Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE X

CHAPITRE VIII
Le siège de Jérusalem dure dix-huit mois ; Jérusalem est prise, Sédécias s'enfuit, mais il est repris ; Nabuchodonosor immole ses fils et ses amis, lui fait crever les yeux et l'emmène enchaîné à Babylone ; il pille le Temple, le brûle avec le palais et rase la ville ; il tranche la tête au grand-prêtre et aux chefs ; il déporte le peuple en Babylonie ; Sédécias est gardé en prison jusqu'à sa mort.

Siège de Jérusalem ; vaillance des assiégés.

1.[1] Cependant le roi de Babylone poussait le siège de Jérusalem avec beaucoup de ténacité et d’ardeur. Il avait construit des tours en terres amoncelées, d’où il repoussait les défenseurs des remparts, et il élevait autour du périmètre de la ville quantité de terrasses de même hauteur que ces murailles. Les assiégés supportaient le siège avec constance et entrain. Ils ne cédaient, en effet, ni à la famine, ni à la peste, et, quoique tourmentés intérieurement par ces calamités, leurs âmes se raffermissaient pour la lutte ; sans se laisser terrifier par les inventions et les engins de l’ennemi, ils imaginaient à leur tour des machines à opposer à toutes les leurs ; de la sorte ce fut entre Babyloniens et Jérusalémites une joute d’ingéniosité et de malice, les uns pensant s’assurer la prise de la ville grâce à leur habileté supérieure, les autres ne faisant dépendre leur salut que de leur adresse à inventer sans trêve ni repos des moyens de défense propres à rendre vaines les machines de leurs ennemis. Ils supportèrent cette épreuve pendant dix-huit mois jusqu’à ce qu’ils succombassent enfin à la famine et à la grêle de traits que les ennemis leur lançaient du haut des tours.

[1] II Rois, XXV, 1 ; Jérémie, LII, 4 ; tout le développement est inventé par Josèphe, qui se souvient du siège de Jérusalem par Titus.

Prise de Jérusalem par l’ennemi ; fuite de Sédécias ; il est pris ; traitement que lui inflige Nabuchodonosor.

2.[2] La ville fut prise la onzième année du règne de Sédécias, le neuvième jour du quatrième mois. A la vérité, cette conquête fut l’œuvre des capitaines babyloniens à qui Nabuchodonosor avait confié le siège : lui-même se tenait dans la ville de Réblatha[3]. Quant aux noms des chefs qui saccagèrent et soumirent Jérusalem, les voici pour ceux qui désireraient les connaître : Nargalassar(os), Arremantos, Sémégar(os), Nabôsaris, Echarampsaris[4]. La ville prise vers minuit, comme les chefs ennemis avaient pénétré dans le temple, le roi Sédécias, prévenu, prit avec lui ses femmes et ses enfants ainsi que ses généraux et ses amis et s’enfuit avec eux de la ville à travers le ravin fortifié et par le désert. Mais quelques uns des transfuges ayant informé les Babyloniens, ceux-ci, à l’aube, se lancèrent à sa poursuite ; ils le joignirent non loin de Jéricho et le cernèrent. Les amis et les généraux qui fuyaient avec Sédécias l’abandonnèrent dès qu’ils virent approcher les ennemis et se dispersèrent chacun de son côté, ne songeant qu’à leur propre salut. Resté seul avec un petit nombre de compagnons, Sédécias fut pris vivant par les ennemis, qui l’emmenèrent auprès du roi ainsi que ses enfants et ses femmes. Arrivé en sa présence, Nabuchodonosor se mit à le traiter d’impie, de traître à ses engagements, oublieux des promesses qu’il avait faites de lui conserver le pays. Il lui reprocha aussi l’ingratitude avec laquelle, ayant reçu de lui la royauté — ne l’avait-il pas prise à Joachim pour la lui octroyer ? — il se servait maintenant de ses forces contre son bienfaiteur : « Mais Dieu est grand, dit-il, Dieu qui, en haine de ta conduite, t’a livré entre nos mains[5]. » Après avoir adressé ces paroles à Sédécias, il donna ordre d’immoler sur-le-champ ses fils et ses amis, sous les yeux même de Sédécias et des autres prisonniers. Puis, il fit crever les yeux à Sédécias et l’emmena chargé de chaînes à Babylone. Ainsi s’accomplit ce que Jérémie et Ézéchiel lui avaient prédit : qu’il serait pris et emmené devant le Babylonien, qu’il lui parlerait bouche à bouche et qu’il le verrait les yeux dans les yeux — car voilà ce qu’avait annoncé Jérémie[6], — mais d’autre part, conduit à Babylone après avoir été aveuglé, il ne vit pas cette ville, ainsi que l’avait prédit Ézéchiel[7].

[2] II Rois, XXV, 3 ; Jérémie, XXXIX, 2.

[3] Hébreu : Ribla.

[4] Hébreu : Nergal-Sarécer, Samgar-vehou, Sarsekhim, Nergal-Sarécer (21 fois), Rab-bag (ou chef des Mages) ; LXX = Μαργανασάρ (ou Νηργελ Σαρασαρ et d’autres variantes). Σαμαγώθ, Ναβουσάχαρ, Ναβουσαρείς, Ναγαράς, Νασερραβαμάθ. Les noms hébreux ont été lus de diverses façons. Il semble que les noms, sans doute altérés, de Josèphe correspondent, mis à part le deuxième, aux lettres dans les noms bibliques juxtaposés (en supprimant le deuxième Nergal-Sarécer comme dittographie).

[5] Discours et scène forgés par Josèphe.

[6] Jérémie, XXXIV, 2 (grec, XLI, 3).

