Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE IV
Qui est des moyens extérieurs, ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ son Fils, et nous retenir en luy.

Chapitre XVI
Que le Baptesme des petis enfans convient très-bien à l’institution de Jésus-Christ et à la nature du signe.

4.16.1

Or d’autant que nous voyons l’observation que nous tenons de baptiser les petis enfans, estre impugnée et débatue par aucuns esprits malins, comme si elle n’avait point esté instituée de Dieu, mais inventée nouvellement des hommes, ou pour le moins quelques années après le temps des Apostres : j’estime qu’il viendra bien à propos, de confermer en cest endroict les consciences imbécilles, et réfuter les objections mensongères que pourroyent faire tels séducteurs, pour renverser la vérité de Dieu aux cœurs des simples, qui ne seroyent pas fort exercitez pour respondre à leurs cautèles et cavillations. Car ils usent communément d’un argument assez favorable en première apparence : c’est qu’ils ne désirent autre chose, sinon que la Parole de Dieu soit purement gardée et maintenue on son entier, sans y rien adjouster ne diminuer, comme ceux qui premièrement ont esté inventeurs de baptiser les petis enfans y ont adjousté, y allentans ceste chose sans en avoir aucun commandement. Laquelle raison nous concéderions estre assez suffisante, s’ils pouvoyent prouver leur intention, que ce Baptesme soit procédé de l’invention des hommes, et non pas de l’ordonnance de Dieu. Mais quand au contraire, nous aurons clairement monstré que faussement et à tort ils imposent ceste calomnie, d’appeler Tradition humaine ceste institution très bien fondée sur la Parole de Dieu, que reste-il plus sinon que ceste couleur laquelle ils prétendent en vain, s’en aille en fumée ? Ainsi cherchons l’origine première du Baptesme des petis enfans. Car s’il appert qu’il ait esté controuvé par la témérité des hommes, je confesse qu’il le faut là laisser, pour en prendre la vraye reigle de ce que le Seigneur en a ordonné : d’autant que les Sacremens ne pendroyent que d’un filet, s’ils n’estoyent fondez en la Parole de Dieu. Mais si nous trouvons que les petis enfans sont baptisez en l’authorité de Dieu, gardons bien de luy faire outrage, en réprouvant son ordonnance.

4.16.2

Pour le premier, ce doit bien estre une chose résolue entre les fidèles : que la droicte considération des signes ou Sacremens que le Seigneur a laissez et recommandez à son Eglise, ne gist point en l’extériorité ou cérémonie externe seulement : mais principalement dépend des promesses et mystères spirituels que nostre Seigneur a voulu représenter par telles cérémonies. Parquoy pour bien recognoistre que c’est que du Baptesme, et qu’il emporte, il n’est pas question de s’arrester du tout à l’eau et ce qui se fait extérieurement : mais il est besoin d’eslever nos pensées aux promesses de Dieu qui nous y sont données, et aux choses intérieures et spirituelles qui nous y sont démonstrées. Si nous avons cela, nous tenons la substance et la vérité du Baptesme : et mesmes de là viendrons à comprendre à quelle fin a esté ordonnée ceste aspersion d’eau qui se fait, et de quoy elle nous sert. D’autre part, si ces choses mesprisées et laissées, nous avons l’esprit fiché seulement et du tout en l’observation extérieure, nous ne comprendrons jamais sa vertu, ne l’importance du Baptesme, ne mesmes que veut dire ceste eau de laquelle on y use, ne qu’elle signifie. Nous ne poursuyvrons pas ceci par longues paroles, veu que c’est une chose tant clairement et si souvent démonstrée en l’Escriture, qu’elle ne peut estre aucunement douteuse ny obscure entre les Chrestiens. Il reste doncques au surplus de chercher és promesses données au Baptesme, quelle est la propre substance d’iceluy. L’Escriture nous enseigne que la rémission et purgation de nos péchés, que nous avons par l’effusion du sang de Jésus-Christ, nous y est premièrement représentée : après, la mortification de nostre chair, que nous obtenons pareillement en communiquant à sa mort, pour ressusciter à nouveauté de vie : c’est asçavoir à innocence, saincteté et pureté. En quoy nous comprenons premièrement, que le signe visible et matériel n’est sinon représentation des choses plus hautes et plus excellentes : pour lesquelles comprendre il nous faut avoir nostre recours à la Parole de Dieu, en laquelle gist toute la vertu du signe. Or par icelle nous voyons les choses signifiées et représentées, estre la purgation de nos péchez, la mortification de nostre chair, pour estre faits participans de la régénération spirituelle, laquelle doit estre en tous les enfans de Dieu. D’avantage, elle monstre que toutes ces choses sont causées en Jésus-Christ, comme en estant le fondement. Voylà en somme la déclaration du Baptesme, à laquelle se peut réduire et référer tout ce qui en est dit en l’Escriture : excepté un point qui n’a pas esté touché, c’est qu’il est aussi bien comme une marque, par laquelle nous advouons devant les hommes le Seigneur pour nostre Dieu, et sommes enrollez au nombre de son peuple.

4.16.3

Pourtant que devant l’institution du Baptesme le peuple de Dieu avoit au lieu la Circoncision, laquelle a servy sous le Vieil Testament, il nous faut yci regarder quelle similitude et quelle différence il y a entre ces deux signes : afin que de cela nous comprenions semblablement que c’est qu’on peut déduire de l’un à l’autre. Quand nostre Seigneur ordonne la Circoncision à Abraham, il use de ceste préface, qu’il veut estre son Dieu, et le Dieu de sa semence Gen. 17.7, 10 : se déclairant estre tout-puissant, et avoir toutes choses en sa main, pour luy estre en plénitude et fontaine de tous biens. Sous lescquelles paroles est comprinse la promesse de la vie éternelle : ainsi que nostre Seigneur Jésus-Christ l’a exposé, tirant un argument de ce que son Père s’estoit appelé le Dieu d’Abraham, pour convaincre les Sadducéens de l’immortalité et résurrection des fidèles : Car il n’est point, dit-il, Dieu des morts, mais des vivans Matt. 22.32 ; Luc 20.38. Parquoy aussi sainct Paul au IIe des Ephésiens, leur monstrant de quelle confusion nostre Seigneur les avoit retirez, il déduit de ce qu’ils n’avoyent point la Circoncision, qu’ils estoyent sans Christ, estrangers des promesses, sans Dieu et sans espérance Eph. 2.12 ; d’autant qu’icelle estoit le tesmoignage de toutes ces choses. Or le premier degré que nous avons pour approcher de Dieu, et entrer en la vie éternelle, c’est la rémission de nos péchez. Dont il s’ensuyt que ceste promesse est correspondante à celle du Baptesme, qui est de nostre purgation et ablution. Après, nostre Seigneur déclaire à Abraham comment il veut qu’il chemine devant soy en intégrité et innocence. Qui n’est autre chose que la mortification, pour ressusciter à nouveauté de vie. Et afin qu’il n’y eust nulle doute que la Circoncision ne fust signe et figure de la mortification, Moyse l’expose plus clairement au chapitre X du Deutéronome, quand il exhorte le peuple d’Israël de circoncir son cœur au Seigneur : pource qu’il est le peuple esleu de luy, entre toutes les nations de la terre Deut. 10.16 ; 30.6. Comme nostre Seigneur en recevant la lignée d’Abraham pour son peuple ordonne qu’ils soyent circoncis : ainsi Moyse déclaire qu’ils doyvent estre circoncis de cœur, comme voulant monstrer quelle est la vérité de ceste Circoncision charnelle. D’avantage, afin que le peuple n’aspirast à ceste mortification par sa propre puissance, il luy enseigne comment c’est une œuvre de la grâce de Dieu en nous. Toutes ces choses ont esté tant souvent répétées aux Prophètes, qu’il n’est jà besoin en faire long propos. Nous avons doncques que la Circoncision a eu promesse spirituelle envers les pères, telle mesmes que le Baptesme : en leur signifiant la rémission de leurs péchez, et mortification de leur chair, pour vivre à justice. Outre plus, comme nous avons dit que Christ, entant qu’il est l’accomplissement de ces choses, est le fondement du Baptesme : aussi est-il de la Circoncision. Parquoy il est promis à Abraham, et en luy la bénédiction de tous peuples de la terre : comme si nostre Seigneur disoit que toute la terre estant en soy maudite, recevra bénédiction par luy. Et le signe de la Circoncision est adjousté pour seeler et confermer ceste grâce.

4.16.4

Il est à ceste heure bien aisé de juger et discerner en quoy convienent ensemble, ou en quoy diffèrent ces deux signes, la Circoncision et le Baptesme. La promesse que nous avons dite estre la vertu des Sacremens, est une en tous deux : c’est asçavoir de la miséricorde de Dieu, de la rémission des péchez, et de la vie éternelle. La chose représentée y est toujours une, c’est nostre purgation et mortification. La cause et le fondement de ces choses, qui est Christ, est tant en l’un comme en l’autre, pour confirmation et accomplissement. Il s’ensuyt qu’il n’y a rien de différence quant au mystère intérieur, où gist toute la substance des Sacremens, comme dit a esté. Toute la diversité qui s’y trouve, n’est sinon quant à la cérémonie extérieure, qui est la moindre partie des Sacremens, puis que la considération principale dépend de la Parole et de la chose signifiée et représentée. Parquoy nous pouvons conclurre que tout ce qui appartient à la Circoncision, est aussi commun au Baptesme : excepté de la cérémonie externe et visible. Et à ceste déduction nous meine la reigle de sainct Paul : c’est que toute l’Escriture se doit mesurer selon la proportion et similitude de la foy Rom. 12.3, 6, laquelle regarde tousjours les promesses. Et de faict, la vérité se laisse en cest endroict quasi toucher à la main. Car comme la Circoncision a esté une marque aux Juifs, en recognoissance que Dieu les recevoit pour son peuple, et qu’ils l’advouoyent pour leur Dieu, et ainsi leur estoit comme la première entrée extérieure en l’Eglise de Dieu : aussi par le Baptesme nous sommes premièrement receus en l’Eglise de nostre Seigneur, pour estre recognus de son peuple : et faisons protestation de le vouloir advouer pour nostre Dieu. Dont appert que le Baptesme a succédé à la Circoncision.

4.16.5

Maintenant si quelqu’un demande, si le Baptesme doit estre communiqué aux petits enfants, comme leur appartenant selon l’ordonnance de Dieu : qui sera celuy tant desprouveu de sens, lequel se vueille arrester, pour en donner bonne résolution, seulement à l’eau et à l’observation visible, et non plustost considérer le mystère spirituel ? auquel si nous avons esgard, il n’y aura nulle doute que le Baptesme n’appartiene à bon droict aux enfants. Car par ce que nostre Seigneur a ordonné anciennement la Circoncision aux enfans, il a monstré évidemment qu’il les faisoit participans de tout ce qui y estoit représenté. Autrement il faudroit dire que telle institution n’auroit esté que mensonge et feintise, et mesmes belle tromperie : ce qui ne peut estre ouy ny enduré entre les fidèles. Car le Seigneur dit notamment, que la Circoncision donnée au petit enfant, luy sera en confirmation de l’alliance laquelle a esté récitée. Si doncques l’alliance demeure tousjours une, il est très-certain que les enfans des Chrestiens n’en sont pas moins participans, qu’ont esté les enfans des Juifs sous le Vieil Testament. Et s’ils sont participans de la chose signifiée, pourquoy ne leur sera communiqué le Sacrement, qui n’est sinon figure et représentation ? S’il est question de discerner le signe extérieur de la Parole, lequel sera estimé le plus grand et le plus excellent ? Certes d’autant que le signe sert à la parole, on voit bien qu’il est inférieur et de moindre estime. Or il est ainsi que la parole du Baptesme s’addresse aux petis enfans : pourquoy doncques en destournera-on le signe, lequel est comme une dépendance d’icelle ? S’il n’y avoit que ceste seule raison, elle est bien assez suffisante pour fermer la bouche à tous contredisans. La raison qu’on ameine touchant le jour préfix à la Circoncision Gen. 17.12 ; 21.4, n’est aucunement de mise. Bien est vray que le Seigneur ne nous a pas liez à certains jours, comme il a fait les Juifs : mais nous laissant liberté en cela, il nous a toutesfois déclairé comment les petis enfans doyvent estre solennellement receus en son alliance. Qu’est-ce que nous demandons d’avantage ?

