Vous refusez de croire au bien, par des motifs de sagesse, et à la connaissance en tant que voie de salut, dites-vous ? — Eh bien ! adoptons un moment vos dogmes, d’abord parce que tout émane de Dieu, mais surtout parce que vos traditions les plus belles et les plus élevées sont un emprunt que vous nous avez fait, et parlons à vos oreilles le langage qu’elles sont capables d’entendre. Le vulgaire, en général, adopte pour mesure de la sagesse ou de la justice, non pas la vérité elle-même, mais ce qui le flatte ; et rien de plus agréable pour lui que les choses qui lui ressemblent. Tout ce qui est sourd et aveugle, et conséquemment tout ce qui n’a ni l’intelligence, ni le regard ferme et pénétrant de l’âme contemplative, qualité que le Seigneur seul peut donner, n’étant pas encore pur, ni digne de la chaste vérité, mais au contraire demeurant étranger aux lois de l’ordre, de l’harmonie, et toujours plongé dans la matière, doit se tenir hors du chœur divin, comme on écarte un profane de l’entrée des mystères, comme on éloigne des chœurs un homme qui ne sait ni la danse ni la musique. « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. » Voilà pourquoi les Égyptiens par leur adyte, les Hébreux par le voile de leur temple figurèrent sous forme de symbole, cette parole sacrée et vraiment divine, cette parole qui nous est si nécessaire, et qui repose dans le sanctuaire de la vérité. Pénétrer dans l’adyte, et soulever le voile mystérieux, n’était permis qu’à ceux qui étaient consacrés, c’est-à.dire voués à Dieu, et qui avaient circoncis leur cœur pour en retrancher les désirs mauvais et n’y laisser de place qu’à l’amour de Dieu. Platon aussi regarde comme un crime « que ce qui est impur touche à ce qui est pur. » Voilà pourquoi les prophéties et les oracles enveloppent leurs réponses de mystérieuses obscurités ; voilà pourquoi on n’admet point le premier venu à la célébration des mystères : l’initiation demande des purifications et des enseignements préparatoires.
« La muse n’était pas alors avide de gain, ni descendue au rang de mercenaire. Les doux chants de Terpsichore, avec leur voix de miel, et leur front d’argent, n’avaient pas encore appris à se vendre. »
Dans l’éducation égyptienne, le disciple commence par apprendre le système des lettres égyptiennes, que l’on nomme Epistolographiques ; vient ensuite le système des lettres hiératiques, à l’usage des prêtres qui écrivent sur les choses sacrées ; on achève par le système des Hiéroglyphiques. Ces dernières se divisent en deux classes ; les unes sont élémentaires et destinées à exprimer par les lettres de l’alphabet le sens propre des mots ; on les nomme Kyriologiques ; les autres sont appelées Symboliques. La méthode Symbolique se subdivise en trois espèces : l’une représente les objets au propre par imitation ; l’autre les exprime d’une manière figurée ; la troisième se sert entièrement d’allégories exprimées par certaines énigmes. Ainsi, dans l’espèce kyriologique les Égyptiens veulent-ils écrire le soleil, ils font un cercle; la lune, ils tracent la figure d’un croissant ? Dans la méthode figurée, changeant et détournant les objets par voie d’analogie, ils les représentent soit en modifiant leur image, soit en lui faisant subir divers genres de transformation. C’est ainsi qu’ils emploient les anaglyphes, ou bas-reliefs, quand ils veulent transmettre les louanges de leurs rois sous forme de mythes religieux.
Voici un exemple de la troisième espèce qui met en usage les allusions énigmatiques. Les Égyptiens figurent les autres astres par le corps d’un serpent à cause de l’obliquité de leur marche ; mais ils représentent le soleil sous la forme d’un scarabée, parce que cet insecte, après avoir pétri en masse circulaire la fiente du bœuf, la roule sur lui-même par un mouvement rétrograde. Ils croient qu’il passe six mois sous la terre et qu’il vit sur la surface du sol le reste de l’année. Ils ajoutent qu’il injecte dans le sphéroïde formé par lui un germe spermatique, qu’il se reproduit par cette voie, et qu’il ne naît aucun scarabée femelle.
Pour le dire en un mot, tous ceux qui ont traité des mystères divins, qu’ils soient Grecs, ou qu’ils soient Barbares, ont pris soin de dérober aux yeux du vulgaire les vrais principes des choses. Il n’ont transmis la vérité à la multitude qu’enveloppée d’énigmes, de symboles, d’allégories, de métaphores et de mille autres figures analogues. Tels furent les oracles chez les Grecs. De là vient qu’Apollon Pythien est surnommé Loxias, c’est-à-dire l’oblique.
