Le Gnostique reproduit donc une ressemblance plus immédiate, je veux dire, l’esprit qui animait son maître lorsqu’il instruisait et conseillait les sages ainsi que les prudents. Il la reproduit, parce qu’il comprend de la manière que l’a voulu le divin instituteur, et que, sous un aspect plus magnifique encore, par le privilège de son rang, il enseigne sur les toits ceux qui veulent être édifiés sur une base élevée ; mais il commence par appuyer lui-même ses paroles de l’autorité de ses actions, conformément à l’exemple qu’en a donné notre Seigneur. En effet, il n’a commandé que ce qu’il était possible d’accomplir. Et véritablement ne faut-il pas que celui qui est de naissance royale et porte le titre de chrétien puisse régner et maintenir sa domination ? Nous ne sommes point appelés à exercer l’empire uniquement sur les animaux sauvages du dehors : nous portons au dedans de nous-mêmes, comme autant de bêtes féroces, des passions qu’il faut museler.
C’est donc par la science de la bonne et de la mauvaise vie qu’est sauvé le Gnostique, plus intelligent et plus fécond en œuvres
« que les Scribes et les Pharisiens. »
« Arme-toi, règne et triomphe, écrit David, à cause de la vérité, de la douceur et de la justice ; et ta droite, c’est-à-dire le Seigneur, te conduira merveilleusement. Qui donc est sage, et pourra comprendre ? intelligent, et pourra connaître ? Les voies du Seigneur sont droites, »
dit le prophète, voulant nous indiquer par là que le Gnostique seul est capable de comprendre et d’expliquer le sens obscur des paroles de l’Esprit. Et
« celui qui comprend gardera la science dans ces jours-là, »
selon le langage sacré, c’est-à-dire, ne révélera pas les mystères aux indignes. Pourquoi cela ?
« Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende, »
dit le Seigneur, parce qu’il n’est pas donné à tous d’entendre ni de comprendre. David écrit :
« Il s’est enveloppé des eaux et des nuées. Aux éclairs de sa face, les nuages se sont ouverts, ils ont vomi la grêle et les charbons noircis »
ce qui signifie que les oracles sacrés sont pleins de mystères. Clairs et lumineux ; pour le Gnostique, ils descendent dans son intelligence comme une grêle innocente qu’envoie la miséricorde divine. Ténébreux pour le vulgaire, ce sont des charbons éteints qui ne se rallumeront et ne recommenceront à briller qu’autant qu’une main puissante viendra y réveiller la flamme qui s’en est retirée.
« Le Seigneur donc m’a donné la langue de la science afin que je sache, dans l’occasion, quand il est à propos de parler, »
non pas seulement en portant témoignage devant les tribunaux, mais aussi dans les interrogations et les réponses.
« Et la science du Seigneur ouvre ma bouche. »
Le caractère du Gnostique est donc de connaître quand, comment, et devant qui il doit ouvrir la bouche.
Lorsque l’apôtre lui-même écrit ces mots :
« Selon les principes d’une science mondaine et non selon Jésus Christ, »
il nous apprend que la doctrine des Grecs n’est qu’élémentaire, tandis que celle du Sauveur est parfaite et consommée ; nous l’avons prouvé plus haut. Il y a mieux : voilà que
« l’olivier sauvage participe à la sève qui monte de la racine de l’olivier. »
Je me trompe, il naît à peu près dans les mêmes conditions que l’olivier cultivé. La greffe, en effet, s’alimente de l’arbre sur lequel elle a été introduite, comme l’arbre s’alimente des sucs de la terre. Or, les plantes, quelles qu’elles soient, ne germent que par les ordres de Dieu. Telle est la raison pour laquelle l’olivier, tout sauvage qu’il est, couronne les vainqueurs des jeux olympiques. L’orme aussi, soulevant dans les airs la faiblesse de la vigne, ne lui apprend-il point à être féconde ? Les arbres sauvages, on le remarque, attirent à eux une plus grande quantité de nourriture, parce qu’ils ne peuvent se l’assimiler. Les plantes sauvages absorbent donc moins d’aliment que les plantes cultivées, et l’âpreté de leur nature n’a pas d’autre cause que la privation de la faculté absorbante. L’olivier franc, enté sur l’olivier sauvage, reçoit donc par-là même plus de nourriture ; il s’accoutume à l’absorber en s’assimilant aux sucs de l’arbre cultivé. Eh bien ! l’olivier sauvage est le philosophe de la Gentilité qui renferme en lui-même beaucoup d’aliments mal digérés, et parce qu’il est avide d’investigations, et parce qu’il atteint facilement le but par ses méthodes, et parce qu’il a soif de sucs de la vérité. Mais que la vertu divine vienne habiter en lui par la foi, alors accru de la bonne et savoureuse connaissance, l’olivier sauvage, dans lequel a été implanté le Verbe magnifique et miséricordieux, absorbe aussitôt la nourriture qui lui est offerte et se transforme en olivier de la nature la plus heureuse. C’est qu’en effet la greffe fait d’un arbre inutile un arbre généreux, d’un arbre infécond un arbre fertile. Ô industrie de l’agriculture ! ô merveille de la connaissance !
Il y a, dit-on, quatre manières différentes d’enter. Par la première méthode, ou introduit la greffe entre le bois et l’écorce : ainsi sont catéchisés les infidèles dont l’esprit n’a point de culture, et qui ne reçoivent le Verbe qu’à la surface. Dans le second système, on fend la tige pour introduire dans l’incision un plant généreux. C’est ce qui arrive à ceux qui se sont adonnés à la philosophie. Après avoir entrouvert leurs dogmes, nous y implantons la connaissance de la vérité, de même que par l’ouverture des anciens livres sacrés, une branche d’olivier nouvelle et généreuse est entée sur le tronc hébreu. La troisième méthode s’applique aux sauvages et aux hérétiques que la force entraîne vers la vérité. Ici, le fer à la main, l’agriculteur dénude, sans la blesser toutefois, la moelle de deux branches, qu’il réunit l’une à l’autre. La quatrième manière est ce qu’on appelle l’inoculation. On enlève sur un tronc généreux un bourgeon qui a été incisé circulairement, de sorte néanmoins que l’écorce le suive dans la grandeur d’un doigt. Puis on pratique sur la tige étrangère une entaille proportionnée à l’application qu’elle doit recevoir ; on assujettit avec des liens la pièce de rapport, on la revêt d’argile, avec la précaution de laisser l’œil dans toute son intégrité, sans l’altérer le moins du monde. Cette quatrième espèce, la plus utile de toutes pour les arbres fruitiers, s’applique à la doctrine gnostique dont le regard pénètre jusque dans le fond des choses. Assurément la greffe par incision dont parle l’apôtre « peut se transformer en olivier franc ; » qu’est-ce à dire ? en Jésus-Christ lui-même, la nature sauvage et infidèle de ceux qui croient au Sauveur, se trouvant ainsi implantée dans le Christ. Mais il vaut mieux que la foi de chacun soit entée sur le propre tronc de son âme. Le Saint-Esprit, en effet, se distribuant à travers toutes les parties de nous-mêmes s’y transplante dans une mesure proportionnée à l’incision, mais indivisible et sans rien perdre de lui-même. Salomon décrit ainsi la sagesse :
« La sagesse est brillante et ne se flétrit jamais ; elle est connue facilement par ceux qui l’aiment, et trouvée par ceux qui la cherchent ; elle devance ceux qui la désirent, pour se montrer à eux la première. Qui veillera pour elle dès le matin ne se lassera pas. Penser à elle est une prudence consommée ; veiller pour elle est une prompte sécurité. Elle va ça et là, cherchant ceux qui sont dignes d’elle ; »
car la connaissance n’appartient pas à tout le monde.