4.16.6

Toutesfois l’Escriture encores nous ameine à plus évidente cognoissance de vérité. Car il est certain que l’alliance qu’a faite une fois le Seigneur avec Abraham, disant qu’il vouloit estre son Dieu, et le Dieu de sa semence, n’est pas moins aujourd’huy entre les Chrestiens, qu’elle a esté lors entre le peuple judaïque, et que ceste parole ne s’addresse pas moins aujourd’huy aux Chrestiens, qu’elle s’addressoit aux Pères du Vieil Testament. Autrement il s’ensuyvroit que la venue de Jésus-Christ auroit amoindry et accourcy la grâce et miséricorde de Dieu : qui est un horrible blasphème à dire et à ouyr. Et de faict, comme les enfans des Juifs ont esté appelez Lignée saincte, à cause qu’ils estoyent héritiers de ceste alliance, et estoyent ségrégez des enfans des infidèles et idolâtres : aussi les enfans des Chrestiens sont dits par mesme raison, Saincts, encore qu’ils ne soyent engendrez sinon de père fidèle ou de mère, et sont discernez des autres par le tesmoignage de l’Escriture 1Cor. 7.14. Or est-il ainsi que le Seigneur, après avoir promis à Abraham ceste alliance, veut qu’elle soit testifiée et seellée aux petis enfans par le Sacrement extérieur Gen. 17.12. Quelle excuse doncques avons-nous, que nous ne la testifiions et scellions aujourd’huy, comme de ce temps-là ? Et ne peut-on alléguer qu’il n’y a eu autre Sacrement ordonné pour la testifier que la Circoncision, laquelle est abolie, car la response est preste, Que pour le temps nostre Seigneur a lors ordonné la Circoncision : néantmoins qu’après la Circoncision abroguée, la raison de la confermer demeure tousjours, veu qu’elle nous est autant commune comme aux Juifs. Et pourtant il faut tousjours diligemment regarder ce que nous avons commun avec eux et semblable, et ce qui est divers. L’alliance est commune, la raison de la confermer est semblable : la diversité est seulement en cela, qu’ils ont eu la Circoncision pour confirmation, de quoy le Baptesme aujourd’hui nous sert. Autrement la venue de Christ auroit fait que la miséricorde de Dieu devroit moins estre sur nous déclairée qu’elle n’a esté sur les Juifs, si le tesmoignage qu’ils ont eu pour leurs enfans nous estoit osté. Si cela ne se peut dire sans déshonorer grandement Jésus-Christ, par lequel la bonté infinie du Seigneur a esté plus amplement et richement que jamais espandue et manifestée sur la terre, il faut concéder que la grâce de Dieu ne doit pas estre plus cachée, ne moins asseurée qu’elle n’a esté sous les ombres de la Loy.

4.16.7

A ceste cause nostre Seigneur Jésus, voulant monstrer qu’il estoit plustost venu pour augmenter et multiplier les grâces de son Père que pour les restreindre, reçoit bénignement, et embrasse les enfans qui luy sont présentez, reprenant ses Apostres de ce qu’ils y vouloyent mettre empeschement, pource qu’ils destournoyent ceux auxquels le Royaume des cieux appartient, de venir à luy qui en est la voye et l’accès Matt. 19.13-14. Mais quelle similitude, dira quelqu’un a cest embrassement de Jésus avec le Baptesme ? Car il n’est pas dit qu’il les ait baptisez, mais seulement qu’il les a receus et embrassez, et prié pour eux. Pour bien doncques ensuyvre cest exemple de nostre Seigneur, il faudroit prier pour les petis enfans, et non pas les baptiser, ce qui n’a pas esté fait de luy. Or il nous faut un petit mieux poiser la doctrine de l’Escriture, que ne font telles gens. Car ce n’est pas une chose légère, que Jésus-Christ veut les enfans luy estre présentez : adjoustant la raison, Pource qu’à tels est le royaume des cieux. Et encores après il déclaire sa volonté par effect, entant qu’il les embrasse et prie pour eux. Si c’est une chose raisonnable d’amener les enfans à Jésus-Christ, pourquoy ne sera-il loisible de les recevoir au Baptesme, qui est le signe extérieur par lequel Jésus-Christ nous déclaire la communion et société que nous avons avec luy ? Si le Royaume des cieux leur appartient, pourquoy leur sera desnié le signe, par lequel nous est donné comme une entrée en l’Eglise, pour nous déclairer héritiers du Royaume de Dieu ? Ne serions-nous pas bien iniques de repousser ceux que nostre Seigneur appelle à soy ? de leur refuser ce qu’il leur donne ? de leur fermer la porte quand il leur ouvre ? Et s’il est question de séparer du Baptesme ce qu’a fait Jésus-Christ : toutesfois lequel doit estre estimé le plus grand, ou que Jésus-Christ les reçoyve, leur impose les mains pour signe de sanctification, et prie pour eux, démonstrant qu’ils sont siens, ou que nous par le Baptesme testifiions qu’ils appartienent à son alliance ? Les autres cavillations qu’on ameine pour soudre ce passage, sont trop frivoles. Car de vouloir prouver que c’estoyent enfans desjà grans, pource que Jésus dit qu’on les laisse venir, cela répugne trop évidemment à l’Escriture, laquelle les appelle petis enfantelets, qu’il falloit porter ; tellement que ce mot, Venir, doit estre interprété pour Approcher simplement. Voylà comment ceux qui s’opiniastrent contre la vérité, cherchent en chacune syllabe matière de tergiverser. Ce que d’autres objectent qu’il n’est pas dit que le Royaume céleste appartient aux enfans, mais à tels qu’eux est aussi bien une évasion eschappatoire. Car si cela avoit lieu, quelle seroit la raison de nostre Seigneur, par laquelle il veut monstrer que les enfans doyvent approcher de luy ? Quand il dit : Laissez les enfans venir à moy, il n’est rien plus certain qu’il parle des petis enfans d’aage. Et pour donner à entendre qu’il est raisonnable, il adjouste, Car à tels est le Royaume des cieux, En quoy il faut nécessairement qu’ils soyent comprins. Et pourtant faut exposer le mot de Tels, en ceste manière, Qu’à eux et leurs semblables appartient le Royaume des cieux.

4.16.8

Il n’y a desjà celuy qui ne voye, le Baptesme des petis enfants n’avoir esté forgé témérairement des hommes, veu qu’il a si évidente approbation des Escritures. Et n’y a aucune apparence en l’objection que font aucuns : c’est asçavoir qu’on ne sçauroit monstrer par l’Escriture, que jamais enfant ait esté baptisé par les Apostres, Car combien que nous confessons qu’il n’est point expressément monstré, toutesfois ce n’est pas à dire qu’ils ne les ayent baptisez, veu que jamais n’en sont exclus, quand il est fait mention que quelque famille a esté baptisée ? Par un tel argument nous pourrions prétendre que les femmes ne doyvent estre admises à la Cène de nostre Seigneur, puisqu’il n’est jamais parlé en l’Escriture qu’elles y ayent communié du temps des Apostres. Mais en cela nous suyvons, comme il appartient, la reigle de la foy, regardans seulement si l’institution de la Cène leur convient ; et si selon l’intention de nostre Seigneur, elle leur doit estre baillée : comme aussi nous faisons en ce Baptesme. Car en considérant pour qui il a esté ordonné, nous trouvons qu’il n’appartient pas moins aux petis enfans, qu’aux grans d’aage. Parquoy ce seroit frauder l’intention du Seigneur, s’ils en estoyent rejettez. Tant y a que ce qu’ils sèment est une pure menterie, de dire que long temps après les Apostres il a esté mis sus. Car nous n’avons histoire tant ancienne depuis l’Eglise primitive, laquelle ne rende tesmoignage qu’en ce temps-là mesme il estoit en usage Actes 16.15, 33.

4.16.9

Il reste de monstrer quel proufit revient aux fidèles de ceste observation de baptiser leurs enfans : et aux enfans mesmes d’estre baptisez en tel aage. Car il y en a quelques-uns qui la rejettent comme inutile et de nulle importance. En quoy ils sont grandement abusez : et quand il n’y auroit autre chose qu’en ce faisant ils se mocquent de l’ordonnance qu’a faite le Seigneur de la Circoncision, laquelle est de mesme estime et considération, il y auroit assez de matière pour réprimer leur témérité et outrecuidance, de ce que follement et desraisonnablement ils condamnent tout ce qu’ils ne peuvent comprendre en leur sens charnel. Mais nostre Seigneur a encores mieux prouveu pour abatre leur folle arrogance. Car il n’a pas laissé sa volonté si cachée qu’il n’ait monstré évidente utilité de son institution : c’est que le signe donné aux petis enfans est un seel, pour confermer et comme ratifier la promesse qu’a faite nostre Seigneur à ses fidèles, qu’il espandroit sa miséricorde non-seulement sur eux, mais sur leur postérité, jusques en mille générations. En quoy premièrement la bonté de Dieu est testifiée, pour magnifier et exalter son Nom : secondement pour consoler l’homme fidèle, et luy donner meilleur courage de s’addonner du tout à Dieu quand il voit ce bon Seigneur n’avoir point seulement cure de luy, mais aussi de ses enfans et de sa postérité. Et ne faut dire que la promesse suffiroit pour nous asseurer du salut de nos enfans. Car il a semblé advis autrement à Dieu, lequel cognoissant l’infirmité de nostre foy, l’a voulu en cest endroict supporter. Pourtant quiconques par certaine fiance se reposent sur ceste promesse, que Dieu veut faire miséricorde à leur lignée, leur office est de présenter leurs enfans pour recevoir le signe de la miséricorde : et en cela se consoler et corroborer, quand ils voyent à l’œil l’alliance du Seigneur signée aux corps de leurs enfans. Ce proufit en revient à l’enfant, que l’Eglise chrestienne le recognoissant membre de son corps, l’a en plus singulière recommandation : et luy quand il vient en aage, a occasion d’estre plus enclin de servir au Seigneur, lequel s’est déclairé à luy pour Père, devant qu’il le cogneust, le recevant au nombre de son peuple dés le ventre de sa mère. Finalement, il nous faut tousjours craindre ceste menace, que si nous mesprisons de marquer nos enfans du signe de l’alliance, que le Seigneur en fera la vengence Gen. 17.14 : d’autant qu’en ce faisant nous renonçons au bénéfice qu’il nous présente.

