1.[1] À quelque temps de là, David décida qu’il fallait attaquer les Philistins, sans laisser s’introduire la mollesse et l’oisiveté dans l’État, afin, comme la divinité le lui avait prédit, de laisser ses ennemis abattus et une royauté paisible à ses descendants. Il convoqua donc à nouveau l’armée, lui commanda de se tenir prête et équipée pour la guerre, et, quand tout lui parut à point, il partit avec elle de Jérusalem et se dirigea vers les Philistins. Il les vainquit en bataille rangée, leur enleva une grande partie de leur territoire et la réunit à celui des Hébreux ; puis il porta la guerre chez les Moabites, cette fois encore victorieux, il extermina les deux tiers de leur armée et fit le reste prisonnier[2]. Après leur avoir imposé un tribut annuel, il marcha contre Adrazaros, fils d’Araos[3], roi de la Sophène[4]. Le combat s’engagea près du fleuve Euphrate. David lui tua environ vingt mille fantassins et sept mille cavaliers[5]. Il lui prit aussi mille chars, dont il détruisit la plupart, et commanda qu’on lui en gardât cent seulement.
[1] II Samuel, VIII, 1 ; I Chroniques, XVIII, 1.
[2] Dans la Bible, David mesure les Moabites au cordeau et les partage en deux parties ; l’une — mesurant les deux tiers — est condamnée à mort, l’autre est épargnée.
[3] Hébreu : Hadadézer ben Rehob ; LXX : Άόρααζάρ υίόν ‘Ραάβ.
[4] Hébreu : Çoba ; LXX : Σουβά. Il ne s’agit point de la Sophène, située beaucoup trop au N. (en Arménie), mais sans doute d’un canton du Haouran. L’Euphrate n’est nommé que dans la Chronique.
[5] Le chiffre de 1.000 cavaliers, ainsi que celui des 1.000 chars, se retrouve dans les LXX. L’hébreu ne les a que dans I Chroniques, XVIII, 4 ; dans Samuel il n’est question que de 1.000 cavaliers et le chiffre des chars n’est pas indiqué.
2.[6] Le roi de Damas et des Syriens, Adad(os)[7], informé que David faisait la guerre à Adrazar, dont il était l’ami, vint à son secours avec des forces puissantes, mais il dut se retirer contrairement à son attente après un engagement livré près du fleuve Euphrate, car il fut défait dans le combat et perdit une grande partie de ses soldats ; les Hébreux lui tuèrent environ vingt mille hommes[8] ; tout le reste prit la fuite. Il est fait aussi mention de ce roi chez Nicolas, qui s’exprime en ces termes au IVe livre de ses Histoires[9] : « Longtemps après ces événements, un indigène, du nom d’Adad, devenu très puissant, régna sur Damas et sur toute la Syrie, sauf la Phénicie. Avant fait la guerre contre David, roi de la Judée, il se mesura avec lui dans plusieurs combats, dont le dernier sur les bords de l’Euphrate, où il fut vaincu, et il apparut comme le plus excellent des rois pour la force et le courage. » Outre ces détails, il raconte encore, au sujet des descendants d’Adad, comment, après la mort de ce roi, ils se transmirent l’un à l’autre leur trône et leur nom : « celui-ci mort, dit-il, ses descendants régnèrent pendant dix générations, chacun recevant de son père le nom avec les pouvoir, comme les Ptolémées en Égypte. Le troisième, qui fut le plus puissant de tous, voulant venger la défaite de son grand-père, marcha contre les Juifs et ravagea la région appelée aujourd’hui Samaritide. » Il ne s’est pas écarté de la vérité : c’est, en effet, cet Adad qui fit une expédition contre Samarie sous Achab, roi des Israélites, dont nous parlerons plus tard en son lieu[10].
[6] II Samuel, VIII, 5 ; I Chroniques, XVIII, 5.
[7] Hébreu : Aram Daméschek (Darmeschek in Chroniques). Dans les LXX sur Samuel, il y a Συρία Δαμασxοΰ ; dans Chroniques : Σύρος έx Δαμασxοΰ. Josèphe a décomposé l’expression et il a ajouté le nom d’Adad, sans doute pour se mettre d’accord avec Nicolas cité ci-après.
[8] Bible : 22.000.
[9] Nicolas de Damas fr. 31 Didot (Textes d’auteurs grecs et latins, etc., p. 79).