« Dans les chemins, elle se montre à eux avec un visage riant. »
Ces chemins sont les règles de la morale et la variété multiple des Testaments. Salomon continue : « Et elle leur apparaît dans toutes les pensées, » envisagée sous des formes diverses, c’est-à-dire au point de vue de toutes les doctrines. L’écrivain sacré, associant à la sagesse la charité qui la complète, va procéder maintenant par la voie du syllogisme et par un enchaînement lumineux de propositions qui portent avec elles la démonstration et la vérité.
« Le commencement de la sagesse est le vrai désir de l’instruction, » c’est-à-dire de la connaissance. « La sollicitude pour l’instruction est son amour ; l’amour est l’observation de ses lois, la garde de ses lois, la consommation de l’incorruptibilité : or l’incorruptibilité approche l’homme de Dieu. Ainsi donc, le désir de la sagesse nous élève jusqu’à la royauté. »
Salomon nous apprend, si je ne me trompe, que l’instruction véritable est une aspiration ardente vers la connaissance. Or, l’instruction se développe par l’amour de la connaissance ; l’amour n’est que l’observation des préceptes qui mènent à la connaissance ; l’observation des préceptes est la fidélité aux commandements de laquelle naît l’incorruptibilité. Or,
« l’incorruptibilité nous approche de Dieu. »
S’il est vrai que l’amour de la connaissance engendre l’incorruptibilité, et rapproche du Dieu, roi de tort ce qui existe, quiconque est de naissance royale, quelle obligation pour nous de chercher la connaissance, et de la chercher jusqu’à ce que nous l’ayons découverte ! L’investigation est une impulsion de notre âme vers le but qu’elle veut saisir, et qui atteint la vérité par quelques signes démonstratifs. La découverte est le terme et le repos de l’investigation qui est parvenue à la compréhension : cette dernière se confond avec la connaissance.
Dans la rigueur du mot, la découverte n’est que la gnose, puisqu’elle est la compréhension de l’objet que poursuivait l’investigation. Les philosophes entendent par signe la proposition dominante qui précède, accompagne, ou suit. L’investigation, qui a Dieu pour objet, aboutit donc à la doctrine qui nous vient par l’Intermédiaire du Fils de Dieu. Où est le signe démonstratif que le Fils de Dieu lui-même est notre Sauveur ? Demandez-le aux prophéties qui ont promulgué son avènement bien des siècles avant qu’il s’accomplit ; demandez-le aux témoignages qui attestent sa présence sensible parmi nous ; demandez-le enfin à sa puissance, qui est proclamée solennellement depuis son ascension et que l’on peut toucher du doigt, tant elle est visible !
Que la vérité soit parmi nous, en faut-il d’autre preuve que celle-ci : le Fils de Dieu lui-même nous a parlé ? En effet, si au fond de toute question vous retrouvez universellement ces deux circonstances, la personne et la chose, il est avéré par là même que la vérité, et ce qui mérite réellement ce nom, n’habite qu’au milieu de nous. La personne ! c’est le Fils de Dieu lui-même ; qu’est-ce à dire ? l’éternelle vérité qui se révèle à nous. La chose ! c’est la vertu de la foi qui triomphe des résistances, et vaincrait le monde, eût-elle le monde tout entier à combattre. Mais puisque, d’une part, les actions, le langage et la raison se sont accordés dans tous les temps à flétrir l’impiété du misérable qui nie la Providence, et à le châtier au lieu de le réfuter ; puisque, d’autre part, il nous a été montré, là, ce qu’il faut faire et comment il faut vivre pour arriver à la connaissance du Tout Puissant ; ici, par quelle manière d’honorer Dieu nous devenons à nous-mêmes les artisans de notre salut, instruits d’ailleurs de ce qui est agréable à notre maître, non pas à l’école des sophistes, mais par la bouche de Dieu lui-même, nous Chrétiens, nous travaillons à marcher dans les voies de la justice et de la sainteté. Ce qui lui est agréable, c’est que nous soyons sauvés : or, le salut est le fruit des bonnes œuvres et de la connaissance qui nous sont enseignées toutes deux par notre Seigneur. S’il est vrai de dire avec Platon que, hormis Dieu, ou les descendants des dieux, personne ne peut révéler la vérité, nous sommes en droit de nous écrier avec un noble orgueil :
