Ces mots ont ceci de commun, qu’ils servent tous à caractériser les œuvres surnaturelles qu’a faites Jésus-Christ pendant les jours de sa chair ; ainsi σημεῖον, Jean 2.11 ; Actes 2.19 ; τέρας, Actes 2.22 ; Jean 4.48 ; δύναμις, Marc 6.2 ; Actes 2.22 ; ἔνδοξον, Luc 13.17 ; παράδοξον, Luc 5.26 ; θαυμάσιον, Matthieu 21.15 ; mais les trois premiers mots, dont on se sert infiniment plus souvent, sont employés pour désigner les mêmes œuvres surnaturelles faites par les apôtres dans la puissance de Christ (2 Corinthiens 12.12). On trouvera, en les examinant de plus près, qu’ils représentent, non pas tant différentes espèces de miracles que des miracles considérés sous des aspects divers et à différents points de vue.
Τέρας et σημεῖον vont souvent de pair dans le N. T. (Jean 4.48 ; Actes 2.22 ; 4.30 ; 2 Corinthiens 12.12) ; on les rencontre sans cesse dans les Septante (Exode 7.3, 9 ; Deutéronome 4.34 ; Néhémie 9.10 ; Daniel 6.27) ; le premier terme traduit מוֹפֵת, et le second אוֹת. Ils se présentent souvent aussi dans le grec profane, chez Josèphe (Ant. 20.8, 6) ; dans Plutarque (Sep. Sap. Con. 3) ; dans Polybe (3.112, 8) ; dans Philon (De Vit. Mos. 1.16). Les anciens aimaient à tirer une ligne de démarcation entre ces mots, mais il faut l’effacer, comme on le verra après un sérieux examen. Ammonius établit clairement cette distinction : τέρας σημεῖου διαφέρει. τὸ μὲν γὰρ τέρας παρὰ φύσιν γίνεται τὸ δὲ σημεῖον παρὰ συνήθειαν ; et encore Théophylacte (in Rom. 15.19) : διαφέρει δὲ σημεῖον καὶ τέρας τῷ τὸ μὲν σημεῖον ἐν τοῖς κατὰ φύσιν λέγεσθαι καινοπρεπῶς μέντοι γινομένοις οἷον ἐπὶ τοῦ τὸ τὴν πενθερὰν Πέτρου πυρέττουσαν εὐθέως ἰαθῆναι (Matthieu 7.15), τὸ δὲ τέρας ἐν τοῖς μὴ κατὰ φύσιν οἷον τὸ τὸν ἐκ γενετῆς τυφλὸν ἰαθῆναι (Jean 9.7) ; comparez Suicer, Thes. s. 5 σημεῖον. Mais, à la vérité, cette distinction disparaît entièrement dès qu’on l’examine — comme Fritzsche l’a surabondamment montré dans une note qui a de la valeur, à propos de Romains 15.19 — et il est difficile de comprendre qu’il y ait tant d’interprètes qui la répètent en l’acceptant. Un tremblement de terre, quelque rare qu’il soit, ne peut pas être considéré comme une chose παρὰ φύσιν, et ne peut point, par conséquent, d’après la distinction établie ci-dessus, être appelé un τέρας, et cependant Hérodote (6.98) donne ce nom au seul tremblement qui, à sa connaissance, se soit fait sentir à Délos. On ne considérera pas non plus l’action de l’aigle, qui enleva dans ses serres un serpent et le laissa tomber au milieu de l’armée de Troie, comme étant au-dessus et en dehors de la nature, et cependant Homère (Il. 12.209) appelle ce rapt Διὸς τέρας αἰγιόχοιοa. D’un autre côté, sont au-dessus et en dehors de la nature : la guérison par un seul mot d’un homme né boiteux, l’apaisement de la faim de plusieurs milliers de personnes et cela au moyen de quelques pains, la résurrection d’un homme mort depuis quatre jours ; tous faits qui, sont appelés dans l’Écriture, des σημεῖα (Actes 4.16 ; Jean 6.14 ; 11.47). Comparez Plutarque (Sept. Sap. Con. 3), qui appelle une naissance monstrueuse à la fois un τέρας et un σημεῖον.
a – Sur l’idée homérique de τέρας, voir une discussion approfondie de Nägelsbach, Homerische Theologie, p. 168, 599.
Il est donc évident qu’il faut chercher ailleurs la distinction. Origène ne la saisit pas quand il dit (in Romains 15.19) : « Signa (σημεῖα) appellantur in quibus cum sit aliquid mirabile, indicatur quoque aliquid futurum. Prodigia (τέρατα) vero in quibus tantuuamodo aliquid mirabile ostenditur. » Le même miracle est plutôt envisagé d’un côté, comme un τέρας, de l’autre comme un σημεῖον, et les mots, le plus souvent, se rapportent non à des classes différentes de miracles, mais à différentes qualités dans les mêmes miracles. Pour me servir du langage même de Lampe (Comm. in Joh., vol. 1, p. 513) : « Eadem enim miracula dici possunt signa, quatenus aliquid seu occultum seu futurum docent ; et prodigia (τέρατα), quatenus aliquid extraordinarium, quod stuporem excitat, sistunt. Hinc sequitur signorum notionem latius patere, quani prodigiorum. Omnia prodigia sunt signa, quia in illuni usum a Deo dispensata, ut arcanum indicent. Sed omnia signa non sunt prodigia, quia ad signandum res cœlestes aliquando etiam res communes adhibentur. »
Τέρας, qui n’est certainement pas dérivé de τρέω comme voulant dire ce qui effraie, mais qu’on met en général en rapport avec τηρέω, comme désignant ce que d’habitude on observe et on conserve, à cause de quelque chose d’extraordinaire dont on se souvient, τέρας, disons-nous, représente le miracle comme étant un sinistre augure, ou un prodige qui surprend, impose, excite l’étonnement. Ailleurs il signifie fréquemment des apparitions étranges dans les cieux, et peut-être plus souvent encore des naissances monstrueuses sur la terre (Hérodot., 7.57 ; Plato, Crat., 393 b). On l’emploie donc ainsi très souvent dans le sens du latin « monstrum »b. (« Nec dubiis ea signa dedit Tritonia monstris », Virgile), ou du σῆμα d’Homère (Il. 2.308 : ἔνθ᾽ ἐφάνη μέγα σῆμα, δράκων). Origène (in Joh., tom. 13, § 60 ; in Rom., Lib. 10, § 12) attire l’attention sur le fait que jamais le nom de τέρατα n’est appliqué dans le N. T. à ces œuvres qui étonnent, à moins qu’elles ne soient associées à quelque autre nom. On les appelle souvent σημεῖα, souvent δυνάμεις, souvent τέρατα καὶ σημεῖα, plus d’une fois τέρατα σημεῖα καὶ δυνάμεις, mais jamais τέρατα tout court.
b – Augustin écrit sur ce même groupe de vocables latins (De Civ. Dei, XXI, 8) : « Momtra sane dicta perhibent a monstrando, quod aliquid significando demonstrant, et ostenta ab ostendendo, et portenta a portendendo, id est, præostendendo, prodigia quod porro dicant, id est, futura prædicant ». Comp. Cicero, De Divin., I, 42.
Certes, il valait la peine de faire cette observation, car le fait sur lequel on attire notre attention caractérise, en effet, au plus haut degré les miracles de la Nouvelle Alliance à savoir que le titre par lequel, plus qu’aucun autre, les miracles sembleraient se rattacher aux prodiges et aux augures du monde païen, et posséder avec eux quelque chose en commun, ne se rencontre jamais dans le N. T. qu’avec l’appui de quelque autre mot qui suggère nécessairement des pensées plus élevées à l’endroit des miracles.