[10] Infra, VIII, c. 14 et suiv.
3.[11] David dirigea ensuite une expédition sur Damas et tout le reste de la Syrie et se la soumit tout entière ; il établit des garnisons dans le pays et imposa tribut aux habitants. À son retour il consacra à Dieu, dans Jérusalem, les carquois d’or et les armures que portaient les gardes du corps d’Adad. Plus tard, le roi des Égyptiens Sousacos[12], ayant attaqué son petit-fils Roboam, s’empara de ces dépouilles et de beaucoup d’autres richesses de Jérusalem. Mais nous relaterons ces faits quand le moment en sera venu. Le roi des Hébreux, avec l’appui de Dieu, qui assurait le succès de ses entreprises, marcha contre les plus belles villes d’Adrazar, Battéa et Machôn[13], s’en empara de vive force et les mit au pillage. On y trouva une grande quantité d’or et d’argent et du cuivre[14] qu’on disait plus précieux que l’or ; c’est de ce cuivre que Salomon fabriqua le grand vase appelé filer et ces fameux bassins si magnifiques, lorsqu’il éleva le Temple à Dieu[15].
[11] II Samuel, VIII, 6 ; I Chroniques, XVIII, 7.
[12] Josèphe suit les LXX, qui font ici une allusion anticipée à Roboam. Mais l’hébreu est muet sur l’enlèvement des armes d’or d’Adadézer par Sésac, non seulement ici, mais dans I Rois, XIV, 25, où le roi ne prend, avec les trésors du temple, que les boucliers d’or faits par Salomon. Les LXX, en ce passage (p. 26), ajoutent au texte hébreu la mention de l’enlèvement des « javelots » d’or (δόρατα) pris autrefois par David au fils d’Adrazaar.
[13] Hébreu Samuel : Bétah et Bérotaï ; LXX : xαί έx τής Μετεβάx xαί έx τών έxλεxτών πόλεων. Le texte de Josèphe rappelle davantage les noms des mêmes villes dans les Chroniques, à savoir (Mi)tibhat ou(mi)koun, la préposition mi considérée comme faisant partie intégrante du nom.
[14] L’hébreu ne parle que du cuivre.
[15] Ce détail est absent de l’hébreu de Samuel, mais se trouve dans I Chroniques, XVIII, 8 et dans LXX sur les deux passages.
4.[16] Lorsque le roi d’Amathé apprit la mésaventure d’Adrazar et l’anéantissement des forces de celui-ci, il prit peur pour lui-même et songeant à s’attacher David par un pacte d’amitié et de fidélité avant qu’il ne vint à l’attaquer, il lui envoya son fils Adoram(os)[17], chargé de le remercier d’avoir combattu Adrazar, son ennemi, et de conclure avec lui un traité d’alliance et d’amitié. Il lui envoya aussi des présents, des vases d’un travail ancien, en or, en argent et en cuivre. David consentit à faire alliance avec Thaïnos[18], — tel était le nom du roi d’Amathé —, et accepta ses présents, puis il congédia son fils avec les honneurs qui convenaient à l’un et à l’autre. Quant aux trésors envoyés par ce roi et tout le reste de l’or et de l’argent que David avait enlevé aux villes et aux peuples subjugués, il les emporta et les consacra à Dieu. D’ailleurs, ce ne fut pas seulement quand il combattait et commandait en personne que Dieu lui procura victoire et succès : David ayant envoyé contre l’Idumée une armée commandée par Abesséos[19], frère du général en chef Joab, Dieu, par la main de ce lieutenant, lui donna la victoire sur les Iduméens, dont Abesséos tua dix-huit mille dans la bataille. Le roi répartit des garnisons à travers toute l’Idumée et en tira des tributs établis aussi bien sur le sol que sur chaque tête d’habitant. Il était naturellement juste et rendait des décisions conformes à la vérité. Il avait Joab pour chef suprême de l’armée ; pour garde des registres Josaphat(os), fils d’Achil(os)[20] ; il désigna comme grand-prêtre avec Abiathar Sadoc(os) de la maison de Phinéès, dont il était l’ami particulier, et il établit Sisan[21] comme secrétaire. Enfin, il confia à Banéas, fils de Joad(os)[22], le commandement des gardes du corps[23]. Les plus âgés de ses fils étaient attachés à sa personne et à sa garde[24].
