Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VIII

CHAPITRE IV
Transfert de l'arche dans le Temple ; la nuée divine enveloppe le Temple ; sacrifices et fête des Cabanes ; songe de Salomon.

Convocation du peuple à Jérusalem et transfert de l’arche dans le Temple.

1.[1] Tous ces ouvrages, ces grandes et splendides constructions, ces trésors déposés dans le Temple furent achevés par le roi Salomon en sept ans. Ayant ainsi fait éclater ses richesses et son zèle en parachevant dans un temps aussi court, eu égard à la grandeur du Temple, une œuvre qui à première vue ne paraissait guère pouvoir s’accomplir dans toute la durée des siècles, il écrivit aux chefs et aux anciens des Hébreux et leur ordonna de rassembler tout le peuple à Jérusalem pour contempler le Temple et y transporter l’arche de Dieu. Et quand tous eurent reçu la convocation de se rendre à Jérusalem, ils s’y réunirent non sans peine au septième mois, appelé thesri[2] par ceux du pays, et hyperbérétéos par les Macédoniens. Cette époque coïncidait avec celle de la fête des Cabanes[3], particulièrement sainte et importante chez les Hébreux. Ayant donc été chercher l’arche et le tabernacle que Moise avait dressé et tous les ustensiles destinés au service des sacrifices divins, ils les transportèrent dans le Temple. Par devant marchaient avec les victimes le roi en personne et tout le peuple et les Lévites, arrosant le chemin de libations et du sang de nombreux sacrifices, et faisant fumer une quantité infinie d’encens, de sorte que toute l’atmosphère alentour en était imprégnée et en apportait l’agréable odeur même aux plus éloignés, leur annonçant que Dieu était en route[4] et allait venir habiter, selon la croyance humaine, dans le lieu récemment édifié et consacré en son honneur : en effet, ils ne se lassèrent point de chanter et de danser jusqu’à leur arrivée au Temple. Voilà comment ils transportèrent l’arche. Mais lorsqu’il fallut l’introduire dans le Saint des Saints, le peuple s’arrêta, et seuls les prêtres l’apportèrent et la placèrent entre les deux Chérubins. Ceux-ci, avec les extrémités entrecroisées de leurs ailes, — car c’est ainsi que l’artiste les avait disposés, — couvrirent l’arche comme sous une tente et un dais. L’arche ne contenait rien d’autre que deux tables de pierre, qui conservaient gravés les dix commandements dictés par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï. Quant au candélabre, à la table et à l’autel d’or, on les posa dans le Temple devant le Saint des Saints aux mêmes places qu’ils occupaient jusqu’alors dans le tabernacle, et on offrit les sacrifices quotidiens[5]. L’autel de cuivre, (le Roi) le plaça devant le Temple en face de la porte[6], de sorte que, celle-ci ouverte, il se trouvât bien de front et qu’on vit les cérémonies sacrées et la magnificence des sacrifices. Puis ayant rassemblé tout le reste des ustensiles, il les déposa à l’intérieur du Temple.

[1] I Rois, VIII, 1 ; II Chroniques, V, 2.

[2] La Bible (I Rois, VIII, 2) dit : au mois des Ethanim, à la fête, à savoir au 7e mois. Les LXX ont seulement : έν μηνί Άθανείν (nom de mois cananéen). Les manuscrits de Josèphe portent άθύρει, θοιρι, etc. (theseri Lat.).

[3] Nommée simplement [hébreu] dans l’hébreu (LXX sur Chron. : ἐν τῇ ἐορτῇ).

[4] Ces détails sur les parfums sont étrangers à la Bible.

[5] Détails ajoutés par Josèphe.

[6] La porte du pronaos, puisque l’autel est placé hors du naos. (T. R.)

Apparition de la nuée divine ; discours de Salomon.

2.[7] Lorsque les prêtres, après avoir tout mis en ordre autour de l’arche furent sortis (du Saint des Saints), soudain une nuée épaisse, non pas opaque et chargée de pluie comme on en voit en hiver, mais molle et tempérée, enveloppa le Temple et obscurcit les yeux des prêtres au point qu’ils ne pouvaient plus se voir ; elle fit supposer et croire à tous que Dieu était descendu dans le sanctuaire et prenait plaisir à y fixer sa résidence. Pendant que cette pensée occupait les assistants, le roi Salomon, qui se trouvait sur un siège, se leva, et adressa à Dieu les paroles qu’il estimait convenir à la divinité d’entendre et à lui de prononcer : « Sans doute, ô Seigneur, tu possèdes, nous le savons, une demeure éternelle et digne de toi, que tu as créée pour toi-même — le ciel, l’air, la terre et la mer, — dont tu traverses toute l’étendue sans qu’elle suffise à te contenir. Pourtant je t’ai édifié ce Temple consacré à ton nom, pour que de ce lieu nous puissions élever dans l’espace nos prières vers toi en accomplissant les sacrifices et les cérémonies favorables et que nous ayons toujours la conviction que tu es là, non loin de nous, car, toi qui vois et entends toute chose même en ce lieu où tu peux maintenant habiter, tu ne cesseras pas d’être près de tous, et tu assisteras nuit et jour quiconque aura à te consulter. » Après cette déclaration solennelle à Dieu, il adressa la parole au peuple, lui dépeignant la puissance de Dieu et sa providence, comment il avait révélé à David son père les événements futurs tels que la plupart s’étaient déjà produits et qu’adviendraient tous les autres, comment il lui avait conféré un nom à lui-même avant sa naissance et annoncé d’avance comment on l’appellerait et comment lui-même bâtirait le Temple, devenu roi après la mort de son père. Témoins de l’accomplissement de ces prophéties, il les invitait à bénir Dieu et à ne jamais désespérer de l’effet de ses promesses de félicité, puisant leur confiance dans celles qu’il avait déjà remplies.

