1.[1] Après les travaux du Temple, qui prirent sept ans, ainsi que nous l’avons dit plus haut, Salomon entreprit la construction du palais royal, qu’il eut peine à finir en treize ans. En effet, il n’y apporta pas la même ardeur que pour le sanctuaire. Pour achever celui-ci, malgré ses grandes dimensions, la merveilleuse et incroyable main-d’œuvre qu’il exigea, grâce à la coopération de Dieu à qui il était destiné, il ne fallut que le petit nombre d’années qu’on a vu. Le palais, beaucoup moins précieux que le Temple, parce que les matériaux n’en avaient pas été préparés depuis si longtemps, ni avec la même recherche, et qu’il s’agissait de loger des rois, non la divinité, demanda des délais plus longs. Cependant, ce fut là aussi une construction mémorable, digne de la prospérité du pays des Hébreux et du roi. Il me faut en décrire toute la disposition et l’aménagement afin que le lecteur puisse en imaginer et en concevoir la grandeur.
[1] I Rois, VII, 1. Josèphe place la description du palais royal après celle du Temple. Dans la Bible, cette description vient s’insérer dans celle du Temple ; de plus, l’apparition divine a lieu, selon le livre des Rois, après la construction des deux édifices, tandis que, dans Josèphe, elle a lieu avant la construction du palais royal.
2. Il y avait d’abord un édifice[2] vaste et magnifique, solidement appuyé sur de nombreuses colonnes, aménagé pour recevoir un peuple nombreux attiré par les procès civils et criminels à décider et pour abriter la foule des plaideurs. Cet édifice mesurait cent coudées de long, cinquante de large, trente de haut ; il reposait sur des piliers quadrangulaires, tous en bois de cèdre, avait une corniche d’ordre corinthien, des portes carrées et des fenêtres à trois pointes (?)[3] qui assuraient à la fois sa solidité et sa beauté. Venait ensuite un autre édifice, au milieu du terre-plein (?), dont il occupait toute la longueur sur une largeur de trente coudées[4] ; il était précédé d’un portique (?) porté par d’épaisses colonnes. Là se trouvait une salle du trône magnifique[5], où le roi s’asseyait pour rendre la justice. Tout à côté, du troisième palais qui servait à la reine[6] et d’autres locaux destinés aux repas et aux plaisirs, une fois les affaires expédiées ; tous étaient parquetés avec des planches taillées de bois de cèdre. Les soubassements (?) étaient en pierres de dix coudées de côté[7] : les murs étaient revêtus d’une autre pierre plus précieuse, débitée à la scie, qu’on extrait, pour orner les temples et les palais royaux, de la terre de Bethoron (?), illustrée par les lieux qui la recèlent[8]. Ce revêtement somptueux formait trois bandes superposées ; sur la quatrième éclatait l’art des sculpteurs : ils y avaient figuré des arbres, des plantes variées, dont les rameaux et les feuilles pendantes répandaient l’ombrage, si légers qu’on eût cru les voir s’agiter et cacher la pierre qui était en dessous[9]. Le reste du plat du mur, jusqu’au toit, était recouvert d’un enduit enluminé de vives couleurs. Le roi fit construire encore d’autres appartements d’agrément et d’immenses portiques heureusement situés dans le palais royal ; au milieu de ces portiques s’élevait un pavillon splendide, ruisselant d’or, pour y venir festoyer et boire. Tous les ustensiles nécessaires pour traiter ses convives furent confectionnés en or[10]. Il est malaisé de dénombrer la grandeur et la variété des appartements royaux, combien de grandes salles, combien de petits appartements, de chambres souterraines et invisibles, la beauté des terrasses en plein air, des bosquets aménagés pour le charme des yeux, refuge et protection des corps contre la chaleur. En résumé, toute la construction était en marbre blanc, en cèdre, en or et en argent ; les toitures et les parois ornés de pierres incrustées d’or, comme on avait fait pour le Temple de Dieu. Le roi fit aussi tailler dans l’ivoire un trône[11] colossal en forme d’estrade, pourvu de six degrés, sur chacun desquels de part et d’autre se tenaient deux lions, et il y en avait deux autres en haut. Enchâssés dans le trône, deux bras s’avançaient comme pour recevoir le roi : il s’appuyait sur une protomé de taureau[12] qui le regardait par derrière ; le tout était fixé avec des attaches d’or.
[2] C’est la maison dite du bois de Liban (I Rois, VII, 2-6).
[3] Détails peu clairs ajoutés à la description biblique d’ailleurs très obscure. Ίσομέτροις paraît correspondre à τετρέγωνοι de la Septante. Noter l’anachronisme plaisant de l’ordre corinthien.
[4] La Bible donne 50 coudées de long sur 30 de large. Dans le texte de Josèphe, έντιxρυς έχων ναόν n’est pas intelligible (des commentateurs l’ont entendu du Temple !). Ναόν est peut-être une faute de copie pour στοέν.
