La Légende dorée

XC
SAINT PAUL, APÔTRE

(30 juin)

L’apôtre Paul, après sa conversion, eut à souffrir de nombreuses persécutions, dont saint Hilaire résume l’histoire en ces termes : « À Philippes il fut frappé de verges, mis en prison, et attaché par les pieds à une barre de bois ; à Lystre, il fut lapidé ; à Icone et à Thessalonique, injustement accusé ; à Éphèse, livré aux bêtes ; à Damas, jeté du haut d’un mur ; à Jérusalem, arrêté, frappé, lié, attaqué ; à Césarée, mis en prison ; dans son voyage d’Italie, exposé à une tempête ; enfin à Rome, sous Néron, jugé et mis à mort. »

Nous devons ajouter qu’à Lystre il guérit un paralytique, ressuscita un jeune homme tombé d’une fenêtre, et fit encore beaucoup d’autres miracles. À Mitylène, une vipère le mordit à la main sans lui faire aucun mal ; et l’on dit que toute la descendance de l’homme dont il était l’hôte est à l’abri du venin des serpents ; au point que, quand un enfant naît dans cette race, on met des serpents dans son berceau, pour reconnaître s’il est bien le fils de son père. Et Haimon raconte que Paul travaillait de ses mains depuis le chant du coq jusqu’à la cinquième heure, puis se livrait à la prédication jusqu’à la nuit, et estimait que les quelques heures qui lui restaient suffisaient fort bien pour sa nourriture, son sommeil, et ses prières.

Lorsqu’il vint à Rome, Néron, qui n’était pas encore confirmé dans l’empire, apprit que les Juifs lui cherchaient querelle au sujet de leur loi et de la foi chrétienne ; mais il n’y prit point garde et laissa Paul aller librement où il voulait. Saint Jérôme, de son côté, raconte que, la vingt-cinquième année après la passion du Seigneur, et la seconde année du règne du Néron, Paul vint à Rome comme prisonnier, mais y resta deux ans libre, puis, relâché par l’empereur, alla prêcher l’évangile en Occident, et fut enfin décapité le même jour où saint Pierre fut crucifié, dans la quatorzième année du règne de Néron.

Sa science et sa piété étaient si éclatantes qu’il eut même pour disciples et pour amis plusieurs familiers de la maison de Néron, et que lecture fut faite devant Néron de quelques-uns de ses écrits. Un soir qu’il prêchait dans une cour, un jeune homme nommé Patrocle, que Néron aimait beaucoup, monta sur une fenêtre pour mieux l’entendre : il tomba de la fenêtre et se tua. Ce qu’apprenant, Néron, désolé de sa mort, lui choisit un successeur ; mais Paul se fit apporter le cadavre de Patrocle, le ressuscita, et l’envoya chez Néron avec ses compagnons. Et Néron, effrayé de cette visite de l’homme qu’il savait mort, refusa d’abord de le recevoir. Puis, quand il l’eut reçu : « Patrocle, tu es vivant ? » Et lui : « Oui, César ! » Et Néron : « Qui t’a rendu la vie ? » Et lui : « Jésus-Christ, roi des siècles ! » Alors, Néron, furieux : « Et ainsi, c’est ce roi que tu sers ? » Et lui : « Puissé-je servir celui qui m’a réveillé des morts ! » Au même instant cinq autres des familiers de l’empereur, qui se trouvaient là, lui dirent : « César, pourquoi t’irriter contre un jeune homme qui te répond la vérité ? Sache donc que, nous aussi, nous sommes les soldats de ce roi invincible ! » Ce qu’entendant, Néron les fit jeter en prison, malgré toute l’amitié qu’il avait eue pour eux. Puis il fit rechercher tous les chrétiens, et, sans les interroger, les condamna tous aux plus affreux supplices. Et quand Paul, enchaîné, comparut devant lui : « Serviteur d’un grand roi, mais mon prisonnier, pourquoi détournes-tu de leur devoir mes officiers ? » Et Paul : « Ce n’est pas seulement à ta cour que je recrute mes soldats, mais dans le monde entier. Et toi-même, si tu veux te soumettre à notre loi, tu seras sauvé ! Ce roi est si puissant, qu’il viendra juger tous les hommes et brûlera ce monde ! » Sur quoi Néron, furieux de ces paroles fit brûler tous les chrétiens à l’exception de Paul, qu’il condamna à avoir la tête tranchée comme coupable de lèse-majesté. Et tel fut le massacre des chrétiens que le peuple de Rome envahit le palais, menaçant de se révolter, et disant : « César, mets un terme au massacre, car les hommes que tu fais périr sont nos parents, et les meilleurs soutiens de l’empire ! » Si bien que l’empereur, effrayé, révoqua son édit, et déclara qu’il se réservait le droit de juger les chrétiens.

Paul comparut donc une seconde fois devant lui. Et Néron, repris de fureur à sa vue, s’écria : « Emmenez d’ici et décapitez ce malfaiteur ! » Et Paul : « Néron, ma souffrance ne durera que quelques instants, et puis je vivrai pendant une éternité auprès de mon maître Jésus ! » Et Néron : « Coupez-lui la tête, pour qu’il sache que je suis plus fort que son maître ! Et nous verrons bien, ensuite, s’il vit encore ! » Et Paul : « Pour que tu saches que je continuerai de vivre après la mort de mon corps, je t’apparaîtrai vivant quand on m’aura coupé la tête ! Ainsi tu verras que le Christ est le Dieu de la vie, et non pas de la mort ! » Puis il se laissa conduire au lieu de son supplice.

