Mon Dieu, comment peut-il se faire que ton Évangile soit pour moi le premier de tous les biens, et que, cependant, j’aie honte d’en parler devant un monde incrédule ? Comment se fait-il que je redoute plus la moquerie d’un misérable pécheur que les reproches d’un Dieu trois fois saint ? Suis-je donc sans foi véritable ? non, je le sens : je crois à l’Évangile. Suis-je donc insensé ? non, j’ai l’intelligence de tous les hommes et même les lumières de ton Saint-Esprit. Et cependant je te renie, sinon par mes paroles, du moins, par mon silence. J’ai honte de toi devant ceux qui devraient avoir honte d’eux-mêmes ! J’attends, pour ouvrir la bouche, d’être entouré de frères, d’être poussé par le devoir, par l’habitude, à heure fixe ; mais dès que je suis abandonné à moi-même au milieu de la foule, dans le courant ordinaire de la vie, je n’ose plus parler, plus annoncer Christ, plus confesser ma foi. Il me faut, pour me tirer de ce coupable engourdissement, être soulevé par les circonstances, peut-être par des contradicteurs. Oh ! alors je trouve des paroles, des preuves. Hélas ! c’est qu’alors je défends ma cause et non plus la tienne. C’est moi qu’on attaque, et c’est moi que je venge. Je veux montrer que ma foi est sagesse, que je ne suis pas moins intelligent que ceux qui se moquent de mes croyances. C’est pour me relever moi-même dans l’estime de ce monde que je cherche à te justifier à ses yeux ! Hélas ! ce n’est souvent ni l’amour des âmes, ni la gloire de ton nom qui ouvre mes lèvres ; c’est bien plutôt l’amour de ma misérable personnalité, et la gloire de mon propre nom ! Mon Dieu, comment sortir de cet abîme ? comment en venir à parler sans crainte, sans honte et sans cesse, de ton glorieux Évangile, moi qui tremble devant un sourire ironique, ou un geste de dédain ? Quelle distance entre ce que je devrais être et ce que je suis ! Mon Dieu, je tombe brisé, confus devant toi ; fais de moi ce qu’il te plaira, mais donne-moi la force de confesser ton nom ; donne-moi plus de foi, plus d’amour pour les âmes, plus de courage pour parler précisément à ceux qui ne voudraient pas m’écouter.