4.16.10

Venons aux argumens, desquels le malin esprit a tasché d’envelopper plusieurs en erreur et déception, sous ombre de se vouloir arrester à la Parole de Dieu : et considérons quelle force il y a en toutes les machines de Satan, par lesquelles il a tasché de renverser ceste saincte ordonnance du Seigneur : laquelle a tousjours, comme il estoit convenable, esté révéremment observée en son Eglise. Ceux doncques que le diable pousse de contredire en cest endroict à la Parole de Dieu tant certaine, pource qu’ils se voyent fort pressez et trop puissamment convaincus par la similitude que nous avons mise de la Circoncision avec le Baptesme, s’efforcent de monstrer quelque grande diversité entre ces deux signes, tellement qu’il n’y a rien commun de l’un à l’autre. Premièrement, en disant que la chose figurée est diverse. Secondement, que l’alliance est toute autre. Tiercement que les enfans doyvent estre entendus en diverses manières. Mais quand ils veulent prouver le premier point, ils allèguent que la Circoncision a esté figure de la mortification, et non pas du Baptesme. Ce que certes nous leur concédons très-volontiers : car cela fait pour nous. Et mesmes, pour bien prouver nostre intention, n’usons point d’autres mots, sinon que la Circoncision et le Baptesme représentent pareillement la mortification. Et de cela concluons que le Baptesme a succédé à la Circoncision, pource qu’il signifie une mesme chose aux Chrestiens qu’icelle faisoit aux Juifs. Quant au second article, ils monstrent combien ils sont transportez d’esprit : non pas en renversant seulement un passage par fausse interprétation, mais toute l’Escriture universellement. Car ils nous font les Juifs comme un peuple charnel et brutal, qui n’ait eu autre alliance de Dieu que pour la vie temporelle, ny autre promesse, que pour les biens présens et corruptibles. Si ainsi estoit, que reste-il plus sinon que l’on estime ceste nation-là comme un troupeau de porceaux, lequel nostre Seigneur ait voulu nourrir en l’auge, pour les laisser après périr éternellement ? Car toutesfois et quantes que nous objectons la Circoncision et les promesses qui y sont données, ils ont incontinent en la bouche, que c’est un signe litéral, et des promesses charnelles.

4.16.11

Certes si la Circoncision a esté un signe litéral, aussi bien est le Baptesme : veu que sainct Paul au chapitre II des Colossiens n’en fait pas l’un plus spirituel que l’autre, disant qu’en Christ nous sommes circoncis de la Circoncision faite sans main, quand nous avons despouillé la masse de péché qui habite en nostre chair, laquelle est la Circoncision de Christ Col. 2.11. Puis après pour déclairer cela, il dit que nous avons esté ensevelis avec Christ au Baptesme. Qu’est-ce que veut dire ce passage autre chose, sinon que l’accomplissement du Baptesme est l’accomplissement de la Circoncision, d’autant que les deux figurent une mesme chose ? Car il veut monstrer que le Baptesme est aux Chrestiens, ce qu’avoit esté au paravant la Circoncision aux Juifs. Or pource que nous avons évidemment ci-dessus exposé, que les promesses de ces deux signes, et les mystères en iceux représentez, ne diffèrent en rien, nous ne nous y arresterons point de présent plus longuement. Seulement nous admonesterons les fidèles, de considérer si un signe doit estre estimé charnel et litéral, quand tout ce qu’il contient est spirituel et céleste. Mais pourtant qu’ils allèguent quelques passages pour donner apparence à leur mensonge, nous soudrons en trois mots, les objections qu’ils peuvent faire. Il est certain que les principales promesses que nostre Seigneur a données à son peuple en l’Ancien Testament, esquelles consistoit l’alliance qu’il faisoit avec eux, ont esté spirituelles, appartenantes à la vie éternelle : et pareillement ont esté spirituellement entendues des Pères, pour concevoir espérance de la gloire future, et estre ravis en icelle de toute leur affection. Néantmoins nous ne nions pas qu’il n’ait testifié envers eux sa bonne volonté par autres promesses charnelles et terriennes, voire pour confermer telles promesses spirituelles : comme nous voyons qu’après avoir promis la béatitude immortelle à son serviteur Abraham, il luy adjouste la promesse de la terre de Chanaan, pour luy déclairer sa grâce et faveur sur luy Gen. 15.1, 18. En telle sorte il faut prendre toutes les choses terriennes qu’il a promises au peuple judaïque, tellement que la promesse spirituelle précède tousjours comme fondement et chef, auquel tout le reste se rapporte. Ce que je touche plus légèrement, pource qu’il a esté déduit plus à plein au traitté du Vieil et Nouveau Testament.

4.16.12

La différence des enfans du Vieil Testament, qu’ils veulent mettre avec ceux du Nouveau, est telle : Que les enfans d’Abraham pour lors, ont esté sa lignée charnelle : maintenant ce sont ceux qui ensuyvent sa foy. Et pourtant, que les enfans d’aage, qui estoyent pour lors circoncis, ont figure les enfans spirituels, qui par la Parole de Dieu sont régénérez à vie incorruptible. En quoy nous recognoissons quelque petite estincelle de vérité : mais en cela s’abusent ces povres estourdis, qu’ayans leu quelque chose, ils n’ont point l’entendement de passer plus outre à considérer ce qui reste encores : ne le jugement pour discerner et accorder tout ce qui appartient à la matière. Nous confessons bien que la semence corporelle d’Abraham a tenu pour un temps le lieu des enfans spirituels, qui par foy sont incorporez avec luy : car nous sommes appelez ses enfans, combien que nous ne luy attouchions point de parentage charnel Gal. 4.28 ; Rom. 4.12. Mais s’ils entendent, comme certainement ils démonstrent : que nostre Seigneur n’eust point promis aussi sa bénédiction spirituelle à la semence charnelle d’Abraham, en cela ils s’abusent grandement. Pourtant voyci la droicte intelligence où nous meine l’Escriture : c’est que le Seigneur a donné la promesse à Abraham, que de luy sortiroit la semence dont toutes les nations de la terre seroyent bénites et sanctifiées : luy asseurant qu’il seroit son Dieu et le Dieu de sa semence. Tous ceux qui reçoyvent Jésus-Christ par foy, sont héritiers de ceste promesse : et pourtant sont nommez Enfans d’Abraham.

4.16.13

Or combien qu’après la résurrection de Jésus-Christ, le Royaume de Dieu a esté publié par tout indifféremment, pour y faire ouverture à tous peuples et nations : afin, comme il dit, que les fidèles veinssent d’Orient et d’Occident pour avoir place au Royaume céleste, en la compagnie d’Abraham, Isaac et Jacob Matt. 8.11 : toutesfois tout le temps qui avoit précédé nostre Seigneur avoit ordinairement tenu une telle miséricorde comme enclose entre les Juifs : lesquels il disoit estre son Royaume, son peuple péculier, sa propre possession Exo. 19.5. Or le Seigneur pour déclairer une telle grâce envers ceste nation, leur avoit ordonné la Circoncision : laquelle leur fust en signe qu’il se déclairoit pour leur Dieu, les recevant en sa protection, pour les conduire en la vie éternelle. Car quand Dieu nous prend en sa charge pour nous garder, que nous peut-il jamais défaillir ? A ceste cause sainct Paul, voulant monstrer que les Gentils sont enfans d’Abraham comme les Juifs, parle en ceste manière, Abraham a esté justifié par foy devant qu’estre circoncis : après il a receu la Circoncision pour seel de sa justice, afin qu’il fust père de tous croyans incirconcis, et aussi père des circoncis : non pas de ceux qui n’ont que la Circoncision, mais qui ensuyvent la Foy qu’il a eue Rom. 4.10-12. Ne voyons-nous pas bien comment il les fait pareils et d’égale dignité ? Car pour le temps que nostre Seigneur avoit disposé, il a esté Père des fidèles circoncis : quand la muraille a esté rompue, comme dit l’Apostre, pour donner entrée au Royaume de Dieu à ceux qui en estoyent forclos Eph. 2.14, il a esté fait aussi bien leur Père, jà soit qu’ils ne fussent circoncis : car le Baptesme leur est pour Circoncision. Et ce que sainct Paul met notamment, qu’il n’est pas père de ceux qui n’ont autre chose que la Circoncision, c’est pour rabatre la vaine confiance des Juifs qu’ils avoyent aux cérémonies extérieures. Comme on en pourroit autant dire du Baptesme, pour confuter l’erreur de ceux qui n’y cherchent que l’eau.

4.16.14

Qu’est-ce doncques que veut dire autre part l’Apostre, quand il enseigne que les vrais enfans d’Abraham ne sont point de la chair, mais que seulement ceux qui sont enfans de la promesse, sont réputez en la semence Rom. 9.7-8 ? Il semble bien que par ces mots il vueille conclurre que d’estre descendu de la semence charnelle d’Abraham ne proufite de rien. Il nous faut yci diligemment noter l’intention de sainct Paul. Car pour monstrer aux Juifs que la grâce de Dieu n’est pas liée à la semence d’Abraham : et mesmes que ceste cognation charnelle, par soy n’est d’aucune estime, il leur ameine au chapitre IX des Romains, Ismaël et Esaü, lesquels combien qu’ils descendissent d’Abraham, ont esté rejettez comme estrangers : et la bénédiction a esté mise en Isaac et Jacob : de quoy il s’ensuyt ce qu’il conclud après, c’est que le salut dépend de la miséricorde de Dieu, laquelle il fait à qui bon luy semble : et pourtant, que les Juifs n’ont pas à se glorifier d’estre l’Eglise de Dieu, s’ils n’obéissent à sa Parole. Néantmoins après avoir ainsi chastié leur vaine gloire, cognoissant d’autre part que l’alliance faite avec Abraham pour luy et sa semence n’estoit pas de nulle valeur, mais avoit tousjours son importance, en le chapitre XI il déclaire comment on ne doit point contemner icelle semence charnelle d’Abraham, et qu’ils sont les droicts et premiers héritiers de l’Evangile, sinon d’autant que par leur ingratitude ils s’en rendent indignes. Si ne laisse-il toutesfois, quelque incrédules qu’ils soyent de les appeler Saincts, à cause de la saincte progénie dont ils sont descendus : disant que nous au pris d’eux ne sommes qu’avortons, qui avons esté prins pour estre entez en leur racine, dont ils sont les rameaux naturels. C’est la cause pourquoy il a falu que l’Evangile leur fust présenté en premier lieu, comme aux enfans premiers-nais en la maison du Seigneur, ausquels telle prérogative estoit deue, jusques à ce qu’ils l’ont refusée. Et encores ne les devons-nous contemner, quelque rébellion que nous voyions en eux, espérans que la bonté du g Seigneur est encores sur eux à cause de la promesse. Car sainct Paul tesmoigne qu’elle n’en départira jamais, disant que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance ne mutation Rom. 11.29.