« Nous possédons la vérité par le Fils de Dieu. Les oracles, promulgués avant les événements et confirmés depuis par les événements, sont nos pièces de conviction. »
Toutefois, il faut nous garder de rejeter avec dédain les méthodes qui nous facilitent la découverte de la vérité. Assurément lorsque la philosophie proclame qu’il existe une Providence, et assigne des rémunérations pour la vertu aussi bien que des châtiments pour le vice dans un autre monde, elle touche sommairement à la théologie. Mais interrogez-la sur la révélation ; descendez aux détails ; elle ne sait plus répondre. Ignorante du culte qu’il faut rendre à Dieu, elle ne parle pas comme nous du Fils de Dieu, ni de la divine économie de la Providence. Voilà pourquoi les hérésies qui s’élèvent dans le sein de la philosophie barbare, ont beau répéter avec nous qu’il n’y a qu’un Dieu, elles ont beau célébrer le Christ : discours purement humains et auxquels manque la vérité ! Le Dieu qu’elles reconnaissent est un Dieu de leur invention. Le Christ qu’elles professent n’est pas le Christ que nous enseignent les prophètes. Aussi longtemps que leurs dogmes pervers demeurent eu contradiction avec les enseignements de la vérité, ils sont contre nous. Il est bien vrai que Paul, à cause de ceux d’entre les Juifs qui croyaient, donna la circoncision à Timothée. Il craignait que l’abolition d’une pratique, interprétée d’une manière charnelle sous l’empire de la loi, n’écartât de la foi chrétienne les néophytes qui venaient du judaïsme. Mais il savait bien que la circoncision était impuissante à justifier. Sa maxime, c’était « de se faire tout à tous » en conservant par condescendance et momentanément les prescriptions en vigueur,
« afin de sauver tous les hommes. »
Ailleurs, ne voyons-nous pas Daniel porter, sous le roi des Perses, le collier d’or ? La tribulation du peuple ne lui sembla point une considération de médiocre importance.
On n’est donc pas coupable de mensonge pour user de condescendance dans un intérêt de salut, ni pour se tromper sur quelque point qui n’est pas capital. Les fourbes et les imposteurs sont ceux qui, attaquant les principaux articles de la foi, rejettent le Seigneur, autant qu’il est en eux, ou au moins renient la véritable doctrine, puisqu’ils expliquent et transmettent les Écritures contrairement à la dignité de Dieu et du Seigneur. En effet, l’interprétation et l’observation exacte des Écritures, conforme à la sainte doctrine, et telle que la pieuse tradition des apôtres nous la transmet, est le dépôt que nous rendons à Dieu.
« Ce qui vous est dit à l’oreille, »
c’est-à-dire, dans un sens particulier et mystique, car on se sert de cette allégorie pour exprimer l’énonciation d’un mystère,
« publiez-le sur les toits, »
disent les livres saints. Oui, sans doute ; en recueillant les saints oracles avec une âme généreuse, en les transmettant dans toute leur magnificence, en les expliquant d’après la règle de la vérité. En effet, ni les prophètes, ni notre Seigneur lui-même, n’ont divulgué les divins mystères assez clairement pour que le premier venu pût les comprendre. La parabole était la forme sous laquelle ils se cachaient.
« Jésus, suivant le langage des apôtres, disait toutes choses en paraboles, et il ne parlait qu’en paraboles. » Si « tout a été fait par lui, et que rien de ce qui a été fait n’ait été fait sans lui, »
il est donc vrai que la prophétie et la loi remontent jusqu’à lui et que c’est lui qui les a énoncées en paraboles.
