L’étymologie de ces deux mots laisserait entendre une similarité de sens sans doute plus grande que celle que l’usage leur attribue. Ils se trouvent néanmoins ensemble chez Plutarque (De Rect. Rat. Aud. 6) ; le jouisseur de lui-même, et l’amoureux de lui-même se situent sur un niveau moral suffisamment commun, pour qu’on puisse essayer de ne pas vouloir les confondre.
Αὐθάδης (αὐτοάδης αὑτῷ ἁδῶν come le signale Aristote Ethic. M. 1.29), se trouve deux fois dans le N.T. (Tite 1.7 ; 2 Pierre 2.10), et trois fois dans l’A.T. (Genèse 49.3.7 ; Proverbes 21.24) ; αὐθάδεια est absent du N.T. et apparaît une fois dans l’Ancien (Ésaïe 24.8);
Étymologique donc αὐθάδης ne se distingue guère de αὐτάρεσκος, c-à-d celui qui se fait plaisir, qui se complaît tellement en lui-même que rien d’autre ne l’intéresse : « qui nisi quod ipse facit nihil rectum putat » (Terence, Adelph. 4.2.18). Il a une idée tellement haute de sa vision des choses qu’il ne changera pas d’avis ; l’obstination sous-entendue dans le mot αὐθάδεια apparaît dans le Prometheus Vinctus d’Eschyle, 1073 ; Cicéron le traduit par pervicacia. Nous trouvons αὐθάδης associé à ἰδιογνώμων (Hippocrates, p. 295, 12.29) ; à ἄγριος (Euripide, Med 102) ; à πικρός (Ib. 223) ; à ἀμαθής (Platon) ; à χαλεπός (Leg. 950 b) ; à ἀμείλικτος (Philo. Leg. ad Cai. 38) ; à σκληρός (Polybius, 4.21 ; Plutar. Symp 7.2.1) ; à ἑπαχθής et αὐθέκαστος (Præ. Ger. Reip. 31) ; à θράσυς (Plutar. Marius, 408 ; Proverbes 21.24) ; à ἀκόλαστος (De Gen. Soc. 9) ; à ἰταμός (De Laud. Scip. 16) ; à φιλόνεικος (Quom. ab. Adul. 32) ; à σκυθρωπός (Isocrates, voir Rost et Palm) ; à ἀλαζών (Proverbes 21.24) ; à προπετής (Clément de Rome 1 Ep § 1) ; à τολμητής (2 Pierre 2.10) ; αὐθάδεια se trouve avec θράσος et τόλμα (Clément de Rome 1 Ep § 31). Les grammairiens grecs donnent aussi comme équivalents ὑπερήφανος, θυμώδης ὑπερόπτης. Eudemus l’identifie à δύσκολος et le décrit comme régulant ses rapports avec les autres (μηδὲν πρὸς ἕτερον ζῶν Ethic. Eudem. 7.4 ; cf. Ethic. Nic. 4.6.9). Il est le præfractus, pertinax, morosus des latins, ou pour se rapprocher de son étymologie, le mot allemand eigeinsinnig, ainsi que Luther traduit αὐθάδης. Il s’oppose à εὐπροσήγορος l’homme gentil et affable. Théophraste dans sa galerie de portraits des caractères déficients, dépeint le αὐθάδης (§ 3) comme grossier de langage, rustre de manières, caricature superficielle et déplacée qui provient de la définition fautive qu’il donne de αὐθάδεια, à savoir ἀπήνεια ὁμιλίας ἐν λόγοις.
Αὐθάδεια, tendance qui ne cherche à plaire à personne, est pourtant placée par Aristote (Rhet. 2.19) au dessus de l’ἀρέσκεια, la propension contraire de vouloir plaire à tout le monde, fût-ce au sacrifice de la dignité et de la vérité. Dans son système il place σεμνότης au juste milieu entre ces deux extrêmes. On peut toujours apprendre des discours fleuris produits par ceux qui cherchent à embellir le laid ; ainsi les amoureux de l’αὐθάδης l’appellent σεμνός et μεγαλοπρεπής (Aristote, Rhet. 9.3) ; tandis qu’un discours franc (παῤῥησία) peut être accusé d’αὐθάδεια par ceux qu’il heurte.
Bengel remarque avec pertinence qu’il y a des hommes simul et molles et duri, à la fois mous et durs, complaisants envers eux-mêmes, sévères envers les autres, deux formes de faux amour de soi. Si αὐθάδης s’applique au premier volet de ce péché, φίλαυτος concerne le second. Lorsque Paul emploie le mot φίλαυτοι (2 Timothée 3.2), c’est en sorte par abus de langage, car celui qui aime dans lui-même ce qu’il devrait haïr, ce qui peut le conduire à la maladie et à la mort, ne s’aime pas vraiment.
L’homme φίλαυτος est précisément notre égoïste, le selfish anglais, et φιλαυτία l’égoïsme, l’attitude qui consiste à s’épargner et à accaparer ce qui nous rend l’existence facile et douce, plus que le désir d’user de rigueur envers les autres. Aussi φίλαυτος s’allie avec φιλόψυχος, épithète suggérant la possibilité de sauver sa propre vie, éventuellement au prix des pires bassesses. Un puritain comparait l’égoïste à un hérisson, image qui peut peut-être nous aider à marquer la différence entre αὐθάδης et φίλαυτος : lorsqu’il se roule en boule pour ne présenter à l’extérieur que ses piques aigues, le hérisson figure l’αὐθάδεια de certains hommes, qui ne se plaisent que lorsqu’ils déplaisent à autrui. Chez d’autres le péché dominant consiste à rechercher constamment leurs propres avantages. Quel soit le côté proéminent de l’égoïste, il méritera toujours une des deux épithètes φιλαυτία ou αὐθάδης.