L’hérétique affirme que l’an quinzième de l’empire de Tibère, son christ descendit dans une ville de Galilée, dans Capharnaum, apparemment du ciel du Créateur, où il était descendu auparavant. Pour procéder avec ordre, il faudrait d’abord me le montrer descendant de son ciel dans celui du Créateur. Pourquoi n’attaquerais-je point un récit qui ne se présente pas avec les garanties ordinaires de la vérité, et qui se trahit toujours par le mensonge ? Mais que nos propositions précédentes demeurent une fois pour toutes. Comment le Créateur admettra-t-il dans sa résidence pour le conduire de là sur la terre qui lui appartient-, un dieu qui traverse son palais uniquement pour le combattre ?
Mais je le tiens pour descendu, n’importe comment. Du moins, explique-moi le reste de sa marche. Nulle part il n’est question d’un apparition soudaine. L’apparition indique une présence inopinée, un phénomène qui frappe les regards sans aucun avertissement préalable. Descendre, au contraire, c’est se montrer graduellement, attirer l’œil peu à peu ; le mot lui-même annonce succession dans le fait. Il me force à rechercher sous quel extérieur, avec quelle pompe, par quel mouvement accéléré, ou ralenti ; dans quel temps est descendu ce christ en question. Est-ce le jour ou la nuit ? En outre, qui le vit jamais descendre ? qui raconta le fait ? qui l’affirma par serment ? Chose difficile à croire, même sur la foi d’un témoin. Enfin lorsqu’un Romulus trouva bien, un Proculus pour attester qu’il avait été emporté au ciel, le Christ de Dieu ne trouvera-t-il pas un héraut pour proclamer qu’il est descendu du sien ? Comme s’ils n’étaient pas montés et descendus l’un et l’autre par la même échelle, le mensonge.
Poursuivons, Qu’avait-il de commun avec la Galilée, s’il n’était pas le Christ, du Créateur ? N’est-ce pas la région que son Père avait, destinée, selon le témoignage d’Isaïe, à recueillir les premières semences de la prédication : « Reçois-la d’abord, et accomplis-la promptement, Terre de Zabulon, et toi, terre de Nephtali ? Mais la Galilée des nations qui s’élève au-delà du Jourdain, le long de la mer, a senti la puissance de son bras. Le peuple, qui marchait dans les ténèbres, a vu une grande lumière. Le jour s’est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort. » Le sectaire nous donne son dieu pour le flambeau des nations. Il fait bien ; mais raison de plus pour qu’il descende du ciel où brille le soleil de mon Créateur, quoique, à vrai dire, c’eût été plutôt dans le Pont et non dans la Galilée qu’il aurait dû descendre, Du reste, au lieu qu’il choisit, à la lumière qui se lève, ainsi que le prophète l’avait annoncé, nous commençons à reconnaître le Christ des prophètes, qui déclare à sa première entrée : « Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi et les prophètes ; je suis venu pour les accomplir. » Marcion a supprimé ces mois qu’il regarde comme une addition frauduleuse ; toutefois, vainement il ose avancer que le Christ n’a pas dit ce qu’il souhaite d’exécuter en partie ; car il a déjà accompli la prophétie qui concerne le lieu. Mais qu’il soit venu du ciel vers la synagogue avec ce langage habituel : « c’est le bu ! de notre mission, » à la bonne heure, Retranche donc aussi de l’Evangile ces paroles : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Sans quoi, ton christ va passer pour le rédempteur d’Israël ! Les faits me suffisent. Supprime tant que tu voudras les paroles de mon Sauveur : ses actions parlent assez haut. Il descend dans la synagogue ; donc il vient sauver les brebis perdues d’Israël. Les Israélites sont les premiers auxquels il offre le pain de sa doctrine ; donc il les adopte pour ses enfants de prédilection. Il ne distribue point encore aux autres cet aliment ; ils sont donc les chiens dont il vient de parler, et qu’il ne visite pas pour le moment, Or, à qui l’eût-il apporté plus volontiers qu’aux ennemis du Créateur » si lui-même n’avait pas été le fils du Créateur ?
Toutefois, comment a-t-il pu être admis dans la synagogue, dépourvu d’antécédents, totalement ignoré, personne ne connaissant encore ni son peuple, ni sa tribu, ni sa maison, avant le recensement d’Auguste que les archives romaines gardent comme un témoin irrécusable de la naissance de Jésus-Christ ? On n’avait point oublié « que le saint des saints ne devait s’ouvrir à aucun incirconcis, » Sans doute, chacun entrait dans la synagogue ; mais pour être admis à y enseigner, il fallait être parfaitement connu examiné, éprouvé longtemps d’avance pour cette fonction ou recommandé d’ailleurs pour la remplir.
« Et tous le ? assistants s’étonnaient de sa doctrine ! » Ils avaient raison ; « car il parlait, avec autorité, » ajoute l’historien sacré. Non pas qu’il attaquât la loi et les prophètes ; l’inspiration divine communiquait la grâce et la force à ses paroles » qui réédifiaient la loi et les prophètes, au lieu de les renverser. Autrement, l’admiration se fût convertie en horreur, et l’étonnement en exécration publique pour le destructeur de la loi et des prophètes, surtout pour le prédicateur d’un dieu étranger, qui n’aurait pu enseigner une doctrine contraire à la loi et aux prophètes, contraire par là même au Créateur, sans énoncer, avant tout, quelle était cette divinité ennemie et jalouse. Rien de tout cela dans l’Ecriture. Elle se contente de consigner l’admiration pour l’énergie et la grâce de ses paroles. C’était nous apprendre que le Christ enseignait la doctrine du Créateur, ce qu’elle ne nie pas, plutôt qu’une doctrine contradictoire, ce qu’elle n’a point articulé. Ainsi, point de milieu : ou le reconnaître pour l’envoyé de celui auquel il conforme sa doctrine, ou le tenir pour un prévaricateur s’il enseigna la même chose que son ennemi.
Un esprit immonde s’écrie au même chapitre : « Laisse-nous, Jésus ! Qu’y a-t-il entre nous et loi ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es, le saint de Dieu » Ce dernier surnom conviendrait-il à celui qui ne pourrait pas même porter le nom de Christ, s’il n’était le Christ du Créateur ? Ici, je ne reviendrai pas en arrière pour discuter la question des noms. Mais je le demande, comment l’esprit des ténèbres a-t-il pu deviner son nom, si aucune prophétie ne l’avait prononcé dans la loi mosaïque, si le Dieu inconnu et muet jusqu’à cette époque ne l’avait jamais promulgué ? Comment l’aurait-il appelé le saint d’un Dieu inconnu à son propre Créateur ?
Mais quoi ! avait-il attesté déjà sa divinité nouvelle par quelque preuve telle que l’on vît dans sa personne le saint d’un autre Dieu ? Sera-ce uniquement pour être entré dans la synagogue et avoir respecté le Créateur jusque dans son langage ? Mais non ! autant il fut impossible à l’esprit de ténèbres de reconnaître pour Jésus et pour saint de Dieu celui qu’il ignorait, autant il lui fut aisé de reconnaître celui qu’il connaissait déjà. Il se rappelait bien que le prophète avait prédit le saint de Dieu, et que le nom de Jésus avait été conféré au fils de Navé. Il l’avait surpris aussi sur les lèvres de l’ange, ainsi que le porte notre Evangile. « Ce qui naîtra en loi, tu l’appelleras le saint de Dieu, et tu lui donneras le nom de Jésus, » Tout démon qu’il était, il avait un secret sentiment de l’économie divine, qu’il était loin de rapporter à un autre dieu, quoiqu’il ne la connût qu’imparfaitement. « Qu’y a-t-il entre nous et toi ? » lui dit-il dès le début ; non pas, encore un coup, qu’il entrevit dans sa personne, un Jésus étranger auquel appartiennent les Esprits du Créateur : car il ne lui demande pas, « qu’y a-t-il entre toi et nous ? » mais bien, « entre nous et toi. » Pleurant sur lui-même, et se reprochant sa destinée qu’il voyait déjà, il ajoute : « Tu es venu nous perdre : » tant il avait bien reconnu Jésus Fils d’un Dieu terrible et vengeur, et pour ainsi dire d’un Dieu inexorable, et non de ce Dieu très-bon et qui ne sait pas punir. Pourquoi avons-nous débuté par ce passage ? afin de prouver deux choses : que le démon avait reconnu notre Christ pour le Jésus annoncé, et que lui-même se confirma dans le titre de Fils du Créateur.
— Mais Jésus réprimanda le démon.
— Oui sans doute, à cause de sa jalousie, de la témérité de son aveu ou de sa basse adulation, comme si le triomphe de Jésus-Christ était d’être venu pour la ruine des démons et non pour le salut des hommes, lui qui ne permettait pas à ses disciples de se glorifier de leur victoire sur l’esprit, mais seulement de la robe blanche du salut. Ou bien, pourquoi la réprimande ? L’esprit impur avait-il menti tout-à-fait ? alors plus de Jésus, plus de saint de Dieu ! N’avait-il menti qu’à demi en l’appelant Jésus, et le saint de Dieu, mais du Dieu Créateur ? alors il a été injustement repris d’avoir eu une pensée qu’il devait avoir, et de n’avoir pas eu celle qu’il ne pouvait avoir, c’est-à-dire l’idée d’un autre Jésus, le saint d’un autre Dieu.
Si la réprimande n’admet pas d’explication plus vraisemblable que la nôtre, dès-lors le démon n’a pas menti, puisqu’il ne fut pas repris pour un mensonge ; car le Christ était bien ce Jésus hors duquel l’esprit des ténèbres n’en pouvait connaître d’autre ; le Christ lui-même confirma sa déposition en lui reprochant tout autre chose que l’imposture.