Au reste,
« toutes mes paroles sont droites pour les intelligents, »
dit l’Esprit saint, c’est-à-dire, pour ceux qui, recevant, d’après la règle de l’Église, l’interprétation des textes sacrés, la conservent telle qu’elle a été manifestée par le Christ lui-même. Or, la règle de l’Église n’est rien moins que l’harmonieux accord de la loi et des prophètes, en conformité avec le Testament que Jésus-Christ nous a légué par sa présence au milieu de nous. La prudence marche à la suite de la connaissance, et la tempérance à la suite de la prudence. On peut dire que la prudence est une connaissance divine qui échoit en partage à ceux qui deviennent dieux ; que la tempérance, au contraire, humaine dans sa nature, est le lot de ceux qui s’adonnent à la philosophie et ne sont pas encore arrivés à la sagesse. Si la vertu est divine, divine aussi doit en être la connaissance ; mais la tempérance est une sorte de prudence incomplète, qui aspire à la prudence, dont les œuvres sont pleines de labeurs, plus militante que contemplative. Il en est de même assurément de la justice : humaine dans ses applications, et vulgaire par là même, elle est au-dessous de la sainteté, qui est la justice de Dieu. Voyez l’homme parfait. Il n’attend pas que les règlements civils, ou les prohibitions de la loi le contraignent à la justice : il s’y porte d’un mouvement spontané, et par amour pour Dieu. Les Écritures voilent donc le sens de leurs oracles pour bien des motifs. Elles veulent d’abord que nous examinions scrupuleusement, et que nous tenions constamment notre esprit éveillé pour l’intelligence de la sainte doctrine. Ensuite il n’était pas expédient à tous les hommes de comprendre. Les paroles de l’Esprit saint, destinées au salut, pouvaient se retourner contre les profanateurs qui les accueilleraient avec de coupables dispositions. Voilà pourquoi les saints mystères des prophéties, réservés pour les Élus et pour ceux que leur foi a prédestinés à la connaissance, sont enveloppés de paraboles ; car le style des Écritures est tout parabolique. De là vint que le Seigneur, quoiqu’il ne fût pas de ce monde, conversa au milieu des hommes comme s’il eût été de ce monde. Il fut le modèle vivant de toutes les vertus. L’homme nourri dans ce monde, il l’éleva vers les objets invisibles, essentiels, transportant ainsi le monde dans un autre inonde. Nouvelle raison pour les Écritures de recourir à la parabole. Cette forme de langage, qui n’indique pas l’objet lui-même, mais le montre à travers un léger déguisement, conduit l’intelligence au sens propre et véritable ; ou, si l’on veut, la parabole est une manière de parler qui nomme sous d’autres mots le mot propre, dans l’intérêt de notre instruction.