[7] I Rois, VIII, 10 ; II Chroniques, V, 13.

Prière de Salomon.

3.[8] Après ce discours adressé à la multitude, le roi considéra à nouveau le Temple et levant la main droite vers le ciel[9] : « Par leurs œuvres, dit-il, il n’est pas possible aux hommes de rendre grâce à Dieu pour ses bienfaits ; car la divinité, n’ayant besoin de rien, est au-dessus de pareilles marques de reconnaissance. Mais ce don, par quoi, Seigneur, tu nous as faits supérieurs aux autres êtres, il nous faut l’employer à célébrer ta majesté et à te remercier de ce que tu as accompli pour notre maison et pour le peuple des Hébreux. Quel instrument plus propre, en effet, avons-nous pour apaiser ton ressentiment et nous concilier ta perpétuelle bienveillance que la parole, qui nous vient de l’air et qui, nous le savons, s’en retourne par l’air[10] ? Grâce à elle donc je te déclare ma reconnaissance, d’abord pour mon père que tu as fait passer de l’obscurité à tant de gloire, ensuite pour moi-même, en faveur de qui tu as accompli jusqu’à ce jour tout ce que tu avais promis : je te supplie de m’accorder à l’avenir tout ce que Dieu peut donner aux hommes qu’il veut honorer et d’augmenter notre maison à travers tous les âges, selon ce que tu as promis à mon père David de son vivant et à sa mort, à savoir que la royauté nous demeurerait et que sa race la transmettrait à d’innombrables descendants. Daigne donc nous accorder ce bienfait et donne à mes enfants la vertu où tu te complais. En outre, je te supplie d’envoyer dans ce Temple une parcelle de ton esprit afin que sur terre même tu paraisses être avec nous. Certes, c’est une infime demeure pour toi que toute la profondeur même du ciel et de ce qu’il renferme, à plus forte raison ce Temple quelconque ; cependant je te prie de le protéger contre toute dévastation des ennemis comme étant ta propriété pour toujours et de veiller sur lui comme sur ton bien propre. Que si un jour le peuple vient à pécher[11], et que, ensuite, pour son péché, tu le frappes d’un fléau, — stérilité du sol, ravages de la peste, ou l’un de ces maux dont tu poursuis ceux qui ont violé une loi sainte — et s’il se réfugie en foule dans ce Temple pour implorer ta miséricorde et te demander le salut, exauce-le, comme si tu y habitais, prends-le en pitié et délivre-le de ces calamités. Cette assistance, je ne te la demande pas seulement pour les Hébreux qui auraient failli : si l’on vient des extrémités de la terre[12] et de quelque côté qu’on se tourne vers toi et qu’on sollicite de toi un bienfait, prête l’oreille et daigne l’accorder. Ainsi chacun saura, d’une part, que tu as souhaité toi-même te voir ériger par nous cette maison, d’autre part que nous ne sommes pas des êtres insociables animés de sentiments hostiles à l’égard de ceux qui ne sont pas de notre peuple[13], mais que nous avons voulu faire participer tout le monde à ta protection et à la jouissance de tes bienfaits. »

[8] I Rois, VIII, 22 ; II Chroniques, VI, 12.

[9] Nous lisons ούρανόμ avec Naber (mss. δχλον).

[10] Verbiage surajouté au discours biblique.

[11] Dans ce paragraphe, Josèphe condense la prière de Salomon (I Rois, VIII, 31-40 ; II Chroniques, VI, 22-31).

[12] II Chroniques, VI, 32 ; I Rois, VIII, 41.

[13] Josèphe a soin de souligner la largeur d’esprit qui se remarque dans la prière du roi Salomon.

Combustion des sacrifices ; exhortations au peuple.

