1.[1] Joram, roi des Israélites, ayant conçu l’espoir, après la mort d’Ader, d’arracher aux Syriens la ville d’Aramathé en Galaditide, se dirigea contre elle en grand appareil[2], mais, pendant le siège, il fut frappé d’une flèche par un Syrien, sans être mortellement atteint ; il revint dans la ville de Jesraéla pour y faire panser sa blessure, en laissant toute son armée, avec Jéhu (Yéous), fils de Némessi, pour chef, dans Aramathé : il venait, en effet, de s’en emparer de vive force. Il se proposait, après sa guérison, d’aller guerroyer contre les Syriens. Mais le prophète Élisée envoya à Aramathé un de ses disciples[3], muni de l’huile sainte, pour oindre Jéhu et lui dire que la Divinité le choisissait pour roi ; après avoir chargé son messager d’autres recommandations à l’adresse de Jéhu, il lui enjoignit de s’échapper à la façon d’un fugitif pour que personne ne se doutât de son départ[4]. Celui-ci, parvenu dans la ville, trouve Jéhu assis avec les chefs de l’armée, au milieu d’eux, comme Élisée le lui avait prédit, et s’étant approché, dit qu’il voulait l’entretenir en particulier. Jéhu se lève et le suit dans le grenier[5] ; là, le jeune homme prit l’huile sainte, la lui versa sur la tête et déclara que Dieu le choisissait comme roi pour l’extermination de la race d’Achab, et afin qu’il vengeât le sang des prophètes injustement mis à mort par Jézabel : leur maison devait subir le sort des fils de Jéroboam, fils de Nadab, et de Baasa, et être entièrement anéantie à cause de leur impiété, et il ne resterait aucune semence de la famille d’Achab. Ayant ainsi parlé, il sauta hors du grenier, de manière à n’être aperçu de personne de l’armée.
[1] II Rois, VIII, 28 ; IX, 15.
[2] Remarquer que Josèphe ne mentionne pas la présence d’Ochozias à ce siège, attestée (?) par II Rois, VIII, 28.
[3] II Rois, IX, 1.
[4] Détail étranger à la Bible.
[5] Même traduction que dans LXX (ταμιεϊον) de l’hébreu.
2.[6] Quant à Jéhu, il sortit à son tour et revint à la place où il était assis avec les chefs. Comme ceux-ci le questionnaient, curieux de savoir le motif de la visite du jeune homme, qu’ils traitaient, d’ailleurs, de fou : « Votre supposition, dit-il, est exacte ; il m’a tenu, en effet, les propos d’un insensé. » Alors ils insistèrent pour connaître ces propos et supplièrent Jéhu de parler : celui-ci déclara tenir du jeune homme que Dieu l’avait choisi, lui Jéhu, pour roi du peuple. A ces paroles, tous se dévêtirent, jetèrent leurs manteaux sous ses pieds, et, aux sons de leurs cornes, ils proclamèrent Jéhu roi. Jéhu, ayant réuni l’armée, résolut de courir sus à Joram dans la ville de Jezraéla, où, comme nous l’avons dit, il soignait la blessure reçue au siège d’Aramathé. Or, il se trouvait qu’Ochozias, le roi de Jérusalem, était arrivé aussi chez Joram ; car il était fils de la sœur de celui-ci, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Il était donc venu, en qualité de parent, prendre des nouvelles de sa blessure. Jéhu, voulant tomber à l’improviste sur Joram et les siens, demanda qu’aucun de ses soldats ne s’échappât pour prévenir Joram : on lui prouverait ainsi, de manière éclatante, qu’on était bien disposé en sa faveur et que c’était dans ces sentiments qu’on l’avait désigné comme roi.
[6] II Rois, IX, 11.
3.[7] Obéissant à ses recommandations, les chefs surveillèrent les chemins, pour empêcher que quiconque partit secrètement le dénoncer aux gens de Jezraéla. Quant à Jéhu, il prit avec lui l’élite de ses cavaliers et, montant sur un char, il se dirigea vers Jezraéla. A son approche, le guetteur que le roi Joram avait posté pour voir ceux qui venaient vers la ville, ayant aperçu Jéhu qui s’avançait avec un gros d’hommes, vint annoncer à Joram qu’une troupe de cavaliers approchait. Celui-ci ordonna aussitôt qu’on fit sortir un cavalier à leur rencontre pour s’assurer qui venait. Le cavalier, arrivé auprès de Jéhu, lui demanda, de la part du roi, ce qui se passait dans le camp[8]. Jéhu le pria de laisser là son message et de le suivre. Ce que voyant, le guetteur prévint Joram que le cavalier s’était mêlé à la foule des nouveaux arrivants et s’avançait avec eux. Le roi envoya alors un second messager, à qui Jéhu donna même consigne, et le guetteur en rendit également compte à Joram. Là-dessus, finalement, il monta lui-même sur un char avec Ochozias, le roi de Jérusalem, — qui se trouvait là, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, à titre de parent, pour s’informer de l’état de sa blessure, — et sortit à la rencontre de Jéhu. Celui-ci avançait comme à loisir et en bon ordre[9]. L’ayant rencontré dans le champ de Naboth, Joram lui demanda si tout allait bien au camp[10]. Mais Jéhu ne répond que par de brutales invectives, allant jusqu’à traiter sa mère de poison et de courtisane[11] ; là-dessus le roi s’effraya de son état d’esprit et, pensant n’avoir rien de bon à en attendre, il fit aussitôt demi-tour à son char et prit la fuite en disant à Ochozias qu’ils étaient tombés dans un guet-apens et une trahison. Mais Jéhu lui tira une flèche qui l’abattit après lui avoir traversé le cœur. Joram tomba sur les genoux et rendit l’âme aussitôt. Jéhu ordonna à Badacros[12], commandant du tiers de ses troupes, de jeter le cadavre de Joram dans le champ de Naboth, en souvenir de la prophétie qu’Élie avait faite à son père Achab, meurtrier de Naboth : qu’il périrait ainsi que sa race dans le champ de sa victime ; car, disait-il, c’étaient les paroles qu’il avait entendu dire au prophète alors qu’il était assis derrière le char d’Achab. Et ainsi se réalisa la prédiction. Joram tombé, Ochozias, craignant pour sa propre sûreté, dirigea son char d’un autre côté, espérant échapper à Jéhu. Mais celui-ci se mit à sa poursuite et, l’ayant surpris dans une montée, le blessa d’un coup de flèche[13]. Ochozias saute alors de son char, monte à cheval, et s’enfuit devant Jéhu jusqu’à Mageddo ; là, malgré des soins, il meurt peu après de sa blessure. Son corps, ramené à Jérusalem, y reçoit la sépulture ; il avait régné un an, pendant lequel il se montra pervers et pire que son père.
[7] II Rois, IX, 16.
[8] Le texte biblique dit, plus naturellement, que le roi demande si Jéhu vient dans des dispositions pacifiques.
[9] Contraire à l’hébreu de la Bible (v. 20).
[10] Même observation que plus haut (note 8).
[11] οxρμαxόν xαί πόρνην, mêmes mots que dans les LXX (αί πορνεϊαι... xαί τά φάρμαxα...) pour traduire l’hébreu (cf. Ant., IV, VIII, 34, § 279).
[12] Hébreu : Bidkar ; LXX : Βαδεxάρ.
[13] La Bible ne dit pas que ce fut Jéhu qui tira sur Ochozias.
4.[14] Jéhu étant entré à Jezraéla, Jézabel, revêtue de ses parures et debout sur sa tour, s’écria : « Oh ! le bon serviteur[15], qui a assassiné son maître ! ». Lui, ayant levé les yeux vers elle, demanda qui elle était et lui ordonna de descendre vers lui. Finalement il enjoignit aux eunuques de la précipiter en bas de la tour. En tombant, elle aspergea le mur de son sang et elle mourut foulée aux pieds des chevaux. Cela fait, Jéhu entra dans le palais royal et se délassa de son équipée avec ses amis par tous les plaisirs, notamment ceux de la table. Il ordonna aux domestiques qui avaient mis à mort Jézabel de l’ensevelir d’une tisanière digne de sa race : car elle était fille de rois. Mais les hommes chargés de ses funérailles ne trouvèrent rien de son corps, sauf les extrémités : tout le reste avait été dévoré par les chiens. Ce qui fit admirer à Jéhu la prophétie d’Élie, car il avait prédit qu’elle périrait de cette façon à Jezraéla.
[14] II Rois, IX, 30.
[15] Bible : « Est-ce que Zimri, le meurtrier de son maître, va bien ? »
5.[16] Comme Achab avait soixante-dix enfants[17] élevés à Samarie, Jéhu envoie deux[18] lettres, l’une à leurs gouverneurs, l’autre aux magistrats des Samaritains, leur recommandant d’élire pour roi le plus brave des enfants d’Achab, — puisqu’ils avaient à leur disposition une quantité de chars, de chevaux, d’armes et de troupes, et possédaient des villes fortes, — et cela fait, de venger la mort de leur maître. Cette lettre était écrite pour éprouver les dispositions des Samaritains. Quand les magistrats et les gouverneurs en eurent pris connaissance, ils furent effrayés, et, réfléchissant qu’ils ne pour-raient rien faire contre l’homme qui avait triomphé de deux très grands rois, ils répondirent qu’ils le tenaient pour leur maître et se conformeraient à ses ordres. Jéhu réplique à cette missive en les invitant à lui obéir, à trancher les têtes des enfants d’Achab et à les lui envoyer. Alors les magistrats, avant mandé les gouverneurs des enfants, leur enjoignirent de les mettre à mort, de couper leurs têtes et de les envoyer à Jéhu. Ceux-ci exécutèrent l’ordre sans aucune merci, mirent ensemble les têtes dans des paniers tressés et les expédièrent vers Jezraéla. Quand elles arrivèrent à destination, on annonça à Jéhu, qui était en train de souper avec ses amis, qu’on avait apporté les têtes des enfants d’Achab. Alors il ordonna qu’on en fit deux tas de chaque côté, devant la porte de la ville. Cela fait, il sort, au point du jour, pour les regarder, et, les ayant aperçues, commença à dire au peuple présent que lui-même avait fait campagne contre son maître et l’avait mis à mort, mais que ceux-là, ce n’était pas lui qui les avait tués. Il voulait qu’ils connussent que tout, concernant la postérité d’Achab, s’était accompli selon la prophétie de Dieu et que sa maison avait péri comme Élie l’avait prédit. Puis, après avoir massacré encore tous les cavaliers[19] de la parenté d’Achab qu’on put trouver chez les Israélites, il partit pour Samarie. En route il rencontra des parents d’Ochozias, roi de Jérusalem, et leur demanda ce qu’ils venaient faire. Ceux-ci répondirent qu’ils venaient saluer Joram et leur propre roi Ochozias[20] : ils ne savaient pas que tous deux avaient été tués par lui. Sur quoi Jéhu ordonna qu’on s’emparât aussi d’eux et qu’on les mit à mort : ils étaient au nombre de quarante-deux.