En chemin, le trois soldats qui le conduisaient lui dirent : « Quel est donc ce roi que vous aimez tant, et quelle récompense attendez-vous de lui ? » Paul leur parla si bien du royaume de Dieu qu’il les convertit. Ils le prièrent de s’enfuir. Et lui : « Non, mes frères, je ne suis pas un fuyard, mais un soldat du Christ. Quand je serai mort, des fidèles enlèveront mes restes, pour les transporter en un certain lieu. Et vous, venez en ce lieu demain matin ! Vous y trouverez deux hommes en prière, nommés Tite et Luc. Vous leur direz pourquoi je vous ai envoyés vers eux ; ils vous baptiseront, et vous serez admis au royaume céleste. » Survinrent alors deux autres soldats, envoyés par Néron pour voir s’il avait subi sa peine. Et comme il voulait également les convertir, ils lui dirent : « Si tu ressuscites après ta mort, nous croirons à tes paroles ; mais, maintenant, marche plus vite pour aller recevoir le châtiment qui t’es dû ! » Un peu plus loin, sous la porte d’Ostie, il rencontra une femme chrétienne appelée Plautille, qu’on appelait aussi Lemobie ; et cette femme, toute en larmes, se recommanda à ses prières. Et Paul lui dit : « Plautille, ma chère enfant, prête-moi le voile dont tu recouvres ta tête ; je m’en lierai les yeux et puis tu le reprendras ! » Et les bourreaux se moquaient d’elle, disant : « Comment peux-tu donner à cet imposteur un objet aussi précieux ? »

Parvenu au lieu de sa passion, Paul se tourna vers l’Orient, et, les yeux levés au ciel, il pria longtemps. Puis, ayant dit adieu à ses frères, il s’attacha autour des yeux le voile de Plautille, s’agenouilla, tendit le cou, et fut décapité. Et lorsque déjà sa tête était séparée de son tronc, sa bouche prononça, en hébreu, le nom de Jésus, que, vivante, elle avait eu tant de douceur à répéter sans cesse ! De sa blessure jaillit d’abord un flot de lait, jusque sur le manteau d’un soldat, puis le sang coula, et de son corps s’exhala un parfum délicieux. Or Néron, ayant appris tous ces miracles fut grandement effrayé, et s’enferma chez lui avec ses confidents. Soudain, toutes les portes étant fermées, Paul entra et lui dit : « César, me voici, soldat du roi éternel et invincible ! Et toi, malheureux, tu mourras d’une mort éternelle, pour avoir injustement tué les serviteurs de ce roi ! » Cela dit, il disparut. Néron, épouvanté, ne sut plus ce qu’il faisait. Sur le conseil de ses amis, il fit remettre en liberté Patrocle, Barnabé et les autres chrétiens. Cependant, les soldats qui avaient conduit Paul vinrent le lendemain matin au tombeau du martyr. Ils y trouvèrent Tite et Luc occupés à prier, et, debout au milieu d’eux, Paul lui-même. Tite et Luc en voyant les soldats, s’enfuirent, et Paul disparut. Mais les soldats crièrent aux deux disciples : « Nous ne venons pas ici pour vous persécuter, mais pour recevoir de vous le baptême, ainsi que nous l’a ordonné Paul, qui était tout à l’heure debout près de vous ! » Ce qu’entendant, les disciples revinrent sur leurs pas et les baptisèrent avec une grande joie.

La tête de Paul fut jetée dans une fosse avec une foule d’autres, de telle sorte qu’on ne parvenait guère à la retrouver. Mais un jour, comme on vidait la fosse, un berger ramassa un crâne, du bout de son bâton, et le mit dans son étable. Et pendant trois nuits ce berger et son maître virent une lumière ineffable briller au-dessus de ce crâne. Ce qu’apprenant, l’évêque et les fidèles reconnurent que c’était la tête de Paul. On la porta donc en grande pompe, et déjà l’on s’apprêtait à la placer au-dessus du tronc lorsque le patriarche dit : « Tant de saints martyrs ont eu leurs têtes jetées, pêle-mêle, dans cette fosse, que nous ne pouvons pas être sûrs que ceci soit la tête de saint Paul. Mettons-la donc plutôt à ses pieds ; et si c’est vraiment sa tête, que le tronc se retourne pour l’avoir sur ses épaules ! » Ainsi fut fait ; et voilà que, à l’étonnement de tous, le corps se retourna dans le cercueil ! Et tous, bénissant Dieu, reconnurent que c’était bien là la tête de Paul. C’est du moins ce que raconte saint Denis, dans sa lettre à Timothée.

Grégoire de Tours affirme que les chaînes de saint Paul font de nombreux miracles. Lorsque des fidèles désirent avoir un peu de limaille de ces chaînes, un prêtre frotte les chaînes avec une lime ; et parfois la limaille s’obtient aussitôt, tandis que d’autres fois le prêtre a beau frotter très longtemps, pas un grain de limaille ne tombe des chaînes.

On lit, dans le même Grégoire de Tours, qu’un désespéré se préparait un lacet pour se pendre, tout en ne cessant pas de répéter : « Saint Paul, viens à mon secours ! » Alors lui apparut une ombre sinistre, qui lui dit : « Hé mon ami, fais vite ce que tu as à faire ! » Mais lui, tout en préparant son lacet, répétait toujours : « Saint Paul, viens à mon secours ! » Et quand il eut achevé le lacet, une autre ombre apparut, et dit à celle qui exhortait l’homme à se tuer : « Fuis, malheureux, car voici saint Paul qui arrive ! » Aussitôt l’ombre sinistre s’évanouit, et l’homme, revenant à lui, jeta son lacet et fit pénitence.

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