4.[14] Ce disant, il se prosterna à terre et, après être demeuré longtemps en adoration, il se redressa et offrit des sacrifices à Dieu sur l’autel, puis, l’avant rempli de victimes entières, il s’aperçut de la façon la plus manifeste que Dieu avait bien agréé l’offrande : une flamme courut, en effet, à travers les airs et, se précipitant violemment sur l’autel aux yeux de tous, saisit et consuma toute l’offrande. Dans cette apparition, le peuple vit une preuve certaine que Dieu consentait à habiter dans le Temple et, plein de joie, se jeta sur le sol en l’adorant. Le roi commença à réciter des bénédictions et exhorta le peuple à faire de même, car ils possédaient maintenant des signes de la bonté de Dieu à leur égard et ils devaient le prier de les traiter toujours de même et de garder leur âme pure de tout mal, persévérant dans la justice, la piété et l’observance des préceptes que Dieu leur avait donnés par Moïse. Ainsi le peuple hébreu serait heureux et surpasserait tout le genre humain en félicité. Et il les exhortait à se souvenir que les mêmes moyens qui leur avaient procuré les biens présents leur en assureraient aussi la conservation et l’accroissement dans l’avenir. Il ne fallait pas croire que la piété et la justice ne servissent qu’à les obtenir, mais qu’elles servaient aussi à les garder. Or, la grande affaire pour les hommes n’est pas de gagner ce qu’ils n’ont pas, mais de conserver ce qu’ils ont acquis et de ne commettre aucune faute qui puisse en causer la perte.

[14] II Chroniques, VII, 1 ; I Rois, VIII, 54.

Sacrifices et festins ; fête des Cabanes (Scénopégie).

5.[15] Le roi, ayant ainsi parlé au peuple, congédia l’assemblée, après avoir offert des sacrifices tant pour lui-même que pour tous les Hébreux, de sorte qu’il immola douze mille veaux et cent vingt mille brebis[16]. Ce fut la première fois qu’il fit goûter au Temple la chair des victimes, et tous les Hébreux y furent conviés à des festins avec leurs femmes et leurs enfants. De plus, le roi célébra la fête dite des Cabanes (Scénopégie) pendant deux semaines devant le Temple, de façon éclatante et magnifique, en faisant bonne chère avec tout le peuple.

[15] I Rois, VIII, 62 ; II Chroniques, VII, 5.

[16] Bible : 22.000.

Départ des Israélites : songe de Salomon ; promesses et menaces divines.

6.[17] Quand ils se furent acquittés de toutes ces solennités et que rien ne manqua plus à leur piété envers Dieu, ils s’en retournèrent chacun chez soi, congédiés par le roi. après l’avoir béni de sa sollicitude à leur égard et des ouvrages qu’il avait accomplis et prié Dieu de leur conserver longtemps le roi Salomon. Et ils rentrèrent pleins de joie et de rires en chantant des cantiques à Dieu, si bien que le plaisir leur fit oublier à tous la fatigue du chemin. Pendant que ces hommes qui avaient introduit l’arche dans le Temple, contemplé sa grandeur et sa beauté, pris part aux grandioses sacrifices et aux fêtes qu’on y avait accomplis, s’en retournaient ainsi chacun dans sa ville, un songe que le roi eut dans son sommeil lui révéla que Dieu avait exaucé sa prière, qu’il protégerait le Temple et y séjournerait pour toujours, si ses descendants et tout le peuple agissaient avec droiture. Et lui tout le premier, s’il demeurait fidèle aux instructions de son père, Dieu l’élèverait à une hauteur et à une grandeur de prospérité illimitées, et la domination du pays resterait toujours à ceux de sa race et à la tribu de Juda. Que si, au contraire, il désertait ces principes et les oubliait au point de passer au culte des dieux étrangers, il le trancherait dans sa racine, ne permettrait pas qu’il subsistât aucun vestige de sa famille, et ne laisserait pas non plus le peuple des Israélites à l’abri du malheur, mais les anéantirait dans des guerres et des fléaux sans nombre, les chasserait du sol qu’il avait donné à leurs pères et ferait d’eux des exilés en pays étranger. Le Temple qui venait d’être bâti, il le livrerait aux ennemis pour le brûler et le piller ; il détruirait la ville de fond en comble par les mains des ennemis et ferait de leur désastre un sujet de fable, absolument incroyable dans son énormité. Les voisins, à la nouvelle de la catastrophe, frappés de stupeur, demanderaient avec curiosité pourquoi les Hébreux s’étaient ainsi fait haïr de Dieu après avoir d’abord été conduits par lui à la gloire et à la fortune ; en réponse, les survivants confesseraient leurs péchés et leur infidélité aux lois de leurs pères. Telles sont les paroles que Dieu, selon l’Écriture, lui adressa pendant son sommeil.

[17] I Rois, VIII, 66 ; IX, 1 ; II Chroniques, VII, 10.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant