Le Baptesme est la marque de nostre Chrestienté, et le signe par lequel nous sommes receus en la compagnie de l’Eglise, afin qu’estans incorporez en Christ, nous soyons réputez du nombre des enfans de Dieu. Or il nous a esté donné de Dieu, premièrement pour servir à nostre foy envers luy : secondement, pour servir à nostre confession envers les hommes : ce que j’ay desjà dit estre commun à tous Sacremens. Nous traitterons par ordre ces deux fins et causes de son institution. Quant à la première, le Baptesme apporte trois choses à nostre foy, lesquelles aussi il nous faut veoir chacune à part. Premièrement, il nous est proposé de Dieu pour nous estre signe et enseigne de nostre purgation : ou pour le mieux expliquer, il nous est envoyé de luy comme une lettre patente signée et seellée, par laquelle il nous mande, conferme et asseure que tous nos péchez nous sont tellement remis, couverts, abolis et effacez, qu’ils ne viendront jamais à estre regardez de luy, ne seront jamais remis en sa souvenance, et ne nous seront jamais de luy imputez. Car il veut que tous ceux qui auront creu soyent baptisez en la rémission de leurs péchez. Parquoy ceux qui ont osé escrire que le baptesme n’est autre chose qu’une marque et enseigne, par laquelle nous protestons devant les hommes nostre religion, ainsi qu’un homme d’armes porte la livrée de son Prince, pour s’advouer de luy, n’ont pas considéré ce qui est le principal au Baptesme, c’est que nous le devons prendre avec ceste promesse, que tous ceux qui auront creu et seront baptisez, auront salut Marc 16.16.
Il faut entendre en ce sens ce qui a esté escrit de sainct Paul : que l’Eglise a esté sanctifiée et mondifiée par son Espoux Jésus-Christ, par le Baptesme d’eau, en la parole de vie Eph. 5.26. Et en un autre lieu, que selon sa miséricorde nous avons esté sauvez par le lavement de régénération et rénovation du sainct Esprit Tite 3.5. Et ce aussi qui a esté escrit par sainct Pierre, que le Baptesme nous sauve 1Pi. 3.21. Car sainct Paul n’a pas voulu signifier nostre ablution et nostre salut estre parfait par le moyen de l’eau, ou l’eau contenir la vertu pour purger, régénérer ou renouveler : ne sainct Pierre aussi n’a pas voulu dire que l’eau soit la cause de nostre salut, mais seulement ils ont voulu signifier, qu’on reçoit en ce Sacrement asseurance de telles grâces : ce qui est assez évidemment expliqué par leurs paroles mesmes. Car sainct Paul conjoinct ensemble la parole de vie, qui est l’Evangile, et le Baptesme de l’eau : comme s’il disoit, par l’Evangile nostre ablution et nostre sanctification nous estre annoncée : et par le Baptesme ce message estre signé et scellé. Et sainct Pierre après avoir dit que le Baptesme nous sauve, adjouste incontinent, ce Baptesme n’estre pas le nettoyement des ordures du corps, mais la bonne conscience envers Dieu, laquelle vient de foy. Mais au contraire, le Baptesme ne nous promet autre purification que par l’aspersion du sang de Christ, lequel est figuré par l’eau, pour la similitude qu’il a avec icelle de laver et nettoyer. Qui est-ce doncques qui dira que nous sommes purifiez par ceste eau, laquelle testifie le sang de Christ estre nostre vray lavement et unique 1Pi. 1.2 ? Tellement qu’on ne pourroit trouver meilleur argument pour réfuter l’erreur de ceux qui rapportent tout à la vertu de l’eau, qu’en remonstrant quelle est la signification du Baptesme, laquelle nous retire tant de l’élément visible que nous voyons à l’œil, que de tous moyens d’acquérir salut, pour nous faire plenement arrester à Jésus-Christ.
Et ne devons estimer que le Baptesme nous soit donné seulement pour le temps passé, tellement que pour les péchez ausquels nous rechéons après le Baptesme, il nous fale chercher autre nouveau remède. Je sçay que de cest erreur est provenu qu’aucuns anciennement ne vouloyent estre baptisez, sinon en la fin de leur vie et à l’heure de leur mort : afin qu’ainsi ils obteinssent rémission plénière pour toute leur vie : laquelle folle fantasie est souvent reprinse des Evesques en leurs escrits. Mais il nous faut sçavoir qu’en quelque temps que nous soyons baptisez, nous sommes une fois lavez et purgez pour tout le temps de nostre vie. Pourtant toutes les fois que nous serons recheus en péchez, il nous faut recourir à la mémoire du Baptesme, et par icelle nous confermer en icelle foy, que nous soyons tousjours certains et asseurez de la rémission de nos péchez. Car combien que nous ayant esté une fois administré, il semble qu’il soit desjà passé, toutesfois il n’est pas effacé par les péchez subséquens. Car la pureté dé Jésus-Christ nous y est offerte, et elle à tousjours vigueur, tousjours dure, et ne peut estre surmontée d’aucune macule, ains elle abolit et nettoyé toutes nos souilleures et immondicitez. Or de ce nous ne devons pas prendre occasion ne licence de plus facilement pécher à l’advenir. Car par ceci nous ne sommes point incitez à telle hardiesse : mais ceste doctrine est seulement donnée à ceux lesquels après avoir péché sont désolez et se plaignent, estans lassez et grevez sous le fais de leurs péchez : afin qu’ils ayent de quoy se relever et consoler, pour ne tomber point en confusion et désespoir. A ceste cause sainct Paul dit que Jésus-Christ nous a esté fait propiciateur en la rémission des péchez précédens Rom. 3.24. En quoy il ne veut pas dire que n’ayons en luy rémission des péchez perpétuelle et continuelle jusques à la mort : mais il veut signifier qu’il a esté donné du Père aux povres pécheurs, lesquels blessez du cautère de conscience, souspirent après le médecin. A ceux-ci est offerte la miséricorde de Dieu : au contraire, ceux qui s’attendans à impunité, en cherchent et prenent matière et liberté de pécher, ils ne font qu’irriter contre eux l’ire et le jugement de Dieu.
