1. Titus, entrant dans la ville, en admira surtout les fortifications et les tours que les tyrans, dans leur folie, avaient abandonnées. Il contempla l'altitude où s'élevait leur masse compacte, la grandeur de chaque bloc, la régularité de l'appareillage, leur largeur et leur hauteur. « C'est bien avec Dieu, dit-il, que nous avons combattu ; c'est Dieu qui chassa les Juifs de ces forteresses, car que peuvent contre ces tours les mains des hommes ou les machines ? » C'est dans cet esprit qu'il s'entretint longtemps avec ses amis ; il rendit à la liberté les prisonniers des tyrans, qui furent trouvés dans les forts. Il fit plus tard raser le reste de la ville et saper les remparts, mais conserva ces tours[1] pour être un monument de sa fortune ; c'est elle qui, s'associant à ses armes, le rendit maître de ce qui était imprenable.
[1] L'une d'elles, Phasaël, subsiste encore, sous le nom erroné de Tour de David.
2. Quand les soldats furent las de massacrer, une multitude encore considérable de survivants reparurent. César donna l'ordre de tuer seulement ceux qui portaient des armes et qui résistaient le reste devait être pris vivant. Mais les soldats, dépassant leurs instructions, continuèrent à tuer les vieillards et les faibles : ceux qui étaient vigoureux et en état de servir furent poussés dans le Temple et enfermés dans l'enceinte réservée aux femmes. César préposa à leur surveillance un de ses affranchis ; il chargea aussi un de ses amis, Fronton, de décider du sort que méritait chacun des captifs. Fronton fit tuer tous les factieux et les brigands, qui s'accusaient les uns les autres ; il choisit et réserva pour le triomphe ceux des jeunes gens qui avaient la plus haute taille et qui étaient bien faits dans le reste de cette foule, ceux qui avaient plus de dix-sept ans furent chargés de chaînes et envoyés en Égypte aux travaux publics ; Titus en distribua un grand nombre dans les provinces pour y succomber, dans les amphithéâtres, au fer ou aux bêtes féroces. Ceux qui avaient moins de dix-sept ans furent vendus. Dans le temps où Fronton prononçait ainsi sur leur sort, onze mille d'entre eux moururent de faim, les uns à cause de la haine qu'ils inspiraient à leurs gardiens, dont ils n'obtenaient pas de nourriture, les autres parce qu'ils n'acceptaient pas celle qu'on leur donnait ; d'ailleurs, on manquait même de blé pour un si grand nombre de captifs.
3. Le nombre total des prisonniers faits pendant toute la guerre s'éleva à quatre-vingt-dix-sept mille ; celui des morts, pendant tout le siège, à onze cent mille. La plupart étaient des Juifs, mais non tous de la ville même ; beaucoup étaient venus de tout le pays à la fête des Azymes quand la guerre les enveloppa soudain ; ainsi, l'espace étroit où ils étaient confinés produisit d'abord une maladie pestilentielle et aggrava, peu de temps après, la famine. La preuve certaine que la ville contenait une population si considérable, nous la trouvons dans le recensement de Cestius, qui voulait montrer à Néron, plein de mépris pour cette nation, la prospérité de sa capitale. Il pria les grands-prêtres de deviser quelque moyen pour recenser la population. Or, la fête, appelée Pâque, approchait ; on y sacrifie de la neuvième heure à la onzième et, pour chaque sacrifice, il y a une confrérie d'au moins dix hommes, car il n'est pas permis de prendre ce repas seul, et souvent on s'assemble au nombre de vingt. Les prêtres comptèrent donc deux cent-cinquante-cinq mille six cents victimes. Si l'on suppose dix personnes pour se partager chacune, on obtient le chiffre de deux millions sept cent mille hommes[2] tous purs et saints ; car ni les lépreux, ni ceux qui souffrent de gonorrhée, ni les femmes, pendant la menstruation, ni les autres personnes souillées d'une manière ou d'une autre, ne peuvent participer au sacrifice, non plus que les hommes de race étrangère venus à Jérusalem par dévotion.
[2] En réalité, 2.556.000. Le texte est probablement altéré. Ces chiffres paraissent d'ailleurs beaucoup trop forts.
4. Or, la multitude de ces gens venus du dehors est considérable. A ce moment, c'est dans une sorte de prison que la Destinée enferma tout le peuple ; la guerre enveloppa une ville qui regorgeait d'hommes. Le nombre des morts excéda donc cette fois toutes les calamités d'origine humaine ou divine. Quand les Romains eurent tué ou fait prisonniers tous ceux des ennemis qui se montrèrent, ils recherchèrent encore ceux qui étaient réfugiés dans les souterrains et, fouillant le sol, tuèrent tous les Juifs qu'ils purent rencontrer ; on trouva là plus de deux mille hommes qui s'étaient tués de leurs propres mains, ou entre-tués, ou qui, en plus grand nombre, avaient succombé à la faim. Une affreuse odeur de cadavre frappa ceux qui entraient ; beaucoup se retirèrent aussitôt ; beaucoup pénétrèrent à l'intérieur, poussés par la cupidité, foulant aux pieds les corps amoncelés. On trouva de nombreux objets de prix dans les tranchées ; l'amour du gain légitimait tous les moyens de le satisfaire. On ramena à la lumière beaucoup de prisonniers que les tyrans en avaient privés ; car même dans l'extrême péril, ils n'avaient pas renoncé à leur cruauté. Les deux chefs reçurent de Dieu le châtiment qu'ils méritaient : Jean, qui mourait de faim avec ses frères dans les souterrains, implora des Romains la paix qu'il avait souvent refusée avec hauteur ; et Simon, après avoir longtemps lutté contre la nécessité, comme nous le montrerons dans la suite[3], se livra lui-même. Il fut réservé pour le triomphe, à la fin duquel il devait être immolé ; Jean fut condamné à la prison perpétuelle. Les Romains brûlèrent les quartiers extérieurs de la ville et abattirent les murailles.
[3] Liv. VII, II, 2.