Il y a une autre aide prochaine et semblable à la prédication de l’Evangile, pour soustenir et confermer la foy, asçavoir les Sacremens : desquels il nous est grandement utile d’avoir certaine déclaration, dont nous apprenions à quelle fin ils ont esté instituez, et comment on en doit user. Premièrement, il nous faut entendre que c’est que Sacrement. Or je pense que ceste définition sera propre et simple, si nous disons que Sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en nos consciences les promesses de sa bonne volonté envers nous, pour confermer l’imbécillité de nostre foy : et nous mutuellement rendons tesmoignage tant devant luy et les Anges que devant les hommes, que nous le tenons pour nostre Dieu. On pourra encores plus briefvement définir que c’est que Sacrement, disant que c’est un tesmoignage de la grâce de Dieu envers nous, confermé par signe extérieur, avec attestation mutuelle de l’honneur que luy portons. Que l’on choisisse laquelle qu’on voudra de ces deux définitions, elle s’accordera quant au sens à ce que dit sainct Augustin, que Sacrement est un signe visible de chose sacrée, ou une forme visible de la grâce invisible. Mais j’ay tasché d’en donner plus claire intelligence, déclairant plus à plein ce que sainct Augustin avoit plus obscurément touché à cause de la briefveté.
Or il est facile de juger pour quelle raison les anciens Pères ont usé de ce mot en telle signification. Car par tout où le translateur commun du Nouveau Testament a voulu exposer en latin ce mot grec, Mystère, il a dit Sacrement, comme en l’Epistre aux Ephésiens, Afin de manifester le Sacrement de sa volonté Eph. 1.9. Item, Si vous avez entendu la dispensation de la grâce de Dieu qui m’a esté commise : c’est que par révélation il m’a déclairé son Sacrement Eph. 3.2-3. Item aux Colossiens, Le mystère qui avoit esté caché depuis le commencement, maintenant a esté révélé aux Saincts, ausquels Dieu a voulu démonstrer les richesses de ce Sacrement Col. 1.26-27. Item à Timothée, C’est un grand Sacrement, que Dieu a esté manifesté en chair 1Tim. 3.16. Nous voyons doncques que le translateur a usé de ce mot pour Secret des choses sacrées et divines. Et en telle signification l’ont souvent prins les anciens Docteurs de l’Eglise. Et de faict, c’est chose notoire que le Baptesme et la Cène sont appelez Mystères en grec, tellement qu’il ne faut faire doute que ce ne soyent deux mots d’une mesme signification. Et de là est advenu qu’on l’a aussi prins pour les signes ou cérémonies qui contenoyent représentation des choses hautes et spirituelles. Ce qu’aussi sainct Augustin dénote en quelque passage, disant, Il seroit long de disputer de la diversité des signes, lesquels quand ils appartienent aux choses célestes se nomment Sacremens[a].
[a] Epist. V, Ad Marcellin.
En quoy nous voyons que Sacrement n’est jamais sans que la Parole de Dieu précède : mais est à icelle adjousté comme une appendance ordonnée pour la signer, la confermer, et de plus fort certifier envers nous : comme nostre Seigneur voit qu’il est de mestier à l’ignorance de nostre sens, puis à la tardiveté et infirmité de nostre chair. Or ce n’est pas pource que la Parole ne soit assez ferme de soy-mesme, ou qu’elle en puisse avoir meilleure confirmation quant à soy (car la vérité de Dieu est par soy seule tant seure et certaine, qu’elle ne peut d’autre part avoir meilleure confirmation que de soy-mesme) : mais c’est pour nous confermer en elle. Car nostre foy est tant petite et débile, que si elle n’est appuyée de tous costez, et soustenue par tous moyens, soudain elle est esbranlée en toutes pars, agitée, et vacillante. Et d’autant que nous sommes tant ignorans, et tant adonnez et fichez aux choses terriennes et charnelles, que nous ne pensons ny ne pouvons comprendre ne concevoir rien qui soit spirituel : ainsi le Seigneur miséricordieux s’accomode en ceci à la rudesse de nostre sens, que mesmes par ces élémens terrestres il nous meine à soy, et nous fait contempler mesmes en la chair comme en un miroir ses dons spirituels. Car si nous n’estions sensuels et enveloppez de nos corps, comme dit Chrysostome, ces choses nous seroyent données sans figure corporelle : mais pource que nous habitons en nos corps, Dieu nous donne les choses spirituelles sous signes visibles. Non pas pource que les choses qui nous sont proposées pour Sacremens, ayent de leur nature telle qualité et vertu : mais pource qu’elles sont signées et marquées de Dieu pour avoir celle signification[b].
[b] Homil. LX, Ad populum.
C’est ce qu’on dit communément, que Sacrement consiste en la Parole et au signe extérieur. Car par la Parole il ne faut pas entendre un murmure qui se face sans sens et intelligence, en barbotant à la façon des enchanteurs, comme si par cela se faisoit la consécration : mais il nous faut entendre la Parole qui nous soit preschée, pour nous enseigner et nous faire sçavoir que veut dire le signe visible. Pourtant ce qui se fait sous la tyrannie du Pape, est une meschante profanation des Sacremens. Car il leur semble advis que c’est assez si le Prestre fait la consécration en murmurant sans sens, le peuple estant là tout esbahy et la gueule bée. Et mesmes ils font un mystère de cela, que le peuple n’entende rien à ce qui se dit. Pourtant ils ont composé toutes leurs consécrations en latin. Puis la superstition est venue jusques-là, qu’il leur semble advis que la consécration n’est point deuement faite : sinon en subsillant tout bas, tellement qu’on n’oye pas mesmes le son. Or sainct Augustin parle bien autrement des Paroles sacramentales : Que la Parole, dit-il, soit conjoincte au signe terrien, et il sera fait Sacrement. Car dont vient telle vertu à l’eau, qu’en touchant le corps elle lave le cœur, sinon en vertu de la Parole ? non point en tant qu’on la prononce, mais qu’on la croit. Car c’est autre chose du son qui passe, et de la vertu qui demeure. C’est la Parole de foy qui est preschée, dit l’Apostre. Pourtant il est dit aux Actes, que Dieu purifie les cœurs par foy : et sainct Pierre dit, que le Baptesme nous sauve, non point en despouillant les ordures de la chair, mais entant que nous avons bonne conscience pour respondre à Dieu. C’est doncques la Parole de foy que nous preschons, par laquelle le Baptesme est consacré pour pouvoir nettoyer[c] Rom. 10.8 ; Actes 15.9 ; 1Pi. 3.21. Voylà les mots de sainct Augustin. Or nous voyons qu’il requiert prédication aux Sacremens, de laquelle la foy s’ensuyve. Et ne faut point yci user de plus longue probation : veu qu’il est tout notoire que c’est que Jésus-Christ a fait, que c’est qu’il nous a commandé de faire, que c’est qu’ont suyvy les Apostres, et que l’Eglise ancienne a observé. Mesmes on sçait que depuis le commencement du monde, quand Dieu a donné quelque signe aux Pères, il l’a conjoinct d’un lien inséparable avec doctrine : pource que sans icelle le regard muet ne peut sinon estonner nos sens. Quand doncques il se fait mention des paroles sacramentales, par cela entendons la promesse, laquelle doit estre preschée haut et clair du Ministre, pour mener le peuple où le signe tend.
[c] Homil. in Joan. XIII.
Et ne sont à escouter aucuns qui arguent par ceste cavillation : Ou nous sçavons, disent-ils, que la Parole de Dieu, laquelle précède le Sacrement, est la vraye volonté de Dieu : ou nous ne le sçavons pas. Si nous le sçavons bien, nous n’apprenons rien de nouveau par le Sacrement subséquent. Si nous ne le sçavons point, le Sacrement ne le nous pourra pas enseigner, duquel toute la vertu et efficace ne gist qu’en la Parole. Qu’il leur soit en brief respondu, que les seaux qui sont mis et apposez aux lettres et instrumens publiques, prins en soy ne sont rien : car s’il n’y avoit rien escrit au parchemin, ils ne serviroyent à aucune chose et en vain y seroyent attachez. Et néantmoins pourtant ils ne laissent point de confermer, acertener et rendre plus authentique l’escriture qui est contenue dedans les lettres, quand ils sont à icelles adjoustez. Et ne peuvent dire que ceste similitude soit puis n’aguères controuvée par nous, et faite à plaisir : car sainct Paul en a usé, en appelant le Sacrement de la Circoncision par un mot grec, sprhagida, c’est-à-dire Seel. Auquel passage il démonstre que la Circoncision n’a pas esté à Abraham pour justice, mais un seau de la paction, en fiance de laquelle il estoit jà au paravant justifié Rom. 4.11. Et pourquoy, je vous prie, cela nous doit-il offenser si nous enseignons la promesse estre scellée par les Sacremens, veu qu’il est manifeste qu’entre les promesses l’une est confermée par l’autre ? Car celle qui est la plus manifeste, est la plus propre pour asseurer la foy. Or les Sacremens nous apportent promesses très-claires, et ont cela particulier outre la Parole, qu’ils nous les représentent au vif, comme en peincture. Et ne nous doit point esmouvoir la diversité qu’on ameine entre les Sacremens et les seaux des lettres patentes : asçavoir que veu que les uns et les autres consistent en élémens charnels de ce monde, les Sacremens ne peuvent pas servir à sceller les promesses de Dieu qui sont spirituelles, comme sont les seaux pour sceller les escrits des Princes, quant aux choses transitoires et caduques. Car l’homme fidèle en voyant le Sacrement ne s’arreste point à l’extériorité, mais d’une saincte considération s’eslève à contempler les hauts mystères qui y sont cachez, selon la convenance de la figure charnelle avec la chose spirituelle.
