Nous avons parlé du Gnostique véritable, comme en courant ; passons maintenant à l’examen des matières qui viennent à la suite, et reprenons la discussion sur la foi. D’après la distinction de quelques-uns, la foi nous révélerait le Fils ; la connaissance, le Saint-Esprit. Ils n’ont pas pris garde que s’il faut croire véritablement au Fils, à sa qualité de fils, à son avènement, à son incarnation, à la raison de son incarnation et à ses souffrances, il n’est pas moins nécessaire de connaître quel est le fils de Dieu. Dès lors, pas de connaissance indépendamment de la foi, pas de foi indépendamment de la connaissance. Mais le Père ne va pas non plus sans le Fils ; la paternité renferme l’idée du Fils. Or, le Fils est le seul maître qui puisse nous révéler le Père. Pour croire au Fils, il faut connaître le Père, auquel appartient le Fils ; et pour connaître d’avance le Père, il faut croire au Fils, parce que c’est le Fils de Dieu qui nous donne la connaissance de Dieu. En effet, c’est le Père qui, par l’intermédiaire du Fils, nous conduit de la foi à la connaissance. La connaissance du Père et du Fils, qui est conforme à la règle delà gnose, règle véritable de toute connaissance, est l’intelligence et la compréhension de la vérité par la vérité. Le Chrétien conséquemment croit là où le plus grand nombre ignore et ne croit pas ; il est éclairé par la connaissance là où les autres ne croient pas et ne connaissent pas. Gnostique véritable, ce n’est pas seulement par la parole, mais par la contemplation qu’il manifeste ses œuvres.
« Bienheureux celui qui parle à des oreilles qui l’entendent ! »
Or, la foi est l’oreille de l’âme, et c’est à elle que le Seigneur fait allusion dans les mots suivants :
« Que celui qui a des oreilles pour entendre, »
entende, afin qu’ayant eu foi, il comprenne ce que dit le Seigneur, selon le sens que le Seigneur y attache.
Au reste, Homère, le plus ancien des poètes, semble donner aussi au mot entendre l’acception de comprendre, employant ainsi l’espèce au lieu du genre.
« Lorsqu’ils entendaient fort bien, dit-il. »
En résumé, la foi du maître et celle du disciple tendent à la même fin par leur harmonieux accord. J’en appelle à ce témoignage véridique de l’apôtre :
« Je désire vous voir, afin de vous faire part de quelque grâce spirituelle pour vous affermir, c’est-à-dire afin qu’étant parmi vous, nous recevions une mutuelle consolation par la foi qui nous est commune. »
L’apôtre ajoute plus bas :
« C’est dans l’Évangile que nous est révélée la justice de Dieu, suivant le degré de notre foi. »
Paul paraît donc proclamer une double foi, ou plutôt une foi unique, mais susceptible de s’accroître et de se perfectionner. La foi ordinaire est le fondement de la foi plus consommée. À ceux qui soupiraient après la guérison, le Seigneur disait :
« Votre foi vous a sauvés, »
parce qu’ils arrivaient auprès de lui, conduits par la foi. L’autre foi, plus avancée en science, qui a pour base la foi ordinaire, se complète dans le cœur du fidèle, par celle qui vient de la doctrine et de l’accomplissement des préceptes. Telle était la foi des apôtres, foi
« capable de transporter les montagnes et de changer les arbres de place, »
selon le langage de l’Évangile. Aussi, dès qu’ils comprennent la grandeur de son pouvoir, ils supplient le Seigneur d’accroître en eux cette foi, qui, pareille au grain de sénevé, jette de profondes et salutaires racines dans l’âme et y prend un si vaste développement que la connaissance des plus sublimes mystères vient se reposer sous son ombrage. Affirmer que l’on peut connaître Dieu par l’excellence de sa propre nature, comme l’imagine Basilide, en décorant du nom de foi et de royauté céleste sa merveilleuse intelligence, et en élevant la créature, Jugée digne de la vie, sinon jusqu’à la puissance de Dieu, au moins jusqu’à son essence, c’est nous vanter Je ne sais quelle nature, quelle substance, quelle beauté suréminente de la créature ; ce n’est pas dire avec nous que la foi est l’assentiment raisonnable d’une âme dans l’exercice de sa liberté. Si je suis sauvé par le droit de ma nature, ainsi que le veut Valentin ; si je suis déjà investi de la foi et assuré de l’élection par le privilège de ma naissance, ainsi que le veut Basilide, à quoi bon dès lors les préceptes du nouveau et de l’ancien Testament ? La nature dégradée ne pouvait-elle pas même, un jour, avec le progrès du temps, se relever et refleurir, sans l’avènement de Jésus-Christ ? Les sectaires diront-ils que l’avènement de notre Seigneur était nécessaire ? Que devient, après cet aveu, le privilège de leur naissance, puisqu’il est vrai que l’élection s’acquiert par la doctrine, par la purification, par les bonnes œuvres, au lieu d’être une prérogative de la nature? Répondez ! Abraham, dont la foi docile crut à la voix qui lui promettait sous le chêne de Mambré
« de lui donner à lui et à sa postérité la terre »
où il reposait, Abraham était-il alors élu, ou ne l’était-il pas ? S’il ne l’était pas, d’où vient qu’il crut aussitôt, comme par suite d’une inspiration naturelle ? s’il était élu, votre système est ruiné dans sa base, puisque la preuve nous est acquise qu’il y a eu élection et salut avant l’avènement de Notre Seigneur.
