Revenons maintenant à la résurrection. Nous lui avons déjà consacré ailleurs un traité spécial qui réfute tous les hérétiques. Mais nous ne voulons pas faire défaut en cette circonstance à ceux qui ne connaîtraient pas cet opuscule. « Autrement, dit l’apôtre, que gagneront ceux qui sont baptisés pour les morts, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent point ? » Que cette coutume se justifie elle-même. Peut-être que les calendes de février pourraient nous répondre sur cet usage du baptême pour les morts. Mais ne va pas en conclure que ton apôtre du dieu nouveau soit l’introducteur ou l’approbateur de cette institution. Loin de là, il vise à établir le dogme de la résurrection de la chair par la superstition des Gentils, qui fondaient leur chimérique baptême pour les morts sur l’espérance de la résurrection. Paul nous dit quelque part : « Il n’y a qu’un baptême. » Être baptisé pour des morts, c’est être baptisé pour des corps ; en effet, le corps est la chose qui meurt, nous l’avons prouvé, « Que gagneront ceux qui sont baptisés pour des corps, si les corps ne ressuscitent point ? » dit-il. Le terrain est donc ferme sous nos pieds, quand nous soutenons que la seconde proposition de l’apôtre concerne les corps.
« Mais, dira quelqu’un, comment les morts ressusciteront-ils, et avec quel corps reviendront-ils ? » Après avoir établi le dogme de la résurrection que l’on niait, il était naturel de discuter la qualité du corps dont on n’avait pas l’idée. Toutefois, c’est avec d’autres adversaires qu’il convient de débattre ce point. Marcion, en niant complètement la résurrection de la chair, et en ne promettant le salut qu’à l’âme, a fait de la question présente, non plus une question de qualité, mais de substance. De la discussion engagée par l’apôtre à cause de ceux qui disent : « Comment les morts ressusciteront-ils, et avec quel corps reviendront-ils ? » (car déjà il avait proclamé la résurrection de la chair) il résulte manifestement qu’il s’agit de la qualité du corps. Enfin, s’il produit les exemples du froment, de la plante ou de toute autre semence à laquelle Dieu donne le corps qu’il lui plaît ; si chaque semence, ajoute »-t-il, a le corps qui lui est propre ; si autre est la chair des hommes, autre est la chair des bêtes, autre celle des oiseaux ; s’il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres ; si le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur, » n’affirme-t-il pas la résurrection de la chair, en la démontrant par des exemples empruntés au corps et à la chair ? La résurrection, en outre, n’appartiendra-t-elle pas au Dieu auquel appartiennent ces exemples ? « Il en va de même de la résurrection, » dit-il. Comment cela ? Le corps semé à la manière des plantes, ressuscite à la manière des plantes. L’apôtre entend par le corps semé sa dissolution dans la terre. « Il est semé dans la corruption, et il ressuscite dans la gloire et la force. » Ainsi mêmes ressemblances de part et d’autre. Enlevez ! la résurrection le corps que vous avez livré à la dissolution, que devient l’harmonie des rapprochements ? Conséquemment, « s’il est semé corps animal, il ressusciterai corps spirituel. »
En donnant même à l’âme ou à l’esprit un corps qui leur soit propre, de façon que par le corps animal on puisse entendre l’âme, et par le corps spirituel l’esprit, ce n’est pas une raison pour que l’apôtre ait voulu dire que dans la résurrection l’âme deviendrait esprit. Il avait en vue le corps, parce qu’en naissant avec l’âme, et en vivant de la vie de l’âme de qui il reçoit sa qualification d’animal, il deviendra spirituel en ressuscitant par l’esprit pour l’éternité. Enfin, si ce n’est pas l’âme, mais bien la chair qui est semée dans la corruption par sa dissolution dans la terre, il faut en conclure que ce n’est pas l’âme qui sera le corps animal, mais la chair qui a été le corps animal. Cela est si vrai que d’animale elle devient spirituelle, comme l’apôtre le dit plus bas : « Mais ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier. » Autre preuve qu’il prépare en faveur du Christ : « Adam, le premier homme, a été créé avec une âme vivante ; le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant, » quoique le plus insensé des hérétiques n’ait pas voulu qu’il en fût ainsi ; car au second Adam, il a substitué le second Seigneur. Il craignait sans doute qu’en appelant du nom d’Adam le second Seigneur, nous ne revendiquassions aussitôt dans le second Adam le Christ du même Dieu qui avait formé le premier Adam. Mais le faux est ici évident. Pourquoi un premier Adam, sinon parce qu’il y a un second Adam ? Des choses ne prennent rang entre elles qu’à la condition de se ressembler, et d’avoir même nom, même substance, même origine. Que, parmi des choses de nature diverse, il y en ait une première et une dernière, je l’accorde ; du moins ne proviennent-elles pas du même auteur. Au reste, s’il existe un autre Créateur, on peut l’appeler le second. Toutefois, sa création reste la première ; elle n’est la seconde qu’autant qu’elle ressemble à la première. Or, comment ressemblerait-elle à la première, puisque l’identité d’origine lui manque ?
Le titre d’homme va servir également à convaincre le faussaire : « Le premier homme, dit-il, est le terrestre, formé de la terre ; le second est le Seigneur, qui vient du ciel. » Pourquoi le second, s’il n’est pas homme comme le premier ? Ou bien peut-il être le premier Seigneur s’il est le second ? Mais l’hérétique, appelant dans l’Evangile le Fils de l’homme du nom de Christ et d’homme, il ne m’en faut pas davantage pour le contraindre à confesser le Christ sous le nom d’Adam. La suite achève de le confondre. Quand l’apôtre dit : « Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants sont aussi terrestres ; » donc, « comme le second est céleste, ses enfants sont aussi célestes. » Il ne pouvait pas ne pas opposer aux hommes terrestres les hommes célestes, afin de distinguer plus exactement dans cette communauté de nom la nature et les espérances. Il a raison d’assigner aux hommes célestes et aux hommes terrestres la même nature et la même espérance : ils naissent dans Adam ; ils renaissent dans le Christ. Voilà pourquoi Paul élève leur espérance vers le ciel : « Comme donc nous avons porté l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste. » Paroles qu’il n’applique point à la nature de la résurrection, mais à la règle de la vie présente : Portons, nous dit-il, et non pas, nous porterons ; c’est un précepte et non une promesse ; il veut que nous marchions dans les voies où il a marché lui-même, et que nous nous détournions de l’image de l’homme terrestre, c’est-à-dire du vieil homme, qui n’est autre chose que l’opération de la chair.
Enfin pourquoi ajoute-t-il : « Je vous déclare, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu ? »
Il entend par ces mots les œuvres de la chair et du sang, auxquelles, dans son épître aux Galates, il refuse le royaume de Dieu. On le voit souvent ailleurs prendre la chair pour les œuvres de la chair, par exemple, dans ce passage : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. » Quand pourrons-nous plaire à Dieu, sinon pendant que nous vivons dans cette chair ? De temps pour agir, il n’en est pas d’autre, que je sache. Mais si, malgré les liens de la chair qui nous retiennent, nous fuyons les œuvres de la chair, alors nous ne vivrons plus dans la chair, puisque nous cesserons d’être non plus dans la substance de la chair, mais dans la faute.
Si ce sont les œuvres de la chair, et non pas la chair elle-même, qu’il nous est prescrit de dépouiller, ce n’est donc pas à la chair, en tant que substance, que l’apôtre refuse le royaume de Dieu. La condamnation retombe moins sur l’instrument du péché, que sur le péché lui-même. Empoisonner est un crime ; toutefois la coupe dans laquelle on présente le poison n’est pas coupable. Il en va de même du corps. Il est comme le vaisseau des œuvres, charnelles ; c’est l’âme qui lui verse le poison du péché. Quoi ! l’âme, principe des œuvres de la chair, mériterait, par l’expiation des péchés commis dans le corps, le royaume de Dieu, tandis que le corps, qui n’a été que son instrument, demeurerait éternellement dans la damnation ! Quand l’empoisonneur est absous, va-t-on châtier la coupe ? Toutefois, sans revendiquer pour la chair corruptible le royaume de Dieu, nous revendiquons pour sa substance la résurrection, comme la porte par laquelle on entre dans le royaume. La résurrection d’abord, ensuite le royaume. Ainsi nous disons que la chair ressuscite ; mais pour obtenir le royaume, il faut qu’elle se transforme. Car « les morts ressusciteront incorruptibles ; les morts, c’est-à-dire ceux qui avaient été corrompus par la mort et la dissolution de la chair. « En un moment, en un clin d’œil, nous serons changés ; car il faut que ce corps corruptible (l’apôtre parlait ainsi, encore investi de sa chair), soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps soit revêtu d’immortalité, » afin que la substance humaine soit propre au royaume de Dieu. Telle sera la transformation de la chair ressuscitée. Qu’elle retombe dans le néant, comment revêtira-t-elle l’incorruptibilité et l’immortalité ? C’est donc sous sa forme nouvelle qu’elle obtiendra le royaume de Dieu. Ce ne sera plus alors de la chair ni du sang, mais toujours le corps que Dieu lui aura donné. Aussi l’Apôtre dit-il avec justesse : « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu ; » il n’accorde cette laveur qu’à la transformation qui suit la résurrection. Alors dans cet état s’accomplira la parole du Créateur : « O mort ! où est ta victoire et ton combat ? » Cet oracle fut inspiré au prophète par le Créateur. Donc le royaume et la prédiction qui s’accomplira dans le royaume n’ont qu’un seul et même maître. A quel Dieu l’apôtre rend-il grâces de nous avoir donné la victoire sur la mort ? A ce même Dieu qui a mis dans sa bouche celle apostrophe à la mort si insultante et si superbe.