Contre Marcion

LIVRE V

Chapitre VIII

« Le Christ est le chef de l’homme. » Quel Christ, puisqu’il n’est pas l’auteur de l’homme ? Chef, dans ce passage, équivaut à autorité ; or, à qui appartient l’autorité, sinon à l’auteur lui-même ? Enfin de quel homme est-il le chef ? De l’homme, indubitablement, dont il va dire : « Il ne doit point voiler sa tête, parce qu’il est l’image de Dieu. » Si donc l’homme est l’image du Créateur, puisque Dieu contemplant le Christ son Verbe dans son humanité future, dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, » comment puis-je avoir d’autre chef que celui dont je suis l’image ? Image du Créateur, il n’y a pas de place en moi pour un autre chef. Mais pourquoi « la femme devra-t-elle porter sur sa tête la marque du pouvoir que l’homme a sur elle ? La femme ayant été tirée de l’homme et faite pour l’homme, » suivant les plans du Créateur, il s’ensuit que l’apôtre maintient la discipline de ce même Dieu conformément à l’institution duquel il explique les motifs de la discipline. « A cause des anges, » ajoute-t-il. Lesquels ? les anges de quel dieu ? Sont-ce les anges révoltés contre le Créateur ? Il a raison de vouloir que ce visage qui a été pour eux une occasion de chute soit comme flétri par son humiliation extérieure et par le voile répandu sur sa beauté. S’agit-il, au contraire, des anges du dieu nouveau ? Frayeurs chimériques ! Les Marcionites eux-mêmes ne recherchent pas les femmes. Nous avons montré plus d’une fois que l’apôtre regarde l’hérésie comme le plus grand des maux, et comme les plus intelligents des hommes ceux qui fuient l’hérésie « comme un mal. » De là nous avons démontré par le sacrement du pain et du calice, tel qu’il est contenu dans l’Evangile, la vérité du corps et du sang de Jésus-Christ, contrairement à la chair fantastique que lui donne Marcion. Il y a mieux. Que toute idée de jugement convienne au Créateur en sa qualité de Dieu juge, l’ouvrage tout entier n’a presque pas d’autre but.

J’arrive maintenant aux biens spirituels. Ils ont été promis par le Créateur dans la personne de son Christ. Ici ma foi s’appuie sur une prescription bien légitime : l’accomplissement de la promesse doit être rapporté au véritable auteur de la promesse. Isaïe l’a déclaré : « Un rejeton naîtra, de la tige de Jessé, une fleur s’élèvera de ses racines, et l’esprit du Seigneur reposera sur lui. » Puis vient rémunération de ses qualités : « esprit de sagesse et d’intelligence ; esprit de conseil et de force ; esprit de science et de piété. Il sera rempli de la crainte du Seigneur. » Le prophète nous montre, sous la figure d’une fleur, le Christ sortant d’une tige de la racine de Jessé, c’est-à-dire naissant d’une vierge du sang de David, et renfermant en lui-même la substance de l’Esprit saint. Divines effusions qui, pour se répandre, n’avaient pas attendu l’incarnation de celui qui fut toujours l’Esprit de Dieu, même avant sa naissance charnelle. Je le dis, pour ne pas laisser croire que la prophétie s’applique uniquement à un Christ destiné à recueillir tardivement. L’esprit de Dieu, en sa qualité d’homme et de fils de David. L’esprit qui devait former sa chair du sang de David, c’est celui qui devait reposer sur lui avec la plénitude de ses dons, s’y arrêter toujours, et interrompre toute communication avec les Juifs. Ici les faits parlent d’eux-mêmes. L’esprit du Créateur ne souffle plus sur eux. « Dieu a enlevé à Jérusalem le sage, l’habile architecte, le conseiller et le prophète, afin que s’accomplît cette parole : « La loi et les prophètes ont subsisté jusqu’à Jean. »

