« Lorsque Lycurgue, le chef et le législateur de son peuple, vint à toi des vallées de Lacédémone, tu le proclamas chéri de Jupiter et de tous les dieux de l’Olympe ; tu hésitais si tu devais l’appeler homme ou dieu ; mais tu finis par lui donner le titre de dieu, parce qu’il venait chercher une bonne législation. Mais comment donc ignorait-il les lois d’une sage politique, lui dieu, lui cher à Jupiter et a tous les dieux de l’Olympe ? Mais puisqu’on ne pouvait apprendre que de la bouche d’un dieu ce que ta divine parole a révélé au plus divin des hommes, écoutons cette voix divine et recueillons les renseignements que te doit Lycurgue :
« Tu viens chercher une sage législation, je le la donnerai. »
Donne, aurais-je répondu, car je ne sache pas que tu aies jamais promis à personne un semblable présent.
« Tant que, dociles aux oracles, vous serez fidèles à vos promesses, que vous garderez vos serments, que vous observerez la justice envers vos concitoyens et envers les étrangers, que vous aurez pour la vieillesse un saint et religieux respect, que vous honorerez les Tyndarides, Ménélas et les autres héros immortels de Lacédémone, Jupiter au regard pénétrant veillera sur votre ville. »
Quelle doctrine, ô Apollon ! quelles promesses ! Une pareille sagesse méritait bien un si long voyage ! Ce n’était pas trop d’être venu pour cela du Péloponnèse à Delphes, ou même jusqu’aux régions hyperboréennes, d’où sont venus, dit-on, sur la réponse d’un autre oracle, appelé Astérie, les habitants de la terre odoriférante et sacrée de Délos. Assurément Lycurgue n’avait jamais eu une nourrice, jamais il ne s’était assis au milieu d’une réunion de vieillards ; car cette nourrice, ces vieillards lui auraient donné de plus belles et plus sages leçons. Mais peut-être ajouteras-tu quelque chose, si Lycurgue le presse de parler plus clairement. Si les chefs commandent avec justice, et que le peuple obéisse avec soumission, je n’attribuerai plus ceci à l’assemblée des vieillards, et je conseillerai à Lycurgue de retourner satisfait à Lacédémone, s’il peut obtenir de toi quelque sage leçon de politique.
« Il y a deux chemins que sépare l’un de l’autre une distance infinie : l’un aboutit à l’auguste demeure de la liberté, l’autre conduit au triste séjour de l’esclavage. On marche par le premier à l’aide du courage et de la concorde : c’est lui que tu montreras à ton peuple : on ne s’avance dans le second qu’à travers les tristes dissensions, les fléaux désolants. Celui-ci, il le faut donc éviter avec soin. »
Ainsi, Apollon, tu veux que les hommes soient courageux : nous avons souvent entendu le même conseil donné par des lâches. Tu veux que la concorde règne entre les citoyens : nous l’avons entendu proclamer non seulement par des hommes sages, mais même par des séditieux. Mais nous ne te tourmenterons pas par rapport à cet enseignement. Seulement, toi qui es devin, tu ignores une chose que nous avons apprise mille fois des hommes qui n’avaient point mangé du laurier, qui ne s’étaient point désaltérés à la fontaine de Castalie, qui n’affectaient pas d’orgueilleuses prétentions à la sagesse. Ainsi tu parles de courage, de liberté, de concorde ; mais dis-nous comment on met une ville en possession de ces avantages. Cesse de nous envoyer conduire les peuples par une voie que nous ne connaissons pas nous-mêmes. Sois plutôt toi-même notre guide dans cette vie. Elle nous paraît belle, mais incertaine et pleine d’écueils. »
Puis notre auteur continue ainsi.