Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XXIV

Qu’il a été moins difficile d’amener les Juifs à la foi que les gentils ; qu’ainsi les apôtres qui se sont consacrés à la conversion des gentils, se sont imposés une tâche plus rude.

C’est là ce qui faisait dire à saint Paul, l’apôtre des gentils : « J’ai travaillé plus que les autres. » On conçoit combien il était plus facile d’instruire les Juifs, qui avaient déjà la connaissance des Écritures, qui connaissaient Moïse et les prophètes, et qui par conséquent étaient tout préparés à reconnaître le Christ, le premier-né des morts, le prince de la vie, venu pour délivrer l’homme des liens de la mort, et pour guérir avec la foi la plaie causée par la morsure du serpent. Il fallait donc que les apôtres, comme nous l’avons fait voir dans le livre précédant, persuadassent d’abord aux gentils d’abandonner leurs faux dieux pour adorer le seul et vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qui existe ; que c’est par son Fils, qui est le Verbe, qu’il a fait toutes choses ; que c’est ce Verbe qui s’est fait chair dans ces derniers temps et qui a habité sur la terre pour réformer l’humanité, pour chasser et vaincre le démon, l’ennemi de l’homme, associant ce dernier à sa victoire. Or, les Juifs connaissaient à l’avance toutes ces choses ; et, s’ils ne voulaient pas croire, c’est parce qu’ils méprisaient les avertissements de Dieu. N’avaient-ils pas reçu la loi divine qui leur défendait l’adultère, la fornication, le vol, la fraude, et toutes les actions qui peuvent faire tort au prochain ? Ils savaient que Dieu avait en horreur de pareilles actions : il leur était donc plus facile de les éviter, parce qu’ils connaissaient la loi qui les défendait.

Quant aux gentils, au contraire, il fallait d’abord leur faire comprendre que de pareilles actions sont condamnables et qu’elles causent la perte éternelle de ceux qui s’y livrent. Ainsi, la mission de ceux des apôtres qui évangélisaient les gentils, était donc plus difficile que la mission de ceux qui prêchaient aux Juifs. Ceux-ci avaient pour eux les Écritures, qui contenaient la prédiction de tout ce qu’a fait le Christ sur la terre ; ils avaient été témoins de l’accomplissement de toutes ces choses. Mais quelle force d’éloquence ne fallait-il pas pour renverser tous les préjugés dont les gentils étaient imbu ? Il fallait non-seulement détrôner les objets de leur culte, mais leur persuader encore que ces fausses divinités étaient l’ouvrage du démon, et substituer, dans leur esprit, à ces folles croyances celle d’un Dieu unique, « qui est au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus, de toutes les dominations, et de tout ce qu’il y a de plus grand, soit dans le siècle présent, soit dans le siècle futur. » Il fallait leur faire croire et leur faire comprendre que ce Verbe, invisible de sa nature, s’était cependant fait matériel et visible parmi les hommes au milieu desquels il avait vécu ; « qu’il s’était abaissé et humilié jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix ; » leur faire croire que ceux qui auraient foi en lui deviendraient incorruptibles et impassibles, et qu’ils auraient le royaume des cieux pour séjour. Et cependant, pour amener les gentils à comprendre ces vérités, on ne pouvait s’aider des Écritures qu’ils ne connaissaient pas ; voilà ce qui rendait beaucoup plus difficile la tâche de ceux qui s’étaient consacrés à la conversion des gentils. D’autre part, la foi des gentils qui ont cru à la parole de Dieu, sans être aidés par l’autorité des Écritures, s’est montrée plus sincère et plus vive.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant