(13 août)
I. Après avoir enseveli le corps de saint Laurent, Hippolyte rentra chez lui, donna le baiser de paix à ses serviteurs, partagea avec eux la sainte communion que lui avait apportée le prêtre Justin, et se mit à table pour le dîner. Mais, en ce moment, arrivèrent des soldats qui s’emparèrent de lui et le conduisirent auprès de Decius. Et celui-ci, dès qu’il l’aperçut, lui dit en souriant : « Es-tu donc devenu mage, toi aussi, pour te mêler, comme tu l’as fait, d’enlever le corps de Laurent ? » Et Hippolyte : « Je l’ai fait non point parce que je suis mage, mais parce que je suis chrétien ! » Alors Decius, furieux, le fit dépouiller de ses vêtements, et lui fit écraser le visage à coups de pierres. Mais Hippolyte : « En croyant me dépouiller, tu ne fais que me mieux orner ! » Et Decius : « Es-tu donc devenu fou, pour ne pas rougir même de ta nudité ? Allons, sacrifie aux dieux, afin de ne pas périr comme ton Laurent ! » Et Hippolyte : « Puissé-je mériter de suivre l’exemple de ce Laurent que tu oses nommer de ta bouche impure ! » Sur quoi Decius le fit battre de verges et déchirer de lanières ferrées. Mais Hippolyte raillait tous les tourments, et ne cessait point de se proclamer chrétien. Decius lui fit rendre son ancien costume militaire, espérant l’engager par là à reprendre ses anciennes fonctions d’officier. Mais Hippolyte lui répondit qu’il était désormais soldat dans l’armée du Christ. Et Decius, exaspéré, le livra à son préfet Valérien, qu’il autorisa à s’approprier tous ses biens, et à lui infliger les pires supplices. Valérien apprit alors que tous les serviteurs d’Hippolyte étaient aussi chrétiens. Il les fit donc comparaître devant lui, et les somma de sacrifier aux idoles. Mais la nourrice d’Hippolyte, Concorde, lui répondit au nom de tous : « Nous aimons mieux mourir honnêtement avec notre maître que de vivre malhonnêtement ! » Et Valérien ; « La race des esclaves ne peut être corrigée que par des supplices ! » Puis, en présence d’Hippolyte, il la fit frapper de verges plombées jusqu’à ce qu’elle mourût. Et Hippolyte : « Je te remercie, Seigneur, d’avoir bien voulu admettre ma nourrice parmi tes saints ! »
Valérien fit ensuite conduire Hippolyte et ses serviteurs en dehors de la Porte de Tibur. Et Hippolyte, encourageant ses compagnons, leur disait : « Mes frères, soyez sans crainte, car nous allons être bientôt réunis devant Dieu ! » Valérien ordonna que tous les serviteurs eussent d’abord la tête tranchée en présence d’Hippolyte ; puis il fit attacher celui-ci par les pieds, au cou de chevaux indomptés, qui le traînèrent sur des chardons et des cailloux jusqu’à ce qu’il rendît l’âme. Il mourut en l’an du Seigneur 251.
Le prêtre Justin enleva les corps des martyrs et les ensevelit à côté du corps de saint Laurent : mais il ne put retrouver le corps de sainte Concorde, qui avait été jeté à l’égout. Or, un soldat, nommé Porphyre, croyant que la vieille femme avait dans ses vêtements de l’or et des pierreries, alla chez un égoutier nommé Irénée, qui était secrètement chrétien, et lui dit : « Retire de l’égout le corps de Concorde, car je crois bien qu’elle avait de l’or et des pierreries dans ses vêtements ! » Et ainsi Irénée connut l’endroit où avait été jeté le corps de la sainte. Il le retira donc de l’égout ; et quand Porphyre eut constaté qu’il s’était trompé dans son espérance, Irénée appela un de ses compagnons, nommé Abonde, avec l’aide duquel il porta le corps chez saint Justin, qui le fit ensevelir à côté de ceux des autres martyrs. Ce qu’apprenant, Valérien fit jeter vivants à l’égout Irénée et Abonde, dont les corps furent joints par saint Justin à ceux des autres martyrs.
Peu de temps après, comme Decius et Valérien, dans un char d’or, se rendaient à l’amphithéâtre pour persécuter les chrétiens, Decius, brusquement possédé du démon, s’écria : « Ô Hippolyte, que lourdes sont les chaînes dont tu m’as chargé ! » Et, au même instant, Valérien s’écria : « Ô Laurent, tes chaînes de feu me brûlent les chairs ! » Et Valérien mourut sur-le-champ. Decius, revenu chez lui, survécut trois jours encore, pendant lesquels il ne cessait point de crier : « Ô Laurent et Hippolyte, relâchez-vous un moment de me torturer ! » Et telle fut sa misérable mort. Ce que voyant, sa femme Triphonie se dépouilla de tous ses biens, et, en compagnie de sa fille Cyrille, alla demander à saint Justin de la baptiser. Elle mourut le lendemain, étant en prière. Et quarante-sept soldats, ayant appris que l’impératrice et sa fille étaient devenues chrétiennes, vinrent se faire baptiser avec leurs familles. Ils reçurent le baptême des mains du pape Denis, qui avait succédé à saint Sixte. Et l’empereur Claude fit étrangler Cyrille et décapiter tous les chrétiens ; et leurs corps furent réunis à ceux de saint Laurent et de ses compagnons.
Nous devons noter, à ce propos, que la mention de l’empereur Claude achève de prouver que ce n’est point l’empereur Decius, mais un César de ce nom, qui a martyrisé saint Laurent et saint Hippolyte. Car ce n’est pas à l’empereur Decius qu’a succédé Claude, mais à l’empereur Gallien. De telle sorte qu’on peut admettre ou bien que ce Gallien s’appelait aussi Decius, ou bien encore, comme le dit un chroniqueur, que Gallien, pour l’assister dans ses fonctions, avait créé César un certain Decius.
II. Un bouvier, nommé Pierre, était allé aux champs le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine, et accablait ses bœufs de jurons blasphématoires. Soudain la foudre s’abattit sur lui, lui brûlant les chairs et les muscles d’une jambe, de telle façon que ses os se trouvèrent presque détachés. Se traînant alors jusqu’à une église de la Vierge, il cacha son tibia dans un recoin, et, tout en larmes, supplia Marie de venir à son aide. La nuit suivante, à la demande de la Vierge, saint Hippolyte alla prendre le tibia dans l’église et le replaça dans la jambe du bouvier, comme on greffe une bouture. Aux cris du malade, toute sa famille accourut, et découvrit avec stupeur, qu’il avait de nouveau ses deux tibias. Mais lui, réveillé, crut d’abord qu’on se moquait de lui. Et quand il s’aperçut de la réalité du miracle, il sentit que sa jambe nouvelle était trop molle pour soutenir son corps. Il resta donc boiteux pendant une année entière. Puis la Vierge lui apparut, accompagnée de saint Hippolyte, et dit à celui-ci de compléter sa guérison. Et quand le bouvier se réveilla, il se trouva entièrement guéri.
Il entra alors dans un monastère, où le diable ne cessa point de le tenter, lui apparaissant, de préférence, sous la forme d’une jeune femme nue. Un jour enfin, le moine, exaspéré, prit son étole de prêtre et la passa autour du cou de sa visiteuse. Aussitôt le diable s’enfuit ; et la jeune femme se transforma en un cadavre pourri, qui remplit tout le couvent de sa puanteur. Par quoi l’on vit clairement que le diable, pour tenter Pierre, s’était introduit dans le corps d’une femme morte.