[16] II Rois, X, 1.
[17] παίδων ici et plus loin ; mais il ne s’agit que des mâles ; la Bible dit partout : « les fils ».
[18] Hébreu : « des lettres » ; LXX : Βιβλίον.
[19] ίππεϊς. Le mot est peut-être pris ici au sens de « chevalier, noble ». Dans la Bible, on parle des grands, des parents et des prêtres d’Achab.
[20] Bible : « Nous venons rendre visite aux fils du roi et aux fils de la reine-mère. »
6.[21] En poursuivant sa route, il rencontra un homme vertueux et juste, du nom de Jonadab(os), un ancien ami à lui, qui, après l’avoir embrassé, commença à le féliciter d’avoir tout accompli selon la volonté de Dieu, en exterminant la maison d’Achab. Jéhu l’invita à monter dans son char et à entrer avec lui dans Samarie, promettant de lui montrer comment il n’épargnerait aucun criminel et punirait les faux prophètes, les faux prêtres et ceux qui avaient abusé le peuple en lui faisant abandonner le culte du Dieu suprême pour adorer les dieux étrangers. N’était-ce pas le plus beau et le plus agréable des spectacles pour un homme bon et juste que de voir châtier les scélérats ? Séduit par ces paroles, Jonadab monte sur le char et arrive à Samarie. Là, Jéhu recherche tous les parents d’Achab et les met à mort. Dans son désir qu’aucun des faux prophètes ni des prêtres des dieux d’Achab n’échappe au châtiment, il les prend tous par un stratagème et une tromperie. Ayant réuni le peuple, il déclare vouloir adorer deux fois plus de dieux[22] qu’Achab n’en avait introduit, et, à cet effet, il demande que leurs prêtres, leurs prophètes et leurs serviteurs se présentent à lui ; il se propose, dit-il, d’offrir des sacrifices magnifiques et grandioses aux dieux d’Achab, et si quelqu’un des prêtres manque à l’appel, il le punira de mort. Or, le dieu d’Achab s’appelait Baal. Après avoir fixé le jour pour l’accomplissement des sacrifices, Jéhu envoya dans tout le pays d’Israël des messagers chargés de lui amener les prêtres de Baal. Il fit donner des vêtements à tous les prêtres. Quand ils les eurent reçus, il entra dans le temple avec son ami Jonadab et prescrivit qu’on recherchât s’il se trouvait parmi eux quelque philistin ou étranger, car il ne voulait pas qu’un homme d’une autre race vint assister à leurs cérémonies sacrées[23]. Les prêtres ayant déclaré qu’il n’y avait là aucun étranger et ayant commencé les sacrifices, il poste au dehors, autour du temple, quatre-vingts soldats, qu’il savait les plus fidèles de ses hommes d’armes, avec ordre de mettre à mort les faux prophètes et de venger enfin les coutumes ancestrales négligées depuis si longtemps ; il menace de faire payer de sa vie quiconque laissera échapper un coupable. Les soldats égorgèrent tous ces hommes et incendièrent le temple de Baal, purifiant ainsi Samarie des mœurs étrangères. Ce Baal était le dieu des Tyriens ; Achab, pour faire plaisir à son beau-père Ithobal, roi des Tyriens et des Sidoniens, lui avait élevé un temple à Samarie, institué des prophètes et l’avait honoré d’un culte complet[24]. Cependant, ce dieu disparu, Jéhu permit aux Israélites d’adorer les génisses d’or. Pour avoir accompli toutes ces choses et avoir pourvu au châtiment des impies, Dieu lui prédit par la bouche du prophète que ses descendants règneraient pendant quatre générations sur les Israélites. Voilà un aperçu des actions de Jéhu.
[21] II Rois, X, 15.
[22] N’est pas dans la Bible.
[23] Josèphe altéra complètement le texte biblique : ce que Jéhu demande, c’est s’il s’est glissé un adorateur du vrai Dieu parmi les sectateurs de Baal.
[24] Cf. I Rois, XVI, 32.