Et puis que nostre Seigneur appelle ses promesses. Convenances et Appointemens Gen. 6.18 ; 9.9 ; 17.21 : et les Sacremens, Marques et Enseignemens de convenances : on peut tirer et prendre une similitude des convenances et appointemens des hommes. Les Anciens pour confirmation de leurs appointemens, avoyent accoustumé de tuer une truye. Qu’eust fait une truye tuée, si les mots de l’appointement ne fussent quant et quant intervenus, et mesmes au paravant n’eussent précédé ? Car on tue bien souvent des truyes sans signifier autre mystère. Pareillement, qu’est-ce par soy que de toucher en la main, veu que bien souvent plusieurs touchent aux mains de leurs ennemis pour leur mal faire ? et toutesfois quand les paroles d’amitié et convenance ont esté prémises, elles sont confermées par tel signe, encores qu’au paravant elles ayent esté proposées, faites et arrestées. Les Sacremens doncques nous sont des exercices pour nous rendre plus certains de la Parole et des promesses de Dieu. Et par ce que nous sommes charnels, aussi ils nous sont donnez en choses charnelles, afin qu’ainsi ils nous instruisent selon la capacité de nostre rudesse, et nous addressent et conduisent comme pédagogues font les petis enfans. A ceste cause Sacrement est appelé par sainct Augustin, Parole visible, pour autant qu’il nous démonstre comme en une peincture les promesses de Dieu, et nous les représente au vif[d]. Nous pouvons aussi user d’autres similitudes, pour plenement désigner les Sacremens, comme en les appelant Pilliers de nostre foy. Car ainsi qu’un édifice se porte et se soustient sur son fondement : et toutesfois quand on y adjouste par-dessous les Pilliers, il en est rendu plus seur et plus ferme : en ceste manière aussi nostre foy se repose et soustient sur la Parole de Dieu, comme sur son fondement : mais quand les Sacremens y sont adjoustez, ils luy servent ainsi que de pilliers, sur lesquels elle s’appuye plus fort, et s’y conferme encores mieux. Ou autrement en les appelant Miroirs, ausquels nous puissions contempler les richesses de la grâce de Dieu, lesquelles il nous eslargit. Car par iceux Sacremens (comme desjà devant a esté dit) il se manifeste à nous selon qu’il est donné à nostre sens hébété de le pouvoir cognoistre, et nous testifie son bon vouloir envers nous plus expressément que par la Parole.
[d] In Joann., LXXXIX ; Contra Faust., lib. XIX.
C’est aussi mal argué à ceux qui prétendent les Sacremens n’estre point tesmoignages de la grâce de Dieu, pourtant que bien souvent ils sont receus des mauvais, qui toutesfois pour cela n’en sentent de rien plus Dieu leur estre favorable, mais en acquièrent tousjours plus griefve damnation. Car par mesme raison l’Evangile ne seroit point aussi tesmoignage de la grâce de Dieu : car elle est ouye de plusieurs qui la mesprisent : ne finalement Jésus-Christ mesmes, lequel a esté veu et cognu de plusieurs, desquels bien peu l’ont receu. Le semblable se peut veoir aux lettres patentes des Princes. Car une grande partie du peuple, combien qu’elle sçache que le seau authentique qui est apposé, est venu du Prince, néantmoins ne laisse point de le contemner. Les uns le laissent là comme une chose n’appartenant de rien à soy, les autres mesmes l’ont en exécration : tellement qu’en réputant une telle convenance, il ne se peut faire que nous n’approuvions la similitude ci-dessus mise. Parquoy il est certain que nostre Seigneur, tant en sa saincte Parole qu’en ses Sacremens, nous présente à tous sa miséricorde, et la grâce de sa bonne volonté : mais elle n’est acceptée que de ceux qui reçoyvent et la Parole et les Sacremens en certaine foy ; comme nostre Seigneur Jésus-Christ a esté du Père offert et présenté à tous pour salut, mais il n’a pas esté recognu et receu de tous. Sainct Augustin en quelque lieu voulant dénoter cela, a dit que la vertu de la Parole qui est au Sacrement, gist non pas en ce qu’elle est prononcée : mais en ce qu’elle est creue et receue[e]. Pourtant sainct Paul parlant des Sacremens entre les fidèles, en dispute tellement qu’il enclost en iceux la communion de Jésus-Christ, comme quand il dit : Vous tous qui avez esté baptizez, avez vestu Christ Gal. 3.27. Item, Nous sommes un corps et un esprit, d’autant que nous avons esté baptizez en Christ 1Cor. 12.13. Au contraire, quand il taxe l’usage mauvais et pervers des Sacremens, il ne leur attribue non plus qu’à des figures vaines et inutiles. En quoy il signifie que combien que les meschans et les hypocrites anéantissent ou empeschent la vertu et l’effect de la grâce de Dieu aux Sacremens, néantmoins que cela ne répugne point que les Sacremens, toutes fois et quantes qu’il plaist à Dieu, n’apportent vray tesmoignage de la communion de Jésus-Christ, et que le sainct Esprit n’exhibe à la vérité ce qu’ils promettent. Nous concluons doncques que les Sacremens sont vrayement nommez tesmoignages de la grâce de Dieu, et comme seaux de la faveur qu’il nous porte, lesquels la signans en nous, consolent par ce moyen nostre foy, la nourrissent, conferment et augmentent. Et les raisons qu’aucuns ont voulu alléguer au contraire, sont trop frivoles et débiles. Les uns disent que si nostre foy est bonne, elle ne se pourroit faire meilleure : car ce n’est point foy, sinon qu’elle s’appuye et arreste sur la miséricorde de Dieu si fermement, qu’elle n’en puisse estre desmeue ne distraite. Ausquels il estoit beaucoup meilleur de prier avec les Apostres, que le Seigneur leur augmentast la foy Luc 17.5, que nullement se vanter d’une telle perfection de foy, laquelle jamais nul des hommes n’a eue, ny aura en ceste vie. Qu’ils respondent quelle foy ils pensent avoir esté en celuy qui disoit. Je croy, Seigneur, aide mon incrédulité Marc 9.24. Car ceste foy aucunement encommencée estoit bonne, et pouvoit encores estre faite meilleure par la diminution de l’incrédulité. Mais ils ne peuvent estre réfutez par nuls plus certains argumens, que par leur propre conscience. Car s’ils se confessent pécheurs (ce que vueillent ou non ils ne peuvent nier) nécessairement il faut qu’ils en imputent la faute à l’imperfection de leur foy.
[e] Sur sainct Jean.
Mais ils disent, Philippe respondit à l’Eunuque, que s’il croyoit de tout son cœur, il luy estoit licite d’estre baptizé Actes 8.37. Et quel lieu doit yci avoir la confirmation du Baptesme, où la foy occupe et emplit tout le cœur ? Pour respondre, d’autre part je leur demande. Ne sentent-ils point une bonne partie de leur cœur estre desnuée et vuide de foy ? Ne cognoissent-ils point en eux tous les jours quelque nouveau accroissement de foy ? Un Payen se glorifioit qu’il devenoit vieil en apprenant. Nous Chrestiens doncques sommes plus que misérables, si nous vieillissons sans rien proufiter, desquels la foy doit avoir ses aages par lesquels elle aille toujours en avant, jusques à ce qu’elle grandisse en homme parfait Eph. 4.13. Pourtant en ce lieu, Croire de tout son cœur, n’est pas estre parfaitement fiché à Jésus-Christ : mais est seulement l’embrasser de bon courage, et de zèle non feint : n’estre point comme saoulé de luy, mais d’ardente affection en avoir comme faim et soif, et souspirer après luy. C’est une manière tant et plus commune de parler de l’Escriture, qu’elle dit estre fait de tout le cœur, ce qu’elle veut signifier estre fait de bon courage et sans feintise. Tels sont ces passages, En tout mon cœur je t’ay cherché. Item, Je te loueray en tout mon cœur : et autres semblables Ps. 119.10 ; 111.1 ; 138.1. Comme au contraire, reprenant les hypocrites et trompeurs, elle a coustume de leur reprocher qu’ils ont cœur et cœur, c’est-à-dire le cœur double Ps. 12.2. Ils adjoustent en après, que si la foy estoit augmentée par les Sacremens, le sainct Esprit auroit esté donné en vain, duquel l’œuvre et la vertu est de commencer, confermer et parfaire la foy. Je leur confesse que la foy est propre et entière œuvre du sainct Esprit, par lequel estans illuminez, nous recognoissons Dieu et les grans thrésors de sa bénignité et sans la lumière duquel nostre esprit est tellement aveuglé, qu’il ne peut rien veoir : tellement desprouveu de tout sentiment, qu’il ne peut rien flairer des choses spirituelles. Mais pour une grâce de Dieu qu’ils considèrent, nous en recognoissons trois. Car premièrement, nostre Seigneur nous enseigne et instruit par sa Parole. Secondement, il nous conferme par ses Sacremens. Tiercement, par la lumière de son sainct Esprit il esclaire nostre entendement, et donne entrée en nos cœurs et à la Parole et aux Sacremens, lesquels autrement batroyent seulement les aureilles, et se présenteroyent aux yeux, mais ils ne pénétreroyent et n’esmouveroyent point le dedans.