Mais les miracles sont aussi des σημεῖα. Basile le Grand (in Isaï. 7, § 198) définit bien le σημεῖον : ἔστι σημεῖον πρᾶγμα φανερόν κεκρυμμένου τινὸς καὶ ἀφανοῦς ἐν ἑαυτῷ τὴν δήλωσιν ἔχον ; et bientôt après : ἡ μέντοι Γραφὴ τὰ παράδοξα καὶ παραστατικά τινος μυστικοῦ λόγου σημεῖα καλεῖ. Parmi tous les noms que portent les miracles, c’est celui de σημεῖον qui en fait ressortir le but moral avec le plus de clarté, comme c’est celui de τέρας qui le fait le moins. Il est impliqué dans le mot de σημεῖον que l’objet principal, le but par excellence du miracle, c’est de nous conduire à quelque chose en dehors de lui et qui le dépasse. Ce mot déclare que le miracle est, pour ainsi dire, le poteau-indicateur de Dieu (διοσημεία, signe de Zéus, est un terme assez souvent employé par les auteurs grecs plus récents). Voir Ésaïe 7.11 ; 38.7. Sa valeur n’est pas tant dans sa nature que dans sa révélation par rapport à la grâce et à la puissance de celui qui le fait, ou par rapport aux relations qu’il entretient avec un monde supérieur (Marc 16.20 ; Actes 14.3 ; Hébreux 2.4 ; Exode 7.9-10 ; 1 Rois 13.3). Il est à regretter qu’on ne traduise pas toujours σημεῖον par signe et que dans l’Évangile selon Saint Jean, ou il revient très souvent, ce soit le terme plus vague de « miracle » que l’on substitue à celui de « signe », et quelquefois avec perte sérieuse, par exemple, Jean 3.2 ; 7.31 ; 10.41 ; et surtout, Jean 6.26.
Mais les miracles sont aussi des actes de « puissance » (δυνάμεις, « virtutes »), des manifestations de ce grand pouvoir de Dieu qui était inhérent au Christ, lui-même « la grande puissance de Dieu », appellation que le magicien Simon permit qu’on lui donnât d’une manière blasphématoire (Actes 8.8, 10), car cette puissance, Dieu l’a prêtée à ceux qui ont été ses témoins et ses ambassadeurs. Il est fâcheux que δυνάμεις soit traduit par miracles (Matthieu 7.22 ; 11.21 ; Luc 10.13), par dons miraculeux (Galates 3.5), par opérations de miracles (1 Corinthiens 12.10), par miracles et merveilles (Actes 2.22) ce qui est une tautologiec. En effet c’est toujours un amoindrissement de sens, puisque la vraie intention du mot est d’indiquer que des forces nouvelles et supérieures sont entrées dans notre monde et qu’elles y sont à l’œuvre. A ce sens se rattachent étroitement les μεγαλεῖα, mot qui ne se trouve que dans Luc 1.49 (« magnalia »), et qui, de même que δυνάμεις, considère les miracles comme étant des produits visibles de la grandeur, de la puissance et de la gloire de Dieu.
c – La version de Lausanne et celle d’Arnaud, traduisent δυνάμεις « par actes de puissance ». Trad.
Les miracles portent encore le nom de ἔνδοξα (Luc 13.17), en tant qu’ils manifestent la gloire de Dieu et de son Fils (Jean 2.11 ; 11.40 ; Luc 5.25-26 ; Actes 1.13,16). Ce sont encore des παράδοξα, des « choses étranges » (Luc 5.26), des « choses nouvelles » (Nombres 16.30), en dehors et au-dessus de toute prévision humaine. Le mot, quoiqu’il ne se rencontre qu’une fois dans le N. T., se retrouve souvent dans le grec de l’Église. — Ce sont, enfin, des θαυμάσια, en tant que les miracles produisent de l’étonnement (Matthieu 21.15 ; 8.27 ; 9.8, 33 ; 15.31) ; jamais le N. T. ne leur accorde le nom de θαύματα, quoique souvent ils le reçoivent dans les écrits des Pères.