Je sçay bien que l’opinion commune est que la rémission des péchez qui nous est donnée en nostre première régénération par le Baptesme, se reçoit puis après par pénitence et par le bénéfice des clefs : mais ceux qui parlent ainsi, faillent en ce qu’ils ne considèrent point que la puissance des clefs, dont ils font mention, dépend tellement du Baptesme, qu’elle ne s’en peut en nulle façon séparer. Il est bien vray que le pécheur obtient pardon de ses péchez par le ministère de l’Eglise, mais c’est en vertu de la prédication de l’Evangile. Et quelle est cette prédication ? Asçavoir que nous sommes nettoyez de nos péchez par le sang de Christ. Or quel est le signe et tesmoignage de ce lavement, sinon le Baptesme ? Nous voyons doncques comment ceste absolution se rapporte au Baptesme. Cest erreur nous a enfanté le Sacrement imaginaire de Pénitence, qu’on tient en la Papauté, duquel j’ay touché quelque mot ailleurs : et ce qui reste à en dire, je le réserve en lieu plus opportun. Or il ne se faut esbahir si ces docteurs de mensonges, lesquels selon leur bestise sont excessivement attachez à choses externes, se sont ainsi monstrez lourds en cest endroict : c’est qu’en ne se contentant point des signes ordonnez de Dieu, ils en ont forgé à leur poste : comme si le Baptesme, à parler proprement n’estoit point Sacrement de pénitence. Or si nous devons continuer la pénitence que Dieu nous commande, toute nostre vie, il faut bien que la vertu du Baptesme s’estende jusques à ces limites-là. Pourtant il n’y a doute que les fidèles tout le temps de leur vie ne doyvent avoir recours à la souvenance de leur Baptesme, toutes fois et quantes que leur conscience les rédargue, afin d’avoir ferme fiance d’estre participans de l’ablution unique et perpétuelle, laquelle gist au sang de Jésus-Christ.
La seconde consolation que nous apporte le Baptesme est, qu’il nous monstre nostre mortification en Jésus-Christ, et aussi nostre nouvelle vie en luy. Car, comme dit sainct Paul, nous sommes baptisez en sa mort, ensevelis avec luy en similitude de sa mort, afin que nous cheminions en nouveauté de vie Rom. 6.3-4. Par lesquelles paroles il ne nous exhorte pas seulement à une imitation de luy, comme s’il disoit que nous sommes admonestez par le Baptesme, afin qu’à quelque similitude et exemple de la mort de Jésus-Christ, nous mourions à nos concupiscences, et qu’à l’exemple de sa résurrection nous soyons ressuscitez à justice : mais il le prend bien plus haut, c’est asçavoir que Jésus-Christ par le Baptesme nous a fait participans de sa mort, afin que nous soyons entez en elle. Et comme une ente tire sa substance et nourriture de la racine où elle est entée, ainsi ceux qui reçoyvent le Baptesme en telle foy qu’ils doyvent, sentent vrayement l’efficace de la mort de Jésus-Christ en la mortification de leur chair : semblablement aussi de sa résurrection en leur vivification d’esprit. Et de ce il prend après occasion et matière d’exhorter que si nous sommes Chrestiens, nous devons estre morts à péchez, et vivre à justice. Il use de ce mesme argument en un autre lieu, où il dit que nous sommes circoncis, et avons despouillé le vieil homme, puis que nous sommes ensevelis avec Christ par le Baptesme Col. 2.12. En ce sens il l’a appelé au passage que nous avons au paravant allégué, Lavement de régénération et rénovation Tite 3.5. Ainsi Dieu nous y promet pardon gratuit de nos péchez pour nous accepter comme justes, et secondement la grâce de son Esprit, pour nous reformer en nouveauté de vie.
Finalement nostre foy reçoit aussi ceste utilité du Baptesme, que non-seulement il nous certifie que nous sommes entez en la mort et en la vie de Christ : mais que nous sommes tellement, unis à luy, qu’il nous fait participans de tous ses biens. Car pour ceste cause il a dédié et sanctifié le Baptesme en son corps Matt. 3.13, afin que ce fust un ferme lien de la société et union laquelle il a voulu avoir avec nous : tellement que sainct Paul prouve que nous sommes enfans de Dieu, d’autant que par le Baptesme nous avons vestu Christ Gal. 3.27. Ainsi voyons-nous que l’accomplissement du Baptesme est en luy. Pour laquelle raison nous le nommons, Le propre object et le but auquel le Baptesme regarde. Parquoy ce n’est point de merveille si les Apostres ont baptisé en son nom Act. 8.16 ; 19.5 : combien qu’ils eussent eu le commandement de baptiser aussi au nom du Père et du sainct Esprit. Car tout ce qui est proposé au Baptesme des dons de Dieu, est trouvé en un seul Christ. Néantmoins il ne se peut faire que celuy qui baptise au nom de Christ, n’invoque pareillement le nom du Père et du sainct Esprit Matt. 28.19. Car ce que nous avons nostre purgation au sang de Christ, c’est pourtant que le Père de miséricorde nous voulant selon sa bonté incomparable recevoir à merci, nous met au-devant ce Médiateur, pour nous acquérir faveur envers luy. Et lors nous obtenons nostre régénération en sa mort et en sa vie Jean 3.6, si parla sanctification de l’Esprit il y a une nouvelle nature spirituelle édifiée en nous. Parquoy la cause tant de nostre purgation que de nostre régénération, se doit recognoistre estre en Dieu le Père : la matière au Fils : l’efficace au sainct Esprit. Ainsi premièrement sainct Jehan et puis les Apostres ont baptisé du Baptesme de pénitence en la rémission des péchez : entendans par ce mot de Pénitence, la régénération : et par la rémission des péchez, l’ablution Matt. 3.6, 11 ; Luc 3.16 ; Jean 3.23 ; 4.1.
