Les autres hommes, depuis l’origine de la société jusqu’à nos jours, uniquement appliqués aux sens, ne distinguant pas l’âme qui était en eux, pensant qu’il n’y a rien au-delà de ce que l’on voit, regardèrent la volupté comme le seul beau, le seul utile, le seul bien ; et comme seule elle leur paraissait capable de procurer des jouissances, de contenter les désirs, de rendre la vie heureuse, ils en firent la première de leurs divinités. La vie elle-même n’avait de prix à leurs yeux qu’autant qu’elle était assaisonnée de cette volupté corporelle ; ils vivaient, non pas pour vivre, mais pour en savourer les délices, et ils la souhaitaient à leurs enfants comme l’unique source du bonheur. Aussi les uns, convaincus que cette vie charnelle avait pour principe le soleil, la lune et les étoiles, dont la lumière frappait leurs regards d’admiration, ils les proclamèrent les premiers des dieux, seuls auteurs de toutes choses. Les autres attribuèrent les mêmes honneurs aux fruits, à l’eau, à la terre, au feu et aux autres parties du monde qui, contribuant à nourrir et engraisser leur corps, entretenaient en eux cette vie charnelle et voluptueuse. D’autres, longtemps auparavant, n’avaient pas rougi de diviniser leurs propres passions sous l’image de la volupté, de l’amour, de la beauté, dont ils prétendaient que les dieux eux-mêmes étaient les esclaves. D’autres, voyant que des princes, des rois avaient par d’heureuses découvertes augmenté leurs jouissances, leur élevèrent des autels, soit pendant leur vie, soit après leur mort. D’autres, devenus le jouet des mauvais esprits, des démons, donnèrent aux appétits déréglés de leur âme une énergie d’autant plus grande qu’ils trouvaient plus d’occasions de les satisfaire dans le culte établi en leur honneur. D’autres, n’adoptant aucun de ces systèmes, introduisirent l’athéisme comme bien préférable à toutes ces vaines divinités. D’autres enfin, encore plus impudents, prétendirent que la vie la plus heureuse, la vie d’un vrai philosophe n’était autre chose que le plaisir, et que le plaisir était notre dernière fin. Ainsi le genre humain assujetti à la tyrannie cruelle de la volupté ou plutôt à un démon infâme et pervers se plongea dans tous les genres de crimes : car les femmes, comme le dit l’Apôtre, changèrent l’usage naturel de leur sexe contre un usage qui offensait la nature. De même, abandonnant l’usage naturel des femmes, les hommes brûlèrent d’une infâme passion les uns pour les autres, se livrant ensemble à mille turpitudes, et recevant en eux-mêmes la récompense due à leur erreur. Ainsi, Grecs et Barbares, savants et ignorants, se dégradèrent, s’abrutirent jusqu’à adorer la volupté comme un dieu. Rampant à la manière du serpent, ils ne se contentèrent pas de proclamer qu’on ne pouvait ni éviter sa puissance ni lui résister, mais encore ils célébrèrent par des odes, des hymnes et des spectacles publics les cérémonies indécentes de cette sale et honteuse divinité qui seule recevait leurs adorations. C’est donc avec raison que nous avons détruit parmi nous ces obscénités et autres semblables, car l’invention des idoles a été le principe du libertinage et de cette étrange multitude de religions que l’on voit dans l’univers. En effet, la théologie païenne, quoique appuyée sur une seule base, l’impure et hideuse volupté, cependant comme une hydre aux cent bras et aux cent têtes, se divisait en sectes innombrables. Plongés dans un tel abîme d’erreur, conséquence de leur attachement au culte de la volupté, infernal démon, les peuples idolâtres entassèrent maux sur maux, confondirent toutes les règles de conduite par leurs amours effrénées pour les femmes, leurs penchants dépravés pour les hommes, leurs alliances incestueuses avec leurs mères et leurs sœurs, et surpassèrent dans leurs passions brutales la brutalité des bêtes féroces. Telles étaient les mœurs des anciens ; telle était leur théologie trompeuse, comme nous l’avons précédemment prouvé par les historiens et les philosophes de la Grèce.