Pourtant je veux que les lecteurs soyent advertis que ce que j’attribue aux Sacremens l’office de confermer et augmenter la foy, n’est pas que j’estime qu’ils ayent une vertu perpétuelle de ce faire : mais pource qu’ils sont instituez de Dieu à ceste fin. Au reste, ils produisent lors leur efficace, quand le Maistre intérieur des âmes y adjouste sa vertu : par laquelle seule les cœurs sont percez, et les affections touchées pour y donner entrée aux Sacremens. Si cestuy-là défaut, ils ne peuvent non plus apporter aux esprits, que la lumière du soleil aux aveugles, ou une voix sonnante à sourdes aureilles. Pourtant je mets ceste différence entre l’Esprit et les Sacremens, que je recognoy la vertu résider en l’Esprit, ne laissant rien d’avantage aux Sacremens, sinon qu’ils soyent instrumens dont le Seigneur use envers nous : et tels instrumens, qui seroient inutiles et vains sans l’opération de l’Esprit : néantmoins qu’ils sont pleins d’efficace quand l’Esprit besongne par dedans. Maintenant il est évident comment, selon mon opinion, la foy est par les Sacremens confermée : asçavoir comme les yeux voyent par la lueur du soleil, et les aureilles oyent par le son de la voix. Certes la lumière ne feroit rien envers les yeux, sinon que la faculté de voir y fust pour la recevoir : ne la clameur aux aureilles, sinon que l’ouye leur fust donnée de nature. Or si c’est chose véritable (comme elle doit estre résolue entre nous) que l’opération du sainct Esprit pour engendrer, entretenir, conserver et establir la foy, est pareille à la veue de l’œil, à l’ouye de l’aureille, l’un et l’autre s’ensuyt très-bien, Que les Sacremens ne proufitent de rien sans la vertu d’iceluy : et néantmoins que cela n’empesche rien, qu’aux cœurs jà par luy enseignez, la foy ne soit corroborée et augmentée par les Sacremens. Il y a seulement ceste différence, que nos yeux et nos aureilles ont naturellement la faculté de veoir et ouyr : mais le sainct Esprit a ce mesme office en nos âmes d’une grâce spéciale outre le cours de nature.
Par laquelle raison sont aussi solues les objections qu’ont accoustumé aucuns de faire : c’est si nous attribuons l’accroissement ou confirmation de foy aux créatures, qu’en cela nous faisons injure à l’Esprit de Dieu, lequel seul il faut recognoistre autheur d’icelle. Car nous ne luy ravissons point en ce faisant, la louange qui luy appartient, veu que mesmes ce qui est dit confermer et augmenter, n’est autre chose qu’appareiller par son illumination nostre esprit à recevoir la confirmation qui est proposée aux Sacremens. Et si cela est encores trop obscurément dit, il sera esclarcy par ceste similitude. Si on veut persuader quelqu’un à faire une chose, on méditera toutes les raisons par lescquelles il soit attiré à celle sentence, et quasi soit contraint d’obtempérer. Mais encores il n’y a rien de fait, si le personnage auquel on a affaire, n’est d’un jugement vif et aigu, pouvant comprendre quel poids il y a aux raisons qu’on luy ameine : s’il n’est pareillement de nature docile, et enclin à obéir à bonne doctrine : si finalement il n’a conceu une telle opinion de la loyauté et prudence de celuy qui luy donne conseil, qu’elle luy forme un demi-jugement pour recevoir ce qui luy sera baillé. Car il y a plusieurs dures testes qu’on ne pourroit jamais fleschir par aucune raison. Quand la preud’hommie est suspecte, ou l’authorité contemptible, on ne proufite de rien, voire envers ceux qui sont aisez à mener : au contraire, que toutes ces choses soyent ensemble conjoinctes, elles feront que le conseil qu’on baille sera volontairement receu, lequel autrement eust esté mesprisé. L’opération du sainct Esprit est pareille en eux. Car afin que la Parole ne bâte point en vain les aureilles, ou que les Sacremens ne soyent point en vain présentez aux yeux, il déclaire que c’est Dieu qui parle là, et amolit la dureté de nostre cœur, pour nous apprester à l’obéissance, laquelle est deue à sa Parole. Finalement, il transfère aux aureilles de l’esprit, tant les paroles que les Sacremens. Il n’y a doncques nulle doute que tant la Parole que les Sacremens ne conferment nostre foy, en nous remonstrant à veue d’œil la bonne volonté de nostre Père céleste envers nous : en l’intelligence de laquelle consiste la fermeté de nostre foy, et toute la force repose. L’Esprit aussi conferme la foy, entant qu’il imprime en nostre cœur icelle confirmation pour luy donner efficace. Ce pendant le Père des clairtez Jacq. 1.17 n’est pas empesché qu’il ne puisse esclairer nos âmes par le moyen des Sacremens, comme il esclaire nos yeux corporels par les rayons du soleil.
Que ceste propriété soit en la parole extérieure, le Seigneur Jésus le démonstre quand il l’appelle Semence. Car comme la semence, si elle tombe en quelque endroict désert, et qui ne soit point labouré se perd sans rien produire : au contraire, si elle est jettée en un champ bien labouré, rapporte son fruit en abondance, ainsi la Parole de Dieu, si elle tombe en quelque dure cervelle et rebelle, demeure stérile, comme la semence jettée au gravier de la mer : mais si elle trouve une âme bien apprestée par l’opération du sainct Esprit, elle est féconde et fertile en fruit Matt. 13.4 ; Luc 8.15. Or s’il y a bonne similitude entre la semence et la Parole, comme nous disons que le bled croist, procède et vient en perfection de la semence, pourquoy ne dirons-nous aussi bien que la foy prend son commencement, accroissement et perfection de la Parole ? Sainct Paul exprime très-bien l’un et l’autre en divers passages. Quand il réduit en mémoire aux Corinthiens, en quelle efficace Dieu s’est servi de sa prédication il se glorifie que son ministère a esté spirituel, comme si la vertu du sainct Esprit eust esté conjoincte avec sa prédication, pour leur illuminer les entendemens et esmouvoir leurs cœurs 1Cor. 2.4. Mais en un autre passage, les voulant admonester que c’est que vaut la Parole de Dieu, quand elle est preschée par un homme, il accompare les prescheurs à des laboureurs, lesquels après avoir travaillé et prins peine à cultiver la terre, ne peuvent faire autre chose. Or que seroit-ce d’avoir cultivé, semé et arrousé : ou que proufiteroit tout cela, si Dieu ne donnoit sa vertu d’en haut ? Pourtant il conclud que celuy qui plante n’est rien, ne celuy qui arrouse : mais qu’il faut tout attribuer à Dieu, qui donne l’accroissement 1Cor. 3.6. Les Apostres doncques preschent avec efficace du sainct Esprit, entant que Dieu s’en sert comme d’instrumens. Mais il faut tousjours tenir ceste distinction : c’est qu’il nous souviene que c’est que l’homme peut de soy, et ce qui est propre à Dieu.
Or il est si vray que les Sacremens sont confirmation de nostre foy, qu’aucunesfois Dieu, quand il veut oster la fiance des choses qui estoyent promises aux Sacremens, oste mesmes les Sacremens. Quand il despouille et rejette Adam du don d’immortalité, il dit, qu’Adam ne recueille point du fruit de vie, afin qu’il ne vive éternellement Gen. 3.22. Qu’est-ce que nous oyons ? Ce fruit pouvoit-il rendre et restituer à Adam l’incorruption, de laquelle il estoit desjà décheut ? Nenny : mais cela est autant comme s’il eust dit, Le signe de ma promesse qui luy peut faire quelque espérance d’immortalité, luy soit osté, afin qu’il ne prene plus vaine confiance. Par une mesme raison aussi l’Apostre, quand il exhortoit les Ephésiens qu’ils eussent souvenance d’avoir esté estrangers des promesses, eslongnez de la compagnie d’Israël, sans Dieu, sans Christ, il dit qu’ils n’ont point esté participans de la Circoncision Eph. 2.11-12. En quoy il signifie qu’ils estoyent exclus de la promesse, puis qu’ils n’en avoyent point eu le mereau. ils font une autre objection : que la gloire de Dieu est transférée aux créatures, ausquelles on attribue tant de vertu : et qu’ainsi elle est d’autant diminuée. Il est facile d’y respondre, Que nous ne mettons point aucune vertu aux créatures, mais seulement disons que Dieu use de tels moyens et instrumens qu’il voit luy-mesme estre convenables : afin que toutes choses servent à sa gloire, puis qu’il est de toutes choses Seigneur et Maistre. Comme doncques il nourrit nos corps de pain et autres viandes, comme il esclaire le monde par le soleil, comme il l’eschauffe par le feu, et néantmoins ne le pain, ne le soleil, ne le feu ne font rien, sinon entant que sous tels moyens il nous eslargit ses bénédictions : ainsi pareillement il repaist et nourrit spirituellement la foy par les Sacremens, lesquels n’ont autre office que de nous représenter les promesses d’iceluy devant nos yeux, et mesmes nous en estre gage. Et comme nous ne devons mettre aucune fiance aux autres créatures, lesquelles par la bonne volonté de Dieu sont destinées à nos usages, et par le service desquelles il nous eslargit les dons de sa bonté, et ne les devons avoir en admiration ne glorifier comme causes de nostre bien : ainsi nostre confiance ne se doit arrester aux Sacremens, et la gloire de Dieu ne leur doit point estre transférée : mais en délaissant et nous destournant de toutes choses, et nostre foy et nostre confession doyvent s’eslever et s’addresser à celuy qui est autheur et des Sacremens et de tous autres biens.
Et ce que finalement du nom mesme de Sacrement ils cherchent couverture à leur erreur, c’est une raison trop débile. Car ils disent que combien que Sacrement és autheurs latins ait beaucoup de significations, toutesfois il n’en a qu’une qui soit convenante, ne qui appartiene aux signes : c’est asçavoir qu’il signifie le solennel jurement que le gendarme fait à son Prince ou Capitaine, quand il est enrollé et receu en bande. Car comme par ce jurement les nouveaux gendarmes obligent leur foy à leur Prince ou Capitaine, et se promettent à luy, s’advouans estre de sa gendarmerie : ainsi nous aussi par nos signes confessons Jésus-Christ estre nostre Capitaine, et testifions que nous guerroyons sous son enseigne. Ils adjoustent des similitudes pour rendre leur dire plus clair et plus évident. Comme en la guerre on recognoist les François et les Anglois les uns des autres, parce que les François portent la croix blanche, et les Anglois la croix rouge : comme aussi les Romains estoyent discernez des Grecs par diversité d’accoustremens : et d’avantage, comme les estats de Rome estoyent distinguez l’un de l’autre par leurs propres signes, c’est asçavoir les Sénateurs des Chevaliers par les habits de pourpre et les souliers rons, et d’autre part, les Chevaliers du populaire par un anneau : ainsi nous avons nos signes par lesquels nous sommes distinguez et discernez des infidèles et estrangers de nostre religion. Mais il appert par ce qui a esté dit, que les Anciens qui ont donné le nom de Sacrement à nos signes, n’ont point regardé en quelle signification les escrivains latins avoyent usé de ceste diction : ains pour leur commodité luy ont attribué ceste nouvelle, par laquelle simplement ils ont voulu désigner les signes sacrez. Et si nous le voulons subtiliser plus haut, il est à penser qu’ils ont transféré ce nom à ceste signification, par mesme raison et similitude qu’ils ont fait le nom de Foy à celle signification en laquelle maintenant nous en usons. Car combien que Foy proprement signifie la vérité qu’on a à tenir sa promesse, toutesfois ils l’ont prinse pour signifier la certitude ou certaine persuasion qu’on a de celle vérité. En ceste manière, combien que Sacrement soit le jurement par lequel le gendarme se promet et s’oblige à son Capitaine, ils l’ont prins pour signifier le signe dont le Capitaine use pour recevoir ses gendarmes en sa bande et solde. Car le Seigneur par ses Sacremens nous promet qu’il sera nostre Dieu, et que nous luy serons son peuple. Mais nous délaissons telles subtilitez, puisque par bien clairs argumens je pense avoir monstré que les Anciens n’ont eu autre esgard en appelant nos signes, Sacremens, que de signifier que ce sont signes de choses sainctes et spirituelles. Nous recevons bien les similitudes qu’ils proposent, estans tirées des marques ou livrées des gendarmes : mais nous n’endurons point que ce qui est le moindre és Sacremens, soit par eux constitué en premier lieu, et mesmes qu’ils n’y recognoissent autre chose. Or ceste considération doit estre principale aux Sacremens, qu’ils sont pour servir à nostre foy envers Dieu : la seconde, qu’ils sont pour tesmoigner nostre confession envers les hommes. Et selon ceste dernière raison sont bonnes et bien convenantes lesdites similitudes, moyennant que le premier nous demeure. Car autrement les Sacremens n’auroyent guères de vigueur, s’ils ne servoyent à soustenir nostre foy, et qu’ils ne fussent accessoires de la doctrine.
D’autre part, il nous faut estre advertis que comme ceux-ci destruisent l’efficace des Sacremens, et en abolissent l’usage : aussi il y en a au contraire qui attribuent aux Sacremens quelques je ne sçay quelles vertus secrettes, qu’on ne lit point jamais leur avoir esté données de Dieu. Par lequel erreur sont déceus et trompez les simples et ignorans, d’autant qu’ils s’accoustument de chercher les dons et grâces de Dieu où elles ne se peuvent nullement trouver, et sont peu à peu destournez et retirez de luy, pour suyvre pures vanitez au lieu de la vérité d’iceluy. Car les escholes des Sophistes d’un commun consentement ont déterminé que les Sacremens de la nouvelle Loy, c’est-à-dire ceux desquels l’Eglise chrestienne use maintenant, justifient et confèrent grâce, si nous n’y mettons object ou empeschement de péché mortel. On ne pourroit assez déclairer combien est pernicieuse ceste opinion : et ce d’autant plus que par si longues années au grand détriment de l’Eglise elle a esté receue, et dure encores en une bien grande partie du monde. Certes elle est plenement diabolique. Car d’autant qu’elle promet justice sans la foy, elle envoye et déjette les consciences, en confusion et damnation. D’avantage, faisant le Sacrement comme cause de justice, elle lie et enveloppe les entendemens humains en ceste superstition, qu’ils se reposent plustost en une chose corporelle qu’en Dieu : veu qu’ils sont naturellement trop plus enclins en la terre qu’il ne faudroit. Desquels deux vices il seroit à désirer que nous n’eussions pas si grande expérience : tant s’en faut qu’il y ait mestier de grande probation. Et qu’est-ce que Sacrement prins sans foy, sinon la ruine de l’Eglise ? Car puis qu’il faut rien attendre sinon en vertu de la promesse, laquelle ne dénonce pas moins l’ire de Dieu aux incrédules, qu’elle présente sa grâce aux fidèles, celuy qui pense recevoir des Sacremens autre bien que celuy qu’il accepte par foy, comme il luy est présenté de la Parole, s’abuse grandement. Dont aussi se peut inférer le reste, que la fiance de salut ne dépend point de la participation des Sacremens, comme si la justice y estoit colloquée, laquelle nous sçavons estre située en Jésus-Christ seul, et ne nous estre pas moins communiquée par la prédication de l’Evangile que par la testification des Sacremens, sans laquelle elle peut entièrement consister. Tellement est véritable ce que dit sainct Augustin, que le signe visible souvent apparoist sans la sanctification invisible : et derechef, la sanctification sans le signe visible[f]. Car comme luy-mesme dit en un autre lieu, les hommes reçoyvent aucunesfois Jésus-Christ jusques à la seule réception des Sacremens, aucunesfois jusques à la sanctification de vie[g]. Le premier de ces deux est commun aux bons et aux mauvais : le second est propre et particulier seulement aux fidèles.
[f] De quaest. veter. Testam., lib. III.
[g] Lib. De Baptismo, contra Donatist., cap. XXVI.