Parquoy aussi il nous est fait très-certain que c’a esté entièrement une mesme administration du baptesme, celle de sainct Jehan, et celle qui depuis fut donnée aux Apostres. Car le Baptesme n’est point fait divers, pource qu’il est administré de diverses mains, mais une mesme doctrine fait que le Baptesme est un Actes 2.38, 41. Sainct Jehan et les Apostres ont consenty et accordé en une mesme doctrine. Ils ont tous baptisé en pénitence, tous en la rémission des péchez, tous au nom de Christ, duquel est la pénitence et la rémission des péchez. Sainct Jehan appelle Jésus-Christ l’Agneau de Dieu, par lequel estoyent ostez et effacez les péchez du monde Jean 1.28-29. En quoy il l’a confessé, advoué et tesmoigné estre le sacrifice agréable au Père, estre Propiciateur, estre Sauveur. Que pouvoyent les Apostres plus adjouster à ceste confession ? Certes rien : car elle est plene, et entière. Pourtant que nul ne se trouble de ce que les Anciens s’efforcent de distinguer un Baptesme de l’autre. Car leur authorité ne nous doit point estre de si grande foy, qu’elle face vaciller la raison de l’Escriture. Qui est-ce qui accordera plustost avec Chrysostome, niant que la rémission des péchez ait esté comprinse sous le Baptesme de sainct Jehan, qu’avec sainct Luc affermant le contraire, que Jehan a presché le Baptesme de pénitence en la rémission des péchez[a] Luc 3.3. Ceste subtilité de sainct Augustin n’est non plus à recevoir, quand il dit que par le Baptesme de Jehan les péchez ont esté remis en espérance, mais qu’au Baptesme de Christ ils sont remis de faict[b]. Car puis que l’Evangéliste tesmoigne clairement que Jehan a baptisé en la rémission des péchez, quel mestier est-il d’amoindrir la grâce de son Baptesme, quand nulle nécessité n’y contraint ? Que si quelqu’un y cherche différence par la Parole de Dieu, il n’y en trouvera nulle autre, sinon que Jehan baptisoit au nom de celuy qui devait venir : les Apostres au nom de celuy qui s’estoit desjà manifesté Jean 3.16.
[a] Homil. in Matth., XIV.
[b] De Baptismo, contra Donatist., lib. V, cap X.
Ce que les grâces du sainct Esprit ont esté plus abondamment eslargies après la résurrection de Jésus-Christ, cela ne fait rien pour establir quelque diversité entre les Baptesmes. Car le Baptesme que distribuoyent les Apostres du temps qu’ils conversoyent encores en terre, estoit renommé de luy : et néantmoins n’avait point plus grande abondance de l’Esprit, que le Baptesme de Jehan Actes 8.14, 17. Et mesmes après l’Ascension, les Samaritains, combien qu’ils soyent baptisez au nom de Jésus, ne reçoyvent point autres grâces qu’avoyent receu les fidèles au temps précédent, jusques à ce que Pierre et Jehan leur sont envoyez, pour leur imposer les mains. Ce que les Anciens ont estimé que le Baptesme de Jehan n’estoit qu’une préparation à celuy de Christ, je pense qu’ils se sont abusez de ce qu’ils lisoyent ceux qui avoyent receu le Baptesme de Jehan avoir esté derechef baptisez par sainct Paul Actes 19.3, 5. Mais combien leur intelligence a esté fausse, il apparoistra ci-après. Qu’est-ce doncques que Jehan dit, que luy il baptise en eau, mais que Jésus-Christ devoit venir, qui baptiseroit au sainct Esprit et en feu Matt. 3.11 ? Ceci peut estre briefvement déclairé. Car il n’a pas voulu distinguer l’un des Baptesmes de l’autre : mais il a fait comparaison de sa personne à celle de Jésus-Christ. Et s’est dit estre ministre de l’eau, et Jésus estre le donateur du sainct Esprit : et qu’il déclaireroit ceste vertu par miracle visible au jour qu’il envoyeroit le sainct Esprit à ses Apostres sous langues de feu. Que se sont peu attribuer les Apostres outre cela ? et que se pourroyent attribuer d’avantage ceux qui baptisent encores aujourd’huy ? Car ils sont tous seulement ministres du signe extérieur : mais Jésus-Christ est autheur de la grâce intérieure. Comme aussi les anciens Docteurs le confessent, et principalement sainct Augustin, lequel use de ce principal appuy contre les Donatistes, que quels que soyent les ministres du Baptesme, Jésus-Christ néantmoins y préside.
Ces choses que nous avons desjà dites de la mortification, et puis de l’ablution ou purgation, ont esté figurées au peuple d’Israël : lequel à ceste cause sainct Paul dit avoir esté baptisé en la nuée et en la mer 1Cor. 10.2. La mortification a esté figurée, quand en les délivrant de la puissance et de la cruelle servitude de Pharaon, il leur feit voye par la mer Rouge, et submergea Pharaon et les Egyptiens leurs ennemis qui les poursuyvoyent. Car en ceste manière : au Baptesme il nous promet, et par signe nous démonstre et asseure que par sa vertu et puissance nous sommes délivrez de la captivité d’Egypte, c’est-à-dire de la servitude de péché Exo. 14.21, 26 : et que nostre Pharaon, qui est le diable, est submergé : combien qu’encores ainsi il ne cesse point de nous exercer et fascher. Mais comme cest Egyptien noyé ne demeura point au profond de la mer, ains estant rejette au rivage faisoit peur aux enfans d’Israël, qui le voyoyent si espovantable, combien qu’il ne leur pouvoit nuire, ainsi certes cest ennemi infernal monstre ses armes, et se fait sentir, mais il ne peut vaincre. En la nuée a esté figurée la purgation. Car comme lors nostre Seigneur les couvrit d’une nuée Nomb. 9.18, leur donnant rafraîchissement, afin qu’ils ne défaillissent et fussent corrompus par la trop aspre et véhémente ardeur du soleil : ains au Baptesme nous est démonstré que nous sommes couvers et préservez par le sang de Jésus-Christ, afin que la rigueur du jugement de Dieu, laquelle est vrayement un feu et ardeur intolérable, ne tombe sur nous. Or combien que ce mystère ait esté pour lors obscur et cognu de peu de gens, toutesfois puis qu’il n’y a moyen d’obtenir salut qu’en ces deux grâces, Dieu n’a point voulu que les Pères anciens qu’il avoit adoptez pour héritiers, fussent privez des marques et Sacrements tant de l’un que de l’autre.
