Il est certain que non-seulement les prophètes, mais encore qu’un grand nombre de justes, à qui le Saint-Esprit donnait la prévision de la venue du Christ sur la terre, ont vivement désiré de revenir en un temps où ils pourraient contempler le Seigneur face à face, et entendre ses divines paroles. Jésus-Christ lui-même nous confirme cette vérité par ces paroles adressées à ses disciples : « En vérité, je vous dis que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu ; et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu. » Comment auraient-ils pu désirer d’entendre et de voir le Christ dans son humanité, s’ils n’avaient eu la prescience de sa venue ? Et de qui pouvaient-ils tenir cette prescience, si ce n’est de Dieu même ? Comment enfin les Écritures annonceraient-elles la venue du Christ, si cette révélation n’y avait été déposée par Dieu lui-même, agissant par son Verbe ; tantôt faisant entendre sa voix à l’homme, tantôt donnant la loi sur le mont Sinaï, faisant tour à tour des reproches et des exhortations à son peuple, ensuite délivrant l’humanité de la servitude de l’enfer, la prenant dans son adoption, et lui offrant, après un certain temps d’épreuves, l’héritage de l’immortalité dans laquelle l’homme possèdera la perfection ? Car Dieu a créé l’humanité pour croître et se perfectionner, comme il est dit dans l’Écriture : « Croissez et multipliez. »
Et c’est là la différence entre Dieu et l’homme ; c’est que Dieu est actif et que l’homme est passif ; et celui qui crée est toujours le même, tandis que celui qui est créé a un commencement, un milieu, et est susceptible d’augmentation et de perfection. Ce que Dieu fait est parfait ; ce qui dans l’homme est de Dieu est également parfait. Dieu est parfait en tout, toujours égal et semblable à lui-même ; car il est tout lumière, tout esprit, tout substance, et la source de tout bien. Si l’homme a reçu la faculté de croître et de se perfectionner, c’est pour se rapprocher de Dieu. Et comme Dieu est incorruptible, l’homme en s’efforçant d’imiter cette perfection de Dieu, ira toujours en se rapprochant de lui. Car Dieu ne cesse pas un instant de répandre ses bienfaits et ses dons sur l’homme, et l’homme ne cesse pas de les recevoir et de s’en faire un trésor. L’homme doit être reconnaissant envers Dieu qui a placé en lui ses bontés, et qui l’a fait l’instrument de sa gloire ; et son ingratitude sera justement punie, parce qu’elle constitue le mépris de la part de la créature pour son créateur, et la révolte envers son Verbe. C’est lui, en effet, qui a promis de donner plus à ceux qui auront plus et qui porteront plus de fruits ; notre Seigneur en a fait la promesse lui-même : « Courage, dit-il, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup : entre dans la joie de ton Seigneur. »
Suivant les promesses faites par la révélation et confirmées ensuite par le Christ, Dieu devait, sous l’ancienne loi, dans sa miséricorde infinie, distribuer de plus grandes faveurs à ceux qui accompliraient plus de bonnes œuvres ; mais toutefois l’effet de la rédemption, par la descente du Christ sur la terre, a été de faire espérer de plus grandes faveurs encore à ceux qui s’en rendraient dignes sous la nouvelle loi, c’est-à-dire depuis le nouveau Testament. Et en effet, ceux qui vivaient sous l’ancienne loi, entendaient les prophètes annoncer la venue du Messie, mais leur joie n’était encore qu’une joie d’espérance ; tandis que ceux qui ont été témoins de sa venue, qui ont reçu de lui le bienfait de la liberté, et ont été comblés de tous les dons de sa miséricorde, ceux-là ont joui d’une faveur plus grande, ont éprouvé une joie plus vive, car ils ont connu en réalité la venue du Messie ; et c’est à eux que s’applique ce que dit le prophète David : « Mon âme tressaillera dans le Seigneur, et elle se réjouira dans son salut. » Aussi, lorsque le Christ fit son entrée dans Jérusalem, tous ceux qui partageaient la foi et les espérances de David reconnurent-ils leur roi, le Messie ; ils étendirent leurs vêtements sur son chemin et le jonchèrent de feuillage ; et ils s’écrièrent dans l’enivrement de leur joie : « Hosanna au fils de David ; béni celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Mais les pharisiens et les hypocrites, qui avaient de l’influence sur la foule ignorante, refusèrent de croire à la venue du Christ, et ils s’écrièrent : « Entendez-vous ce que ceux-ci disent ? » Jésus leur répondit : « N’avez-vous jamais lu cette parole : Vous avez mis la louange dans la bouche des enfants et de ceux-mêmes qui sont à la mamelle ? » Jésus expliquait par-là que les paroles prophétiques de David s’appliquaient à lui-même, et il montrait aux pharisiens qu’ils ne savaient pas comprendre l’esprit de l’Écriture et de la loi de Dieu, faisant connaître qu’il était lui-même le Christ annoncé par les prophètes, dont le nom doit être béni par toute la terre, dont les louanges qu’il rapporte lui-même à son père, seront chantées même par les enfants à la mamelle ; aussi sa gloire et sa grandeur sont-elles au-dessus des cieux.
S’il est donc vrai que notre Seigneur Jésus-Christ est réellement le Messie annoncé par les prophètes, dont l’avènement a apporté des grâces plus abondantes et a procuré des récompenses plus grandes à ceux qui croient en lui, il n’est pas moins certain dès-lors que Dieu, son père, est également le Dieu qu’ont annoncé les prophètes, que le Christ a proclamé durant son séjour sur la terre, qui a été adoré depuis le commencement du monde, au nom de qui le Christ a apporté le bienfait de la rédemption à tous les hommes qui le servent avec humilité et avec amour. Quant à ceux qui méprisent son culte et qui se révoltent contre Dieu, qui mettent leur bonheur dans les folles vanités du monde et dans les biens de la terre (ces biens terrestres qui, dans l’ancienne loi, n’étaient que la figure et comme l’ombre des biens immortels), qui feignent de faire plus qu’il n’est prescrit, comme s’ils préféraient la loi qu’ils se font à eux-mêmes à celle de Dieu, et qui enfin sont au dedans pleins d’hypocrisie, de cupidité et de malice ; pour tous ceux-là le Christ n’a apporté que la damnation éternelle, en les effaçant d’avance du livre de vie.