Préparation évangélique

LIVRE VII

CHAPITRE XIX
QUE LA MATIÈRE N’EST PAS INCRÉÉE

« On ne peut excuser d’impiété ceux qui, croyant que la matière est incréée, la soumettent à l’action de Dieu et la supposent d’une nature assez flexible, assez maniable, pour qu’elle ait reçu toutes les modifications qu’il lui a plu de lui donner. Car dans ce système, chose inexplicable, Dieu et la matière sont semblables et dissemblables à la fois. En effet, il faut que l’un des deux soit supérieur à l’autre (supériorité qui, du reste, ne conviendrait qu’à Dieu), et pourtant ils sont tous deux incréés, et ce qui est incréé ne peut avoir de supérieur. Dira-t-on que c’est Dieu qui est principalement l’être incréé, parce que l’existence sans commencement est pour ainsi dire son essence ? Dans ce cas la matière n’est plus incréée, puisqu’elle ne fait pas une même chose avec Dieu. Dira-t-on que c’est Dieu et la matière tout ensemble qui sont également être incréé ? On revient évidemment à supposer l’un des deux plus ancien et plus puissant que l’autre. D’ailleurs la différence de leurs natures s’oppose à ce qu’ils soient coexistants et plus encore que l’un des deux, la matière, existe par lui-même : autrement, pourquoi l’un et l’autre étant également incréés, Dieu sera-t-il impassible, insaisissable, immuable, actif, et la matière susceptible d’impulsions étrangères, de changements, de configurations diverses ? Comment ces deux êtres se sont-ils entendus pour concourir au même but ? Est-ce Dieu qui s’est accommodé à la nature de la matière pour la travailler ? Mais il est absurde de penser que Dieu, ainsi que les hommes, fonde l’or, taille la pierre et exerce d’autres fonctions manuelles indispensables pour donner à la matière toutes les formes, toutes les dispositions qu’elle peut recevoir. Qu’on suppose, au contraire, Dieu formant la matière, comme il l’a voulu dans sa sagesse, et lui imprimant les types multipliés et les figures variées de sa création, voilà une idée heureuse, fondée sur la vérité et qui confirme l’opinion que Dieu, auteur et vie de l’univers, est incréé ; or être incréé et exister par soi-même sont deux choses corrélatives. On pourrait réfuter plus au long ce système, mais ce n’est pas ici le lieu. D’ailleurs, comparés aux criminels sectateurs du polythéisme, ses partisans paraissent plus excusables. »

Telles sont les paroles de Denys. Écoutons Origène.

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