Ecoute maintenant en quels termes le prophète annonce que le Christ, une fois rentré dans le ciel, fera pleuvoir la rosée de sa grâce. « Il est monté dans la hauteur des cieux ; il a traîné derrière lui la captivité captive, » c’est-à-dire la mort, ou l’esclavage de l’humanité ; il a donné aux fils des hommes ce qui lui avait été « donné, » c’est-à-dire les effusions de la grâce. Aux fils des hommes, dit-il avec beaucoup de justesse, et non pas à tous les hommes indistinctement ; prouvant par-là que nous sommes les fils des hommes, c’est-à-dire des apôtres, qui furent les hommes véritables. Nous lisons en effet : « Je vous ai engendrés dans l’Evangile, et vous êtes des Fils que j’enfante de nouveau. » Mais voilà que Joël énonce en termes formels la promesse de l’Esprit saint : « À la fin des temps, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et mes servantes. » S’il est vrai que le Créateur ait promis à la fin des temps les effusions de l’esprit ; si d’autre part le Christ, dispensateur des biens spirituels, a paru vers la fin des temps, suivant le témoignage de l’apôtre : « Mais, lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son fils ; » et ailleurs : « parce que le temps est court, » l’annonce de ses derniers temps est une nouvelle démonstration que les grâces de l’Esprit appartiennent au Christ du Dieu qui les annonça d’avance. Comparons d’ailleurs l’apôtre avec Jean. « L’un, dit Paul, reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse. » Aussitôt Isaïe met en regard « l’esprit de sagesse. » « L’autre reçoit du même esprit le don de parler avec science. » – Voilà l’esprit d’intelligence et de conseil du prophète. – « L’autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. » Voilà l’Esprit de piété et de crainte de Dieu dont parle le prophète. « Un autre reçoit le don de guérir les maladies et de faire des miracles. » Voilà l’esprit de force du prophète. « Un autre reçoit le don de prophétie, un autre le don de discerner les esprits, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de les interpréter. » Voilà l’esprit de discernement du prophète. Quel merveilleux accord entre l’apôtre et le prophète, dans la distribution d’un même esprit et l’interprétation de chacune de ses propriétés !

Je vais plus loin. L’apôtre montre encore que le Dieu qui nous donna un corps composé de plusieurs membres auxquels il compare la variété des dons spirituels, est le même Dieu, Seigneur du corps de l’homme et de l’Esprit saint, qui ne voulut pas que le mérite des grâces résidât dans le corps de l’esprit, pas plus que dans le corps humain lui-même, et qui, par un commandement supérieur à tous les autres et approuvé du Christ, remplit son apôtre de la charité comme de la plus excellente de toutes les grâces. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta force, de toute ton âme, et ton prochain comme toi-même. » Il renouvelle ce précepte, quoique déjà écrit dans la loi ancienne. Le don des langues atteste par ce souvenir que le Créateur devait parler en d’autres langues et par d’autres lèvres, et il est impossible que l’apôtre ait établi par sa prédication d’autre grâce que celle du Créateur. Lorsque l’apôtre dit encore : « Que les femmes se taisent donc dans l’église, s’agit-il même de parler pour s’instruire, » (au reste, il a montré plus haut qu’elles avaient le droit, de prophétiser, lorsqu’il leur enjoint de voiler leur tête pendant qu’elles prophétisent,) l’apôtre ne fait qu’emprunter à la loi ancienne la soumission imposée à la femme. Encore un coup, il n’a dû connaître cette loi que pour la détruire.

Au reste, laissons de côté la question des dons spirituels. Qui de nous a tort de les réclamer comme la propriété de son Dieu ? Peut-on les retourner contre nous ? Le Créateur les a-t-il promis dans la personne d’un Christ qui ne s’est pas manifesté, parce qu’il est destiné exclusivement aux Juifs, et qu’il faut à ces opérations leur temps, leur christ et leur peuple choisi ? Les faits eux-mêmes se chargeront de répondre. Que Marcion nous montre les grâces de son dieu, qu’il nous cite ses prophètes annonçant l’avenir et révélant les secrets du cœur, non pas à l’aide de la raison humaine, mais par l’inspiration de l’Esprit saint ; nous lui demanderons où sont chez lui les Psaumes, les visions, les discours spirituels composés dans l’extase ou dans les transports de l’âme, et enfin où est l’interprétation des langues. Qu’il me prouve que dans son Église une femme elle-même a prophétisé, et une de ses plus saintes femmes, alors je ferai grand cas de ses dogmes. Si, au contraire, je puis produire aisément tous ces titres dans une merveilleuse harmonie avec les règles, les plans et la discipline du Créateur, il n’en faudra plus douter, Christ, Esprit et apôtre, tous appartiennent à mon Dieu.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant