Théologie Systématique – V. et VI. La Morale Chrétienne

§ 3. Du rapport du principe nouveau à l’individualité naturelle dans la régénération.

On pourrait être tenté de conclure de ce qui précède et de ce caractère d’absoluité que nous avons attribué au fait de la nouvelle naissance, que le principe nouveau déposé dans le cœur du croyant par le Saint-Esprit se comporte d’une façon hostile à l’égard de l’individualité naturelle. Cette conclusion a été tirée en effet. Eh bien ! non, le principe nouveau transforme, renouvelle, exalte, sanctifie l’individualité naturelle ; il ne la renie ni ne la supprime, et la nouvelle création qui se produit en l’homme n’est pas une refonte immédiate, ni même totale de la nature. L’Esprit de Dieu descendu dans le cœur du fidèle y respecte au contraire et y entretient précieusement les forces, les aptitudes, le caractère naturels, dans ce qu’ils ont de légitime et pour autant que ces éléments, posés par la première création, n’ont pas été altérés et faussés par le péché. Le principe nouveau ne combat et ne détruit que le péché. Sans doute, au contact de ce principe supérieur, la nature psychique, avec tous ses dons, ses affections et ses forces primitivement normales, mais aujourd’hui mélangées d’éléments souillés, subit une transformation, une régénération préalable. Il n’en est pas moins constant que l’Esprit de Dieu se plaît à dégager de l’individualité naturelle ce qu’elle peut encore receler de sain et de normal, et qu’il ne détruit rien en nous de ce qui peut encore concourir pour sa part à l’œuvre morale nouvelle.

La preuve de fait nous en est donnée dans les variétés infinies des voies que Dieu a choisies pour se révéler à chaque individu particulier et lui faire connaître le moyen de salut commun à tous, selon le mode et sous la forme appropriés à sa nature propre. Nous en avons la preuve encore dans la diversité non moins grande des caractères et des types individuels qui se rencontrent dans le domaine chrétien, et qui sont la résultante à la fois de l’amendement et du prolongement des lignes de l’ancienne nature. Cette variété de types et de caractères est, dans le domaine de la grâce, une richesse, comme dans celui de la nature ; elle est d’ailleurs rendue nécessaire dans l’un et l’autre par la diversité des tâches et des fonctions. Cette diversité de dons et de forces, qui s’est manifestée en fait dans le cercle des premiers disciples de Jésus et dans les types principaux des Pierre et des Jean, des Marthe et des Marie, nous est également présentée dans plusieurs passages comme la condition de la santé et de la prospérité de l’Eglise, et le respect des dons individuels, tant chez soi-même que chez les autres, est érigé en un des devoirs du chrétien (Romains 12.3-9 ; 1 Corinthiens 13).

Il faut remarquer que l’Esprit lui-même, dans la distribution de ses dons, ne procède jamais arbitrairement, même quand il s’agit des dons miraculeux, qu’il rattache toujours à la qualité naturelle, accrue, exaltée et sanctifiée. L’individualité primitive de Jean et de Pierre, de Paul aussi, quoique à un moindre degré, se trahit encore pour nous dans ce que nous savons de leur vie et dans leur parole écrite ; et, si grande que soit la distance qui sépare saint Jean du Boanerge, il n’est cependant pas impossible de reconnaître dans saint Jean le Boanerge, purifié par la flamme de l’Esprit. Ne peut-on pas dire que ce partage des dons de l’Esprit est une sauvegarde de l’individualité humaine, qui par cela même qu’elle est une individualité, c’est-à-dire une personnalité incomplète, ne pourrait recevoir la plénitude de l’Esprit sans être pour ainsi dire consumée et dévorée par cette plénitude même ?

Mais, si les dons miraculeux n’étaient pas de nature à supprimer l’individualité, les dons ordinaires de l’Esprit, tels qu’ils se produisent jusqu’à aujourd’hui, le peuvent bien moins encore. Pas plus aujourd’hui qu’alors, il ne saurait y avoir chez le chrétien suppression ou mutilation de son individualité, mais il y aura sanctification, glorification progressive de la nature psychique par la nature pneumatique ; et, entre les deux morales, l’une, oppressive de la nature humaine au nom d’un rigorisme légal, l’autre, qui laisse s’épanouir toutes ses forces et tous ses dons, mais sanctifiés par la grâce de Dieu et consacrés à son service, la seconde seule est conforme à l’Evangile de la grâce et de la liberté.

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