Il en est de même de ces apophtegmes prononcés par les sages de la Grèce, et qui renferment en quelques mois une haute signification. Je prends pour exemple cet adage : « ÉPARGNE LE TEMPS : » soit que notre vie étant courte, il ne faille pas la consumer en extravagances ; soit que d’autre part il y ait là un avertissement de modérer nos dépenses privées, afin que le nécessaire ne nous manque jamais, dussions-nous vivre des centaines d’années. Que de choses encore sons cet autre apophtegme : CONNAIS-TOI TOI-MÊME ! Sache que tu es mortel, nous dit-il ; que tu es homme, et qu’en face des biens du premier ordre que l’on peut acquérir ici-bas, tu te glorifies du néant en vantant ta gloire et tes richesses ; ou bien encore : sache que, nageant dans l’opulence on élevé en honneur, tu ne dois pas te prévaloir des seuls avantages par lesquels tu surpasses les mitres. Loin de la ! rappelle-toi pour quelle fin tu es né, de qui tu portes l’image, quelle est ta nature, quel est ton Créateur, quels sont tes rapports avec Dieu, et autres choses semblables. L’Esprit saint nous dit aussi par la bouche du prophète Isaïe :
« Je te donnerai des trésors secrets et cachés. »
Or, les trésors de Dieu, les richesses intarissables, ne sont rien moins que la sagesse, dont l’acquisition demande tant de labeurs.
Il y a mieux, les poètes qui ont appris dans les prophètes hébreux ce qu’ils savent des mystères divins, cachent leur pensée sous des formes allégoriques. Cette observation s’applique à Orphée, à Linus. à Musée, à Homère, à Hésiode, et généralement à tous ceux qui ont montré quelque sagesse dans ces matières. L’enthousiasme poétique jette le symbole comme un voile entre soi et la multitude. Sous les songes, sous les allégories, se remue quelque chose de caché, non que Dieu nous dérobe la science ; qui pourrait sans crime le supposer accessible aux passions humaines ? Il veut seulement que notre intelligence, obligée de pénétrer l’enveloppe mystérieuse, se replie sur elle-même pour découvrir la vérité. Voilà pourquoi nous lisons dans Sophocle :
« Jamais cette conviction ne m’abandonnera. Dieu révèle aux sages le sens caché des oracles ; aux âmes communes, il ne révèle que le mal. Il enseigne beaucoup de choses en peu de mots. »
Le poète a dit le mal, pour désigner toute chose vulgaire et sans portée. C’est ce qui a inspiré au prophète roi, dans les Psaumes, la déclaration formelle que l’Écriture tout entière est une parabole.
« Écoute ma loi, ô mon peuple ! s’écrie-t-il ; incline l’oreille aux paroles de ma bouche : je te parlerai en paraboles, je te montrerai en figures les choses cachées depuis le commencement. »
L’illustre apôtre tient à peu près le même langage :
« Nous prêchons néanmoins la sagesse aux parfaits, non pas la sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde qui passent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère, qui était demeurée cachée, que Dieu avant tous les siècles avait prédestinée et préparée pour notre gloire, qu’aucun des princes de ce monde n’a connue, puisque, s’ils l’eussent connue, il n’eussent jamais crucifié le maître de la gloire. »
Les philosophes de la Grèce ne furent pas complices des outrages qui accueillirent l’avènement de notre Seigneur. L’apôtre ne peut donc s’élever ici que contre la vaine science de ceux d’entre les Juifs qui se croyaient sages. Aussi ajoute-t-il :
« Nous prêchons la sagesse de laquelle il est écrit, l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Mais pour nous, Dieu nous l’a révélé par son Esprit ; car cet esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu. »
Il savait bien, l’apôtre destinations, que le disciple de l’Esprit, envoyé par Dieu, et qui est l’intelligence elle-même du Christ, est spirituel et gnostique, tandis que
« l’homme animal ne peut comprendre les choses qui sont de l’esprit de Dieu ; elles lui paraissent une folie. »
Paul, pour distinguer la perfection gnostique de la foi commune, appelle cette dernière tantôt le lait des faibles, tantôt le fondement de l’édifice. C’est ainsi qu’il écrit :
« Et moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ; et comme à des enfants en Jésus-Christ. Je ne vous ai nourris que de lait, et non pas de viandes solides, parce que vous n’en étiez pas alors capables ; et à présent même, vous ne l’êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels. En effet, puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n’est-il pas visible que vous êtes charnels et que vous vous conduisez selon l’homme. »
Telle est, en effet, la route dans laquelle s’engagent volontairement les pécheurs. Ceux, au contraire, qui tiennent leurs pas éloignés de cette route, comprennent les choses divines et participent à la nourriture de la connaissance.
« Selon la grâce que Dieu m’a départie, poursuit l’apôtre, j’ai posé le fondement comme un sage architecte. D’autres bâtissent là dessus un édifice d’or, d’argent et de pierres précieuses. »
Voilà les édifices que la connaissance élève sur la foi qui est en Jésus-Christ. Le chaume, le bois et le foin sont les masures ruineuses que dresse l’hérésie ;
« mais le feu mettra l’ouvrage de chacun à l’épreuve. »
Dans l’épître aux Romains, l’apôtre désigne encore indirectement l’édifice de la connaissance :
« Je désire vous voir, afin de vous faire participer à quelque grâce spirituelle destinée à vous affermir. »
De pareils dons ne pouvaient se communiquer ouvertement par des lettres.