4.16.15

Voylà de quelle importance est la promesse donnée à Abraham pour les siens. Pourtant, combien que la seule élection du Seigneur domine en cest endroict, pour discerner les héritiers du Royaume céleste, d’avec ceux qui n’y ont nulle part, si a voulu ce bon Dieu mettre spécialement sa miséricorde sur la lignée d’Abraham, et la testifier et sceller par la Circoncision. Or il y a maintenant une mesme raison entre les Chrestiens. Car comme sainct Paul en ce passage-là dit que les Juifs sont sanctifiez par leur souche et origine : aussi autre part il afferme que les enfans des Chrestiens sont maintenant sanctifiez par leurs parens 1Cor. 7.14 : pourtant ils doyvent estre ségrégez des autres, lesquels demeurent immondes. Parquoy on peut facilement juger, que ce qu’ils prétendent conséquemment, est faux : c’est que les enfans d’aage, qui ont esté circoncis, ont figure seulement les enfans spirituels, qui sont régénérez par la Parole de Dieu. Sainct Paul ne l’a pas prins si haut, quand il a escrit que Jésus-Christ estoit ministre de la nation judaïque, pour confermer les promesses faites à leurs Pères Rom. 15.8 : comme s’il disoit, Puis que les promesses données à Abraham et aux Pères, sont pour leur semence, Jésus-Christ, afin d’accomplir la vérité de son Père, est venu pour tirer ceste nation à salut. Voylà comment mesmes après la résurrection de Jésus-Christ, sainct Paul entend tousjours la promesse devoir estre accomplie litéralement. Autant en dit sainct Pierre au chapitre II des Actes, dénonçant aux Juifs que la promesse leur appartient, à eux et à leurs enfans Actes 2.39. Et au chapitre III, il les appelle Enfans, c’est à dire héritiers des Testamens Actes 3.25, regardant toujours à ceste promesse. Ce que démonstre bien aussi le passage de sainct Paul, que nous avons ci-dessus allégué : car il met la Circoncision donnée aux enfans petis d’aage, pour tesmoignage de la communication spirituelle avec Christ Eph. 2.11. Et de faict, que pourroit-on autrement respondre à la promesse que fait le Seigneur à ses fidèles par sa Loy, dénonçant qu’il fera miséricorde à leurs enfans pour l’amour d’eux, en mille générations ? Dirons-nous que ceste promesse est abolie ? Mais ce seroit destruire la Loy de Dieu, laquelle plustost est establie par Christ, entant qu’elle nous tourne à bien et salut. Que ce nous soit doncques un point résolu, que le Seigneur reçoit en son peuple les enfans de ceux ausquels il s’est monstré Sauveur, et qu’en faveur des premiers il accepte les successeurs.

4.16.16

Les autres diversitez qu’ils taschent de monstrer entre la Circoncision et le Baptesme, sont du tout ridicules et sans propos : et mesmes répugnantes ensemble. Car après qu’ils ont affermé que le Baptesme appartient au premier jour de la bataille chrestienne, la Circoncision au huitième, après que la mortification est totalement faite : ils disent incontinent après, que la Circoncision figure la mortification de péché : le Baptesme est l’ensevelissement, après que nous y sommes morts. Certes un phrénétique ne se contrediroit tant ouvertement : car par l’un des propos il s’ensuyvroit que le Baptesme devroit précéder la Circoncision : par l’autre, on pourroit déduire qu’il la doit suyvre. Or il ne se faut esmerveiller de telle répugnance : car l’esprit de l’homme s’adonnant à forger fables et imaginations semblables à songes, est enclin à trébuscher en telles absurditez. Nous disons doncques que la première de ces deux différences qu’ils veulent mettre, est une pure resverie. Ce n’est pas en ceste manière qu’il faut allégoriser sur le huitième jour. Encores vaudroit-il beaucoup mieux exposer avec les Anciens, que c’estoit pour démonstrer le renouvellement de vie estre dépendant de la résurrection de Christ, laquelle a esté faite au huitième jour : ou bien, qu’il faut que ceste Circoncision de cœur soit perpétuelle, tant que ceste vie-ci dure. Combien qu’il y ait apparence que nostre Seigneur en ce jour ait regardé à la fragilité des enfans. Car voulant son alliance estre imprimée en leur corps, il est vraysemblable qu’il a mis ce terme, afin qu’ils fussent tellement confermez, que leur vie n’en fust point en danger. La seconde différence n’est pas plus certaine ne solide : car de dire que par le Baptesme nous soyons ensevelis après la mortification, c’est une mocquerie, plustost nous sommes ensevelis pour estre mortifiez, comme l’Escriture l’enseigne Rom. 6.4. Finalement, ils allèguent que si nous prenons la Circoncision pour le fondement du Baptesme, qu’il ne faudroit point que les femelles fussent baptisées ; veu qu’il n’y avoit que les masles seulement circoncis. Mais s’ils considéroyent bien la convenance de la Circoncision, ils délaisseroyent ceste raison tant frivole. Car d’autant que par ce signe le Seigneur démonstroit la sanctification de la semence d’Israël, il est certain qu’il servoit aussi bien aux femelles qu’aux masles : mais il ne leur estoit appliqué, pource que la nature ne le porte pas. Le Seigneur doncques en ordonnant que le masle fust circoncy, a comprins sous iceluy la femelle, laquelle ne pouvant recevoir la Circoncision en son propre corps, communiquait aucunement à la Circoncision du masle. Ainsi toutes ces folles fantasies délaissées et rejettées, comme elles le méritent, nous avons tousjours la similitude qui demeure entre le Baptesme et la Circoncision, touchant le mystère intérieur, les promesses, l’usage et l’efficace.

4.16.17

Conséquemment ils prétendent que le Baptesme ne doit estre communiqué aux petis enfans, lesquels ne sont encores capables du mystère qui y est présenté. Car comme il appert, le Baptesme signifie la régénération spirituelle, laquelle ne peut estre en cest aage-là. Pourtant, ils concluent qu’il les faut laisser enfans d’Adam, jusques à ce qu’ils auront prins accroissement pour parvenir à la seconde nativité. Tout cela répugne meschamment à la vérité de Dieu. Car s’il est question de les laisser enfans d’Adam, on les laisse en la mort, veu qu’il est dit qu’en Adam nous ne pouvons que mourir. Au contraire, Jésus-Christ dit qu’on les laisse approcher de luy Matt. 19.14. Pourquoy ? Pourtant qu’il est la vie. Il les veut doncques faire participans de soy pour les vivifier : et ceux-ci bataillent contre sa volonté, disans qu’ils demeureront en la mort. Car s’ils veulent caviller, qu’ils n’entendent pas que les enfans périssent, combien qu’ils demeurent enfans d’Adam : leur erreur est assez convaincu par l’Escriture, quand il est dit qu’en Adam nous sommes tous morts, et n’avons espérance de vie que par Christ 1Cor. 15.22. Il nous faut doncques avoir part en luy, pour estre faits héritiers de la vie. Pareillement il est dit autre part, que de nature nous sommes tous sous l’ire de Dieu, conceus en péché Eph. 2.3 ; Ps. 51.7, lequel porte tousjours damnation avec soy. Il s’ensuyt doncques qu’il nous faut sortir de nostre nature, pour communiquer au Royaume de Dieu. Et sçauroit-on dire chose plus ouvertement que ceci ? La chair et le sang ne posséderont point le Royaume de Dieu 1Cor. 15.50. Il faut doncques que tout ce qui est de nous soit anéanty, pour estre faits héritiers de Dieu : ce qui ne se fait sans régénération. En somme, il faut que la Parole de Jésus-Christ demeure véritable, où il afferme qu’il est la vie Jean 11.25 ; 14.6. Pourtant il nous faut estre en luy, pour eschapper la servitude de la mort. Mais comment, disent-ils, pourroyent estre les petis enfans régénérez qui n’ont cognoissance de bien ne de mal ? A cela nous respondons, que combien que l’œuvre de Dieu nous soit secrette et incompréhensible, néantmoins qu’elle ne laisse point de se faire. Or que le Seigneur régénère les petis enfans qu’il veut sauver, comme il est certain qu’il en sauve aucuns, il est très-évident. Car s’ils naissent en corruption, il faut qu’ils en soyent purgez devant qu’entrer au royaume céleste, auquel il n’entre nulle chose souillée Apo. 21.27. S’ils naissent pécheurs, comme David et sainct Paul en rendent tesmoignage Ps. 51.7 ; Eph. 2.3 il faut, pour estre agréables à Dieu, qu’ils soyent justifiez. Et que demandons-nous tant, quand le Juge céleste nous dit, qu’il nous faut tous renaistre pour avoir entrée en son royaume Jean 3.3. Et pour fermer la bouche aux murmurateurs, il a monstré en sainct Jehan-Baptiste, que c’est qu’il peut faire és autres, quand il l’a sanctifié dés le ventre de sa mère Luc 1.15. Et n’est à recevoir ceste cavillation, que s’il a esté une fois ainsi fait, ce n’est pas à dire qu’il le doyve tousjours estre. Car nous n’arguons point en ceste manière, mais nous voulons seulement monstrer, qu’iniquement ils veulent restreindre la puissance de Dieu envers les petis enfans, laquelle il a une fois déclairée. L’autre évasion est autant inepte, quand ils allèguent que c’est une manière de parler de l’Escriture, de dire. Dés le ventre de la mère, pour dés la jeunesse. Car on voit bien que l’Ange en parlant à Zacharie luy a voulu affermer, qu’estant encores au ventre de la mère il seroit rempli du sainct Esprit. Le Seigneur doncques sanctifiera bien ceux que bon luy semblera, comme il a sanctifié sainct Jehan, puisque sa main n’est pas accourcie.

4.16.18

Comment, disent-ils, cela se feroit-il ? veu que la foy est par l’ouye, comme dit sainct Paul, et les enfans n’ont discrétion de bien ne de mal. Mais ils ne regardent point que sainct Paul parle seulement de la manière ordinaire dont le Seigneur besongne pour donner la foy aux siens : non pas qu’il n’en puisse autrement user, comme de faict il en a usé en beaucoup, lesquels sans jamais leur faire ouyr parole il a touchez intérieurement, pour les attirer à la cognoissance de son nom. Et pource qu’il leur semble que cela répugne à la nature des enfans, lesquels selon Moyse n’ont encores discrétion du bien et du mal  : je leur demande pourquoy ils veulent restreindre la puissance de Dieu : de ne sçavoir maintenant faire en partie aux enfans, ce qu’elle fait en eux parfaitement un peu après. Car si la plénitude de vie est en la parfaite cognoissance de Dieu, puis que le Seigneur réserve à salut d’aucuns lesquels décèdent petis enfans de ce monde, il est certain qu’ils auront la plene manifestation de Dieu. Puis doncques qu’ils l’ont parfaitement en la vie future, pourquoy n’en pourront-ils avoir yci quelque petit goust, ou en appercevoir quelque estincelle : sur tout veu que nous ne disons pas que Dieu les despouille d’ignorance, jusques à ce qu’il les retire de la prison de leurs corps ? Non pas que nous vueillions affermer que les enfans ayent foy, d’autant que nous ne sçavons comment Dieu besongne en eux : mais nostre intention est de monstrer la témérité et présomption de ces gens, lesquels selon leur folle fantasie afferment et nient ce que bon leur semble, sans avoir nul esgard à toute raison qu’on sçauroit amener 1Pi. 1.13.