[5] Dans la Bible, c’est encore un autre corps de bâtiment.
[6] Josèphe ne mentionne pas le palais propre de Salomon, I Rois, VII, 8.
[7] Bible : les unes dix, les autres huit.
[8] Θεωρια ou Θεωριων γῆ. Les conjectures Θεωρίαν (Hudson). Τυρίων (Ernesti) ne satisfont pas. La vraie leçon reste à trouver. J’ai pensé à Βαιθώρων (XII, 289) γῇ ? (T. R.)
[9] Détails de fantaisie suggérés par le souvenir des ornements du temple d’Hérode.
[10] I Rois, X ; II Chroniques, IX, 20.
[11] I Rois, X, 18 ; II Chroniques, IX, 17.
[12] Εἰς μόσχου προτομήν. Emprunté aux LXX qui traduisent le [hébreu] de l'hébreu (lu [hébreu]) par προτομαὶ μόσχων.
3.[13] Salomon acheva tout cet œuvre[14] en vingt ans, pendant lesquels le roi de Tyr, Hirôm, lui avait fourni pour la construction quantité d’or et encore plus d’argent et, en outre, du bois de cèdre et de pin[15]. À son tour il fit à Hirôm des présents considérables, en envoyant chaque année du blé, du vin et de l’huile, dont, en sa qualité d’insulaire, comme nous l’avons déjà dit précédemment, ce prince avait grand besoin. En outre, il lui donna des villes de Galilée, au nombre de vingt, situées non loin de Tyr. Mais Hirôm, les ayant visitées et examinées, fut peu satisfait de ce cadeau et envoya dire à Salomon qu’il n’en avait pas besoin ; depuis lors ces villes reçurent le nom de pays de Chabalôn[16], nom qui, interprété dans la langue phénicienne, signifie déplaisant[17]. De plus, le roi de Tyr adressa à Salomon des problèmes et des énigmes en l’invitant à les éclaircir et à le délivrer des difficultés qu’ils présentaient. Comme Salomon était fort sagace et pénétrant, rien ne lui échappa de ces questions ; triomphant sur toute la ligne par la force du raisonnement, il en comprit et en expliqua lumineusement le sens.
[13] I Rois, IX, 10.
[14] C’est-à-dire le Temple et les Palais.
[15] Πέτυος. LXX : Πευxίνοις (ξόλοις) = [hébreu].
[16] Cp. hébreu : Ereç Kaboul ; LXX : Ὅριον répond à la lecture [hébreu].
[17] Mot inconnu en sémitique. Josèphe a peut-être interprété [hébreu] pour [hébreu], dont un des sens est : dommage, douleur.
Mention de ces deux rois se trouve aussi chez Ménandre qui a traduit de la langue des Phéniciens en grec les archives tyriennes ; il s’exprime ainsi[18] : « Après la mort d’Abibalos, la succession de son trône échut à son fils Hirôm, qui vécut cinquante-trois ans et en régna trente-quatre. Il créa, en le comblant, l’Eurychoros (grande place), et dédia la colonne d’or dans le temple de Zeus ; puis il s’en alla faire couper sur le mont qu’on nomme Liban quantité de bois pour la couverture des temples. Après avoir démoli les anciens sanctuaires, il bâtit le temple d’Héraclès et d’Astarté et célébra le premier le Réveil d’Héraclès au mois Péritios. Et il fit campagne contre les gens d’Utique qui refusaient le tribut et après les avoir de nouveau soumis s’en revint chez lui. Sous son règne vivait Abdémonos, enfant encore jeune qui triomphait toujours des problèmes posés par Salomon, roi de Jérusalem. » Dios en fait mention aussi en ces termes[19] : « après la mort d’Abibal, son fils Hirôm devint roi. Il combla les parties orientales de la ville et agrandit ainsi la cité. Le temple de Zeus olympien était isolé ; il le relia à Tyr par une levée de terre et l’orna d’offrandes d’or. Enfin il monta sur le Liban, où il y fit couper des bois pour la construction des temples. » Il ajoute que le tyran de Jérusalem, Salomon, adressa à Hirôm des énigmes et demanda à en recevoir de lui ; celui qui échouerait devait payer une somme à celui qui les aurait résolues. Hirôm y consentit et, n’ayant pu résoudre les énigmes, dut livrer, pour payer l’amende, une grande partie de ses trésors. Mais ensuite, grâce à un certain Tyrien, nommé Abdémon, il résolut les questions proposées et lui-même en proposa d’autres ; Salomon ne les résolut pas et dut (tout restituer et) payer en plus à Hirôm une somme considérable. Voilà ce qu’a raconté Dios.
[18] Le même texte se retrouve dans le Contre Apion, I, 18, §§ 117-120.
[19] Reproduit aussi dans le Contre Apion, I, 17, §§ 113-115.