A quoy se rapporte la distinction que met aussi le mesme Docteur entre Sacrement et la chose, moyennant qu’on l’entende bien. Car il ne signifie pas seulement que la figure et la vérité sont comprinses au Sacrement, mais qu’elles ne sont pas tellement liées ensemble, que l’un ne puisse estre sans l’autre. Et mesmes quand elles sont conjoinctes, qu’il faut tellement discerner la chose du signe, qu’on ne transfère point à l’un ce qui est propre à l’autre. Touchant de la séparation, il en parle, quand il dit que les Sacremens n’ont leur effect sinon aux esleus[h]. Item en un autre passage parlant des Juifs : Combien, dit-il, que les Sacremens fussent communs à tous, la grâce toutesfois n’estoit pas commune, laquelle est la vertu des Sacremens. Ainsi maintenant le Sacrement de régénération est commun à tous : mais la grâce par laquelle nous sommes faits membres de Christ pour estre régénérez, n’est pas commune à tous[i]. Item parlant de la Cène du Seigneur, Nous avons bien aujourd’huy receu tous la viande visible : mais c’est autre chose du Sacrement, et autre chose de la vertu d’iceluy. Dont vient cela, que plusieurs vienent à l’autel, et prenent à leur condamnation ce qu’ils reçoyvent ? Car le morceau de pain que donna nostre Seigneur à Judas, luy fut poison : non pas qu’il fust mauvais, mais d’autant que l’homme qui le prenait estant mauvais, le prenoit mal. Un peu après, Le Sacrement de ceci, c’est-à-dire de l’unité spirituelle que nous avons avec Christ, nous est présenté à la table du Seigneur aux uns à vie, aux autres à mort : mais la chose dont il est figure, est à vie à tous, et ne peut estre à mort. Or il avoit dit un peu auparavant, Celuy qui en aura mangé, ne mourra point : mais j’enten celuy qui aura la vérité du Sacrement, et non pas le Sacrement visible : qui l’aura mangé au dedans, et non pas dehors : qui l’aura mangé du cœur, et non point masché des dents[j]. Nous voyons en tous ces passages, comme il testifie que la vérité du Sacrement est tellement séparée de la figure par l’indignité de ceux qui le reçoyvent mal, qu’il n’y demeure que la figure vuide et inutile. Celuy doncques qui veut avoir le signe avec la chose, et non pas vuide de sa vérité, doit appréhender par foy la Parole qui est là enclose. Et ainsi, d’autant que l’homme proufitera par les Sacremens en la communication de Christ, il recevra autant de proufit d’iceux.
[h] De baptismo parvulorum.
[i] In Psalm. LXXVIII.
[j] In Joann., homil. XXVI.
Si cela est obscur à cause de la briefveté, je le déclaireray plus au long, Je di que Jésus-Christ est la matière ou la substance de tous les Sacremens, d’autant que tous ont en luy fermeté, et ne promettent rien hors luy. Et d’autant moins est supportable l’erreur du maistre des Sentences, à quel nommément les tient pour cause de justice et salut[k]. Comme ainsi soit qu’ils ne tendent sinon à exclurre toutes causes que se forge l’entendement humain, pour nous retenir en Jésus-Christ, D’autant doncques que nous sommes aidez par iceux, soit pour nourrir, confermer et augmenter en nous la cognoissance de Jésus-Christ, soit pour le nous faire posséder plus plenement, et jouir de ses biens, autant ont-ils d’efficace envers nous, et non plus. Cela se fait quand nous recevons en vraye foy ce qui nous y est offert. Quelqu’un demandera, Comment doncques les meschans peuvent-ils faire par leur ingratitude, que l’ordonnance de Dieu soit vaine, et qu’elle perde sa vertu ? Je respon que je n’enten pas ce que j’ay dit, comme si la force et la vérité du Sacrement dépendoit de la condition ou nature de celuy qui les reçoit : car ce que Dieu a institué une fois demeure ferme, et retient toujours sa propriété, comment que ce soit que les hommes varient. Mais d’autant que c’est autre chose d’offrir que de recevoir, il n’y a nul inconvénient qu’un Sacrement de nostre Seigneur ne soit vrayement ce qu’il est dit et récité estre, et qu’il ne retiene sa vertu, et toutesfois qu’un homme meschant n’en sente nulle utilité. Mais sainct Augustin soud très-bien ceste question en peu de paroles : Si tu le reçois, dit-il, charnellement, il ne laisse point d’estre spirituel, mais ce n’est pas à toy[l]. Or comme ce sainct Docteur a monstré au passage que nous avons allégué, que le Sacrement n’est rien quand il est séparé de sa vérité : aussi il admoneste autre part, qu’en conjoignant l’un avec l’autre, il nous faut bien adviser de ne nous point amuser par trop au signe externe. Comme, dit-il, c’est un vice d’infirmité servile, de suyvre la lettre, et prendre les signes au lieu des choses : aussi c’est un erreur, de prendre les signes en sorte qu’il n’en reviene nulle utilité[m]. Il met deux vices desquels il nous faut garder : l’un est, quand nous prenons les signes comme s’ils avoyent esté donnez en vain, et qu’en anéantissant la vertu par nostre fausse interprétation, nous faisons périr le fruit qui nous en devoit venir : l’autre est, quand n’eslevans point nos entendemens plus haut qu’au signe visible, nous leur donnons la gloire des grâces lesquelles nous sont conférées de Jésus-Christ seulement : voire par son Esprit, lequel, nous fait participans de luy : voire avec l’aide des signes externes : lesquels, s’ils nous convient à Jésus-Christ, quand on les tire ailleurs, toute leur utilité est mise bas.
[k] Sentent., lib. IV, dist. I.
[l] Homil. in Joann., XXVI.
[m] De doctrina christiana, lib. II, cap. IX.
Pourtant retenons, ceste conclusion, que les Sacremens n’ont autre office que la Parole de Dieu : c’est de nous offrir et présenter Jésus-Christ : et en luy les thrésors de sa grâce céleste. Et ne servent ou proufitent de rien sinon à ceux desquels ils sont prins et receus par foy : tout ainsi que du vin, ou de l’huile, ou quelque autre liqueur s’espanchera à terre quand on la jettera sur un vaisseau, sinon que la bouche soit ouverte : et le vaisseau estant mouillé dehors, demeurera sec et vuide dedans. En outre, il nous faut donner de garde que nous ne tombions en un autre erreur prochain, en lisant ce que les Anciens, pour amplifier la dignité des Sacremens, en ont honorablement parlé : tellement que nous pensions quelque vertu secrette y estre annexée et attachée jusques-là, qu’en iceux les grâces du sainct Esprit soyent distribuées et administrées, comme le vin est donné en une couppe ou tasse : où seulement tout leur office est de nous tesmoigner et confermer la bénévolence et faveur de Dieu envers nous, et ne proufitent à rien plus outre si le sainct Esprit ne vient, qui ouvre nos entendemens et nos cœurs, et nous rende capables de ce tesmoignage. En quoy aussi clairement apparoissent diverses grâces de Dieu, et distinctes. Car les Sacremens, comme nous avons touché ci-dessus, nous servent de la part de Dieu d’une mesme chose, que les messagers de bonnes nouvelles de par les hommes : c’est asçavoir non pas pour nous conférer le bien, mais seulement nous annoncer et démonstrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu : ou bien nous sont arres pour les ratifier. Le sainct Esprit, qui n’est pas à tous indifféremment apporté par les Sacremens, mais lequel Dieu donne péculièrement aux siens est celuy qui apporte les grâces de Dieu avec soy, qui donne lieu en nous aux Sacremens, et les y fait fructifier. Or combien que nous ne niions pas que le Seigneur assiste à son institution par une vertu très-présente de son Esprit, à ce que l’administration des Sacremens qu’il a ordonnée, ne soit vaine et infructueuse : toutesfois nous enseignons que la grâce intérieure de l’Esprit, comme elle est distincte du ministère extérieur, aussi doit estre considérée séparément d’iceluy. Dieu doncques accomplit ce qu’il promet és figures, et les signes ne sont pas sans leur effect, pour monstrer entant que besoin est que l’autheur d’iceux est véritable et fidèle : seulement il est question de sçavoir si Dieu besongne par sa vertu propre et intrinsèque, comme on dit, ou s’il résigne son office aux signes externes. Or j’ay ceci pour résolu, que quelques instrumens qu’il applique à son usage, ce n’est point pour déroguer en façon qui soit à sa vertu souveraine. Quand telle doctrine est baillée des Sacremens, leur dignité est suffisamment esclarcie, et l’usage démonstré, et l’utilité recommandée. Cependant il y a une bonne modération gardée en tout et par tout, de ne leur point déférer plus qu’il ne faut, et ne leur rien oster de ce qui leur convient. Cependant, ceste fausse imagination est abatue, d’enfermer dedans les Sacremens la vertu de nous justifier, et les grâces du sainct Esprit, comme s’ils en estoyent des vaisseaux, et ce qui a esté omis par les autres, est clairement exprimé : asçavoir qu’ils sont instrumens par lesquels Dieu besongne selon qu’il luy plaist. Il nous convient aussi noter, que c’est Dieu qui accomplit au dedans ce que le ministre figure et testifie par l’acte extérieur : afin que nous ne tirions point à un homme mortel ce que Dieu se réserve. Et de cela sainct Augustin nous advertit prudemment : Comment, dit-il, Dieu et Moyse sanctifient-ils tous deux ? Or Moyse ne sanctifie point au lieu de Dieu, mais seulement en signes visibles selon son ministère : mais Dieu sanctifie de grâce invisible par son Esprit. En quoy aussi gist toute la vertu des Sacremens visibles. Car de quoy proufiteroyent-ils, si ce n’estoit ceste sanctification invisible[n] ?
