Inspiré par I Samuel, XXVIII, 6.
[8] Hébreu : Schounem ; LXX : Σωνάμ.
[9] Enveloppé d’un meil, selon la Bible. Josèphe a la même traduction que les LXX : διπλοίς, mais il y ajoute l’épithète de ίερατιxή.
3. En entendant ces paroles, Saül devint muet de douleur et, précipité sur le sol, soit à cause du chagrin que lui causaient ces révélations, soit par faiblesse, — car il n’avait pas pris de nourriture, ni le jour ni la nuit précédente, — il gisait comme un mort[10]. Quand à grand peine il eut repris connaissance, la femme le força de manger quelque chose ; c’était la seule grâce quelle lui demandait en récompense de cet oracle téméraire qu’elle avait osé lui donner sans en avoir le droit, par crainte de celui qu’elle n’avait pas reconnu. En retour, donc, elle insiste pour qu’il la laisse dresser une table avec des mets, afin qu’ayant réparé ses forces, il s’en retourne plus vaillant dans le camp des siens. Quoique le roi, dans son découragement, ne voulait rien entendre, elle lui fit violence et finit par le persuader. Elle possédait pour tout bien un veau dont elle faisait son compagnon, qu’elle avait voulu elle-même panser et nourrir, en pauvre mercenaire qu’elle était ; elle l’immola, accommoda ses chairs et les offrit à Saül et à ses gens. Et Saül, cette nuit même, retourna dans son camp.
[10] Texte incertain. Je traduis la leçon des mss. RO corrigée par Niese (έxειτονέxυς ώς τις).
4.[11] Il convient de louer ici la générosité de cette femme. Bien qu’empêchée par d’exercer une profession qui aurait apporté plus d’aisance et de bien-être à son ménage, bien qu’elle n’eut jamais vu le roi auparavant, elle ne lui garda pas rancune d’avoir condamné son art, et ne l’éconduisit pas comme un étranger, un inconnu. Au contraire, elle lui apporta sympathie et consolation, l’exhorta à vaincre son dégoût, et lui offrit avec un généreux empressement l’unique bien que possédât sa pauvreté. En agissant de la sorte, elle ne payait pas quelque bienfait reçu, elle n’ambitionnait aucune marque future de reconnaissance, — puisqu’elle savait que Saül allait mourir, — alors que les hommes sont naturellement portés à se dévouer seulement pour ceux qui leur ont fait quelque bien ou à faire des avances à ceux de qui ils en espèrent. Il est donc beau de prendre exemple sur cette femme, de soulager tous ceux qui sont dans le besoin et de se persuader qu’il n’est rien de meilleur et de plus avantageux au genre humain, rien qui puisse mieux nous rendre Dieu propice et disposé à assurer notre bonheur. Mais en voilà assez au sujet de cette devineresse. Faisons maintenant une autre réflexion qui pourra être utile aux cités, aux peuples, aux nations, et profitable aux gens de bien ; tous y trouveront un aiguillon pour rechercher la vertu et poursuivre ce qui pourra leur procurer gloire et renom éternel : elle est propre à imprimer au cœur des rois, des nations et des chefs des cités le vif désir et l’amour du bien, à leur faire braver les dangers et la mort même pour le salut de leur patrie, à leur apprendre à mépriser les plus redoutables épreuves. L’occasion de cette réflexion m’est fournie par Saül, roi des Hébreux. Ce roi, à qui l’oracle du prophète ne laissait aucun doute sur son destin et sa mort prochaine, ne songea pas à éviter la mort ni, par amour de la vie, à livrer les siens à l’ennemi et à déshonorer la majesté royale ; au contraire, s’étant offert aux dangers, lui, sa maison, ses enfants, il jugea beau de tomber avec eux en combattant pour ses sujets et voulut que ses fils périssent en braves gens plutôt que de les laisser vivre, incertain de leur conduite future ; pour tout successeur et pour toute postérité, il laissait une gloire et une renommée impérissable. Tel est, à mon sens, l’homme droit, vaillant et sage, seul digne, s’il fut ou doit être pareil, de recueillir pour sa vertu les suffrages unanimes. Ceux, en effet, qui partent pour la guerre, le cœur gonflé d’espérances, pensant triompher et revenir sains et saufs après avoir accompli quelque action d’éclat, ils ne méritent guerre ce nom de vaillants que leur décernent les historiens et les autres écrivains. Certes, eux aussi sont dignes d’approbation, mais la force d’âme, la hardiesse, le mépris du mal ne sont vraiment l’apanage que de ceux qui ont suivi l’exemple de Saül. Ignorer ce qui vous adviendra à la guerre, et s’y engager, sans faiblesse, en s’en remettant, comme le navigateur sur une mer orageuse, à un avenir incertain, voilà qui n’est pas si magnanime, quelque nombreux exploits qu’on doive accomplir. Mais que, sans concevoir aucune espérance, sachant d’avance, au contraire, qu’on va mourir dans la bataille, on n’éprouve aucune peur, on ne tremble pas devant ce tragique destin, qu’on aille au-devant de lui en connaissance de cause, voilà, je le prétends, une preuve de véritable vaillance. Et c’est ainsi qu’agit Saül pour montrer que tous ceux qui souhaitent laisser un grand nom après leur mort doivent se conduire de manière à le mériter[12], les rois surtout, car l’éminence de leur dignité leur interdit non seulement d’être mauvais envers leurs sujets, mais même de n’être bons que médiocrement. Je pourrais en dire davantage sur Saül et sa grandeur d’âme : le sujet s’y prête amplement ; mais je craindrais de passer la mesure du goût dans ce panégyrique[13] et je reviens au point d’où je m’étais écarté.
