Nous avons établi que le croyant est pleinement justifié par la foi, spécialement par la foi en Christ, et que le degré de la justification ne dépend ni des degrés de la foi, ni de la qualité de ses produits. Il n’en résulte pas moins la nécessité absolue de la nouvelle naissance pour le salut, qui est enseignée surtout Jean 3.1-6 ; mais ici naît la difficulté apparente de concilier, dans ce chapitre même, le v. 3 avec le v. 16, qui pose la foi au Fils de Dieu comme la condition unique et suffisante du salut éternel du pécheur.
Nous pouvons répondre, d’abord, que la nouvelle naissance suit si nécessairement la justification que la présence ou l’absence de la régénération est le critère de la présence ou de l’absence de la foi justifiante. Dans l’expression : « l’eau et l’esprit », l’eau représente évidemment le baptême, c’est-à-dire le pardon qui précède l’œuvre entière de l’Esprit.
Mais la nécessité de la nouvelle naissance se révèle encore à un autre point de vue que nous pourrions appeler subjectif et moral : il y aurait incompatibilité de nature entre le chrétien irrégénéré et l’organisme dont il ferait partie, et, à supposer qu’il pût y être toléré, il s’en exclurait lui-même par ses goûts et ses pensées. C’est la vérité que saint Paul a exprimée dans cette norme générale (1 Corinthiens 15.50) : « La chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu », et lorsqu’il oppose l’un à l’autre l’homme psychique et l’homme pneumatique (1 Corinthiens 2.14-15). L’homme irrégénéré ne peut voir le Royaume de Dieu, qui est avant tout justice, sainteté, paix et joie dans le Saint-Esprit, parce qu’il ne peut vouloir les choses qui y sont et, qui s’y passent.
Beck a soulevé ici une difficulté dogmatique dont il s’est prévalu en faveur de sa doctrine de la justification effective. Si la justification dans le sens purement déclaratif, nous dit-il, suffit pour assurer le salut du pécheur, comment se fait-il que Jésus pose encore la condition de la nouvelle naissance pour entrer dans le royaume de Dieu ? La justification déclarative est donc un acte dérivé de la nouvelle naissance et qui ne la précède pas, mais la suit ; sinon, ou bien elle la précède, et alors elle n’est pas suffisante pour absoudre le pécheur, puisqu’il faut de plus la nouvelle, naissance ; ou bien elle suffit, mais à la condition d’être renfermée dans la nouvelle naissance.
Nous ne jugeons pas l’alternative aussi exclusive que Beck nous l’a présentée. Prenons une comparaison : Le prévenu acquitté n’est pas encore libéré, mais il va l’être, il le sera infailliblement ; l’effet de la sentence d’acquittement va suivre cette sentence elle-même. Ce n’est cependant que la libération effective qui donnera sa valeur réelle au verdict. Faites abstraction de l’une, vous avez du coup annulé l’autre, parce que l’absence de l’effet impliquerait que la cause prétendue était ou absente ou illusoire. Mais de ce que deux actes se succèdent inévitablement dans la réalité, il n’en résulte point qu’ils s’identifient l’un avec l’autre, ou que l’un cesse d’être l’antécédent, l’autre le conséquent.
En appliquant le raisonnement de Beck par analogie au cas particulier, on aurait le droit de dire : Ou le verdict d’acquittement précède la libération, et alors il ne suffit pas, puisqu’à lui seul il ne libère pas le coupable ; ou il est effectif, et alors il faut bien qu’il coïncide en fait avec la libération elle-même. Nous répliquerions à ce sophisme :
- L’acquittement précède la libération ;
- La libération effective en dérive nécessairement.
Puisque la nouvelle naissance succède à la justification par une nécessité de nature, on aura aussi bien le droit de dire que sans la justification ou sans la nouvelle naissance le pécheur ne saurait entrer dans le Royaume des cieux ; car sans la justification il y aurait empêchement de droit et sans la régénération empêchement moral à ce que cet effet, qui se nomme le salut éternel du pécheur, se produisît.
C’est donc par une raison pédagogique que, dans son entretien avec Nicodème, Jésus commence par statuer devant lui la nécessité absolue de la nouvelle naissance : il veut lui faire mesurer du coup la distance qui sépare l’état moral de l’homme naturel le plus honnête de celui qui est requis des membres du Royaume des cieux ; c’étaient là ces vérités terrestres, c’est-à-dire empruntées au champ de l’expérience morale, qu’il devait s’approprier en premier lieu, pour pouvoir s’élever ensuite aux vérités célestes énoncées dans les v. 14-16 : la révélation de l’amour de Dieu dans le don gratuit du salut en son Fils unique.
L’erreur de Beck a donc consisté à transformer l’ordre pédagogique des matières, dans l’entretien de Jésus avec Nicodème, en un ordre chronologique et dogmatique.
Nous pouvons résumer notre exposition de l’ordre des actes génétiques du salut en ces termes :
- La μετάνοια, ou la désapprobation ressentie et confessée par le sujet à l’égard de lui-même, de sa nature et de sa vie passée ;
- L’ἐπιστροφή, ou l’acceptation par le croyant de la grâce de Dieu en Jésus-Christ ;
- La justification, ou l’imputation faite par Dieu au croyant de la justice parfaite de Christ renfermée dans cette grâce ;
- La régénération, ou l’effusion du Saint-Esprit dans le cœur du croyant justifié, effusion dont l’effet actuel et simultané est une première mort au péché et la création d’une vie nouvelle ;
- La sanctification par le Saint-Esprit, fait consécutif à la régénération et qui s’oppose à elle comme un état continu à un acte historique.