Nous avons distingué déjà le renouvellement (ἀνακαίνωσις) de la régénération (παλιγγενεσία, ἀναγέννησις), en ce que celle-ci est un acte, tandis que le renouvellement ou la sanctification du croyant par le Saint-Esprit est un état. Le terme de renouvellement se rencontre dans Romains 12.2 ; Tite 3.5, où il fait suite à παλιγγενεσία. Le verbe ἀνακαινοῦν à l’actif ou au passif se trouve de même 2 Corinthiens 4.16 ; Éphésiens 4.23 ; Colossiens 3.10.
Le résultat de l’œuvre de la sanctification paraît marqué par ἁγιωσύνη qui se rencontre 2 Corinthiens 7.1 dans l’expression ἐπιτελοῦντες ἁγιωσύνην, comp. 1 Thessaloniciens 3.13 ; Psaumes 96.6 ; 97.12 (version des LXX). De la comparaison de ces divers passages, il paraît résulter que le mot ἁγιωσύνη doit être rendu par sainteté et s’oppose comme tel à ἁγιασμός qui a le sens actif et désigne l’œuvre même de la sanctification (1 Thessaloniciens 4.3 ; Hébreux 12.14 ; comp. 1 Corinthiens 1.30).
Si la nouvelle naissance est le commencement, nécessairement inachevé, de la vie spirituelle, la sanctification en est le développement ; c’est le renouvellement continu et progressif du principe de la vie spirituelle, déposé dans le cœur du croyant au moment de sa régénération par le Saint-Esprit. Aussi l’état d’enfance spirituelle, renfermant tout ensemble l’imperfection, l’ignorance et l’impuissance, qui étaient normales aux débuts de la vie morale, ne tarde-t-il pas à devenir coupable en se perpétuant et est-il plus d’une fois imputé à blâme aux membres des Eglises primitives, lorsque le temps écoulé et les expériences faites eussent dû les porter déjà au-delà de ce premier degré. Ainsi des Corinthiens (1 Corinthiens 3.1-2) et des lecteurs de l’épître aux Hébreux (Hébreux 5.12-13). L’apôtre exhorte les Ephésiens, comme les Corinthiens eux-mêmes, à sortir de l’enfance spirituelle pour atteindre la stature virile (Éphésiens 4.13-14 ; 1 Corinthiens 14.20). Dans les trois premiers passages, le titre de νήπιος est pris en mauvaise part, appliqué à des hommes appelés au progrès et restés attachés à leur point de départ. Le terme de ce progrès obligatoire est exprimé par ces mots : « jusqu’à la mesure de la stature de la plénitude de Christ » (Éphésiens 4.13), Christ étant tout à la fois le type de cette perfection suprême et le type constant de cette transformation progressive (2 Corinthiens 3.18).
Or, c’est dans le for intime de l’homme, siège de la régénération, dans le cœur, que commence ce procès de la vie spirituelle qui doit gagner et transformer graduellement la personnalité tout entière et atteindre enfin la partie la plus extérieure de notre être, le corps. Le point de départ et le terme de ce procès sont indiqués Romains 8.1-11.
La part que les trois substances constitutives de notre être ont et doivent avoir au travail de la sanctification est indiquée 1 Thessaloniciens 5.23. Nous avons établi dans notre IIme partie que ces substances ne sont ni superposées l’une à l’autre, ni confondues l’une avec l’autre, mais organisées l’une dans l’autre, tout en conservant l’ordre de leur hiérarchie ; de même donc que l’âme, supérieure au corps, organise le corps et l’attire à elle, de même l’esprit, déposé dans l’âme comme un principe supérieur à elle, l’organise à nouveau et l’attire à lui, la pénètre et la spiritualise, jusqu’à ce qu’elle soit devenue toute pneumatique.
Tout changement opéré ou commencé ailleurs qu’à la source même de la vie morale, — dans la faculté intellectuelle, ou dans la faculté sensitive ou Imaginative, ou enfin dans la sphère de la conduite ou de la pratique extérieure seulement, — ne pourrait avoir qu’un effet passager ; car il ne serait que partiel et local ; la qualité mauvaise de la source centrale, le cœur, ne tarderait pas à prévaloir de nouveau sur cette modification locale ; tout changement, au contraire, opéré en ce point central et cardinal a son retentissement et son effet, en bien comme en mal, dans l’organisme tout entier.