[11] Toute l’homélie verbeuse qui suit est, bien entendu, ajoutée au simple récit biblique.
[12] Teste obscur ou corrompu.
[13] Josèphe a éprouvé le besoin de faire un héros sans peur, sinon sans reproche, du premier roi de l’histoire d’Israël ; la Bible, au moins en ce passage, — car la complainte de David (II Samuel, I, 19 et suiv.) donne une note différente —, n’a pas un mot d’éloge pour la vaillance de Saül à la fin de sa vie. Elle semble dire même que, sur le mont Ghelboé, les archers qui surprirent Saül lui causèrent une grande frayeur (I Samuel, XXXI, 3). Josèphe présentera les choses tout autrement, cf. infra, sect. 7 et la note.
5.[14] Les Philistins, ayant établi leur camp comme je l’ai dit et faisant le dénombrement de leurs forces par peuples, royaumes et satrapies, virent arriver en dernier lieu le roi Anchous avec ses propres gens, suivi de David avec ses six cents hommes d’armes. En les apercevant, les généraux Philistins demandèrent au roi d’où venaient ces Hébreux et qui les avait appelés. Le roi répondit que c’était David fuyant Saül, son maître, il l’avait accueilli quand il était venu à lui : maintenant, désireux à la fois de s’acquitter du service reçu et de se venger de Saül, David venait combattre dans leurs rangs. Là-dessus, les chefs le blâmèrent d’avoir pris pour allié un ennemi et ils l’engagèrent à le congédier de peur qu’il ne devint, à l’insu d’Anchous, la cause de grands malheurs pour ses amis : car c’était fournir à David un excellent moyen de se réconcilier avec son maître que de lui donner l’occasion de perdre leur armée. Pour éviter ce danger, ils lui ordonnèrent de renvoyer David dans le canton qu’il lui avait concédé pour y habiter avec ses six cents hommes d’armes ; car c’était là ce David de qui les jeunes filles disaient dans leurs chants : « qu’il avait tué les Philistins par dizaines de milliers. » Le roi des Gittiens trouva qu’ils parlaient raison ; il appela donc David et lui dit : « Pour moi, je puis porter témoignage de ton zèle et de ton affection parfaite à mon égard, et c’est pour cela que je t’ai emmené comme allié ; mais tel n’est pas l’avis de nos chefs. Va-t-en donc, dès le jour, vers l’endroit que je t’ai donné en toute confiance, et là, veille sur le pays pour moi de peur que quelques peuples n’y fassent invasion ; ainsi encore tu empliras ton devoir d’allié. » David[15], se conformant à l’ordre du roi des Gittiens, retourna vers Sékéla. Or, pendant qu’il s’était absenté pour porter secours aux Philistins, la nation des Amalécites, faisant irruption, s’était emparée de vive force de Sékéla et, après l’avoir incendiée et tiré force butin de cette ville même et du reste du pays philistin, ils s’étaient retirés.
[14] I Samuel, XXIX, 1.
[15] I Samuel, XXXI, 1.