Nous pouvons desjà appercevoir clairement combien est faux ce qu’aucuns ont enseigné, en quoy plusieurs persistent, que par le Baptesme nous sommes desliez et délivrez du péché originel, et de la corruption qui est descendue d’Adam sur toute sa postérité, et que nous sommes restituez en une mesme justice originelle et pureté de nature, qu’eust eu Adam, s’il eust toujours demeuré en l’intégrité en laquelle il avoit premièrement esté créé. Car telle manière de Docteurs n’ont jamais entendu que c’est que péché originel, que c’est que justice originelle, que c’est que la grâce du Baptesme. Or il a esté ci-dessus disputé, que le péché originel est une perversité et corruption de nostre nature, laquelle corruption premièrement nous rend coulpables de l’ire de Dieu et de damnation : et d’avantage elle produit aussi en nous les œuvres que l’Escriture appelle œuvres de la chair Gal. 5.19. Dont ces deux choses sont à considérer distinctement : c’est asçavoir premièrement, qu’ainsi estans vicieux et pervertis en toutes les parties de nostre nature, nous sommes desjà à bon droict, à cause seulement de telle corruption, condamnez et convaincus devant Dieu, auquel rien n’est acceptable, sinon justice, innocence et pureté. Et pourtant les enfans mesmes apportent du ventre de leur mère avec eux leur damnation, lesquels combien qu’ils n’ayent encores produit les fruits de leur iniquité, toutesfois ils eu ont la semence enclose en eux : et plustost toute leur nature est une semence de péché. A ceste cause il ne se peut faire qu’elle ne soit odieuse et abominable à Dieu. Les fidèles sont faits certains par le Baptesme, que ceste damnation leur est ostée et déchassée hors d’eux, puis que, comme nous avons dit, nostre Seigneur nous promet par ce signe, que plene et entière rémission de péchez nous est faite tant de la coulpe qui nous devoit estre imputée, que de la peine, que pour la coulpe il nous faloit porter et souffrir. Et aussi ils reçoivent justice, mais telle que le peuple de Dieu peut obtenir en ceste vie, c’est asçavoir par imputation seulement, parce que nostre Seigneur par sa miséricorde les tient pour justes et innocens.
La seconde chose qui est à considérer, c’est que ceste perversité ne cesse jamais en nous, mais assiduellement produit nouveaux fruits, c’est asçavoir les œuvres de la chair que dessus nous avons descrites : tout ainsi comme une fournaise ardente tousjours jette feu et flammettes : ou comme une source coulante, continuellement envoye son eau. Car la concupiscence ne meurt et n’est jamais esteinte plenement és hommes, jusques à ce que par la mort estans délivrez du corps de mort, ils se soyent entièrement despouillez d’eux-mesmes. Le Baptesme certes nous promet que nostre Pharaon est submergé, et que nostre chair est mortifiée : non pas toutesfois en telle sorte qu’il ne nous face plus d’ennuy, mais seulement plus à ce qu’il ne nous surmonte point. Car tant que nous vivrons enfermez en ceste prison de nostre corps, les restes et reliques de péché habiteront en nous ; mais si nous retenons par foy la promesse qui nous a esté donnée de Dieu au Baptesme, elles ne domineront et ne régneront point. Toutesfois que personne ne se trompe, que personne ne se flatte en son mal, quand il oit dire que le péché habite tousjours en nous. Cela n’est pas dit, afin que ceux qui desjà ne sont que par trop enclins à mal, s’endorment asseurément en leurs péchez : mais seulement afin que ceux qui sont chastouillez, exercez et picquez de leur chair, ne se désolent, perdent courage et espérance : mais que plustost ils se considèrent encores estre au chemin, et se pensent avoir proufité, quand ils sentiront leurs concupiscences se diminuer aucunement de jour en jour, jusques à ce qu’ils seront parvenus où ils tendent : c’est asçavoir au dernier abolissement de leur chair, qui sera parfait en la fin de ceste vie mortelle. Ce pendant, qu’ils ne cessent de batailler vertueusernent, prendre courage à s’advancer, et s’inciter et soliciter à la victoire. Car quand ils voyent qu’après s’estre bien efforcez, il leur reste encores grande difficulté, tant plus ont-ils d’occasion à s’esvertuer de plus en plus. Il nous faut doncques sçavoir et retenir que nous sommes baptisez en la mortification de nostre chair, laquelle dés le Baptesme est commencée en nous, et tous les jours de ceste vie la poursuyvons : mais elle sera parfaite, quand nous serons allez de ceste vie à nostre Seigneur.
En ceci nous ne disons autre chose que ce que dit sainct Paul aux VIe et VIIe des Romains. Car après avoir disputé de la justice gratuite, d’autant qu’aucuns meschans concluoyent de sa doctrine, que nous pouvons bien vivre à nostre plaisir, puisque nous ne sommes point agréables à Dieu par le mérite de nos œuvres, il adjouste que tous ceux qui sont vestus de la justice de Christ, sont quant et quant régénérez de son Esprit, et que nous avons au Baptesme l’arre de ceste régénération. De là il exhorte les fidèles de ne point laisser dominer le péché en leurs membres. Mais pource qu’il cognoissoit que les fidèles ont tousjours beaucoup d’infirmité, de peur de les descourager il adjouste une consolation, qu’ils ne sont plus sous la Loy Rom. 6.14. D’autre part, pource qu’aucuns eussent peu prendre occasion de se desbaucher, sous ombre qu’il disoit que les Chrestiens ne sont plus sous le joug de la Loy : il monstre quelle est l’abolition de la Loy : et aussi quel est l’usage d’icelle. Or la somme de ce qu’il en traitte, c’est que nous sommes délivrez de la rigueur de la Loy, pour adhérer à Christ : et que l’office de la Loy est de nous rendre convaincus de nostre perversité, pour nous faire confesser nostre foiblesse et misère. Or pource que la malice de nostre nature n’apparoist pas si aisément en un homme charnel, lequel est mené de ses concupiscences sans avoir crainte de Dieu : il prend exemple en sa personne, d’autant qu’il estoit régénéré par l’Esprit de Dieu. Il dit donccques qu’il a à lutter continuellement contre les reliques de sa chair, et qu’il est tenu comme prisonnier, pour ne pouvoir du tout obéir à la Loy de Dieu, tellement qu’il est contraint de s’escrier qu’il est malheureux, et demander qui le délivrera Rom. 7.24. Si les enfans de Dieu sont en prison et captivité durant ceste vie mortelle, il ne se peut faire qu’ils ne soyent en grande angoisse, pensans au danger où ils sont. Il adjouste doncques une consolation pour cela : c’est qu’il n’y a plus de condamnation sur ceux qui sont en Jésus-Christ Rom. 8.1. En quoy il signifie que ceux que Dieu a receus une fois en grâce, et incorporez en la communion de Jésus-Christ, et adoptez en la compagnie des fidèles par le Baptesme, moyennant qu’ils persévèrent en l’obéissance de la foy, sont absous, et ne sont point tenus coulpables devant le jugement de Dieu, combien que le péché leur face tousjours la guerre, et mesmes qu’ils l’ayent et le portent en eux-mesmes. Nous suyvons doncques de mot à mot la doctrine de sainct Paul, en ce que nous disons que le péché est remis au Baptesme quant à la coulpe, mais qu’il demeure tousjours quant à la matière, en tous Chrestiens jusques à la mort.