4.16.19

Comment, disent-ils, cela se feroit-il ? veu que la foy est par l’ouye, comme dit sainct Paul, et les enfans n’ont discrétion de bien ne de mal. Mais ils ne regardent point que sainct Paul parle seulement de la manière ordinaire dont le Seigneur besongne pour donner la foy aux siens : non pas qu’il n’en puisse autrement user, comme de faict il en a usé en beaucoup, lesquels sans jamais leur faire ouyr parole il a touchez intérieurement, pour les attirer à la cognoissance de son nom. Et pource qu’il leur semble que cela répugne à la nature des enfans, lesquels selon Moyse n’ont encores discrétion du bien et du mal  : je leur demande pourquoy ils veulent restreindre la puissance de Dieu : de ne sçavoir maintenant faire en partie aux enfans, ce qu’elle fait en eux parfaitement un peu après. Car si la plénitude de vie est en la parfaite cognoissance de Dieu, puis que le Seigneur réserve à salut d’aucuns lesquels décèdent petis enfans de ce monde, il est certain qu’ils auront la plene manifestation de Dieu. Puis doncques qu’ils l’ont parfaitement en la vie future, pourquoy n’en pourront-ils avoir yci quelque petit goust, ou en appercevoir quelque estincelle : sur tout veu que nous ne disons pas que Dieu les despouille d’ignorance, jusques à ce qu’il les retire de la prison de leurs corps ? Non pas que nous vueillions affermer que les enfans ayent foy, d’autant que nous ne sçavons comment Dieu besongne en eux : mais nostre intention est de monstrer la témérité et présomption de ces gens, lesquels selon leur folle fantasie afferment et nient ce que bon leur semble, sans avoir nul esgard à toute raison qu’on sçauroit amener Deut. 1.39.

4.16.20

Mais ils pressent encores de plus près, disans que le Baptesme est Sacrement de pénitence et de foy, comme l’Escriture nous enseigne. Puis doncques que pénitence et foy ne peuvent estre en un petit enfant, c’est une chose mal convenable de leur appliquer le Sacrement, veu qu’en ce faisant sa signification est rendue vaine. Ces argumens combatent contre l’ordonnance de Dieu, plus que contre nous. Car que la Circoncision ait esté signe de pénitence, il appert par plusieurs tesmoignages de l’Escriture : principalement du chapitre IV de Jérémie : et sainct Paul le nomme Sacrement de la Justice de foy Rom. 4.11. Qu’on demande doncques raison à Dieu, pourquoy il l’a fait appliquer aux petis enfans. Car puis que c’est une mesme raison, si cela n’a esté fait desraisonnablement, il n’y a non plus d’inconvénient au Baptesme. S’ils cherchent leurs subterfuges accoustumez, que les enfans d’aage ont figuré les vrais enfans régénérez : cela desjà leur est osté. Voyci doncques que nous disons. Puis que nostre Seigneur a voulu que la Circoncision, combien qu’elle fust Sacrement de foy et pénitence, fust communiquée aux enfans, il n’y a nul inconvénient que le Baptesme leur soit communiqué. Si ces calomniateurs ne veulent d’adventure accuser Dieu, en ce qu’il a fait telle ordonnance. Mais la vérité, sapience et justice de Dieu, reluit assez clairement en tous ses faits, pour confondre leur folie, mensonge et iniquité. Car combien que les enfans ne comprinssent point pour lors que vouloit dire la Circoncision, si ne laissoyent-ils pas d’estre circoncis en la chair, à la mortification intérieure de leur nature corrompue, pour la méditer et s’y estudier quand l’aage le porteroit, estans à ce instruits dés leurs premières années. Brief, ceste objection est solue en un mot, quand nous disons qu’ils sont baptisez en foy et pénitence pour l’advenir : desquelles combien qu’on ne voye point d’apparence, toutesfois la semence y est plantée par l’opération secrette du sainct Esprit. Par ceste raison se peuvent soudre tous autres passages qu’ils ameinent, appartenans à la signification du Baptesme. Comme quand de ce que sainct Paul l’appelle Le lavement de régénération et rénovation Tite 3.5, ils prétendent qu’on ne le doit bailler sinon à ceux qui sont capables d’estre régénérez et renouvelez. Mais nous aurons tousjours à répliquer, La Circoncision est signe de régénération et rénovation : elle ne se doit doncques bailler sinon à ceux qui en sont jà de présent participans. Et par ainsi, selon leur intention, l’ordonnance de Dieu, de circoncir les petis enfans, seroit folle et desraisonnable. Pourtant toutes les raisons qui combatent aussi bien contre la Circoncision, ne sont à recevoir pour impugner le Baptesme. Et ne peuvent calomnier qu’il faut laisser pour fait ce qui est institué du Seigneur : et qu’il faut avoir pour résolu qu’il est bon et sainct, sans en enquérir : laquelle révérence n’est pas deue aux choses lesquelles ne sont expressément commandées de luy. Car il n’y a sinon à respondre à ceste question : Ou Dieu a institué la Circoncision pour les petis enfans à bonne raison, ou non. Si elle a esté bien instituée, tellement qu’on ne puisse alléguer aucune absurdité à l’encontre, autant en est-il du Baptesme.

4.16.21

Parquoy à ce qu’ils prétendent nous amener à quelque absurdité, nous respondons ainsi : Les enfans recevans le signe de régénération et rénovation, s’ils décèdent de ce monde devant que venir en aage de cognoissance, s’ils sont des esleus du Seigneur, ils sont régénérez et renouvelez par son Esprit comme bon luy semble, selon sa vertu à nous cachée et incompréhensible. S’ils vienent jusques à l’aage qu’ils puissent estre instruits de la doctrine du Baptesme, ils cognoistront comment en toute leur vie ils ne doyvent faire autre chose que méditer ceste régénération, dont ils portent la marque dés leur enfance. En telle manière aussi faut-il entendre ce que sainct Paul enseigne au chapitre VI des Romains et au chapitre II des Colossiens, que par le Baptesme nous sommes ensevelis avec Christ Rom. 6.4 ; Col. 2.12. Car en disant ces choses, il n’entend pas qu’elles doyvent précéder le Baptesme : mais seulement enseigne quelle est la doctrine du Baptesme, laquelle se peut aussi bien monstrer et apprendre après l’avoir receu, comme paravant. Comme pareillement Moyse et les Prophètes remonstroyent au peuple d’Israël que la Circoncision vouloit dire, jà soit qu’ils eussent esté circoncis jeunes Deut. 10.16 ; Jér. 4.4. Pourtant s’ils veulent conclurre que tout ce qui est représenté au Baptesme doit précéder iceluy, leur faute est en cela par trop lourde : veu mesmes que ces choses ont esté escrites aux personnes lesquelles avoyent jà esté baptisées. Autant en faut-il dire de ce qu’escrit sainct Paul aux Galatiens : que nous tous qui sommes baptisez, avons vestu Jésus-Christ Gal. 3.27. Ce qui est vray. Mais à quelle fin ? Pour vivre d’oresenavant en luy : non pas pource qu’au paravant nous y avons vescu. Et combien que les grans ne doyvent recevoir le signe, que premièrement ils n’ayent intelligence de la chose, il y a diverse raison aux petis enfans, comme il sera dit en un autre lieu. A une mesme fin tend le dire de sainct Pierre, que le Baptesme respondant à la figure de l’Arche de Noé, nous est donné à salut 1Pi. 3.21. Non point l’ablution extérieure des souilleures de la chair, mais response de bonne conscience envers Dieu, qui est par la foy en la résurrection de Jésus-Christ. Si la vérité du Baptesme est bon tesmoignage de la conscience devant Dieu : quand cela sera séparé, que reste-il plus qu’une chose vaine et de nulle importance ? Parquoy si les petis enfans ne peuvent avoir ceste bonne conscience, leur Baptesme n’est que vanité et fumée. En cela ils se trompent tousjours, qu’ils veulent précisément que la vérité sans quelque exception précède le signe. Lequel erreur nous avons abondamment ci-devant réfuté. Car la Circoncision, pourtant si elle estoit baillée aux petis enfans, ne laissoit point d’estre Sacrement de la justice de la foy, de pénitence et régénération. Si ces choses eussent esté incompatibles, Dieu n’eust pas fait telle ordonnance. Mais en nous enseignant que la substance de la Circoncision est telle, et cependant l’assignant aux petis enfans, il nous monstre assez que touchant ces points-là, elle leur est baillée pour le temps advenir. Doncques la vérité présente qu’il nous faut considérer au Baptesme, quand il est donné aux petis enfans, c’est qu’il est testification de leur salut en scellant et confermant l’alliance de Dieu sur eux. Pourtant, toutes telles raisons ainsi démenées, ne sont que dépravations de l’Escriture, comme chacun peut veoir.

4.16.22

Nous traitterons en brief les autres argumens, lesquels se peuvent démesler sans grande difficulté. Ils allèguent que le Baptesme est un tesmoignage de la rémission de nos péchez : ce que nous accordons, et disons que par ceste raison il appartient aux petis enfans. Car estans pécheurs comme ils sont, ils ont besoin de pardon et rémission de leurs macules. Or puis que le Seigneur testifie qu’il veut faire miséricorde à cest aage, pourquoy luy refuserons-nous le signe qui est moindre que la chose ? Parquoy nous retournons l’argument contre eux. Le Baptesme est signe de la rémission des péchez : les enfans ont rémission de leurs péchez. Le signe doncques, qui doit suyvre la chose, à bon droict leur est communiqué. Ils produisent ce qui est escrit au chapitre V des Ephésiens, que nostre Seigneur a purgé son Eglise par le lavement d’eau en la parole de vie Eph. 5.26. Ce qui fait encores contre eux : car de cela nous déduisons telle raison : Si nostre Seigneur veut que la purgation qu’il fait de son Eglise, soit testifiée et confermée par le signe du Baptesme, et les petis sont de l’Eglise, puis qu’ils sont contez au peuple de Dieu, et appartienent au royaume des cieux : il s’ensuyt doncques qu’ils doyvent recevoir le tesmoignage de leur purgation, comme le reste de l’Eglise. Car sainct Paul sans nulle exception comprend généralement toute l’Eglise, quand il dit que nostre Seigneur l’a purgée par le Baptesme. De ce qu’ils allèguent du chapitre XII de la première épistre aux Corinthiens, que par le Baptesme nous sommes incorporez en Christ 1Cor. 12.13, on en peut autant déduire. Car si les petis enfans appartienent au corps de Christ, comme il appert de ce qui a esté dit : il est doncques convenable qu’ils soyent baptisez, pour estre conjoincts à leurs membres. Voilà comme ils bataillent vivement contre nous avec tant de passages qu’ils accumulent sans sens, sans propos, sans intelligence.