6. Quand David trouva Sékéla toute dévastée et mise au pillage, quand il apprit que ses deux femmes et celles de ses compagnons étaient emmenées captives avec leurs enfants, il déchira ses vêtements et commença à pleurer et à se lamenter avec ses amis ; il tomba dans un tel abattement que les larmes mêmes finirent par lui manquer. Ses compagnons, qui gémissaient sur la capture de leurs femmes et de leurs enfants, dont ils le rendaient responsable, faillirent même le lapider. Cependant, il finit par revenir à lui et, élevant sa pensée vers la divinité, il pria le grand-prêtre Abiathar de revêtir sa robe de grand-prêtre, d’interroger Dieu et de lui prédire si, au cas où il poursuivrait les Amalécites, il lui serait accordé de les joindre, de délivrer les femmes et les enfants et de punir les ennemis. Le grand-prêtre l’engage à entreprendre la poursuite ; alors il s’élance avec ses six cents hommes sur la trace des ennemis. Parvenu au bord d’un torrent nommé Basélos[16], il rencontre un traînard ; c’était un Égyptien, accablé par la fatigue et la faim, qui était resté pendant trois jours à errer dans le désert sans nourriture. David, après lui avoir donné à boire et à manger et l’avoir réconforté, lui demanda qui il était et d’où il venait. Il répondit qu’il était de race égyptienne et qu’il avait été abandonné par son maître, ne pouvant le suivre à cause de sa faiblesse : ce maître était un des chefs qui avaient incendié et ravagé le territoire de Juda ainsi que Sékéla. David alors prend l’homme comme guide pour le mener vers les Amalécites ; il surprend ceux-ci affalés à terre, les uns en train de faire bonne chère, les autres déjà ivres, abrutis par le vin, tout à la jouissance des dépouilles et du butin ; il les assaille à l’improviste et en fait un grand carnage ; sans armes et pris au dépourvu, ne songeant qu’à boire et à festoyer, c’était une proie facile. Les uns se laissèrent saisir et massacrer pendant qu’ils étaient encore assis autour des tables, et leur sang, se répandant, entraîna les pains et les viandes ; d’autres étaient occupés à se porter réciproquement des santés quand la mort les surprit ; quelques-uns, gorgés de vin pur, étaient plongés dans le sommeil. Un petit nombre avait eu le temps de revêtir ses armures et de faire front ; mais David les tailla en pièces aussi aisément que leurs camarades désarmés. Les compagnons de David, comme lui, se livrèrent au carnage depuis la première heure jusqu’au soir, si bien qu’il ne survécut pas plus de quatre cents Amalécites, qui avaient eu le temps de monter sur des dromadaires et de prendre la fuite. David recouvra tout le butin qu’avaient enlevé les ennemis, ainsi que ses femmes et celles de ses compagnons. Au retour, ils arrivèrent en un endroit où ils avaient laissé à la garde des bagages deux cents hommes incapables de suivre le gros de leur troupe. Les quatre cents ne voulurent point partager avec ceux-ci les gains et le butin de la journée ; comme ils ne les avaient pas accompagnés et avaient manqué de cœur devant la poursuite, ils devaient, disait-on, s’estimer satisfaits de reprendre leurs femmes délivrées. David déclara que cet avis était méchant et injuste : dès l’instant que Dieu leur avait accordé de châtier leurs ennemis et de recouvrer tous leurs biens, il fallait qu’on partageât également les profits entre tous ceux qui avaient fait campagne, d’autant plus que ces hommes étaient restes à la garde des bagages. Et depuis lors cette règle a prévalu chez les Israélites que les gardiens des bagages recevraient la même part que les combattants. Revenu à Sékéla, David envoya à tous ses familiers et amis de la tribu de Juda une portion des dépouilles. Telles furent les circonstances du pillage de Sékéla et du massacre des Amalécites.
[16] Hébreu : Bessot ; LXX : Βοσορ.
7.[17] Cependant les Philistins en étant venus aux mains avec les Israélites, après un combat acharné, la victoire leur reste et ils anéantissent beaucoup de leurs adversaires. Saül, roi des Israélites, et ses fils luttèrent vaillamment et de toute leur force, mettant leur seule gloire à bien mourir et à combattre hardiment l’ennemi, car rien ne leur tenait davantage au cœur. Ainsi ils attirent sur eux tout l’effort de leurs adversaires et, une fois enveloppés, périssent après avoir abattu quantité de Philistins. Les fils de Saül étaient Jonathan, Aminadab(os) et Melchis(os)[18]. Ceux-ci tombés, la cohue des Hébreux est mise en déroute ; les ennemis se ruent sur les fuyards et sèment parmi eux le désordre, la confusion et le carnage. Saül fuyait avec une forte troupe massée autour de lui ; les Philistins ayant envoyé contre lui des archers et de gens de trait, il les abat à peu près tous lui-même. Après avoir fait des prodiges de valeur et reçu beaucoup de blessures[19], incapable de continuer la résistance ou de soutenir davantage les coups, trop faible pour se tuer lui-même, il ordonne à son écuyer de tirer son glaive et de l’en transpercer, de peur qu’il ne tombe vivant aux mains des ennemis. Comme l’écuyer ne pouvait se résoudre à tuer son maître, Saül tire lui-même son épée, se place contre la pointe et essaie de se l’enfoncer dans le corps ; mais il ne pouvait ni la pousser ni s’appuyer assez fort pour faire pénétrer le fer. En cet instant, il se retourne[20] et aperçoit un jeune homme à ses côtés ; il lui demande qui il est et, entendant qu’il était Amalécite, il le prie de lui enfoncer l’épée dans le corps, puisque ses propres mains en sont incapables, et de lui procurer ainsi la mort qu’il convoite. Le jeune homme obéit, puis arracha le bracelet d’or du roi et son diadème royal et disparut. L’écuyer, voyant Saül mort, se transperça lui-même. Aucun des gardes du corps du roi ne survécut ; tous tombèrent autour du mont appelé Gelboué. Quand ceux des Hébreux qui habitaient la vallée au-delà du Jourdain et les villes de la plaine apprirent que Saül, ses fils et toute son armée avaient péri, abandonnant leurs villes, ils se réfugièrent dans les forteresses ; les Philistins, trouvant les villes inoccupées, s’y logèrent.
[17] I Samuel, XXXI, 1 ; I Chroniques, X, 1.
[18] Hébreu : Malkischoua ; LXX : Μελχισά.
[19] Détails ajoutés par Josèphe et peu conformes à la donnée biblique (v. 3) : « L’attaque s’acharna contre Saül : il fut surpris par les archers qui lui causèrent une grande frayeur ». Telle est, du moins, l’interprétation correcte du texte massorétique.
[20] La Bible raconte ici que Saül se jeta sur son épée et mourut (I Sam., XXXI, 4) : mais d’après le second livre de Samuel (I, 6-10, passage tardif), c’est un Amalécite qui aide Saül à mourir, sur sa prière. Josèphe a soudé ensemble les deux récits.
8.[21] Le jour suivant, les Philistins, en dépouillant les cadavres de leurs ennemis, découvrent les corps de Saül et de ses fils ; ils les dépouillent, puis leur tranchent la tête et font annoncer dans tout le pays alentour que leurs ennemis sont abattus. Ils consacrèrent les armures des princes dans le temple d’Astarté et mirent les corps en croix le long des remparts de la ville de Bethsan[22], qui s’appelle aujourd’hui Scythopolis. Cependant, lorsque les habitants de Jabès en Galaditide apprirent qu’on avait mutilé les cadavres de Saül et de ses fils, ils s’indignèrent à l’idée de les laisser sans sépulture. Les plus courageux et les plus hardis d’entre eux firent donc une sortie, — les enfants de cette cité sont vaillants d’âme comme de corps, — et, ayant cheminé toute la nuit, ils arrivèrent à Bethsan, s’approchèrent du rempart et en détachèrent les corps de Saül et de ses fils ; puis ils les emportèrent à Jabès, sans que les ennemis eussent pu ou osé les en empêcher, tant leur audace en imposa. Le peuple entier de Jabès, après avoir brûlé les corps, les ensevelit dans le plus bel endroit du pays, au lieu dit le Champ (Aroura)[23] ; puis ils célébrèrent pour eux un deuil de sept jours avec leurs femmes et leurs enfants, pendant lequel ils se frappèrent la poitrine et pleurèrent le roi et ses fils, sans toucher ni nourriture ni boisson.
[21] I Samuel, XXXI, 8.
[22] Hébreu : Bêt-Schân ; LXX : Βαιθσάμ (A. Βηθσαν).
[23] La Bible dit simplement : sous le Eschel tamarisc ; pour la traduction de Eschel par Άρουρα, voir la note 191.
9.[24] Ainsi finit Saül, selon la prédiction de Samuel, parce qu’il avait contrevenu aux commandements de Dieu, touchant les Amalécites, et parce qu’il avait fait périr la race du grand-prêtre Achimélech ainsi qu’Achimélech lui-même, et réduit en cendres la ville des grands-prêtres. Il avait régné dix-huit ans du vivant de Samuel et, après la mort de ce dernier, encore vingt-deux années.
[24] Les réflexions qui suivent s’inspirent de I Chroniques, X, 13. Mais, dans la Bible, le seul reproche particulier fait à Saül est d’avoir consulté l’ov (la pythonisse).