[n] De quaest. veter. Testam., lib. III, cap. LXXXIV.
Le nom de Sacrement, comme nous en avons parlé jusques yci, comprend généralement tous les signes que Dieu a jamais assignez et donnez aux hommes, afin de les acertener et asseurer de la vérité de ses promesses. Et aucunesfois il les a voulu estre en choses naturelles, aucunesfois il les a voulu présenter en miracles. De la première forme les exemples sont, comme quand il donna l’arbre de vie à Adam et Eve, pour arre d’immortalité, afin qu’ils se teinssent asseurez de l’avoir, tant qu’ils mangeroyent du fruit de cest arbre Gen. 2.9. Et quand il proposa l’arc du ciel à Noé pour signe et enseigne à luy et à sa postérité, qu’il ne perdroit jamais plus la terre par déluge Gen. 9.13. Adam et Noé ont eu ces choses pour Sacremens : non pas que l’arbre leur donnast immortalité, laquelle il ne se pouvoit donner à luy-mesme : ne que l’arc qui n’est seulement qu’une réverbération des rais du Soleil encontre les nuées, eust la vertu de retenir et arrester les eaux : mais par ce qu’ils avoyent la marque engravée en eux par la Parole de Dieu, pour estre enseignes et seaux de ses promesses. Et certes au paravant l’arbre estoit arbre, et l’arc estoit arc, mais après qu’ils ont esté marquez par la Parole de Dieu, il leur a esté baillé nouvelle forme pour commencer d’estre ce que devant ils n’estoyent pas. Et afin que quelqu’un n’estime pas ceci estre dit en vain, l’arc mesme nous est encores aujourd’huy tesmoin de cette promesse et convenance que Dieu accorda avec Noé : et toutes fois et quantes que nous le regardons, nous cognoissons en luy cette promesse de Dieu, que la terre jamais ne sera perdue par déluge. Parquoy si quelque Philosophe volant, pour se mocquer de la simplicité de nostre foy, dit que cette variété de couleurs qui fait l’arc, provient naturellement de la réverbération des rais du soleil et de la nuée opposite, nous aurons à luy confesser : mais nous pourrons reprendre son ignorance en ce, qu’il ne recognoist point Dieu estre le Seigneur de nature, qui selon sa volonté use de tous élémens pour s’en servir à sa gloire. Et si au soleil, aux estoiles, à la terre, aux pierres il eust engravé et donné telles marques et enseignes, tout cela nous seroit Sacremens. Car pour quelle cause ne sont d’un mesme pris et valeur l’argent en masse, et celuy qui est marqué et monnoyé, puis que c’est du tout un mesme métail ? c’est pource que le premier n’a rien outre sa nature : et l’autre, qui est frappé du coin publique, est fait argent monnoyé, et reçoit nouvelle taxe de valeur. Et Dieu ne pourra-il point par sa Parole signer et marquer ses créatures, afin qu’elles soyent faites Sacremens, où elles n’estoyent rien au paravant que nuds et purs élémens ? Les exemples de la seconde manière ont esté, comme quand il a donné la vision à Abraham d’une lampe ardente au milieu d’un four embrasé avec fumée espesse Gen. 15.17, et quand il arrousa la peau sans que la terre sentist quelque rousée : et quand au contraire il arrousa la terre, la peau demeurant sèche, pour promettre la victoire à Gédéon Jug. 6.37 : et quand il recula de dix lignes l’horologe, pour promettre santé à Ezéchias 2Rois 20.9 ; Esaïe 38.7-8. Puis que ces choses ostoyent faites pour soustenir, conforter et confermer l’imbécillité de la foy de ceux-là, elles leur estoyent aussi Sacremens.
Mais ce qu’avons proposé pour le présent, est de traitter spécialement, des Sacremens, lesquels nostre Seigneur a constituez et voulu estre ordinaires en son Eglise, pour nourrir et entretenir les siens en une foy, et en la confession d’icelle. Car comme dit sainct Augustin, les hommes ne se peuvent unir en quelque religion que ce soit, ou vraye ou fausse, sinon par le moyen de quelques Sacremens[o]. Dieu doncques voyant dés le commencement ceste nécessité, avoit ordonné à ses serviteurs certaines cérémonies, pour estre exercices de leur religion, lesquelles Satan a depuis dépravées et corrompues en plusieurs sortes, les transférant à des superstitions meschantes. De là sont venues toutes les façons de faire des Payens, dont ils ont usé en leur idolâtrie. Or combien qu’il n’y eust qu’erreur et pollution, toutesfois ils nous sont tesmoignages que les hommes ne se peuvent passer de signes externes, quand ils veulent protester d’avoir quelque religion. Or tous les signes qu’ont eus les Payens, d’autant qu’ils n’estoyent point fondez en la Parole de Dieu, et ne se rapportoyent point à la vérité, laquelle est le but de tous Sacremens, ne sont point dignes de venir en conte, ne qu’on en face mention aucune, quand il est question des Sacremens que nostre Seigneur a ordonnez, et qui sont demeurez en leur pureté, n’estans point retirez du vray fondement, pour estre aides de piété et religion. Or iceux consistent non-seulement en signes, mais en cérémonies : ou si quelqu’un aime mieux ainsi dire, Les signes qui y sont donnez, sont cérémonies. Or comme il a esté dit ci-dessus, qu’ils nous sont donnez de Dieu pour tesmoignages de sa grâce en nostre salut : aussi d’autre costé ce sont enseignes de nostre profession, par lesquelles nous nous advouons publiquement à Dieu, luy obligeans nostre foy. Pourtant Chrysostome parle très-bien, en les appelant Pactions, par lesquelles la cédulle de nostre dette est effacée : et d’autre part, Obligez, par lesquels nous nous rendons debteurs de vivre purement et sainctement, pource qu’il y a stipulation mutuelle interposée entre Dieu et nous. Car comme nostre Seigneur remet en iceux toute la debte, de laquelle nous sommes chargez pour les fautes et offenses par nous commises, et nous réconcilie à soy en son Fils unique ; aussi mutuellement nous nous obligeons à luy, de le servir en saincteté et innocence de vie. Tellement qu’on peut définir tels Sacremens estre cérémonies, par lesquelles le Seigneur veut exercer son peuple : premièrement à entretenir, exerciter et confermer la foy au dedans du cœur : en après, pour testifier la religion devant les hommes.
[o] Contra Faust. Manich., lib. XIX, cap. XI
Ces Sacremens mesmes aussi ont esté divers, selon la dispensation du temps, par laquelle il a pleu au Seigneur se révéler et manifester aux hommes en diverses manières. Car à Abraham et à sa postérité la Circoncision fut commandée, à laquelle après par la Loy mosaïque furent adjoustez les ablutions et sacrifices et autres figures Gen. 17.10 ; Lév. 1.2. Ç’ont esté les Sacremens des Juifs jusques à l’advénement de nostre Seigneur Jésus-Christ : auquel ceux-là ont esté abolis, et deux autres instituez, desquels l’Eglise chrestienne use maintenant : c’est asçavoir, le Baptesme et la Cène du Seigneur Matt. 28.19 ; 26.26. Je parle des Sacremens donnez pour l’usage commun de toute l’Eglise : car touchant de l’imposition des mains, par laquelle les Ministres ou Pasteurs sont receus en leur office, comme je permets bien volontiers qu’on la nomme Sacrement : aussi je ne la tien point entre les Sacremens ordinaires qui sont donnez pour tous. Touchant des autres qui ont esté tenus communément, il en sera traitté ci-après. Combien que les anciens Sacremens des Juifs ayent tendu à une mesme fin et à un mesme but que font aussi maintenant les deux nostres : c’est-à-dire, d’envoyer et conduire à Jésus-Christ : ou plustost comme images, pour le représenter et donner à cognoistre. Car puis que (comme nous avons desjà devant monstré) les Sacremens sont comme seaux, desquels les promesses de Dieu sont scellées, et qu’il est certain que nulle promesse de Dieu n’a esté faite aux hommes, sinon en Jésus-Christ 2Cor. 1.20 : il faut nécessairement que les Sacremens, pour nous enseigner et admonester des promesses de Dieu, nous monstrent Jésus-Christ. Ce qui a esté signifié par le patron du tabernacle et de tous ses ornemens, qui fut monstré à Moyse en la montagne Exo. 25.40. Il y a seulement une différence entre ces Sacremens anciens et nouveaux : c’est que ceux-là ont préfiguré le Christ promis, quand encores on l’attendoit à venir : et les nostres nouveaux tesmoignent et enseignent qu’il a desjà esté donné et exhibé.