4.16.23

Après, par la prattique des Apostres, ils veulent monstrer comment il n’y a que les grans qui soyent capables de recevoir le Baptesme. Car sainct Pierre, disent-ils, estant interrogué de ceux qui se vouloyent convertir à nostre Seigneur, que c’est qu’ils avoyent à faire : il leur respond qu’ils facent pénitence et qu’un chacun d’eux soit baptisé en la rémission de leurs péchez Actes 2.37-38. Semblablement, quand l’Eunuque demande à sainct Philippe, s’il n’est pas loisible qu’il soir, baptisé : il luy respond, Ouy bien, moyennant qu’il croye de tout son cœur Actes 8.36-37. De cela ils concluent que le Baptesme n’est ordonné sinon pour ceux qui ont foy et repentance, et qu’on ne le doit ottroyer à nuls autres. Mais s’il est question d’y aller en ceste sorte, par le premier passage on trouveroit que la repentance suffiroit seule, veu qu’il n’y est fait mention aucune de la foy : et par le second, que la foy seule seroit assez, veu que la repentance n’y est point requise. Ils me diront que l’un des passages aide à l’autre : et partant qu’il les faut joindre pour en avoir bonne intelligence. Et semblablement nous disons que pour bien tout accorder, il faut assembler les autres passages, lesquels nous peuvent despescher de ceste difficulté, d’autant que le droict sens de l’Escriture souventesfois dépend de la circonstance. Nous voyons doncques que ces personnages, lesquels interroguent de ce qu’ils ont à faire pour se réduire au Seigneur, sont en aage d’intelligence. De tels nous ne disons pas qu’ils doyvent estre baptisez, sinon que premièrement on ait tesmoignage de leur foy et repentance, telle qu’on peut avoir entre les hommes. Mais les petis enfans engendrez des Chrestiens, doyvent bien estre mis en un autre rang. Et qu’il soit ainsi, nous ne le forgeons pas au plaisir de nostre cerveau, mais avons certaine asseurance de l’Escriture, pour y mettre une telle différence. Nous voyons que si quelqu’un anciennement se rangeoit avec le peuple d’Israël, pour servir au Dieu vivant, il faloit que devant que recevoir la Circoncision, premièrement il receust la Loy, et fust endoctriné de l’alliance que nostre Seigneur avoit avec son peuple : pource qu’il n’estoit pas de sa nature comprins en la nation judaïque, à laquelle ce Sacrement appartenoit.

4.16.24

Comme mesmes le Seigneur envers Abraham ne commence point par là, de le faire circoncir sans sçavoir pourquoy, mais il l’instruit de l’alliance laquelle il veut confermer par la Circoncision : et après qu’il a creu à la promesse, lors il luy ordonne le Sacrement. Pourquoy est-ce doncques qu’Abraham ne reçoit point le signe, sinon après la foy, et Isaac son fils le reçoit devant que rien entendre ? Pource que l’homme d’aage n’estant encores participant de l’alliance du Seigneur, pour y entrer doit premièrement sçavoir quelle elle est. Le petit enfant engendré de luy, estant héritier de l’alliance par succession, comme la promesse faite au père le porte, à bon droict est capable du signe, sans entendre quelle est la signification. Or pour le dire plus briefvement et plus clairement, puis que l’enfant du fidèle est participant de l’alliance de Dieu sans intelligence, il ne doit point estre débouté du signe, mais en est capable sans que l’intelligence y soit requise. C’est la raison pourquoy nostre Seigneur dit, que les enfans sortis de la lignée d’Israël luy ont esté engendrez comme ses propres enfans Ezéch. 16.20 ; 23.37 : se réputant le Père de tous les enfans de ceux ausquels il avoit promis estre leur Dieu, et le Dieu de leur semence. Celuy qui est infidèle, nay d’infidèles, jusques à ce qu’il viene à cognoissance de Dieu est estranger de l’alliance. Et pourtant ce n’est pas de merveille s’il n’a communication au signe : car ce seroit à fausses enseignes. Ainsi dit sainct Paul, que les Gentils du temps de leur idolâtrie estoyent sans Testament ny alliance Eph. 2.12. La chose maintenant me semble bien assez claire : c’est que les grans d’aage, qui se veulent réduire à nostre Seigneur, ne doyvent estre receus au Baptesme sans foy et repentance : veu que c’est la seule entrée qu’ils ont en l’alliance, laquelle est marquée par le Baptesme. Les enfans descendus des Chrestiens, ausquels elle appartient en héritage par la vertu de la promesse, pour ceste seule cause sont idoines d’y estre admis. Autant faut-il dire de ceux qui confessoyent leurs fautes et offenses pour estre baptisez de Jehan Matt. 3.6, veu qu’en eux nous ne voyons autre exemple, sinon celuy que nous voudrions observer. Car s’il venoit quelque Juif, Turc, ou Payen, nous ne luy voudrions communiquer le Baptesme devant que l’avoir deuement instruit, et avoir sa confession telle qu’en pensissions estre satisfaits. Car combien qu’Abraham n’ait esté circoncy qu’après avoir esté instruit, cela ne porte point préjudice que les enfans après luy ne soyent circoncis sans instruction, jusques à tant qu’ils en seront capables.

4.16.25

Mais encores pour monstrer que la nature du Baptesme est telle qu’elle requiert une régénération présente, ils prenent tesmoignage de ce qui est dit au chapitre III de sainct Jehan, Quiconques ne sera régénéré d’eau et de l’Esprit, il n’entrera point au Royaume céleste Jean 3.5. Voylà, disent-ils, comment, nostre Seigneur appelle le Baptesme : Régénération. Si doncques ainsi est que les enfans soyent incapables d’estre régénérez, comment seront-ils idoines à recevoir le Baptesme, qui ne peut estre sans cela ? Premièrement, ils s’abusent en ce qu’ils réfèrent ce propos au Baptesme, pource qu’il est là fait mention d’eau. Car après que Jésus-Christ a déclairé à Nicodème la corruption de nostre nature, et a dit qu’il nous faloit renaistre : pource que Nicodème imaginoit une seconde nativité du corps, il démonstre la façon comment Dieu nous régénère, asçavoir en eau et en Esprit : comme s’il disoit, Par l’Esprit, qui en purgeant et arrousant les âmes, a l’office d’eau. Je pren doncques simplement l’eau et l’Esprit pour l’Esprit qui est eau. Et n’est point ceste forme de parler nouvelle : car elle convient avec une autre qui est au chapitre III de sainct Matthieu où Jehan-Baptiste dit, Celuy qui me suit, est celuy qui baptise au sainct Esprit et au feu Matt. 3.11. Comme doncques baptiser du sainct Esprit et de feu, est donner le sainct Esprit, lequel a la nature et propriété de feu, en régénérant les fidèles, ainsi Renaistre par l’eau et l’Esprit, n’est autre chose que recevoir la vertu du sainct Esprit, lequel fait en l’âme ce que l’eau fait au corps. Je sçay bien que les autres interprètent autrement ce passage : mais je ne doute pas que ce ne soit yci le vray sens et naturel, veu que l’intention de Christ n’est autre chose, que d’advertir qu’il nous faut desvestir de nostre propre nature, pour aspirer au royaume des cieux. Combien que si je vouloye en badinant caviller à leur façon, j’auroye à répliquer que quand nous leur aurons ottroyé tout ce qu’ils demandent, il s’ensuyvra que le Baptesme précède foy et repentance, veu qu’en la sentence de Christ il est mis en ordre devant le mot d’Esprit. Il n’y a doute qu’il ne soit là parlé des dons spirituels. Or s’ils suyvent le Baptesme, j’ay gaigné ce que je préten. Mais laissans tous subterfuges, contentons-nous de la simple interprétation que j’ay amenée : asçavoir que nul jusques à ce qu’il soit régénéré d’eau vive, n’entrera au Royaume des cieux.

4.16.26

D’avantage, il appert encores par autre raison, que leur glose ne doit estre admise : veu que tous ceux qui n’auroyent esté baptisez, seroyent exclus du royaume de Dieu. Or je présuppose que leur opinion fust tenue de ne point baptiser les petis enfans : que diroyent-ils d’un jeune enfant, qui auroit esté instruit droictement en nostre foy, s’il venoit à trespasser devant qu’on eust loisir de le baptiser ? Nostre Seigneur dit, que quiconques croit au Fils, il a la vie éternelle, et ne viendra en condamnation, mais est jà passé de mort à vie Jean 5.24. Nulle part il ne damne ceux qui n’auront point esté baptisez. Ce que n’entendons estre dit en contemnement du Baptesme comme si on le pouvoit négliger : mais seulement nous voulons monstrer qu’il n’est pas tellement nécessaire, que celuy ne soit excusable de ne l’avoir point receu, qui aura eu empeschement légitime. Au contraire, selon leur exposition, tous tels seroyent condamnez sans exception : jà soit qu’ils eussent la foy, par laquelle nous possédons Jésus-Christ. Mais encores sans cela ils condamnent tous les petis enfans, ausquels ils desment le Baptesme, qu’ils disent estre nécessaire à salut. Maintenant qu’ils accordent leur dire avec la Parole de Christ, par laquelle le Royaume céleste leur est adjugé Matt. 19.14. Et encores que nous leur concédions tout ce qu’ils demandent, si est leur illation fausse, et prinse d’une fausse et folle raison, que les enfans ne peuvent estre régénérez : comme il appert de la déduction ci-dessus traittée amplement : c’est, que sans la régénération il n’y a nulle entrée au royaume de Dieu, ne pour les petis ne pour les grans. Or puis qu’il y en a de ceux qui décèdent petis enfans, qui sont héritiers du royaume de Dieu, il s’ensuyt bien qu’ils sont paravant régénérez. Le reste des choses signifiées a lieu en eux, au temps que le Seigneur aura disposé pour leur en donner la cognoissance.

4.16.27

Surtout, pour faire leur grand bouclier, et comme la principale forteresse de leur opinion, ils allèguent la première institution du Baptesme laquelle ils disent avoir esté faite par les paroles escrites au dernier de sainct Matthieu, Allez : instruisez toutes nations, les baptisans au nom du Père et du Fils et du sainct Esprit : les enseignans de garder tout ce que je vous ay commandé Matt. 28.19. A quoy ils joignent ce passage du dernier de sainct Marc, Qui croira et sera baptisé, il sera sauvé Marc 16.16. Voylà, disent-ils, comment nostre Seigneur commande d’instruire devant que baptiser, et monstre que la foy doit précéder le Baptesme. Et de faict, nostre Seigneur a bien monstré cela par son exemple, lequel n’a point esté baptisé jusques en l’aage de trente ans Matt. 3.13 ; Luc 3.23. En cest endroict ils faillent en beaucoup de sortes. Car c’est un erreur trop évident, de dire que le Baptesme ait esté lors premièrement institué, lequel avoit duré tout le temps de la prédication de Jésus-Christ. Puis doncques qu’il avoit esté institué devant qu’estre en usage : comment dirons-nous que si long temps après, la première institution en ait esté faite ? Parquoy c’est en vain qu’ils taschent de prendre la première ordonnance, pour nous limiter la doctrine du Baptesme à ce passage précisément. Toutesfois, laissans là ceste faute, considérons combien sont fortes leurs raisons. Or elles ne serrent pas tant que n’en peussions bien eschapper, s’il estoit mestier de tergiverser. Car puis qu’ils se fondent si estroitement sur l’ordre et la disposition des mots, prétendans qu’il faut instruire premièrement que baptiser, et croire devant que recevoir le Baptesme, pource qu’il est dit, Instruisez et baptisez : item. Qui croira et sera baptisé : par mesme raison il nous seroit loisible de répliquer qu’il faut baptiser devant qu’enseigner à garder les choses que Jésus a commandées : veu qu’il est dit : Baptisez, les enseignans de garder tout ce que je vous ay commandé. Ce qu’aussi nous avons monstré en l’autre sentence n’aguères alléguée, touchant d’estre régénérez d’eau et d’Esprit : car nous leur prouverons bien ainsi, que le Baptesme devroit précéder la régénération spirituelle, puisqu’il est nommé devant : car il n’est pas dit. Qui sera régénéré d’Esprit et d’eau : mais d’eau et d’Esprit.

4.16.28

Leur argument semble desjà advis aucunement abatu. Encores néantmoins ne nous arrestons-nous pas là : ayans response pour défendre, la vérité, beaucoup plus certaine et solide : c’est que le principal mandement que baille yci nostre Seigneur à ses Apostres : est d’annoncer l’Evangile : auquel il adjouste le ministère de baptiser, comme une dépendance de leur propre commission et principale charge. Pourtant il n’est yci parlé du Baptesme, sinon d’autant qu’il est conjoinct à la doctrine et prédication : comme il se pourra mieux entendre par plus longue déduction. Le Seigneur doncques envoye ses Apostres pour instruire les hommes de toutes nations de la terre. Et lesquels ? il est certain qu’il n’entend sinon ceux qui sont capables de recevoir doctrine. Après il dit que tels, après avoir esté instruits, doyvent estre baptisez. Et en poursuyvant son propos, il dit que tels, en croyant et estant baptisez, seront sauvez. Est-il yci fait mention des petis enfans, ny en une part ny en l’autre ? Quelle forme doncques d’arguer est ceste-ci dont ils usent ? Les gens d’aage doyvent estre instruits, et croire devant qu’estre baptisez : le Baptesme doncques n’appartient point aux petis enfans. Qu’ils se tormentent tant qu’ils voudront : ils ne peuvent tirer autre chose de ce passage, sinon qu’on doit prescher l’Evangile à ceux qui sont capables d’ouyr, devant que les baptiser, puis que de tels seulement il est question. C’est doncques bien pervertir les paroles du Seigneur, sous ombre de cela exclurre les petis enfans du Baptesme.

4.16.29

Et afin que chacun puisse toucher au doigt leurs fallaces, je monstreray par similitude en quoy elles gisent. Quand sainct Paul dit que quiconques ne travaillera, qu’il ne mange 2Thess. 3.10 : si de cela quelqu’un vouloit inférer que les petis enfans ne doyvent point estre nourris, ne seroit-il point digne de la mocquerie de tout le monde ? Pourquoy ? Pourtant que ce qui est dit d’une partie, il le tireroit généralement à tous. Or ces bons personnages n’en font pas moins en ceste matière ; car ce qui est dit spécialement des grans, ils le rapportent aux petis, pour en faire une reigle générale. Touchant de l’exemple de nostre Seigneur, il ne les peut en rien favoriser. Il n’est baptisé que jusques à l’aage de trente ans Luc 3.23. Mais c’est pource que lors il veut commencer sa prédication, et par icelle fonder le Baptesme : lequel avoit desjà esté commencé par Jehan. Voulant doncques instituer le Baptesme en sa doctrine dés le commencement, pour le mieux authoriser il le sanctifie premièrement en son corps, voire au temps qu’il cognoissoit estre propre et convenable à ce faire : asçavoir voulant commencer à exécuter la charge à luy commise. En somme, ils n’arracheront autre chose, sinon que le Baptesme a eu son origine de la prédication de l’Evangile. Et si bon leur semble d’assigner le terme de trente ans, pourquoy doncques ne l’observent-ils, mais reçoyvent au Baptesme tous ceux qui ont desjà assez proufité comme il leur semble ? Mesmes Servet l’un de leurs maistres, pource qu’il insistoit opiniastrément sur les trente ans, fut descouvert s’estre vanté desjà en l’aage de vingt ans d’estre Prophète. Comme si c’estoit une chose supportable, qu’un homme se vante d’estre Docteur en l’Eglise, devant qu’il en soit membre pour y estre novice.

4.16.30

Ils nous objectent que par mesme raison la Cène devroit estre communiquée aux petis enfans, lesquels nous ne voulons recevoir à icelle. Comme si la diversité n’estoit pas assez expressément notée en l’Escriture, voire en toutes manières. Je confesse que cela s’est fait en l’Eglise ancienne, comme il appert par quelques passages des Docteurs. Mais ceste coustume a esté abolie justement et à bon droict. Car si nous considérons la nature et propriété du Baptesme, nous trouverons que le Baptesme est la première entrée que nous avons pour estre recognus membres de l’Eglise, et avoir lieu entre le peuple de Dieu. Pourtant il est le signe de nostre régénération et nativité spirituelle, par laquelle nous sommes faits enfans de Dieu. Au contraire, la Cène a esté ordonnée pour ceux qui ayans passé la première enfance, sont capables de viande solide, A quoy nous avons la parole du Seigneur fort évidente. Car quant au Baptesme, elle ne met nulle distinction d’aage : mais elle ne permet pas la Cène estre communiquée sinon à ceux qui peuvent discerner le corps du Seigneur, qui se peuvent examiner et esprouver, qui peuvent annoncer la mort du Seigneur Matt. 27.26 ; Luc 22.19. Voudrions-nous chose plus ouverte que cela ? Qu’un chacun s’esprouve soy-mesme, puis qu’il mange de ce pain, et boyve de ce calice 1Cor. 11.28. Il faut doncques que la probation précède, laquelle ne peut estre aux petis enfans. Item, Qui en mange indignement, il prend sa condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur 1Cor. 11.29. S’ils n’en peuvent estre participans dignement, sinon avec approbation, ce ne seroit pas humainement fait à nous, de donner aux petis enfans de la poison, au lieu de nourriture. Item, Vous ferez ceci en commémoration de moy. Pourtant toutesfois que vous prendrez de ce pain, et beuvrez de ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. Comment pourroyent annoncer la mort du Seigneur les enfans qui ne peuvent encores parler ? Toutes ces choses ne sont pas requises au Baptesme : pourtant la différence est grande entre ces deux signes, laquelle mesmes a esté observée sous le Vieil Testament aux signes semblables et respondans à ceux-ci. Car la Circoncision, laquelle estoit au lieu du Baptesme, estoit destinée aux petis enfans : mais l’Agneau paschal, pour lequel maintenant nous avons la Cène, n’appartenoit à autres enfans, sinon à ceux qui pouvoyent interroguer quelle en estoit ceste signification Gen. 17.12 ; Exo. 12.26. Si ces povres gens avoyent un grain de bon sens ils ne seroyent pas tant aveugles, de n’appercevoir ces choses, lesquelles se monstrent d’elles-mesmes à l’œil.