Le Baptesme sert à nostre confession devant les hommes, en ceste manière : c’est qu’il est une marque et enseigne, par laquelle nous protestons que nous voulons estre annombrez au peuple de Dieu : par laquelle nous testifions que nous consentons et accordons au service d’un seul Dieu, et en une religion avec tous les Chrestiens : par laquelle finalement nous déclairons et asseurons publiquement quelle est nostre foy, afin que non-seulement Dieu soit glorifié en nos cœurs, mais aussi que nos langues et tous les membres de nostre corps, entant qu’ils peuvent, au dehors résonnent ses louanges. Car en ce faisant, tout ce qui est nostre est employé comme il appartient à servir à la gloire de Dieu, de laquelle nulle chose ne doit estre vuide : et les autres à nostre exemple, sont incitez de pareillement s’y employer. A quoy regardoit sainct Paul quand il demandoit aux Corinthiens, s’ils n’avoyent pas esté baptisez au nom de Christ 1Cor. 1.13. En quoy il signifie qu’ils s’estoyent donnez et dédiez à luy, qu’ils l’avoyent advoué pour Seigneur et Maistre, et luy avoyent obligé leur foy devant les hommes : tellement qu’ils ne pourroyent plus confesser autre que luy seul, s’ils ne vouloyent renier leur confession qu’ils avoyent faite au Baptesme.
Maintenant puis que nous avons déclairé la fin et la cause pour laquelle nostre Seigneur a institué et ordonné le Baptesme, il sera facile de monstrer comment nous en devons user, et comment le devons prendre. Car entant qu’il nous est donné pour conforter, consoler et confermer nostre foy, il le faut prendre comme de la main de l’autheur propre : et avoir pour certain et indubitable que c’est luy qui parle à nous par ce signe : que c’est luy qui nous purge, qui nous nettoye, et abolit la mémoire de nos péchez : que c’est luy qui nous fait participans de sa mort : que c’est luy qui destruit et amortit les forces du diable et de nostre concupiscence : mesmes qui se fait un avec nous, à ce que par telle union nous soyons aussi bien réputez enfans de Dieu. Il nous faut doncques croire et estre asseurez qu’aussi véritablement et certainement il fait toutes ces choses intérieurement à nostre âme, comme nous voyons nostre corps par le dehors estre lavé, submergé et circuy d’eau. Car ceste ou analogie ou similitude est une très-certaine reigle des Sacremens, qu’aux choses corporelles nous contemplions et pensions les choses spirituelles, comme si elles nous estoyent mises devant les yeux, puis qu’il a pleu au Seigneur nous les représenter en telles figures. Non pas que telles grâces soyent liées ou encloses au Sacrement, ou qu’en la vertu d’iceluy elles nous soyent conférées : mais seulement pource que par signe et marque le Seigneur nous testifie sa volonté, c’est asçavoir qu’il nous veut donner toutes ces choses : et ne repaist pas seulement nos yeux d’un spectacle nud et vuide, mais nous meine présentement à la chose, et accomplit de faict ce qu’il figure.
Ceci se voit en l’exemple du Centenier Corneille, lequel après avoir receu rémission de ses péchez, et les grâces visibles du sainct Esprit, fut depuis néantmoins baptisé Actes 10.48 : non point pour avoir plus ample rémission par le Baptesme, mais pour plus certain exercice de sa foy, mesme accroissement par le gage qui luy en estoit donné. Quelqu’un (peut-estre) fera une objection : Si les péchez ne sont pardonnez par le Baptesme, pourquoy doncques disoit Ananias à sainct Paul, que par le Baptesme il purgeast ses péchez Actes 9.17 ; 22.16 ? Je respon qu’il est dit que nous recevons, obtenons, ou impétrons ce que nous croyons nous estre donné de Dieu, soit que nous commencions lors premièrement à le cognoistre, soit que l’ayans au paravant cognu, nous venions à en avoir plus certaine persuasion. Pourtant Ananias en ces paroles a seulement voulu dire cela : Paul, afin que tu sois certain que tes péchez te sont remis, sois baptisé, car le Seigneur promet au Baptesme la rémission des péchez : reçoy-la, et tien-toy asseuré. Combien que je n’entende pas de nullement amoindrir la force du Baptesme, que la chose et la vérité ne soit conjoincte au signe : selon que Dieu besongne par moyens externes. Au reste, nous n’avons autre chose de ce Sacrement, sinon autant que nous en recevons par foy. Et si la foy nous défaut, il nous sera en tesmoignage d’ingratitude, pour nous accuser devant Dieu que nous aurons esté incrédules à la promesse qui y estoit donnée : mais entant que le Baptesme est un signe et enseigne de nostre confession, nous devons par iceluy testifier que nostre fiance est en la miséricorde de Dieu, que nostre pureté est en la rémission des péchez qu’on a par Jésus Christ, et que nous entrons en l’Eglise de Dieu, afin qu’en union et consentement de foy et de charité nous vivions d’un mesme courage avec tous les fidèles. C’est ce qu’a voulu sainct Paul, quand il a dit que nous sommes tous baptisez en un mesme Esprit, pour estre faits un mesme corps 1Cor. 12.13.
