1.[1] Les Jébuséens, qui habitaient la ville et qui étaient de race chananéenne, lui fermèrent les portes et furent monter les aveugles, les boiteux et tous les estropiés sur les remparts, pour railler le roi[2], disant que les infirmes suffiraient à l’empêcher d’y pénétrer, — tant ils avaient d’orgueilleuse confiance dans la solidité de leurs remparts. — David, irrité, commence d’assiéger Jérusalem. Il y déploie tous ses efforts et toute son ardeur, comptant que cette ville emportée d’assaut ferait éclater sa puissance et frapperait de terreur tous ceux qui seyaient tentés de suivre les dispositions des Jébuséens à son égard. Bientôt il s’empara de vive force de la ville basse ; mais la citadelle[3] tenait encore. Le roi s’avise alors de stimuler l’ardeur de ses soldats par l’appât d’honneurs et de récompenses ; il promet de donner le commandement général de ses troupes à celui qui réussirait à franchir les ravins qui la bordaient, monterait jusqu’à la citadelle et s’en rendrait maître[4]. Tous se disputent la gloire d’y monter et ne reculent devant aucun effort pour un pareil honneur. Ce fut Joab, fils de Sarouïa, qui devança tous les autres et, parvenu sur la crête, cria vers le roi en lui réclamant le commandement promis.
[1] II Samuel, V, 6 ; I Chron., XI, 4-7. Josèphe a combiné et délayé ces deux récits.
[2] Dans l’hébreu de Samuel, les Jébuséens dirent à David : « Tu n’entreras pas ici que tu n’aies délogé les aveugles et les boiteux », entendant par là : « David n’entrera jamais ici. » Josèphe a mis en scène la simple indication du texte. D’après les LXX, ce sont les aveugles et les boiteux qui s’étaient opposés à l’entrée de David : ότι άντέστησαν οί τυφλοί xαί οί χωλοί. Dans les Chroniques, les habitants de Jébus disent à David : « Tu n’entreras pas ici » ; il n’est pas question d’aveugles et de boiteux.
[3] Hébreu : Meçoudat Zion. La Bible ne parle pas d’une ville basse conquise avant la citadelle. Josèphe a dans l’esprit la Jérusalem de son temps. Cf. d’autre part, Ant., V, § 124.
[4] I Chroniques, XI, 6.
2[5]. Quand il eut délogé les Jébuséens de la citadelle, il rebâtit lui-même Jérusalem, l’appela ville de David et s’y établit pour toute la durée de son règne. Le temps qu’il avait gouverné la seule tribu de Juda à Hébron avait été de sept ans et six mois[6]. Après avoir fait de Jérusalem sa capitale, il jouit d’une fortune toujours de plus en plus brillante, par la grâce de Dieu qui veillait à ses progrès et à son accroissement. Même Hiram(os), le roi des Tyriens, lui envoya une ambassade pour conclure avec lui un pacte d’amitié et d’alliance. Il lui envoya aussi en présent des bois de cèdre ainsi que des artisans, charpentiers et maçons, pour lui édifier un palais à Jérusalem. David occupa aussi la ville haute et la relia à la citadelle de manière à n’en faire qu’un corps ; il l’entoura d’une enceinte et préposa Joab à la surveillance des murailles[7]. Le premier donc, David, après avoir chassé les Jébuséens de Jérusalem, appela la ville de son propre nom ; car sous Abram, notre ancêtre, elle s’appelait Solyma. Dans la suite, certains disent qu’Homère, lui aussi, la nomma Solyma[8] ; il appela, en effet, le sanctuaire du mot hébreu Solyma, qui veut dire sécurité[9]. Le temps qui s’écoula depuis l’expédition du général Josué contre les Chananéens et la guerre où il les vainquit et partagea leur pays aux Hébreux, sans que les Israélites aient jamais pu déloger les Chananéens de Jérusalem, jusqu’à ce que David les en chassait par un siège, fut en tout de cinq cent quinze ans[10].
[5] II Samuel, V, 7.
[6] II Samuel, V, 5.
[7] I Chroniques, XI, 8.
[8] Cf. Ant., 1, § 180. Le texte paraît altéré (Haber place entre crochets tout le § 67) ; cf. Niese, Préface, I, p. XXXII. David appelle Jérusalem « ville de David » d’après le § 65. Ailleurs (Guerre, VI, 438 ; Ant., I, 180), Josèphe raconte que est Melchissédec qui changea en Jérusalem l’ancien nom de Solyma.
[9] C’est le système selon lequel Homère aurait su l’hébreu. Le passage visé est Odyssée, V, v. 383, où il s’agit des monts Solymieus, qui n’ont rien à voir avec la Judée.
[10] Il n’est pas facile de retrouver ce chiffre d’après les durées partielles indiquées par Josèphe lui-même depuis les 25 ans de Josué jusqu’à la prise de Jébus sous David. On n’obtient qu’un total de 504 ans ½, qui se décomposent comme suit :
Josué, 25 ans ; Les hébreux asservis par Couschan, 8 ; Othoniel, 40 ; Période d’asservissement, 18 ; Eoud, 80 ; Samgar, 1 ; Période d’asservissement, 20 ; Barac, 40 ; Période d’asservissement, 7 ; Gédéon, 40 ; Abimélech, 3 ; Yaïr, 22 ; Période d’asservissement, 18 ; Jephté, 6 ; Ibsan, 7 ; Elon, 10 ; Période d’asservissement, 40 ; Samson, 20 ; Eli, 40 ; Samuel, 12 ; Saül, 40 ; David, 7 ½. Soit un total de 504 ans ½.
Il manque donc 11 ans, ou 12 ans, si l’on ne compte pas l’année de Samgar (mort la première année de son gouvernement, Ant., V, 197). Faut-il les donner à Abdon, mentionne par Josèphe sans indication de durée ? ou bien y a-t-il un intervalle de ce genre à intercaler entre Josué et les huit ans d’asservissement avant Othoniel ? En tout cas, si Josèphe suit un système, on sait le peu de soin qu’il prend d’être toujours conséquent avec lui-même.
3.[11] Ici je ferai mention d’Oronna[12], un homme riche d’entre les Jébuséens, qui fut épargné dans le siège de Jérusalem par David[13] à cause de sa bienveillance envers les Hébreux, et aussi de certain service qu’il s’était empressé de rendre au roi lui-même et que j’aurai à tout à l’heure une meilleure occasion de signaler. David épousa encore d’autres femmes, outre celles qu’il avait déjà, et prit des concubines. Il engendra onze[14] fils, qu’il appela Amnous, Emnous, Eban, Nathan, Salomon, Yébar, Eliès, Phalna. Ennaphès, Yénaé, Eliphalé[15], ainsi qu’une fille appelée Thamar(a). Neuf de ces fils étaient nés de femmes de bonne naissance, et les deux derniers de concubines ; Thamara avait la même mère qu’Absalon.
[11] L’hébreu (II Samuel, XXIV, 16) doit être lu d’après les Massorètes Aravna. La leçon des Chroniques (I Chron., XXI, 18) est Ornan ; LXX : Όρνά.
[12] La Bible ne fait pas mention de lui à propos de la conquête de Jébus. C’est parce que Aravna est appelé le Jébusite que Josèphe s’est plu à le mentionner ici, sans utilité apparente.
[13] V. plus loin, §§ 329 et suiv.
[14] έννέα les mss. ; ένδεxα tous les éditeurs. Ces fils s’ajoutent à ceux du § 21.
[15] Les noms des fils de David paraissent altérés. Dans la Bible la liste se trouve en trois endroits : 1° II Samuel, V, 14-16 ; 2° I Chroniques, III, 3-9 ; 3° Ibid., XIV, 4-7, avec quelques divergences. La principale consiste en ce que Samuel ne connaît que 11 fils, tandis que les Chroniques en nomment 13. Mais les deux noms supplémentaires Elichama, Elifalet (XIV, 5 : Elichoua, Elpalet) semblent n’être que des doublets. Josèphe s’en tient au chiffre 11 (l’έννέα des mss. est une faute de copiste), mais quel texte a-t-il suivi ? La mention de Thamar fait penser qu’il s’est conformé plutôt au premier passage des Chroniques. L’identification des noms, étant donné l’état du texte, est malaisée : Άμνοϋς et Έμνοϋς semblent deux variantes d’un même nom (Schim’a ou Schammoua ; LXX : Σαμμούς). — Έβαν doit correspondre à Schobab. La leçon la plus rapprochée d’Eban dans les différentes versions des LXX est la leçon lucianique Ιεσσεβαν. Ίεőαρ rappelle la leçon Ίεβάαρ de quelques mss. des LXX (hébreu : Yibhar). Έλιής = Έλιτουέ (hébreu : Elischoua). À quoi correspondent Φάλνx et Ήνναxήν ? Vraisemblablement c’est la corruption de trois noms bibliques : Elifalet, Noga et Néfog, dont les deux premiers ne se lisent que dans les Chroniques (mais non dans l’Alexandrinus), Ίενάε répond peut-être à Yaphia ; LXX : Ίεφιες. À noter la leçon Ιανουου du codex FA (Friderico-Augustanus) qui se rapproche le plus de la lecture de Josèphe.