4.16.31

Combien qu’il me fasche d’amasser tant de resveries frivoles qui pourront enyvrer les lecteurs, toutesfois pource que Servet se meslant aussi de mesdire du Baptesme des petis enfans, a cuidé amener de fort belles raisons, il sera besoin de les rabatre briefvement. Il prétend que les signes donnez par Christ estans parfaits, requièrent que ceux qui s’y présentent soyent aussi parfaits ou capables de perfection. La solution est aisée : puis que la perfection du Baptesme s’estend jusques à la mort, qu’il confond tout ordre, la restreignant à un jour et à une minute de temps. J’adjouste aussi qu’il se monstre trop sot, cherchant perfection en l’homme au premier jour de son Baptesme, où nous sommes conviez d’y tendre journellement tout le temps de nostre vie. Il objecte que les Sacremens de Jésus-Christ sont donnez pour mémoriaux, afin que chacun se souviene que nous sommes ensevelis avec luy. Je respon que ce qu’il a controuvé de sa teste n’a pas besoin d’estre réfuté. Qui plus est, il appert par les mots de sainct Paul, que ce qu’il veut tirer au Baptesme, est particulier à la Cène : asçavoir que chacun s’examine 1Cor. 11.26, 28. Car on ne trouvera pas que jamais il ait esté rien dit de semblable du Baptesme. Dont nous concluons que les petis enfans qui ne sont encores capables d’examen, ne laissent pas d’estre deuement baptisez. Quant à ce qu’il objecte, que tous ceux qui ne croyent point au Fils de Dieu demeurent en la mort, et que l’ire de Dieu demeure sur eux Jean 3.36, et par ainsi que les enfans qui ne peuvent croire, demeurent plongez en leur damnation : je respon qu’il n’est point parlé en ce passage de la coulpe générale, à laquelle Adam nous a tous obligez : mais que Jésus-Christ menace les contempteurs de l’Evangile, qui rejettent fièrement et avec rébellion la grâce qui leur est offerte : ce qui n’appartient de rien aux petis enfans. J’oppose aussi une raison contraire, c’est que tous ceux qui sont bénis de Christ, sont exemptez de la malédiction d’Adam, et de l’ire de Dieu. Or il a bénit les petis enfans, comme il est notoire : il s’ensuyt doncques qu’il les délivre de mort. Il allègue faussement ce qui ne se trouvera nulle part en l’Escriture, que celuy qui est nay de l’Esprit, oit la voix de l’Esprit. Mais encores que nous luy callions ceste faute, il ne pourra tirer autre chose, sinon que les fidèles sont induits à suyvre Dieu selon que l’Esprit besongne en eux. Or c’est un vice trop lourd, de tirer égualement à tous ce qui est dit de quelque nombre. Il objecte en quatrième lieu : puis que ce qui est sensuel précède 1Cor. 15.46, que le Baptesme qui est spirituel n’a pas son temps opportun jusques à ce que l’homme soit renouvelé. Or combien que je confesse que toute la lignée d’Adam estant charnelle apporte sa condamnation du ventre de la mère : toutesfois je nie que cela empesche que Dieu n’y remédie sitost que bon luy semble. Car Servet ne me monstrera pas qu’il y ait terme assigné, auquel la nouveauté de la vie spirituelle doyve commencer. Sainct Paul tesmoigne, combien que les enfans des fidèles soyent de nature en mesme perdition que les autres, que toutesfois ils sont sanctifiez par grâce supernaturelle 1Cor. 7.14. Il ameine puis après une allégorie : c’est que David montant en la forteresse de Sion, ne mena point avec soy les aveugles, ne les boiteux, mais des vaillans gendarmes 2Sam. 5.8. Mais si je luy rejette en barbe la parabole, où il est dit que Dieu convie à son banquet les aveugles et les boiteux Luc 14.21, comment se despestrera-il de ce nœud ? Je demande plus outre, si les boiteux et aveugles n’avoyent point combatu desjà au paravant avec David. Dont il s’ensuyt qu’ils estoyent de l’Eglise. Mais c’est chose superflue d’insister plus long temps yci, veu que ce n’est qu’une fausseté controuvée par luy. S’ensuyt une autre allégorie : c’est que les Apostres ont esté pescheurs des hommes Matt. 4.19, non pas des petis enfans. Je luy demande à l’opposite, que veut dire ceste sentence de Jésus-Christ, que l’Evangile est une rets pour attirer toute sorte de poissons Matt. 13.47. Mais pour ce que je ne pren point plaisir à me jouer des choses sainctes, je respon, quand la charge d’enseigner les grans a esté commise aux Apostres, qu’il ne leur a pas esté défendu de baptiser les petis. Combien que je voudroye encores sçavoir de luy, veu que le mot grec dont use l’Evangéliste, signifie toutes créatures humaines, pourquoy il en exclud les petis enfans. Il allègue, puisque les choses spirituelles se doyvent approprier aux spirituels 1Cor. 2.13, que les enfans qui ne sont point spirituels, ne sont non plus idoines à estre receus au Baptesme. Mais en premier lieu il corrompt meschamment la sentence de sainct Paul. Il est question de la doctrine. Pource que les Corinthiens se plaisoyent par trop en leur subtilité, sainct Paul rédargue leur bestise en ce qu’il leur faloit encores enseigner les rudimens de la Chrestienté. Qui est-ce qui inférera de là, qu’il fale refuser le Baptesme aux petis enfans, lesquels Dieu se dédie par son adoption gratuite, combien qu’ils soyent nais de la chair. Quant à ce qu’il objecte, que s’ils sont nouveaux hommes comme nous disons, ils devroyent estre nourris de viande spirituelle : la solution est facile, c’est qu’ils sont receus au troupeau de Jésus-Christ par le Baptesme, et que ceste marque de leur adoption suffit, jusques à ce qu’ils grandissent pour porter la viande ferme. Et ainsi, qu’il faut attendre le temps de l’examen, lequel Dieu requiert notamment en la Cène. Il objecte d’avantage, que Christ convie à la Cène tous ceux qui sont siens. Je respon au contraire, qu’il n’y admet sinon ceux qui sont desjà appareillez à célébrer la mémoire de sa mort. Dont il s’ensuyt que les enfans, lesquels il a bien daigné recevoir entre ses bras, ne laissent pas d’estre de l’Eglise, combien qu’ils demeurent en leur degré inférieur. A ce qu’il réplique que c’est une chose monstrueuse, qu’un homme estant nay ne mange point : je respon que les âmes sont autrement repeues qu’en mangeant le pain visible de la Cène : et pourtant que Jésus-Christ ne laisse pas d’estre pain des petis enfans, combien qu’ils s’abstienent du signe extérieur, qu’il y a autre raison au Baptesme, par lequel seulement la porte leur est ouverte en l’Eglise. Il ameine ceste sentence, qu’un bon mesnager distribue la portion à sa famille en temps opportun Matt. 24.45 : ce que je confesse. Mais de quelle authorité, et à quel tiltre nous déterminera-il le temps du Baptesme, pour prouver qu’on ne le puisse donner en temps opportun aux petis enfans ? Il ameine aussi le commandement que fait Jésus-Christ à ses Apostres, de courir à la moisson quand les champs blanchissent Jean 4.35 : mais à quel propos ? Nostre Seigneur Jésus pour mieux inciter ses Apostres, afin qu’ils s’esvertuent tant mieux à faire leur office, leur propose que le fruit de leur labeur est présent : peut-il inférer de là qu’il n’y ait temps meur ne propre pour le Baptesme, sinon en moisson ? L’onzième raison est, qu’en l’Eglise primitive tous Chrestiens estoyent nommez Disciples Actes 11.26 : et par ainsi, que les petis enfans ne peuvent estre du nombre. Mais nous avons desjà veu combien sa déduction est sotte, en concluant de tous, ce qui est seulement prononcé d’une partie. Sainct Luc appelle Disciples ceux qui avoyent esté desjà enseignez, et faisoyent profession de Chrestienté : comme sous la Loy les Juifs estoyent disciples de Moyse, voire ceux qui estoyent parvenus en aage : mais il ne s’ensuyt pas de là, que les petis enfans fussent estrangers, lesquels Dieu a testifié estre ses domestiques, et les a tenus pour tels. Il allègue que tous Chrestiens sont frères : et puis que nous ne donnons point la Cène aux petis enfans, que nous ne les tenons pas de ce rang. Pour response je revien tousjours à ce principe, que nul n’est héritier du royaume des cieux, qu’il ne soit membre de Jésus-Christ. Au reste, que l’embrassement dont il a honoré les petis enfans, a esté une vraye marque de leur adoption, par laquelle il les a conjoincts avec les grans. Ce que pour un temps ils sont forclos de la Cène, cela n’empesche pas qu’ils n’appartiennent au corps de l’Eglise. Et de faict, le brigand estant converti en la croix Luc 23.42, n’a pas laissé d’estre frère des fidèles, combien que jamais il ne soit approché de la Cène. Il adjouste que nul n’est fait nostre frère, que par l’Esprit d’adoption, lequel n’est donné que par l’ouye de la foy Rom. 10.17. Je respon que tousjours il retombe de son asne, appliquant mal et sottement aux petis enfans ce qui n’est dit que des gens aagez. Car sainct Paul monstre là, que Dieu use de ceste façon ordinaire pour appeler ses esleus à la foy : c’est de leur susciter des bons Docteurs, par le labeur et instruction desquels il leur tend la main. Mais qui est-ce qui luy osera imposer loy, qu’il n’incorpore en Jésus-Christ d’une autre façon secrette les petis enfans ? Ce qu’il allègue, que Corneille le Centenier a esté baptisé ayant desjà receu le sainct Esprit, c’est une sottise trop lourde, de faire une reigle générale d’un exemple singulier. Ce qui appert par l’Eunuque et les Samaritains Actes 10.44 ; 8.17, 38, ausquels Dieu a tenu un ordre divers, voulant qu’ils fussent baptisez devant que leur donner le sainct Esprit. La quinzième raison est de nulle saveur. Il dit que nous sommes faits dieux par régénération. Or est-il ainsi que ceux ausquels la Parole de Dieu est donnée, sont dieux Jean 10.33 : ce qui ne compète pas aux petis enfans. Ce qu’il forge une déité aux fidèles, est une de ses resveries, laquelle je ne débatray point pour ceste heure : mais c’est une impudence trop désespérée à luy, de tirer ainsi par les cheveux le passage du Pseaume. Jésus-Christ expose ce passage que les Roys et gens de justice sont nommez Dieux, pource qu’ils sont ordonnez de luy en leur estat. Ce Docteur subtil, pour surmonter le Fils de Dieu, tire à la doctrine de l’Evangile ce qui est dit de la charge particulière des Magistrats, pour exterminer de l’Eglise les petis enfans. Il objecte derechef, que les petis enfans ne peuvent estre réputez nouvelles créatures, d’autant qu’ils ne sont point engendrez par la Parole. Je n’ay point honte de réitérer ce que j’ay souvent dit : asçavoir que la doctrine de l’Evangile est semence incorruptible 1Pi. 1.23 pour régénérer ceux qui sont suffisans à la comprendre : mais quand l’aage n’est pas encores pour estre enseigné, que Dieu tient ses degrez pour régénérer ceux qu’il a adoptez. Il retourne encores à ses allégories, disant que sous la Loy les bestes n’estoyent pas offertes incontinent qu’elles estoyent sorties du ventre. S’il estoit licite de tirer ainsi les figures à nostre poste, je respon que tous premiers-nais ouvrans la matrice, estoyent de leur naissance consacrez à Dieu Exo. 13.2 : item, que notamment il estoit commandé d’offrir un agneau d’un an Exo. 12.5. Dont il s’ensuyt qu’il ne faut point attendre aage d’homme pour sanctifier les enfans à Dieu : mais qu’ils luy doyvent estre réservez et appropriez dés leur naissance. Il débat d’avantage, qu’on ne peut venir à Christ, qu’on n’ait esté préparé par Jehan-Baptiste. Voire, comme si l’office de Jehan-Baptiste n’eust pas esté temporel. Mais encores que je luy quitte cela, il n’y avoit nulle telle préparation aux petis enfans, lesquels Jésus-Christ embrasse et bénit. Pourtant, qu’il s’en aille avec son faux principe et controuvé. Finalement, il ameine pour advocat Mercure, surnommé Souverainement très-grand, et les Sibylles, lesquels disent [que les lavemens ne convienent qu’à ceux qui sont desjà grans. Voylà en quelle estime et révérence il a le Baptesme de Christ, lequel il range et assujetit aux cérémonies des gens profanes : tellement qu’il ne soit licite d’en user, sinon comme il plaira à un disciple de Platon. Mais l’authorité de Dieu nous est bien pardessus, auquel il a pleu de dédier à soy les petis enfans : voire les sanctifiant avec signe solennel, duquel ils ne comprenoyent point encores la force. Et n’estimons pas qu’il soit licite d’emprunter reigle des expiations des Payens, laquelle change en nostre Baptesme la loy inviolable que Dieu a establie en la Circoncision. Pour conclusion, il argue que s’il est licite de baptiser sans intelligence, le Baptesme que font les petis enfans en leurs jeux et badinages sera vallable. Mais je le renvoye à Dieu pour plaider contre luy, veu qu’il a ordonné que la Circoncision fust commune tant aux grans qu’aux petis, sans attendre que les enfans veinssent en aage d’homme. Puis que tel a esté le commandement de Dieu, malheur sur celuy qui sous telle couleur voudra renverser l’institution saincte et immuable de Dieu. Mais il ne se faut point esbahir si ces esprits réprouvez, comme estans transportez de phrénésie, desgorgent des absurditez tant énormes pour maintenir leurs erreurs, veu que Dieu punit justement par telle forcenerie leur orgueil et obstination. Certes je pense avoir assez évidemment monstré combien les raisons de Servet sont débiles, pour aider ses confrères en cest endroict Rom. 10.17.

4.16.32

Ce que nous avons dit est assez suffisant, comme on peut veoir, pour monstrer comment sans raison ne propos ceux-là troublent l’Eglise du Seigneur lesquels esmeuvent questions et débats, afin de réprouver l’observation saincte qui depuis les Apostres a esté gardée diligemment des fidèles, puis que nous avons évidemment prouvé qu’elle a certain et asseuré fondement sur la saincte Escriture : et au contraire, avons abondamment réfuté toutes les objections, lesquelles ont accoustumé de se faire à l’encontre. Tellement que nous ne doutons point que tous bons serviteurs de Dieu, après avoir leu ce traité, ne soyent plenement satisfaits, et n’apperçoyvent à l’œil que tous les assauts qui se font pour renverser et abolir ceste saincte ordonnance, ne soyent cauteleuses machinations du diable, afin de diminuer le fruict singulier de fiance et consolation que le Seigneur nous a voulu donner par sa promesse, et obscurcir d’autant la gloire de son nom : laquelle est d’autant plus exaltée, que les largesses de sa miséricorde sont amplement espandues sur les hommes. Car quand le Père céleste visiblement nous testifie par le signe du Baptesme, que pour l’amour de nous il veut avoir esgard à nostre postérité, et estre Dieu de nos enfans, n’avons-nous point bonne matière de nous resjouir, à l’exemple de David, réputans que Dieu prend envers nous la personne d’un bon père de famille, estendant non-seulement sur nous sa providence, mais sur les nostres après nostre mort. En laquelle resjouissance Dieu est singulièrement glorifié. Voylà pourquoy Satan s’efforce de priver nos enfans de la communication du Baptesme : c’est afin que ceste testification que le Seigneur a ordonnée pour nous confermer les grâces qu’il leur veut faire, estant effacée de devant nos yeux, petit à petit nous oubliions pareillement la promesse qu’il nous a donnée pour eux. Dont s’ensuyvroit non-seulement une ingratitude et mescognoissance de la miséricorde de Dieu envers nous, mais une négligence d’instruire nos enfans en crainte et discipline de sa Loy, et en la cognoissance de son Evangile. Car ce n’est pas petit aiguillon pour nous inciter à les nourrir en vraye piété et obéissance de Dieu, quand nous entendons que dés leur nativité le Seigneur les a receus entre son peuple, pour membres de son Eglise. Parquoy ne rejettans point la grande bénignité de nostre Seigneur, présentons-luy hardiment nos enfans, ausquels il a donné par sa promesse entrée en la compagnie de ceux qu’il advoue pour ses familiers et domestiques de sa maison, qui est l’Eglise chrestienne.

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