Or si ce qu’avons arresté est véritable, que le Sacrement ne doit pas estre prins comme de la main de celuy par lequel il est administré, mais comme de la main mesme de Dieu, duquel sans doute il est envoyé, on peut de cela conclurre que rien n’y est adjousté ny osté pour la dignité de celuy par la main duquel il est administré. Et comme entre les hommes si quelque lettre est envoyée, pourveu que la main et le signe de l’escrivain soit bien cognu, c’est tout un qui ou quel en soit le messager : ainsi ce nous doit estre assez que de cognoistre la main et le signe de nostre Seigneur en ses Sacremens, par quelconque messager qu’ils soyent apportez. Par ceci est bien réfuté et destruit l’erreur des Donatistes, lesquels mesuroyent et prisoyent la vertu et valeur du Sacrement, selon la dignité et la valeur du Ministre. Tels sont aujourd’huy nos Anabaptistes, qui nient que nous ayons bien esté baptisez, par ce que nous avons esté baptisez des infidèles et idolâtres au royaume du Pape : pourtant ils requièrent furieusement qu’on soit rebaptisé. Contre les folies desquels nous sommes garnis d’assez forte raison, si nous pensons qu’avons esté baptisez, non pas au nom de quelque homme, mais au nom du Père, et du Fils et du sainct Esprit Matt. 28.19 : et pourtant que le Baptesme n’est point d’homme, mais de Dieu, par quelconques il ait esté administré. Quelque ignorance doncque ? ou contemnement de Dieu qui ait esté en ceux qui baptisoyent, ils ne nous ont pas baptisez en la communion de leur ignorance et impiété, mais en la foy de Jésus-Christ. Car ils n’y ont pas invoqué leur nom, mais celuy de Dieu : et ne nous ont point baptisez en autre nom. Or si le Baptesme estoit de Dieu il a certainement eu la promesse de rémission des péchez, de mortification de la chair, de vivification spirituelle, de participation de Christ. En ceste manière quand les Juifs ont esté circoncis par leurs sacrificateurs, qui s’estoyent desbauchez jusques à estre de vileins apostats, cela toutesfois ne leur a point nuit, et le signe n’en a pas esté inutile, pour dire qu’il le falust réitérer, mais a suffit qu’on recourust tousjours à la pure origine. Ce qu’ils objectent, que le Baptesme se doit faire en la compagnie des fidèles, n’emporte pas que s’il est vicieux en un endroict, toute sa force soit esteinte. Car quand nous enseignons ce qui se doit faire, afin que le Baptesme soit pur et entier et sans aucune souilleure, nous n’abolissons point l’institution de Dieu, combien que les idolâtres la corrompent. Et de faict, combien que jadis la Circoncision fust souillée de beaucoup de superstitions, si n’a-elle pas laissé d’estre tenue pour marque de la grâce de Dieu : comme aussi les saincts Rois Josias et Ezéchias, en ramassant de tout Israël ceux qui s’estoyent révoltez de Dieu, ne les ont pas contraints ny induits à une Circoncision nouvelle.
D’avantage, pource qu’ils nous interroguent quelle foy en nous a ensuyvy le Baptesme par quelques années, afin que de là ils puissent conclurre que nostre Baptesme a esté vain, lequel ne nous est point sanctifié, sinon que la Parole de la promesse soit receue par foy : nous respondons à ceste demande, que certes nous avons esté par long temps aveugles et incrédules, et n’avons point prins la promesse laquelle nous estoit donnée au Baptesme : toutesfois que ceste promesse, puis qu’elle estoit de Dieu, dés lors incontinent et tousjours est demeurée ferme et vraye. Encores que tous les hommes fussent mensongers et infidèles, toutesfois Dieu ne laisse point d’estre véritable Rom. 3.4 : encores que tous fussent perdus et damnez, toutesfois Jésus-Christ demeure salut. Nous confessons doncques le Baptesme pour ce temps-là ne nous avoir rien proufité, puis que la promesse demeuroit mesprisée, qui nous estoit en iceluy offerte, sans laquelle le Baptesme n’est rien. Maintenant puis que (grâces à Dieu) nous avons commencé à nous amender, nous accusons nostre aveuglement et dureté de cœur, entant qu’avons esté tant longuement ingrats à sa bonté : mais nous ne croyons pas pourtant que sa promesse se soit esvanouye, ains plustost considérons ainsi : Dieu par le Baptesme promet rémission des péchez, et sans doute tiendra promesse à tous croyans. Celle promesse nous a esté offerte au Baptesme : embrassons-la donccques par foy. Certes elle nous a long temps esté ensevelie, pour raison de nostre infidélité : maintenant doncques recouvrons-la par foy. Pour ceste raison, quand le Seigneur exhorte à repentance le peuple judaïcque, il ne commande pas à ceux qui avoyent esté circoncis par les mains des iniques et des sacrilèges, et avoyent aussi vescu quelque temps en mesme impiété, de se circoncir derechef : mais requiert la seule conversion du cœur. Car comment que ce fust que son alliance eust esté violée par eux, toutesfois le signe d’icelle, comme il l’avoit institué, demeuroit tousjours ferme et inviolable. Doncques il les recevoit par ceste seule condition, qu’ils reveinssent à amendement : leur confermant l’alliance laquelle il avoit une fois faite avec eux par la Circoncision, combien qu’elle leur eust esté baillée par meschans sacrificateurs, et qu’elle leur eust esté faussée par leur propre iniquité, entant qu’en eux estoit, jusques à en esteindre l’effect.
Mais il leur semble advis qu’ils nous jettent un dard de feu, quand ils allèguent sainct Paul avoir rebaptisé ceux qui avoyent une fois esté baptisez du Baptesme de sainct Jehan Actes 19.3, 5. Car si selon nostre confession, le Baptesme de sainct Jehan a esté du tout un mesme Baptesme qu’est maintenant le nostre : comme ceux-là estans au paravant mal instituez, après avoir esté enseignez de la droicte foy, ont en icelle este rebaptisez : ainsi le Baptesme qui a esté sans vraye doctrine, doit estre réputé pour rien : et devons estre baptisez de nouveau en la vraye religion, laquelle maintenant nous avons tout premièrement goustée. Il semble advis à d’aucuns que ç’avoit esté quelque fol imitateur de sainct Jehan, qui les avoit au paravant baptisez plustost en quelques vaines superstitions, qu’en la vérité. Et ont pour raison ceste conjecture, qu’iceux confessent qu’ils ne sçavent que c’est du sainct Esprit : en laquelle ignorance sainct Jehan ne les eust pas laissez. Mais il n’est pas non plus vray-semblable que des Juifs mesmes qui n’eussent point esté baptisez, n’eussent eu aucune cognoissance de l’Esprit, duquel il leur estoit fait souvent mention en l’Escriture. La response doncques qu’ils font, asçavoir qu’ils ne sçavent si l’Esprit est se doit entendre qu’ils n’avoyent rien entendu, asçavoir si les grâces du sainct Esprit, desquelles sainct Paul les interroguoit, estoyent distribuées aux disciples de Christ. Quant à moy, j’accorde le premier Baptesme qui fut donné à ceux-là, avoir esté le vray Baptesme de sainct Jehan, et un mesme avec celuy de Jésus-Christ : mais je nie qu’ils ayent esté rebaptisez. Que veulent doncques dire ces paroles, Ils ont esté baptisez au nom de Jésus ? Aucuns l’interprètent, que seulement c’est à dire qu’ils furent par sainct Paul instruits de pure et bonne doctrine : mais je l’aime mieux entendre plus simplement, qu’il parle du Baptesme du sainct Esprit : c’est-à-dire que les grâces visibles du sainct Esprit leur furent données par l’imposition des mains. Lesquelles grâces sont assez souvent en l’Escriture nommées Baptesme. Comme il est dit, qu’au jour de Pentecoste les apostres se souveindrent des Paroles du Seigneur touchant le Baptesme de l’Esprit et du feu Actes 1.5 ; 11.16. Et sainct Pierre récite que les grâces qu’il voyoit espandues sur Corneille et sur sa famille, luy avoyent aussi réduit en mémoire les mesmes paroles. Et ne répugne point ce qui est après escrit, Quand il leur eut imposé les mains, le sainct Esprit descendit sur eux. Car sainct Luc ne récite pas deux choses diverses, mais il poursuyt une forme de narration familière aux Hébrieux : lesquels proposent premièrement la chose en somme, après ils la déclairent plus amplement. Ce qu’un chacun peut appercevoir de la déduction mesme des paroles. Car il est dit, Ces choses ouyes ils ont esté baptisez au nom de Jésus : et quand sainct Paul leur eut imposé les mains, le sainct Esprit descendit sur eux. Par ceste dernière locution est descrit quel fut ce Baptesme-là. Que si le premier Baptesme estoit cassé et annuité par l’ignorance de ceux qui l’auroyent receu, tellement qu’il en fausist reprendre un autre, les Apostres devoyent estre rebaptisez les premiers : lesquels après leur Baptesme ont esté trois ans qu’ils n’avoyent pas grande cognoissance de la vraye doctrine. Et entre nous, quelles mers pourroyent suffire à réitérer tant de Baptesmes, que nostre Seigneur corrige journellement en nous d’ignorances ?