Ne voyons-nous pas, en effet, la divine économie de l’Incarnation prédite par les prophètes, demeurer à l’état de simple allégorie pour ceux qui ne connaissent pas la vérité ? Que le Fils du Dieu, qui a créé toutes choses, ait revêtu notre chair ; qu’il ait été conçu dans le sein d’une vierge en tant qu’il a pris un corps sensible; que, par suite de sa naissance charnelle, il ait souffert, et qu’il ait ressuscité, mystère que nomme celui-ci, que comprennent ceux-là ;
« scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, »
selon le langage de l’apôtre ! Mais soulevez le voile des Écritures ! Qu’elles montrent la vérité à ceux qui ont des oreilles ! Dans cette chair qu’a revêtue notre Seigneur et qui a enduré la passion, vous reconnaîtrez aisément la Sagesse et la Vertu de Dieu. Enfin, la forme allégorique remontant à une haute antiquité, comme nous l’avons démontré, il ne faut pas s’étonner qu’on la retrouve fréquemment chez les prophètes. L’Esprit saint se proposait par là de convaincre les philosophes de la Grèce et les sages des autres nations barbares, qu’ils avaient ignoré le futur avènement de notre Seigneur et la doctrine mystérieuse qu’il devait apporter ici-bas. C’est donc à bon droit que la prophétie où était proclamé notre Seigneur, de peur de passer aux yeux de quelques-uns pour blasphématoire, parce qu’elle contredisait les opinions communes, enveloppa la signification réelle sous des expressions qui pouvaient éveiller dans les âmes des conceptions d’une nature différente. De plus, tous les prophètes qui ont prédit l’avènement du Seigneur, et avec cet avènement les mystères qui en étaient la conséquence, endurèrent la persécution et furent mis à mort comme le Seigneur qui leur manifesta les Écritures. Ses disciples eux-mêmes, qui répandirent par le monde sa parole aussitôt qu’il eut quitté la vie, usèrent, à son exemple, de la parabole. Écoutons Pierre parlant des apôtres dans sa prédication :
« Après avoir parcouru les livres que nous ont laissés les prophètes, où Jésus-Christ est nommé tantôt en paraboles, tantôt en énigmes, tantôt sous des termes formels et incontestables, nous y avons trouvé son avènement, sa croix, sa mort, tous les supplices dont les Juifs l’ont accablé, la résurrection et son ascension au ciel, avant la fondation de la nouvelle Jérusalem, ainsi qu’il est écrit. »
Voilà par quelles tribulations il devait nécessairement passer ; voilà ce qui doit arriver après lui.
« Cet examen fait, nous avons cru en Dieu d’après ce que portent les Écritures à son sujet. »
Puis il ajoute un peu plus bas que les livres saints sont l’œuvre de la divine providence : Nous savions, dit il, que Dieu les
« avait réellement ordonnés, et nous n’avançons pas un mot qui ne s’appuie sur l’Écriture. »
La langue hébraïque, elle aussi, possède quelques propriétés particulières, semblable sur ce point à tous les idiomes en général, et riche en locutions caractéristiques qui sont comme le cachet de la nation. On définit une langue une manière de s’exprimer qui se moule sur le caractère du peuple. La prophétie n’a rien qui ressemble aux combinaisons de ces dialectes. Chez les Grecs, les expressions figurées se voilent à dessein, pour mieux imiter celles de nos prophéties. C’est, en vers comme en prose, une déviation volontaire du sens naturel ; car le trope n’est qu’une manière de détourner le mot de son acception propre pour l’appliquer à un sens figuré, dans l’intérêt de la composition, et pour donner aux différentes parties du discours plus de grâce et de mouvement. Mais jamais la prophétie ne recourt aux figures dans le bot d’orner le langage. Comme elle sait que tous ne peuvent porter la vérité, elle se cache sous mille formes diverses et ne fait briller la lumière que pour les fidèles, initiés à la connaissance et conduits à la vérité par l’amour. La philosophie barbare a différentes espèces de prophéties, le proverbe, la parabole, l’énigme. Elle distingue la sagesse comme quelque chose qui diffère de la discipline, puis les paroles de la prudence, les subtilités du langage, la véritable justice, puis encore la science de diriger le jugement, la ruse que la discipline apprend aux simples, le sens et l’intelligence, qui est communiquée au néophyte par les catéchèses.
« Le sage, en écoutant ces prophètes, est-il dit, deviendra plus sage, et l’homme prudent apprendra l’art de gouverner. Il pénétrera les paraboles et leurs secrets, les discours des sages, et leurs mystères. »
S’il est vrai qu’Hellène, fils de Jupiter, selon les uns, de Deucalion, selon les autres, donna son nom aux langues helléniques, c’est-à-dire grecques, la chronologie que nous avons exposée plus haut, peut servir aisément à démontrer de combien de générations la langue hébraïque est antérieure aux dialectes de la Grèce.