[16] II Samuel, VIII, 9 ; I Chroniques, XVIII, 9.
[17] Conforme à la leçon des Chroniques. Dans Samuel, le nom est Joram (LXX : Ίεδδουράμ).
[18] Hébreu : Thoï et Thoou ; LXX : Θοού ; Chroniques : Θωά (A. Θαεί).
[19] I Chroniques, XVIII, 12. D’après II Samuel, VIII, 13, la victoire (dans le Val du sel) est attribuée à David lui-même ; d’après le Psaume LX à Joab.
[20] Bible : Ahiloud.
[21] Hébreu : Seraya (Samuel) ou Schavscha (Chroniques) ; LXX : Σασά ou Σουσά.
[22] Hébreu : Yehoyada ; LXX : Ίωδαέ.
[23] Bible : le Kerêti et le Peléti.
[24] L’hébreu dit : les fils de David étaient Cohanim (prêtres) ; les LXX traduisent ici le mot par αύλάρχαι « princes de la cour ». Dans les Chroniques on lit dans l’hébreu ce qui paraît signifier les premiers ministres du roi. (LXX : οί πρώτος διάδοχοι τοΰ Βασιλέως.) Josèphe semble avoir rattaché harischonim à Bene David comme épithète et non comme attribut (les fils aînés).
5.[25] Cependant il n’oublia pas ses engagements et ses serments envers Jonathan, fils de Saül, ni l’amitié et le dévouement que ce dernier lui avait témoignés. Car, à toutes ses autres vertus, il joignait celle de garder toujours la mémoire très fidèle de ceux qui lui avaient fait du bien. Aussi prescrivit-il de rechercher s’il survivait quelqu’un de la famille de Jonathan, à qui il pût rendre les bienfaits dont il lui était redevable. On lui amena un homme[26] affranchi par Saül, capable de le renseigner, et il lui demanda s’il pouvait lui désigner quelque survivant de la parenté de Jonathan apte à recevoir la récompense des bienfaits qu’il devait à celui-ci. Cet homme lui dit qu’il restait de Jonathan un fils nommé Memphibosth(os)[27], qui était boiteux ; car sa nourrice, à la nouvelle que le père de l’enfant et son grand-père avaient péri dans la bataille, l’avait emporté en s’enfuyant et l’avait laissé tomber de ses épaules : dans sa chute l’enfant s’était estropié. David s’informa où il se trouvait et chez qui il était élevé, puis envoya un messager auprès de Machir(os) dans la ville de Labatha[28], — c’était lui qui avait recueilli le fils de Jonathan. — et se fit amener l’enfant. Memphibosth(os), arrivé auprès du roi, tomba sur sa face et se prosterna. David l’exhorta à se rassurer et à compter sur un traitement favorable. Il lui donna la fortune paternelle et tous les biens qu’avait acquis son grand-père Saül, et l’invita à partager ses repas et à être son commensal, sans manquer un jour de prendre place à sa table. L’enfant se jette à genoux pour le remercier de ses paroles et de ses libéralités ; alors le roi appela Siba, lui dit qu’il avait fait don à l’enfant de la fortune de son père et de tous les biens de Saül et lui commanda de faire valoir les terres en question, de prendre soin de tout et d’apporter le revenu à Jérusalem ; il devait, en outre, amener l’enfant chaque jour à sa table. Quant à Siba lui-même, à ses fils, — au nombre de quinze — et à ses serviteurs, au nombre de vingt, il les donne au jeune Memphibosth(os). Après avoir entendu ces ordres, Siba s’inclina, promit de s’y conformer et se retira. Le fils de Jonathan habita désormais à Jérusalem, admis à la table du roi et recevant de lui tous les soins d’un père. Il eut lui-même un enfant, qu’il appela Micha.
[25] II Samuel, IX, 1. Sur cet épisode les Chroniques sont muettes.
[26] Ciba dans la Bible : Josèphe le nomme un peu plus bas ; ici le nom a été omis par étourderie.
[27] Hébreu : Mephiboschet ; LXX : Μεμαιβοσθέ. L’histoire de son accident est racontée dans II Samuel, IV, 4. On sait que le véritable nom de ce prince était Meribaal.
[28] Hébreu : Lo Debar ; LXX : Αοδαβάρ.