La vertu, dignité, utilité, et la fin de ce mystère doyvent estre assez esclarcies, comme je pense. Quant est du signe extérieur, il seroit bien à désirer que la pure institution de Jésus-Christ eust eu telle révérence qu’elle méritoit, pour réprimer l’audace des hommes. Car comme si c’eust esté chose contemptible et de petite valeur, de baptiser en eau selon le précepte de Jésus-Christ, on a controuvé une bénédiction solennelle, ou plustost une conjuration et enchantement, pour polluer la vraye consécration de l’eau. On a puis adjonsté le cierge avec le chresme. Il a semblé que le souffle pour conjurer le diable ouvroit la porte au Baptesme. Or combien que je n’ignore pas combien l’origine de ces fatras estranges est ancienne, toutesfois il nous est licite de rejetter tout ce que les hommes ont osé adjouster à l’institution de Jésus-Christ. Au reste, le diable voyant que ses tromperies avoyent esté dés le commencement de l’Evangile si aisément receues et sans difficulté par la folle crédulité du monde, s’est enhardy à se desborder à des mocqueries plus lourdes. Et de là est venu leur crachat, leur sel, et tels badinages, qui ont esté mis en avant avec une horrible licence, en opprobre et vitupère du Baptesme. Apprenons doncques par telles expériences, qu’il n’y a saincteté ne meilleure ne plus asseurée, que de nous arrester du tout à l’authorité de Jésus-Christ. Ainsi il eust beaucoup mieux valu, laissant ces pompes de farces qui esblouissent les yeux des simples, et abestissent leurs sens, quand il y a quelqu’un à baptiser, qu’il fust représenté devant l’Eglise pour estre offert à Dieu de tous avec prières : que là fust récitée la confession de foy, et ce qui est de l’usage du Baptesme : et ainsi que l’action fust simple, comme l’Escriture le porte : que les promesses qui sont au Baptesme fussent là proposées et déclairées : qu’il fust après baptisé au nom du Père et du Fils et du sainct Esprit, que finalement avec prières et action de grâces il fust renvoyé. Ainsi rien n’y seroit omis de ce qui y sert, et celle unique cérémonie de laquelle Dieu est autheur reluiroit très-clairement sans estre opprimée de nulles estranges ordures. Au reste, c’est une chose de nulle importance, si on baptise en plongeant du tout dedans l’eau celuy qui est baptisé, ou en respandant seulement de l’eau sur luy : mais selon la diversité des régions, cela doit demeurer en la liberté des Eglises. Car le signe est représenté et en l’un et en l’autre. Combien que le mot mesme de Baptiser, signifie du tout plonger : et qu’il soit certain que la coustume d’ainsi totalement plonger, ait esté anciennement observée en l’Eglise.
Il est mestier d’advertir yci que c’est une chose perverse qu’un privé entreprene d’administrer ne le Baptesme ne la Cène. Car la dispensation de l’un et de l’autre, est une partie du ministère publique. Qu’ainsi soit, Jésus-Christ n’a point commandé aux femmes ny à personnes privées de baptiser : mais a commis ceste charge à ceux qu’il avoit ordonnez Apostres. Et quand il a commandé à ses disciples de faire en célébrant la Cène, ce qu’il avoit fait, il les a sans doute voulu instruire, qu’à son exemple il y en eust un qui dispensast le Sacrement aux autres Matt. 28.19 ; Luc.22.19. Touchant ce que de long temps, et quasi du commencement de l’Eglise, ceste coustume a esté introduite, qu’en l’absence du ministre un homme particulier peut baptiser un enfant qui fust en danger de mort, cela n’est fondé en nulle raison. Et mesmes les Anciens qui observoyent ceste coustume, ou la toléroyent, n’estoyent point certains si c’estoit bien fait ou non : car sainct Augustin en parle avec doute, et ne peut pas déterminer si cela se fait sans péché<[c]. Touchant des femmes, il fut résolu de son temps au Concile de Cartilage, qu’elles n’eussent à baptiser sur peine d’excommunication[d]. Ils allèguent, que si un enfant décédoit sans Baptesme, il seroit privé de la grâce de régénération. Je respon que c’est folie. Dieu prononce qu’il adopte nos enfans, et les retient pour siens devant qu’ils soyent nais, en nous disant qu’il sera le Dieu de nostre semence après nous Gen. 17.7. C’est en ceste parole que leur salut consiste et est comprins : et ce seroit faire trop grande injure à Dieu, de nier que sa promesse ne suffise à mettre en effect ce qu’elle contient. Peu de gens se sont advisez combien ceste sentence mal entendue et mal exposée estoit pernicieuse : asçavoir que le Baptesme est requis à salut de nécessité. Et voylà pourquoy ils la laissent couler trop facilement. Car si ceste opinion a lieu que tous ceux qui n’auront peu estre plongez en l’eau sont damnez, nostre condition sera pire que celle du peuple ancien : d’autant que la grâce de Dieu sera plus restreinte qu’elle n’estoit sous la Loy. Et par ainsi on estimera que Jésus-Christ est venu, non pas pour accomplir les promesses, mais pour les anéantir. Veu que la promesse de salut avoit assez de vertu devant le huitième jour, encores que la Circoncision ne fust point receue : maintenant elle n’auroit nulle fermeté sans estre aidée du signe.