« Car l’obéissance du patriarche lui fut imputée à justice. »
Ici j’entends un disciple de Marcion me crier que, même avant l’avènement du Seigneur, le Créateur sauvait quiconque avait foi en lui, et que les élus étaient sauvés par l’efficacité de la grâce qu’il leur conférait ! — Étrange manière vraiment de préconiser la puissance du Dieu bon ! Quoi ! il ne met la main au salut des hommes que longtemps après ce Démiurge dont les sectaires eux-mêmes sont réduits à louer les bienfaits ; et disciple, ou même vil plagiaire de son prédécesseur, il a besoin qu’on lui fasse la leçon sur ce point ! Mais j’accepte l’explication ; je veux, avec les hérétiques, que ce soit le Dieu bon qui confère le salut. Ce ne sont pas alors ses propres élus qu’il sauve ; ce n’est pas avec la volonté du Créateur qu’il les sauve. La violence et la ruse, voilà donc ses armes. Je le demande, à quel titre sera-t-il le Dieu bon, quand il se montre rusé ou violent et qu’il vient le dernier ? Si la demeure du Tout-puissant est différente et bien éloignée de celle du Dieu bon, avouez-le ! la volonté de celui qui confère le salut, et qui en a donné le premier exemple, se rapproche beaucoup de celle du Dieu bon.
Il suit de ce qui précède que les incrédules et les hérétiques sont des insensés.
« Leurs sentiers se courbent devant eux, dit le prophète, et ils ignorent la paix.
Évitez les questions vaines et inutiles, nous recommande le divin Paul ; car elles engendrent les contestations. »
Eschyle nous crie :
« Ne vous consumez pas inutilement dans de stériles labeurs. »
Les investigations qui s’accordent avec la foi et qui élèvent sur le fondement de la foi la magnifique et lumineuse connaissance de la vérité, sont les meilleures, nous le savons. Nous savons encore que les choses évidentes par elles-mêmes ne sont pas l’objet de l’enquête et de l’examen ; on ne demande point, par exemple, s’il fait jour, quand il fait jour. On n’applique pas davantage la méditation aux choses incertaines, qui ne peuvent jamais être éclaircies ; par exemple, les étoiles sont elles en nombre pair ou impair ? Il en est de même des objets dont la discussion admet le pour ou le contre. Telles sont les questions où chaque adversaire peut, à son gré, soutenir la négative où l’affirmative, par exemple : Le fœtus renfermé dans la matrice est-il un être animé ou inanimé ? Reste une quatrième catégorie où cesse toute question, c’est quand l’un des deux adversaires produit un argument irrésistible et sans réponse. Ainsi, dès que toute raison de douter est détruite, la foi s’élève triomphante sur les ruines du doute. Eh bien ! nous produisons à tous un argument décisif, péremptoire, la parole de Dieu qui s’est expliqué lui-même dans les Écritures sur tous les points qui sont l’objet de mes investigations, quel est l’homme assez impie, assez étranger à Dieu, pour ne pas ajouter foi à la parole d’un Dieu, et lui demander des preuves comme on en demande aux hommes ? D’ailleurs, des différentes questions, les unes manquent de sens, comme celles-ci : Le feu est-il chaud ? La neige est-elle blanche ? D’autres, suivant la remarque d’Aristote, méritent le blâme et la réprimande ; celles-ci, par exemple : Faut-il honorer ses parents ? D’autres encourent le châtiment ; celles-ci, par exemple : Où sont les preuves qui démontrent l’existence d’une Providence ? En face d’une Providence dont on ne peut douter, penser que les prophéties et la sublime économie de l’Incarnation ne sont pas l’œuvre d’une Providence, c’est une impiété. Peut-être même faut-il s’abstenir de démontrer ces hautes vérités, puisque la divine providence s’atteste elle-même dans toutes ses œuvres qui brillent à la fois par la sagesse et par la beauté, et qui sont créées ou manifestées chacune à leur tour. Celui qui nous dispense l’être et la vie, nous a départi également la raison, afin que nous conformions notre conduite aux règles de la raison et du bien. Car le verbe du Créateur de toutes choses n’est pas seulement sa parole produite au dehors ; il est la sagesse et la bonté de Dieu, manifestées dans toutes ses œuvres : puissance infinie, et vraiment divine, intelligible à tons, même à ceux qui la méconnaissent ; volonté qui embrasse tout dans sa toute-puissance !
Mais, comme les uns sont incrédules, les autres amis des disputes, tous n’atteignent pas à la perfection du bien. Il nous est impossible d’y arriver sans dessein fortement arrêté d’avance ; d’ailleurs, tout ne dépend pas de notre volonté, tel que l’avenir, par exemple,
« car c’est la foi qui sauve, »
jamais néanmoins sans le concours des bonnes œuvres. Naturellement destinés au bien, nous devons faire effort pour l’acquérir. Cette recherche demande aussi un esprit sain et droit, qui ne se laisse retarder dans ses poursuites par aucun regret. C’est là surtout que nous avons besoin de la grâce divine, d’une doctrine pleine de sagesse, de dispositions chastes et vertueuses ; là enfin, qu’il faut demander au Père de nous attirer à lui. Enchaînés à ce corps de terre, c’est par les organes du corps que nous saisissons les objets sensibles, tandis que les choses perceptibles à l’intelligence, nous ne les saisissons que par le raisonnement. Espérer que l’on comprendra tout à la manière de ce qui est palpable, c’est s’égarer loin de la vérité. Voilà pourquoi l’apôtre parle de la connaissance de Dieu dans un sens tout spirituel :
« Nous ne voyons Dieu maintenant, dit-il, que comme dans un miroir, mais un jour nous le verrons face à face. »
En effet, le spectacle de la vérité n’a été donné qu’à peu de mortels. C’est ce qui fait dire à Platon, dans l’Épinomide :
« Je n’oserais pas affirmer qu’il soit possible à tous les hommes d’arriver à la félicité et à la béatitude, elles ne sont le partage que d’un petit nombre. Telle sera ma croyance, tant que je serai ici bas ; mais j’ai le bon espoir qu’après ma mort je serai mis en possession de toutes choses. »
Ces paroles de Moïse n’expriment-elles pas la même pensée ?
« Nul ne verra ma face sans mourir. »
Il est clair, en effet, que nul, pendant le cours de cette vie mortelle, ne peut connaître Dieu complètement. Mais
« ceux qui ont le cœur pur verront Dieu, »
lorsqu’ils seront parvenus à la perfection suprême. Comme notre âme était trop faible pour comprendre ce qu’il lui fallait comprendre, et qu’elle avait besoin d’un divin instituteur, le Seigneur fut envoyé du haut des cieux à l’humanité, pour lui enseigner le bien, pour la mettre en possession du bien, mystérieux et auguste initiateur dans les grands secrets de la Providence.
« Que sont devenus les docteurs de la loi, dit l’apôtre ? Que sont devenus les esprits curieux des sciences de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? »
Et ailleurs :
« Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants, »
c’est-à-dire, de ceux qui se croient sages, et qui se passionnent pour les disputes. Quelle profondeur dans les recommandations de Jérémie ! Voici ce que dit le Seigneur :
« Allez sur les chemins et interrogez les anciens sentiers pour connaître la bonne voie et marchez-y, et vous trouverez de quoi purifier vos âmes. »
Interrogez, dit-il, ceux qui savent, prêtez l’oreille à leurs paroles, mais avec une docilité ennemie de toute controverse et de toute contestation. Une fois que nous aurons appris quelle est la voie de la vérité, marchons en avant, sans jamais regarder en arrière, jusqu’à ce qu’enfin nous soyons parvenus au terme désiré de nos efforts. Ce fut donc avec raison que Numa, roi des Romains, et sectateur des dogmes de Pythagore, consacra le premier un temple en l’honneur de la Foi et de la Paix.
« Abraham croit à la parole de Dieu ; la foi d’Abraham lui est imputée à justice. »
Le juste des anciens temps s’adonnait d’abord à la contemplation des phénomènes qui se passent dans l’air, et suivait avec un œil curieux et philosophique, le mouvement des astres qui roulent dans les cieux. Voilà pourquoi on l’appelait Abram, qui signifie père sublime. Un jour qu’il levait les yeux au ciel, soit qu’il eût aperçu en esprit le Fils, comme le veulent quelques-uns, soit que ce fût un ange revêtu de gloire, soit que dans ses sublimes investigations il eût reconnu un Dieu, mille fois plus admirable que toute la création et que l’harmonie de ses œuvres, il accrut son nom de l’alpha, symbole de la connaissance d’un seul et unique Dieu, et au lieu d’Abram, il s’appela Abraham. Tout à l’heure, c’était un philosophe qui sondait les secrets de la nature ; maintenant, c’est un sage et un ami de Dieu. En effet, Abraham signifie père élu, père de la parole retentissante, parce que la parole articulée par la voix a du retentissement. Le père de la parole, c’est l’esprit, et l’esprit de l’homme vertueux est un esprit élu.
Je ne saurais donner trop d’éloges au poète d’Agrigente, qui célèbre ainsi la foi dans les vers suivants :
« Mes bien-aimés, je sais que la vérité réside au fond de mes discours ; mais l’acquiescement à la vérité est chose ardue et laborieuse ; les élans de la foi ne pénètrent que difficilement dans le cœur de l’homme. »
Voilà pourquoi l’apôtre aussi nous ordonne
« de ne pas établir notre foi sur la sagesse des hommes »
qui se vantent de posséder les secrets de la persuasion,
« mais sur la puissance de Dieu, »
seule capable de conduire au salut par la foi pure et simple, sans le secours d’aucune démonstration.
« Qui possédera mieux la science de sauver, dit Héraclite d’Ephèse, que celui dont la vertu a été le plus éprouvée ? Ajoutons que la justice viendra saisir un jour les architectes et les témoins du mensonge ; »
car ce philosophe connaissait, pour l’avoir apprise de la philosophie barbare, cette purification par le feu destinée à ceux qui ont mal vécu, et nommée plus tard conflagration par les disciples du Portique. C’est d’après le même philosophe que les Stoïciens enseignent que ceux qui ont eu telle et telle qualité reviendront à la vie, fortifiant par cette déclaration le dogme de la résurrection. Platon dit que la terre est purifiée à certaines époques par l’eau et par le feu ; voici ses paroles :
« De tous les fléaux qui ont déjà moissonné la multitude des générations sur la surface de l’univers, l’eau et le feu sont ceux qui en emporteront davantage, quoique de moindre durée que les mille autres calamités de la terre. »
Il ajoute un peu après :
« La vérité est qu’après un long intervalle de temps et quand s’est accomplie la révolution des astres qui roulent autour de la terre et du ciel, une vaste conflagration porte la ruine sur une partie du globe. »
Puis il parle du déluge :
« Lorsque les dieux, afin de purifier la terre par l’eau, l’ensevelissent sous quelque cataclysme, les hommes qui habitent les montagnes échappent à la mort ; ce sont les pâtres et les bouviers ; mais les habitants de vos cités sont entraînés à la mer par les fleuves. »
Nous avons prouvé, dans notre premier livre des Stromates, que les philosophes de la Grèce méritaient le titre de plagiaires, pour avoir dérobé à Moïse et aux prophètes leurs principaux dogmes, et cela sans reconnaître la source de l’emprunt. Nous ajouterons que, parmi les anges auxquels était tombée en partage la demeure du ciel, les uns s’étant abaissés à de honteuses voluptés, révélèrent aux femmes, dont la beauté les avait séduits, les mystères divins, et tout ce qui était venu à leur connaissance, taudis que les autres anges gardèrent le secret de ces mystères, ou plutôt les tinrent en réserve jusqu’à l’arrivée du Seigneur. De là vinrent le dogme de la Providence, et la révélation des choses de Dieu. De plus, la pensée des prophètes avait déjà été livrée aux Grecs par la voie de la traduction. Quand leurs philosophes en abordèrent la partie dogmatique, ils touchèrent par fois le but, parce qu’ils avaient saisi le sens véritable ; mais ailleurs ils s’égarèrent, faute de pouvoir percer le voile allégorique de la prophétie. Notre intention est de faire quelque remarque à ce sujet, aussitôt que nous aurons poursuivi l’examen des questions plus urgentes.
