Λόγος se traduit aussi souvent par « sermo » que par « verbum », et signifie un discours suivi aussi bien qu’une fugitive parole. On connaît les discussions d’autrefois pour savoir si λόγος, dans son application la plus élevée (Jean 1.1), ne devait pas se rendre plutôt par sermo que par verbum. Sur cette matière, voyez Petavius, De Trin. 6.1.4-6. Sans nous arrêter à cet emploi exceptionnel et purement théologique de λόγος, disons que ce vocable exprime souvent dans le N. T. celui qui mérite au plus haut titre ce nom, étant « la Parole de Dieu » (Actes 4.31), « la Parole de la vérité » (2 Timothée 2.15 ; Luc 1.2 ; Jacques 1.22 ; Actes 6.4). On pourrait établir ici des rapports de ressemblance et de dissemblance entre λόγος et μῦθος, car il fut un temps où il n’existait qu’une bien faible différence entre nos deux mots, mais elle alla s’agrandissant toujours plus, jusqu’à ce qu’à la fin un abîme se creusa entre les deux termes.
Μῦθος a traversé trois degrés de développement, mais en passant de l’un à l’autre, il n’a point abandonné son ancienne signification, comme, du reste, cela se voit souvent. A son point de départ, μῦθος n’implique rien qui tienne de la fable, encore moins qui soit faux. Il vient se ranger à côté de ῥῆμα, ἔπος, λόγος, et comme sa parenté avec μύω, μυέω, μύζω, l’indique suffisamment, μῦθος doit avoir signifié la parole renfermée dans l’idée et que les lèvres laissent à peine échapper (voyez Creuzer, Symbolik, vol. 4, p. 517) ; mais il n’y a pourtant pas trace d’un tel sens réellement en usage, car déjà au temps d’Homère, μῦθος signifiait la parole parlée (Il. 18.254).
Les poètes tragiques et tous ceux qui veulent imiter Homère dans leur style, continuent à employer μῦθος dans ce dernier sens, ainsi Eschyle (Eumen., 582) et Euripide (Phoen., 455), et cela à une époque où le mot, en prose attique, avait presque ou entièrement changé cette signification pour une autre.
Parvenu au second degré de son développement, μῦθος forme déjà antithèse avec λόγος, quoiqu’on l’emploie encore dans un sens honnête, souvent même honorable. Il exprime alors ce que l’on conçoit dans l’esprit comme opposé à ce qui est réellement vrai. Le fait n’existe pas au pied de la lettre, il peut pourtant être quelquefois plus vrai que la vérité même et impliquer un enseignement plus élevé : λόγος ψευδής, εἰκονίζων τὴν ἀλήθειαν (Suidas) ; il n’est pas ἀλητής, cependant, comme on l’a dit, c’est quelque chose ἀληθείας ἔχων ἔμφασιν. Il y a un λόγος ἐν μύθῳ (« veritas quæ in fabulæ involucro latet, » comme s’exprime Wyttenbach, Annot. in Plutarch., vol. 2, pars 1, p. 406), qui peut avoir infiniment plus de valeur que ce qui est en réalité. Μῦθος avait acquis déjà ce sens dans Hérodote (2.45) et dans Pindare (Olymp., 1.29), et la prose attique, comme on l’a fait observer, n’en connaît presque point d’autre (Plato, Gorg., 523 a ; Phœd., 61 a ; Leg., 9.872 d ; Plutarch., De Ser. Num. Vin., 18 ; Symp., 1.1, 4).
Mais dans un monde comme le nôtre, la fable dégénère bientôt en mensonge ; les mots, « histoire », « conte » et bien d’autres rendent témoignage de ce fait. Aussi μῦθος, arrivé à son troisième degré, signifie-t-il la fable, mais non plus la fable s’efforçant d’être, et étant souvent, le véhicule de quelque vérité supérieure, mais bien la fable qui ment en dépit de toutes ses prétentions à être ce qu’elle n’est pas : et tel est l’unique sens que le N. T. reconnaisse à μῦθος ; les apocryphes de l’A. T. s’y prêtent aussi une fois (Sira.20.19). Le N. T. nous parle donc de μῦθοι : βεβήλοι καὶ γραώδεις (1 Timothée 4.7), Ἰουδαϊκοί (Tite 1.14), σεσοφισμένοι (2 Pierre 1.16). Cf. μῦθοι πεπλασμένοι (Diod. Sicul., 1.93). Les deux autres acceptions du mot : (1 Timothée 1.4 ; 2 Timothée 4.4), portent également le cachet du dédain et du méprisb.
b – « Légende », ce mot d’une signification si honorable au commencement, qu’il désignait, et, avec raison, ce qui méritait d’être lu, a fini par représenter « un tas de vanités frivoles et scandaleuses » (Hooker). A peu de chose près, ce terme a donc subi le même sort que μῦθος et des influences très semblables ont été à l’œuvre pour dégrader les deux mots.
On le voit, λόγος et μῦθος, qui partent ensemble ou du moins séparés seulement de quelques pas, s’éloignent graduellement l’un de l’autre et, leur antagonisme croissant toujours, se posent à la fin en adversaires déclarés, comme du reste doivent ouvertement le faire les mots aussi bien que les hommes, quand ils commencent à s’attacher l’un au royaume de la lumière et de la vérité, l’autre à celui des ténèbres et du mensonge.