À mesure que nous avancerons dans cet ouvrage, après avoir examiné sous chacune de leurs faces les figures dont parlait le prophète, nous exposerons avec soin, et selon la règle de la vérité, le régime qui constitue la vie gnostique. Lorsque la Vertu divine apparut à Hermas dans une vision, et sous la figure de l’Église, elle lui remit entre les mains, avec ordre de le transcrire, un livre qu’elle voulait faire connaître aux élus.
« Je l’ai transcrit, dit le Pasteur, lettre par lettre ne pouvant découvrir comment s’assemblaient les syllabes. »
Cette vision signifiait que l’Écriture, prise dans la simple acception des mots, est claire pour tous, et que la foi joue ici le rôle de l’alphabet. Voilà pourquoi on dit allégoriquement lire d’après la lettre. Au contraire, l’interprétation gnostique, plus intelligente, grâce aux progrès de la foi, est assimilée à la lecture par syllabes. Ailleurs n’est-il pas ordonné au prophète Isaïe de prendre le livre nouveau pour y écrire des mots mystérieux ? Le Saint-Esprit désignait, au moyen de ce symbole, la sainte connaissance, qui devait venir par l’explication des Écritures, et dont les livres n’avaient pas encore reçu le dépôt, parce qu’elle était encore ignorée. Le mystère avait été révélé dès l’origine à ceux qui ont l’intelligence. Il y a plus. Depuis que le Seigneur a instruit lui-même ses apôtres, la tradition de l’Écriture nous est transmise maintenant non écrite, gravée qu’elle est par la puissance de Dieu dans des cœurs nouveaux, d’après le Testament nouveau.
Voilà pourquoi les plus éclairés d’entre les Grecs consacrent à Hermès, qu’ils disent être la parole, une grenade, en reconnaissance de l’usage de la voix et de son interprétation ; car le discours renferme bien des sens cachés.
Il y avait donc une profonde sagesse dans cette vision de Jésus, fils de Navé, quand il aperçut un double Moïse enlevé aux cieux, l’un placé parmi les anges, l’autre debout sur le sommet des montagnes, et bien digne d’avoir encore les anges pour compagnons sur ces hauteurs. Or, Jésus vit ce spectacle d’en bas, transporté en esprit avec Caleb. Toutefois les deux spectateurs ne voient pas de la même manière. Celui-ci descendit promptement, comme impatient de déposer le fardeau qui l’accablait ; celui-là, descendu de ces sublimités, raconta dans la suite la gloire dont il avait été le témoin, plus clairvoyant que son compagnon, parce qu’il était plus pur. L’histoire signifie, si je ne me trompe, que la connaissance n’est pas le domaine de tous. Les uns occupés du corps matériel des Écritures, c’est-à-dire, des mots et des noms, n’entrevoient que le corps de Moïse ; les autres pénètrent le fond de la pensée, et cherchent sous les mots leur signification mystique, poursuivant avec une avide curiosité le Moïse qui siège à côté des anges. Assurément parmi ceux qui invoquaient le Seigneur lui-même, un grand nombre disaient :
« Fils de David, ayez pitié de moi ! »
mais combien peu connaissaient le Fils de Dieu, comme Pierre, que son maître proclama heureux,
« puisque ce n’était ni la chair ni le sang qui lui avait révélé le mystère, mais le Père qui est dans les deux ! »
Il nous apprenait par ces mots, que le véritable Gnostique connaît le Fils du Tout-Puissant, non point par les yeux de cette chair qui a été formée dans le sein maternel, mais par la vertu du Père lui-même. La possession de la vérité n’est pas une œuvre laborieuse uniquement pour les inexpérimentés et les inhabiles. L’histoire de Moïse fournit la preuve que ceux-là même dont elle est la science particulière, ne jouissent pas de la contemplation dans toute son étendue. Jadis les Hébreux ont vu la gloire de Moïse ; les saints d’Israël ont vu les visions angéliques : il faut attendre que nous puissions, comme eux, contempler face à face les splendeurs de la vérité.