Quand toutes ces choses auront esté déclairées chacune à part, elles en seront beaucoup plus clairement entendues. Premièrement, la Circoncision estoit aux Juifs un signe, pour les admonester que tout ce qui provient de la semence d’homme, c’est-à-dire toute la nature de l’homme, est corrompue : et qu’elle a besoin d’estre circoncise et taillée. D’avantage elle leur estoit une certification et souvenance pour les confermer en la promesse faite à Abraham de la semence bénite : en laquelle devoyent estre bénites toutes les nations de la terre, et de laquelle ils devoyent aussi attendre leur bénédiction Gen. 22.18. Or ceste semence salutaire, ainsi que nous enseigne sainct Paul, estoit Jésus-Christ Gal. 3.16 : auquel seul ils espéroyent recouvrer ce qu’ils avoyent perdu en Adam. Parquoy la Circoncision leur estoit ce que sainct Paul dit qu’elle avoit esté à Abraham, c’est-à-dire un seel de la Justice de foy Rom. 4.11, par lequel ils fussent de plus en plus confermez que leur foy, en laquelle ils attendoyent ceste semence bénite, leur estoit et seroit tousjours imputée de Dieu à justice. Mais nous poursuyvrons en un autre passage plus proprement la comparaison de la Circoncision et du Baptesme. Les ablutions et purifications leur démonstroyent leur immondicité, leur ordure, leur pollution, par laquelle ils estoyent en leur nature souillez, maculez et infects, et aussi leur promettoyent un autre lavement, par lequel ils seroyent purifiez et nettoyez de leurs macules et infections : et ce lavement estoit Jésus-Christ : par le sang duquel nous sommes purgez et mondifiez, par les playes duquel nous sommes guairis, tellement que nos souilleures sont cachées, afin que nous apportions une vraye pureté devant Dieu Héb. 9.1, 14 ; 1Jean 1.7 ; Apo. 1.6 ; 1Pi. 2.24. Les sacrifices les arguoyent et convainquoyent de leurs péchez et iniquité, et ensemble leur enseignoyent qu’il leur estoit nécessaire que quelque satisfaction en fust faite à la justice de Dieu : et que pource il seroit un grand Prestre et Evesque, Médiateur entre Dieu et les hommes, lequel contenteroit icelle justice de Dieu par effusion de sang et immolation d’un sacrifice lequel seroit acceptable pour la rémission des péchez. Ce grand Prestre a esté Jésus-Christ, l’effusion a esté de son sang, luy-mesme a esté le sacrifice Héb. 4.14 ; 5.5 ; 9.11. Car il s’est offert au Père, obéissant jusques à la mort : par laquelle obéissance il a aboly la désobéissance de l’homme Phil. 2.8 ; Rom. 5.19, qui avoit provoqué et irrité l’indignation de Dieu.
Quand à nos deux Sacremens, ils nous présentent d’autant plus clairement Jésus-Christ, qu’il a esté manifesté de plus près aux hommes, depuis que vrayement il a esté donné et révélé tel qu’il avoit esté promis du Père. Car le Baptesme nous rend tesmoignage que nous sommes purgez et lavez : et la Cène de l’Eucharistie, que nous sommes rachetez. En l’eau nous est figurée ablution : au sang, satisfaction. Ces deux choses sont trouvées en Jésus-Christ : lequel, comme dit sainct Jehan, est venu en eau et en sang 1Jean. 5.6, c’est-à dire, pour purger et racheter. De ce est tesmoin l’Esprit de Dieu : ou plustost trois en sont tesmoins ensemble, L’eau, le sang et l’Esprit. En l’eau et au sang nous avons le tesmoignage de nostre purgation et rédemption : et le sainct Esprit, qui est principal tesmoin, nous approuve certainement ce tesmoignage, nous le fait croire, entendre et recognoistre : car autrement ne le pourrions comprendre. Ce haut mystère nous a bien esté monstré, quand du sacré costé de Jésus-Christ pendant en la croix, est sailly sang et eau Jean 19.34. Lequel costé à ceste cause sainct Augustin a très-bien dit estre la source et fontaine dont sont issus nos Sacrements[p], desquels il nous faut encores un peu plus amplement traitter. D’avantage, il n’y a nulle doute, si on compare un temps avec l’autre, que la grâce du sainct Esprit ne se monstre yci plus amplement. Car cela est bien convenable pour magnifier la gloire du règne de Christ : comme il appert de plusieurs passages, et surtout du chapitre VII de sainct Jehan. Il faut prendre en ce sens le dire de sainct Paul, qu’il n’y a eu qu’ombre sous la Loy, et que le corps est en Christ Col. 2.17. Car son intention n’est pas d’anéantir l’effect des signes anciens, ausquels Dieu s’est voulu monstrer véritable envers les Pères, comme aujourd’huy envers nous au Baptesme et en la Cène : mais il a voulu magnifier par comparaison ce qui nous est donné, afin que nul ne s’esbahist de ce que les cérémonies de la Loy ont esté abolies à l’advénement de Christ.
[p] Homil. in Joann., XX, et sæpe alias.
Au surplus, ce que les Docteurs de l’eschole mettent une grande différence entre les Sacremens de la vieille et nouvelle Loy, comme si les premiers n’eussent que figuré en l’air la grâce de Dieu, les seconds la donnoyent présentement : ceste doctrine est du tout à rejetter. Car l’Apostre ne parle point plus hautement des uns que des autres, enseignant que nos Pères de l’Ancien Testament ont mangé une mesme viande spirituelle que nous 1Cor. 10.3 : et expose que ceste viande a esté Christ. Qui est-ce qui osera dire le signe vuide et sans substance, qui démonstroit aux Juifs la vraye communion de Jésus-Christ ? Et à ceci aide la circonstance de la cause que démeine l’Apostre en ce passage-là. Car afin qu’aucuns sous ombre de la grâce de Dieu ne contemnent sa justice, il propose les exemples de sa rigueur et sévérité, comme il l’a déclairée sur les Juifs. Et afin que nul ne se peust préférer, comme s’il avoit quelque privilège d’avantage, il prévient ceste objection, les rendant du tout pareils à nous. Et notamment il monstre ceste équalité aux Sacremens, qu’ils sont communs tant aux uns comme aux autres. Et de faict, il n’est pas licite d’attribuer plus au Baptesme, que le mesme Apostre attribue en un autre lieu à la Circoncision, l’appelant Seel de la justice de foy Rom. 4.11. Pourtant tout ce que nous avons aujourd’huy en nos Sacremens, les Juifs l’avoyent anciennement aux leurs, asçavoir Jésus-Christ avec ses richesses spirituelles. Et la vertu qu’ont nos Sacremens a esté aux anciens, asçavoir d’estre signes et confirmations de la bonne volonté de Dieu pour le salut des hommes. S’ils eussent bien entendu la dispute démenée en l’Epistre aux Hébrieux, ils ne se fussent pas ainsi trompez : mais pource qu’ils lisoyent que les péchez n’ont point esté effacez par les cérémonies légales, mesmes qu’il n’y a point eu vertu aux ombres anciennes pour apporter justice Héb. 10.1, laissans la comparaison qu’ils devoyent bien noter, ils se sont attachez à ce mot, que la Loy n’a de rien proufité à ses observateurs. Ainsi ont pensé qu’il n’y eust que des figures vaines et vuides de substance. Or l’intention de l’Apostre est simplement d’anéantir la Loy cérémoniale, sinon d’autant qu’elle est réduite à Christ, duquel elle prend toute son efficace.
Mais on pourra alléguer ce qu’il dit aux Romains, de la Circoncision : asçavoir, qu’elle n’est en aucune réputation par soy, et ne proufite à rien devant Dieu Rom. 2.25 ; 1Cor. 7.19 ; Gal. 6.15 : où il semble qu’il la face beaucoup inférieure au Baptesme : ce qui n’est pas vray. Car toutes les choses qui sont là contenues, se pourroyent aussi à bon droict dire du Baptesme : mesmes en sont dites premièrement par sainct Paul, quand il enseigne que Dieu ne se soucie point de l’ablution externe 1Cor. 10.5, sinon que le courage soit purgé par dedans, et persévère en pureté jusques en la fin. Secondement par sainct Pierre, quand il tesmoigne que la vérité du Baptesme ne gist pas en la purgation extérieure, mais en la bonne conscience 1Pi. 3.21. Mais on répliquera, qu’il semble bien advis qu’en un autre lieu il mesprise du tout la Circoncision faite de main d’homme, la comparant à la Circoncision spirituelle de Christ Col. 2.11. Je respon que ce passage-là ne dérogue non plus à sa dignité. Sainct Paul dispute là contre ceux qui contraignoyent les fidèles à se circoncir, comme si c’eust esté chose nécessaire, combien que la Circoncision estoit desjà abolie. Il admoneste doncques les fidèles de ne s’amuser plus à ces ombres anciennes, mais à la vérité : Ces Docteurs, dit-il, vous pressent que vous soyez circoncis en vos corps. Or vous estes circoncis spirituellement tant selon le corps que selon l’âme : vous avez doncques une fermeté qui est beaucoup meilleure que l’ombre. Or quelqu’un pourroit répliquer à l’encontre, qu’il ne faloit point pourtant mespriser la figure, combien qu’on eust la chose : veu que les Pères de l’Ancien Testament avoyent esté circoncis d’esprit et de cœur, et toutesfois le Sacrement ne leur avoit point esté superflu. Il anticipe doncques ceste objection, en disant que nous sommes ensevelis avec Christ par le Baptesme. En quoy il dénote que le Baptesme est aujourd’huy aux Chrestiens, ce qu’estoit aux anciens la Circoncision : et par ainsi qu’on ne peut contraindre les Chrestiens à estre circoncis, sans faire injure au Baptesme.