L’agent surnaturel de ce procès est et reste le Saint-Esprit (Éphésiens 1.13). Les différentes qualités attribuées à l’Esprit de sanctification dans le Nouveau Testament se rapportent aux aspects divers sous lesquels il est permis de considérer son action ; il est un sceau (Éphésiens 1.13 ; 4.30), les prémices (Romains 8.23) ou les arrhes de l’héritage (2 Corinthiens 1.21-22 ; Éphésiens 1.13 ; les deux images du sceau et des prémices sont réunies dans ces deux passages), une onction (Éphésiens 1.14).
Ces images sont toutes significatives : comme sceau, l’Esprit sert à confirmer la grâce reçue dans le passé ; c’est ce qu’il fait en rendant à notre esprit le témoignage intérieur que nous sommes enfants de Dieu (Romains 8.16) et en apportant au croyant la joie du salut (Galates 5.22) ; mais, en même temps, comme arrhes, prémices ou onction, il est le gage de l’accomplissement futur du salut par la possession de la sainteté et de la félicité éternelle.
Adolphe Monod écrit : « Comme un homme marque un papier de son sceau, pour que nul ne puisse douter qu’il lui appartienne, ainsi Dieu a marqué Jésus de son sceau (Jean 6.27), afin que chacun le reconnaisse pour son Fils ; et il marque également de son sceau ceux qui croient en Jésus, afin que chacun les reconnaisse pour ses enfants. Il a scellé Jésus en lui donnant l’Esprit sans mesure (Jean 3.34) ; il scelle les croyants en leur donnant de son Esprit (1 Jean 4.13). Mais, en même temps que la présence de l’Esprit en nous est pour le passé un témoignage de notre adoption en Jésus-Christ, elle est aussi pour l’avenir un gage de notre héritage futur, et un commencement de jouissance, tel que le comporte notre condition actuelle, et qui nous répond que le reste viendra en son temps. C’est pour cela que l’apôtre appelle encore le Saint-Esprit les arrhes de notre héritage, comme il l’en appelle ailleurs les prémices (Romains 8.23). »b.
b – Commentaire sur l’épître aux Ephésiens,
Ce développement à la fois divin et humain de la grâce sanctifiante dans l’homme n’est cependant point un fait fatal et physique ; il reste soumis aux mêmes conditions que tous les précédents, à des conditions à réaliser par le sujet. Car la grâce et la morale chrétienne ont ceci de particulier qu’elles sont à la fois très libérales dans ce qu’elles donnent et très rigoureuses dans ce qu’elles exigent. Le premier principe posé renferme virtuellement toutes ses conséquences, mais aucune de ces conséquences ne sera l’évolution d’un procès nécessaire. Le premier acte de foi nous assure déjà du triomphe final, mais à la condition que cet acte se poursuive. Les pauvres en esprit sont déjà les héritiers du Royaume de Dieu, mais ces pauvres deviendront des justes, ces justes des saints, ces saints des parfaits, sous peine de perdre le bénéfice même de leur premier état. Le croyant de la Nouvelle Alliance est dès maintenant enfant de Dieu, son héritier, cohéritier de Christ, à condition qu’il marche, qu’il persévère, qu’il progresse, comme, sous le premier Josué, la conquête de Canaan est faite, mais non pas terminée. Le chrétien est saint, et, comme Christ lui-même (Jean 17.19), il faut qu’il se sanctifie ; il est une nouvelle créature, et au début d’un long renouvellement ; il est parfait, et il doit tendre à la perfection accomplie. Deviens en fait ce que tu es en droit, telle est sa devise, à plus juste titre que celle des Stoïciens ; et la sanctification est progressive, parce que la foi l’est aussi.c
c – Nous n’approuvons pas pour cela l’expression d’Oxford, « sanctification par la foi, » qui n’est ni scripturaire, ni grammaticalement correcte. Tout au moins, c’est « sainteté par la foi » qu’il faudrait dire.
Or nous avons à exposer dans ce chapitre précisément les lois ou conditions subjectives de ce procès de la sanctification qui s’opère dans le cœur et la vie du croyant, sous l’action pédagogique de la grâce ; et, comme nous avons dit que le développement du principe nouveau déposé dans le cœur de l’homme impliquait deux éléments ou deux phases, une mort et une vie, notre sujet comportera deux paragraphes :
- Des lois de la mortification chrétienne ;
- Des lois de la glorification chrétienne.