[c] Cont. epist. parmen., lib. II, cap. XIII.
[d] Cap. C.
Or il appert par les plus anciens Docteurs quelle a esté la coustume de l’Eglise devant que sainct Augustin fust nay. En premier lieu de Tertullien quand il dit qu’il n’est point permis à une femme de parler, ne d’enseigner, ne baptiser, ny offrir : afin qu’elle n’usurpe nul estat propre à l’homme, et tant moins au Prestre[e]. Nous avons aussi un bon tesmoin et authentique en Epiphane, quand il reproche à Marcion comme une lourde faute, qu’il donnoit licence aux femmes de baptiser. Je sçay bien ce qu’on allègue au contraire, que l’usage est différent de ce qui se fait par nécessité urgente. Mais puis qu’Epiphane prononçant que c’est une mocquerie de donner congé aux femmes de baptiser, n’adjouste nulle exception, il appert que cest abus est tellement condamné de luy, qu’il n’admet nulle excuse au contraire. Pareillement au livre troisième, disant qu’il n’a pas esté licite mesme à la vierge Marie de baptiser, il n’est pas question de restreindre aucunement son propos.
[e] Contr. haeres., lib. I.
L’exemple de Séphora est yci tiré inconsidérément : car ce qu’ils allèguent qu’elle a circoncy son fils, et que l’Ange de Dieu par ce moyen a esté appaisé Exo. 4.25 : de là ils infèrent sottement que l’acte ait esté approuvé de Dieu. Car par une mesme raison il faudroit dire, que le service meslé que dressèrent en Samarie ceux qui estoyent là envoyez d’Orient, eust esté agréable à Dieu : veu que depuis ils ne furent plus molestez des bestes sauvages 2Rois 17.32. Mais il est aisé à prouver par beaucoup d’autres bonnes raisons, qu c’est une bestise de vouloir tirer en exemple pour imiter, le fait de ceste folle femme. Si je disoye que c’a esté un acte singulier qui ne doit point estre tiré en reigle : item, Puis que nous ne lisons point qu’il y eust eu jadis mandement exprès donné aux Prestres pour circoncir : qu’il y a quelque diversité entre l’estat d’aujourd’huy et celuy d’alors, cela possible suffiroit pour clorre la bouche à ceux qui introduisent les femmes à baptiser. Car les paroles de Jésus-Christ sont claires. Allez, enseignez tous peuples et les baptisez Matt. 28.19. Puis qu’il n’ordonne point d’autres ministres du Baptesme, que ceux-là mesmes ausquels il donne la charge de prescher l’Evangile : et que tesmoin l’Apostre, nul ne doit usurper honneur en l’Eglise sinon qu’il soit appelé, comme Aaron Héb. 5.4 : quiconques baptise sans vocation légitime, fait mal et perversement de s’ingérer en la charge d’autruy. Sainct Paul déclaire que tout ce qu’on entreprend sans certitude de foy, voire aux choses les plus petites, comme au boire et au manger, est péché Rom. 14.23. Il y a bien doncques faute plus lourde et énorme au baptesme des femmes, où il est tout évident qu’on viole la reigle donnée de Christ, d’autant que nous sçavons que c’est un sacrilège de distraire les choses que Dieu a conjoinctes Matt. 19.6. Mais encores que je laisse tout cela, j’adverty seulement les lecteurs qu’ils considèrent bien que la femme de Moyse n’a rien moins cherché que d’offrir son service à Dieu. Voyant son enfant en danger de mort, elle se despite et murmure : et jette le prépuce en terre non sans cholère : et en injuriant son mari, elle s’aigrit et se rebecque contre Dieu. Brief, tout ce qu’elle fait procède d’une impétuosité désordonnée, d’autant qu’elle se fasche et se desgorge contre Dieu et son mari, à cause qu’elle est contrainte d’espandre le sang de son fils. Et encores qu’elle se fust bien portée en tout le reste c’est une témérité inexcusable de ce qu’elle présume de circoncir son enfant en la présence de Moyse si excellent Prophète de Dieu, qui n’a point eu son pareil en Israël : ce qui ne luy estoit pas plus loisible : qu’il est aujourd’huy à une femme de baptiser présent un Evesque. Au reste, toutes ces questions seront décidées, quand ceste fantasie sera arrachée des esprits des hommes : c’est que les enfans sont forclos du royaume de Paradis, s’ils n’ont receu le Baptesme. Or comme nous avons dit, on fait grand tort et injure à la vérité de Dieu, si on ne s’y repose du tout, tellement que de soy elle ait plene et entière vertu de sauver. Le Sacrement est puis après adjousté comme un seau, non pas pour donner vertu à la promesse, comme si elle estoit débile de soy, mais seulement pour la ratifier envers nous : afin que nous la tenions tant plus certaine. De là il s’ensuyt que les petis enfans engendrez des Chrestiens ne sont point baptisez pour commencer d’estre enfans de Dieu, comme si au paravant ils ne luy eussent en rien appartenu, et eussent esté estrangers de l’Eglise : mais plustost afin que par ce signe solennel il soit déclairé qu’on les reçoit en l’Eglise, comme estant desjà du corps d’icelle. Car quand il n’y a ne contemnement, ne nonchalance, nous sommes hors de tout danger. Parquoy le meilleur est de porter cest honneur à l’ordonnance de Dieu, que nous ne prenions point les Sacremens d’ailleurs que du lieu où il les a mis. Or il en a donné la dispensation à l’Eglise. Quand doncques nous ne les pouvons recevoir d’icelle, n’estimons pas que la grâce du sainct Esprit soit tellement liée à iceux, que nous ne l’obtenions en vertu de la seule Parole de Dieu.