Mais on fera encores un autre argument, que puis après il adjouste que toutes les cérémonies judaïques ont esté ombres des choses advenir, et que le corps est en Christ mesme. Ce qui est traitté depuis le chapitre VII de l’Epistre aux Hébrieux jusques en la fin du Xe est encores plus apparent à ce propos : veu que là il est dit que le sang des bestes brutes n’attouchoit point à la conscience. Item que la Loy avoit seulement l’ombre des biens advenir, non pas l’effigie expresse. Item, que les observateurs de la Loy mosaïque ne pouvoyent par icelle obtenir perfection Héb. 9.9 ; 10.2, 4. Je respon, comme desjà ci-dessus, que sainct Paul n’appelle point les cérémonies, Ombres, comme si elles n’eussent rien eu de ferme ne de solide : mais pource que l’acccomplissement d’icelles estoit suspendu jusques à la manifestation de Christ. Je di d’avantage, qu’il ne traitte point de l’efficace ou vertu des cérémonies, mais plustost de la façon de signifier. Car jusques à ce que Christ a esté révélé en chair, les Sacremens du Vieil Testament l’ont figuré comme absent : combien qu’il ne laissast point de faire sentir en iceux la présence de sa grâce et de soy-mesme à ses fidèles. Mais le principal qui est à noter, c’est que sainct Paul ne parle pas simplement de la chose, mais a esgard à ceux contre lesquels il dispute. Pource doncques qu’il combatoit contre les faux apostres, qui constituoyent la Chrestienté aux seules Cérémonies, sans avoir esgard à Christ, il suffisoit pour les réfuter, de déduire que c’est que valent les cérémonies par soy. C’est aussi le but qu’a regardé l’autheur de l’Epistre aux Hébrieux. Qu’il nous souviene doncques qu’il n’est point yci question des cérémonies prinses en leur signification vraye et naturelle, mais destournées en une fausse interprétation et perverse : que la dispute n’est point de l’usage légitime d’icelles, mais de l’abus de la superstition. Ce n’est pas doncques de merveille si les cérémonies estans ainsi séparées de Christ, sont despouillées de toute vertu : car tous les signes sont réduits à néant, quand la chose signifiée en est ostée. En ceste manière Jésus-Christ ayant affaire avec ceux qui n’estimoyent autre chose de la Manne, sinon que ç’avoit esté une viande pour repaistre le ventre, accomode et conforme sa parole à leur rudesse, disant qu’il leur donnera une meilleure viande pour les nourrir en l’espérance d’immortalité Jean 6.27. Si quelqu’un veut avoir la solution plus clairement, voyci où revient la somme. Pour le premier, toutes les cérémonies qui ont esté en la Loy de Moyse, ne sont que fumée et vanité, si on ne les rapporte à Christ. Secondement, que Christ en a tellement esté le but et la fin, que quand il a esté révélé en chair, elles ont deu cesser et estre cachées. Finalement, qu’il faloit qu’elles fussent abolies à l’advénement de Christ : tout ainsi que l’ombre s’esvanouit quand la plene clairté du soleil domine. Toutesfois pource que je diffère à tenir plus long propos de ceste matière au lieu où j’ay délibéré de comparer le Baptesme avec la Circoncision, je la touche maintenant plus briefvement.
Possible est que ce que ces povres Sophistes sont tombez en cest erreur, est qu’ils ont esté trompez et abusez par les excessives louanges des Sacremens, qu’on lit és anciens Docteurs : comme est ce que dit sainct Augustin, que les Sacremens de la vieille Loy promettoyent seulement salut : mais que les nostres le donnent[q]. Or n’appercevans point que telles manières de parler estoyent hyperbolique, c’est-à-dire excessives, ils ont aussi de leur part semé et divulgué leurs conclusions hyperboliques : mais ce du tout en autre sens que les Anciens ne l’avoyent prins en leurs escrits. Car en ce lieu-là sainct Augustin n’a pas voulu dire autre chose, que ce que luy-mesme en un autre passage escrit : c’est asçavoir, les sacremens de la Loy mosaïque avoir préannoncé Jésus-Christ, et les nostres annoncé[r]. Item contre Faustus Manichéen, Qu’iceux contenoyent promesses des choses à venir, ceux-ci sont enseignes des choses accomplies[s], comme s’il disoit que ceux-là ont figuré Jésus-Christ quand encores on l’attendoit à venir : mais que les nostres le monstrent présent, après qu’il est desjà venu et nous a esté donné[t]. Or il parle de la façon de signifier, comme on le peut cognoistre par un autre lieu, quand il dit, La Loy et les Prophètes ont eu des Sacremens pour dénoncer au paravant ce qui estoit à venir, nos Sacremens annoncent que ce qui estoit lors promis est advenu[u]. Touchant de l’efficace et de la vérité, il démonstre bien en plusieurs passages ce qu’il en a senty : comme quand il dit les Sacremens des Juifs en signes avoir esté divers : mais en la chose qui est signifiée, avoir esté pareils : divers en visible apparence, pareils et uns en vertu et efficace spirituelle. Item, nostre foy et celle des Pères est une en signes divers, voire en signes divers comme en paroles diverses : car les mots changent leurs sens selon la diversité des temps : et les paroles n’ont autre effect que les signes. Les Pères doncques anciens ont beu un mesme bruvage spirituel que nous, combien que leur bruvage corporel fust autre. Ainsi les signes ont esté changez, sans le changement de foy. La pierre leur estoit adoncques Jésus-Christ : et ce qui nous est présenté à l’autel, c’est Jésus-Christ. Ce leur a esté un grand mystère que l’eau qu’ils ont beue venant de la pierre, les fidèles sçavent ce que nous beuvons. Si on regarde l’apparence visible, il y a différence : si on regarde la signification intérieure, c’est tout un. Item, nostre viande et nostre bruvage est un avec celuy des Pères anciens, quant au Mystère : c’est-à-dire, quant à ce qui est signifié, non pas quant au signe apparent. Car c’est un mesme Jésus-Christ qui leur a esté figuré en la pierre, et qui nous a esté manifesté en chair[v] 1Cor. 10.4. Jusques yci j’ay récité les tesmoignages de sainct Augustin. Au reste, je confesse bien qu’il y a quelque différence quant à ce point, entre les Sacremens anciens et les nostres. Car comme ainsi soit que tant les uns que les autres testifient que l’amour paternelle de Dieu nous est otferte en Christ, avec les grâces du sainct Esprit, les nostres en rendent un tesmoignage plus clair et évident. Semblablement Jésus-Christ s’est bien communiqué aux Pères par les signes anciens, mais il se communique plus plenement à nous par ceux qu’il nous donne, selon que le requiert la nature du Nouveau Testament, au pris du Vieil. Et c’est ce que le mesme Docteur a voulu dire, lequel j’allègue volontiers entre les autres, comme le plus fidèle et le plus certain : asçavoir, que depuis la révélation de Jésus-Christ Dieu nous a donné des Sacremens moins en nombre qu’il n’avoit fait au peuple d’Israël, plus éminens en signification, et plus excellens en vertu[w]. Il est bon que les lecteurs soyent advertis en passant encores d’un point : c’est que tout ce que les Sophistes ont gazouillé de l’œuvre œuvrée, qu’ils appellent en leur gergon, non-seulement est faux, mais répugnant à la nature des Sacremens : lesquels Dieu a instituez, afin que nous estans desprouveus de tous biens, venions vers luy pour mendier, n’apportans rien qui soit qu’une simple confession de nostre disette. Dont il s’ensuyt qu’en recevant les Sacremens nous ne méritons aucune louange : et mesmes, pource que c’est un acte passif au regard de nous, qu’il n’est licite de nous y rien attribuer. J’appelle Acte passif, pource que Dieu fait le tout, et seulement nous recevons. Or les Sorbonistes veulent que nous y ouvrions de nostre costé, afin que nous ne soyons pas sans mériter en partie.
[q] In proœmio enarrationis Psalm LXXIII.
[r] Quaest. sup. Num. cap XXXIII, lib. XIX, cap XIV.
[s] Contra lit Petil, lib. II cap XXXVII.
[t] Homil. in Joann., XXVI.
[u] Homil. in Joann., XLV.
[v] In Psalm. LXXVII ; Contra Faust., lib XIX, cap. XIII
[w] De doctrin. christiana, lib III ; Epist. ad Januar.