Nous le disions, la foi ne doit point marcher isolée et oisive, mais conduite par l’esprit d’investigation. Loin de nous la pensée d’exclure toute recherche :
« Cherchez, dit le Seigneur, et vous trouverez. »
Selon Sophocle,
« la vérité que l’on cherche activement, on peut la découvrir ; elle échappe, si on ne la poursuit qu’avec mollesse. »
Même pensée dans Ménandre le Comique :
« Tous les sages sont d’avis que ce que l’on cherche réclame du soin et de l’attention. »
Mais il faut appliquer à la recherche la faculté clairvoyante de l’âme, écarter tous les obstacles qui pourraient gêner la découverte, et repousser loin de soi les querelles, l’envie et la dispute, un des plus redoutables fléaux de l’humanité. Timon de Phliase a écrit ces paroles pleines de sens et de raison :
« Alors accourt la dispute aux paroles vides et sonores ; point de monstre plus cruel. C’est la compagne et la digne sœur de la querelle homicide. Elle s’attaque à tout, et se glisse partout ; puis, affermissant dans le mal l’esprit de l’homme, elle le précipite dans les folles espérances. »
Le poète ajoute un peu plus bas :
« Qui donc alluma leur fureur ? qui leur mit en main les armes de la cruelle dispute ? La multitude, rivale de la nymphe Echo. Irritée contre le Silence et la Réserve, elle répandit un jour une épidémie de paroles au milieu des hommes, et beaucoup en moururent. »
Le poète désigne ici le pseudomène, le dilemme, le dialélèthe, le crocodile, le sorite, l’argument voilé, l’amphilogie, le sophisme.
Chercher à approfondir la nature de Dieu, avec le désir de se rapprocher de lui, et non dans un vain amour de dispute, est donc un exercice salutaire, car il est écrit dans David :
« Les pauvres mangeront et seront rassasiés. Vous qui cherchez le Seigneur, vous célébrerez ses louanges ; et votre cœur vivra éternellement. »
Qu’est-ce à dire ? Ceux qui cherchent avec la manière véritable de chercher, les louanges du Seigneur sur les lèvres, seront rassasiés du don de la connaissance qui vient de Dieu, et leur âme vivra. Le saint roi appelle ici allégoriquement du nom de cœur l’âme, principe de notre vie, et leur âme vivra, dit-il, par ce qu’on arrive par le Fils à la connaissance du Père. Faudra-t-il toutefois prêter une oreille confiante à tous ceux qui parlent ou qui écrivent sans la moindre retenue ? Gardons-nous en bien. Les coupes que des mains nombreuses prennent par les oreilles, c’est-à-dire par les anses, usées par le frottement, perdent bientôt leurs oreilles, et finissent par se briser elles-mêmes en tombant à terre. Il en va de même de ceux qui prostituent les chastes oreilles de la foi aux mille frivolités du monde; ils deviennent à la fin sourds à la voix de la vérité, et tombent à terre, impuissants désormais pour le bien. La recommandation emblématique que nous adressons aux enfants,
« Baisez vos amis et vos proches en leur touchant l’oreille, »
est donc pleine de sagesse, puisqu’elle les avertit symboliquement que c’est par l’ouïe que s’engendre dans l’âme le sentiment de la charité
« Dieu est amour ; »
il se donne à connaître à tous ceux qui l’aiment, comme aussi, « Dieu est fidèle, » il se communique aux fidèles par la voie du précepte. Il faut que nous nous confondions en lui par les liens de l’amour divin, afin de contempler la sainteté infinie à l’aide de la sainteté qui lui ressemble, ouvrant une oreille docile et sincère à la parole de la vérité, purs et simples comme les enfants qui nous obéissent. Tel était le sens mystérieux de cette inscription, quelle que soit la main qui la grava jadis à l’entrée du temple d’Epidaure.
« Il faut être pur pour entrer dans l’enceinte sacrée du temple. La pureté consiste à n’avoir que de saintes pensées. »
« Si vous ne devenez, dit le Seigneur, comme ces petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. »
En effet, le temple de Dieu repose ici-bas sur trois fondements, la Foi, l’Espérance, la Charité.