« Il éclairera les ténèbres les plus profondes ; » oui, par son Christ, puisqu’il a promis que le Christ illuminerait toutes choses. Il s’est représenté lui-même sous la figure d’un flambeau qui « interroge les reins et les cœurs. Chacun recevra de lui la louange qui lui est due, » la louange et le blâme, comme il convient à un juge.
— Au moins, vous en conviendrez, dis-tu, Paul, dans le passage suivant, entend par le monde le Dieu du monde : « Nous avons été donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. » Si par le monde il avait désigné les habitants du monde, aurait-il nommé ensuite les hommes ?
— Et moi je te réponds que, pour combattre d’avance ton interprétation, la sagesse providentielle de l’Esprit saint a eu soin de s’expliquer sur ce passage : « Nous avons été donnés en spectacle au monde. » Qu’est-ce à dire ? Aux anges qui gouvernent le monde, et aux hommes que servent les anges. Cet homme d’une merveilleuse fermeté d’âme, pour ne pas dire l’Esprit saint lui-même, craignait apparemment, surtout quand il écrivait « à des fils qu’il avait engendrés par l’Evangile, » de nommer en termes clairs le Dieu du monde, lorsqu’il ne pouvait l’attaquer qu’au grand jour. Qu’il ait censuré, conformément à la loi du Créateur, le Corinthien qui abusait de la femme de son père, je l’accorde : l’apôtre a suivi les principes de la loi naturelle et commune. Mais lorsqu’il le condamne « à être livré à Satan, » il est le prédicateur du Dieu qui châtie. A lui encore de l’expliquer dans quel sens il a dit : « pour être châtié dans son corps, afin que son âme soit sauvée au jour de notre Seigneur Jésus-Christ. » Toutes ces expressions « la mort de la chair, le salut de l’esprit, ce mal qu’il enlève du milieu de son peuple, » ne sont rien moins que des locutions familières qui rappellent la loi du Créateur : « Purifiez-vous donc du vieux levain, afin que vous soyez une pâte toute nouvelle, comme étant vous-mêmes des pains azymes. » Ainsi donc les pains azymes étaient dans la loi du Créateur la figure des Chrétiens. Car Jésus-Christ est notre agneau pascal « immolé pour nous. » Pourquoi le Christ serait-il notre pâque, si la pâque n’était la figure du Christ, par la ressemblance de ce sang qui donne le salut, et de l’agneau pascal qui est Jésus-Christ ? Pourquoi l’apôtre nous appliquerait-il à nous et au Christ les symboles de la loi ancienne, s’ils ne nous appartenaient pas ?
Dans le passage où il nous détourne de la fornication, il prouve la résurrection de la chair, « Le corps, dit-il, n’est point pour la fornication ; il est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps, » de même que le temple est pour le Dieu et le Dieu pour le temple. Le temple périra donc pour le Dieu, et le Dieu pour le temple. Remarque-le encore : « Comme Dieu a ressuscité le Seigneur, il nous ressuscitera de même par sa puissance, » il nous ressuscitera dans notre chair, parce que le corps est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps. Heureusement il ajoute : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres de Jésus-Christ ? » Que répondra l’hérétique ? Les membres du Christ ne ressusciteront-ils pas lorsqu’ils ne sont plus déjà les nôtres ? « Car nous avons été rachetés à un grand prix. » A un prix de nulle valeur, si le Christ a été un fantôme, s’il n’a pas été revêtu d’une chair réelle, afin de la livrer en échange de nos corps. Le Christ a donc eu de quoi nous racheter ; et s’il a racheté à grands prix ces corps qu’il ne faut plus prostituer à la fornication, attendu qu’ils sont les membres du Christ et non plus les nôtres, il ne manquera pas de sauver pour lui-même et intégralement une substance qui lui a tant coûté.
Maintenant comment l’honorer ? Comment porter Dieu dans un corps qui doit périr ? Il nous reste à traiter du mariage, qu’interdit Marcion, plus rigoureux sur ce point que l’apôtre lui-même. L’apôtre, en effet, tout en préférant la vertu de la continence, permet cependant l’union conjugale, en autorise l’usage, et conseille de rester dans ce lien plutôt que de le rompre. Mais, dira-t-on, le Christ proscrit toute idée de divorce, tandis que Moïse le permet. Marcion interdit tout commerce charnel à ses catéchumènes. À lui de voir si, en ordonnant la répudiation de la femme engagée dans le mariage, il se conforme à l’opinion de Moïse ou du Christ. Mais quand l’apôtre du Christ a dit : « Que la femme ne se sépare pas de son mari ; ou, si elle s’en sépare, qu’elle reste sans se marier ou qu’elle se réconcilie avec son mari, » qu’a-t-il fait ? D’abord il a permis la séparation, c’est-à-dire qu’il ne l’a pas entièrement empêchée ; il a confirmé la sainteté du mariage en défendant la séparation ; ou, s’il y a eu séparation, en voulant que les deux époux se réunissent. Mais quelles causes assigne-t-il à la continence ? « Le temps est court, » dit-il. J’aurais cru pour mon compte que c’était parce que le Christ n’était pas le même Dieu que le Créateur. Et cependant celui de qui émane la brièveté du temps donnera probablement aussi ce qui convient à la brièveté du temps. Personne ne pourvoit à un temps dont il n’est pas le maître. Tu dégrades aussi par trop ta divinité, ô Marcion, en nous la montrant circonscrite par le Créateur dans l’intervalle, des temps. Du moins il est certain qu’en prescrivant « de ne se marier que dans le Seigneur, » de peur que le fidèle ne s’engage dans l’alliance païenne, Paul se conforme à la loi du Créateur, qui interdit partout l’union avec des étrangers.
« Quoiqu’il y en ait qui soient appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre. » Le sens de ces paroles n’est pas douteux. L’apôtre n’entend pas donner à des êtres chimériques une existence qu’ils n’ont pas. La question roulant sur les idoles, c’est aux idolâtres qu’il va s’adresser. « Nous savons, vient-il de dire, qu’une idole n’est, rien dans le monde. » Marcion ne nie point la divinité, du Créateur. Donc il est impossible que Paul ait rangé le Créateur parmi ces vains simulacres qui sont appelés dieux, sans l’être en effet, parce que, même en leur accordant ce titre, « il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, qui, est le père. » De qui tout nous vient-il, sinon de celui auquel tout appartient ? Et quelles sont ces choses ? Les textes précédents l’expliquent : « Tout est à vous, soit Paul, soit Apollon, soit Cephas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les futures. » Tant il est vrai que Paul reconnaît le Créateur pour le Dieu de toutes choses, en lui attribuant le monde, la vie et la mort, qui dès-lors ne peuvent plus appartenir à un autre. Donc, parmi toutes ces choses, le Christ émane aussi du Dieu créateur.
« En nous apprenant que chacun doit vivre de son travail, » l’apôtre s’était suffisamment appuyé de l’exemple du soldat, du berger et du laboureur ; mais une autorité divine lui manquait encore. Il invoque mal à propos la loi du Créateur que sa prédication venait anéantir ; car son Dieu n’en avait pas de semblable. « Vous ne tiendrez pas, dit-il, la bouche du bœuf qui foule les grains. » Puis il ajoute : « Est-ce que Dieu se soucie des bœufs ? » S’il se montre bienveillant pour les animaux, c’est à cause des hommes ; car il est écrit : « N’est-ce pas pour nous qu’il a fait cette ordonnance ? » Donc l’apôtre atteste avec nous que l’ancienne loi était non-seulement symbolique, mais favorable à ceux qui suivent l’Evangile, et par-là même que les prédicateurs de l’Evangile n’annoncent pas d’autre Dieu que le maître de la loi qui pourvut d’avance à leurs besoins en ces termes : « C’est pour nous qu’a été fuite cette ordonnance. » Mais Paul ne voulant pas profiter du bénéfice de la loi, aima mieux travailler sans y être assujetti. Accroître devant Dieu des mérites qu’il ne permit à personne d’affaiblir, voilà son but, mais non détruire une loi dont il approuva l’application pour autrui.
Voilà que l’aveugle Marcion vient se briser à la pierre « dont nos pères buvaient l’eau mystérieuse dans le désert. » Si le Christ a été cette pierre symbolique, Christ et peuple relèvent du même Créateur. Autrement pourquoi recourir à un symbole étranger ? Paul n’a-t-il pas voulu plutôt nous apprendre que le passé figurait le Christ qu’il faut dégager de ces voiles ? Peut-on en douter, quand sur le point de parcourir les différentes révolutions du peuple hébreu, il commence par nous prévenir que « toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde ? » Réponds-moi : ces figures émanent-elles du Créateur d’un dieu inconnu, ou bien est-ce ton dieu nouveau qui emprunte ces symboles à un dieu étranger et, qui plus est, son antagoniste ? Il m’épouvante en détournant à son profit la foi que j’avais au dieu étranger. Espère-t-il me rendre plus docile à sa voix par les menaces de son rival ? Si je tombe dans les mêmes fautes qu’Israël, souffrirai-je ou non les mêmes châtiments ? Si les châtiments diffèrent, il exploite mes terreurs par des menaces chimériques. Mais j’ admets la possibilité des châtiments ; qui me les infligera ? Le Créateur ? Est-ce bien au Créateur qu’il convient de venger de pareils délits ? Spectacle édifiant, que de voir celui-ci châtier des crimes commis envers son antagoniste, tandis que le dieu rival est inhabile à protéger la victime !
La punition viendra du dieu nouveau. – Mais tu oublies qu’il n’a ni rancune ni colère. Ainsi l’argumentation de l’apôtre croule de toutes parts, si elle ne se rattache pas à la loi ancienne du Créateur. Enfin Paul, dans un dernier verset, se montre d’accord avec ce qui précède. « Toutes ces choses qui leur arrivaient, dit-il, étaient des figures, elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps. » O Créateur, dont la prescience avertit des Chrétiens avec lesquels il n’a rien de commun ! S’il se présente quelque objection à laquelle j’aie déjà répondu, je passe outre et j’achève en peu de mots.
On veut que « la permission de manger de toutes les viandes, contrairement aux prescriptions mosaïques, » soit un puissant argument en faveur du dieu nouveau. Comme si nous ne déclarions pas nous-mêmes que les fardeaux de la loi ancienne ont été allégés, mais allégés par qui les avait imposés, par qui avait promis la rénovation de toutes choses. C’est le même législateur qui, après avoir frappé d’interdit les aliments, en rétablit l’usage ; il achève comme il avait commencé. D’ailleurs, si quelque dieu était venu anéantir le nôtre, quel eût été son premier soin ? interdire à ses adorateurs les aliments de son antagoniste.