[7] Ézéchiel, XII, 13.

Réflexions sur la prophétie.

3. Tout ce que nous avons relaté est assez propre à manifester aux ignorants la nature de Dieu, si variée, si fertile en ressources, qui fait arriver tout à son heure, régulièrement, et prédit ce qui doit advenir ; et ce récit montre, d’autre part, l’ignorance et l’incrédulité des hommes, qui les empêchent de rien prévoir de l’avenir et les livrent sans défense aux catastrophes, les rendant incapables d’en éviter l’épreuve.

Durée de la royauté juive.

4. Telle fut la fin des rois issus de la famille de David ; ils avaient été au nombre de vingt et un jusqu’au dernier roi et avaient régné en tout cinq cent quatorze ans, six mois et dix jours. Pendant vingt de ces années[8], le pouvoir avait appartenu au premier de leurs rois, Saül, qui était d’une tribu différente.

[8] Les 514 ans comprennent, en plus de la durée de 470 ans indiquée plus loin depuis la construction du Temple jusqu’à sa ruine, les 40 ans du règne de David et les 4 premières années de Salomon. Les 10 années de Saül ne peuvent, semble-t-il, entrer dans ce compte (cf. Destinon, Chron., p. 18). Y aurait-il ici une interpolation ?

Pillage et incendie du Temple ; déportation du peuple et des grands.

5.[9] Le Babylonien envoie à Jérusalem son général Nabouzardan(ès) pour piller le Temple ; il avait ordre aussi de l’incendier ainsi que le palais royal, de raser la ville jusqu’au sol et de transporter le peuple en Babylonie Nabouzardan, arrivé à Jérusalem la onzième année du règne de Sédécias, pille le Temple, emporte les vases d’or et d’argent consacrés à Dieu, ainsi que le grand bassin dédié par Salomon ; il prit même les colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Après avoir enlevé ces ornements, il mit le feu au Temple le premier jour du cinquième mois, la onzième année du règne de Sédécias, dix-huitième de Nabuchodonosor[10]. Il incendia également le palais et rasa la ville. Le Temple fut incendié quatre cent soixante-dix ans, six mois et dix jours après son édification : il y avait alors mille soixante-deux ans, six mois, dix jours que le peuple était sorti d’Égypte. Depuis le déluge jusqu’à la destruction du Temple, il s’était écoulé en tout mille neuf cent cinquante-sept ans, six mois, dix jours. Et depuis la naissance d’Adam jusqu’aux événements relatifs au Temple, quatre mille cinq cent treize ans, six mois, dix jours[11]. Voilà pour le compte des années : quant à ce qui s’est accompli dans cet intervalle, nous l’avons indiqué événement par événement.

[9] II Rois, XXV, 8 ; Jérémie, LII, 12.

[10] Bible (Rois) : le septième jour du cinquième mois, qui est la 19e année du règne de Nabuchodonosor ; Jérémie : le dixième jour.

[11] Plusieurs manuscrits ont 3513 au lieu de 4513. Quoi qu’il en soit, cette chronologie est impossible à accorder avec Ant., VIII, III, 1, § 61. Les premiers chiffres cadrent bien : 592 + 470 = 1062, mais non point les autres : 4513 (d’Adam à la destruction) — 470 = 4043 (d’Adam à la construction du Temple), et non 3102 (Ant., VIII, § 61). Voir, en dernier lieu, F. Westberg, Die biblische Chronologie nach Flavius Josephus, 1910.

Le général du roi des Babyloniens[12], après avoir détruit Jérusalem et déporté le peuple, fit prisonniers le grand-prêtre Saréas et son adjoint, le prêtre Sophonias, les trois chefs préposés à la garde du Temple, l’eunuque préposé aux hommes d’armes, les sept[13] « amis » de Sédécias, son scribe et soixante autres chefs ; tous ces hommes, avec les vases qu’il avait pillés, il les amena au roi dans la ville de Reblatha, en Syrie. Là, le roi ordonna de trancher la tête au grand-prêtre et aux chefs ; lui-même emmena tous les autres prisonniers ainsi que Sédécias à Babylone. Il emmena aussi, chargé de chaînes, le grand-prêtre Josadoc(os), fils du grand-prêtre Saréas, qu’avait tué le Babylonien dans la ville de Reblatha en Syrie, comme nous venons de le dire.

[12] II Rois, XXV, 18 ; Jérémie, LII.

[13] D’après Jérémie ; les Rois ont : cinq.

Liste des grands-prêtres.

6.[14] Après avoir passé en revue la race des rois, montré ce qu’ils furent et établi leurs époques, j’ai estimé nécessaire de rapporter aussi les noms des grands prêtres et d’énumérer ceux qui ont obtenu cette dignité sous les rois. Sadoc fut le premier grand prêtre du Temple construit par Salomon. Après lui, c’est à son fils Achimas qu’échut cette dignité ; après Achimas, vint Azarias, puis son fils Joram(os)[15], puis Isos, fils de Joram, après lui Axioram(os), puis Phidéas, fils d’Axioram, Soudéas, fils de Phidéas, Youêl(os), fils de Soudéas, Jotham(os), fils de Youél, Ourias, fils de Jotham. Nèrias, fils d’Ourias, Odéas, fils de Nèrias, son fils Salloum(os), Elcias, fils de Salloum, Saréas, fils d’Elcias, enfin son fils Josadoc(os) qui fut emmené captif à Babylone. Tous ceux-ci reçurent la grande-prêtrise de père en fils[16].

[14] I Chroniques, V, 84 (grec, VI, 8-15) ; cf. Ant., V, § 361.

[15] Hébreu : Yohanan, LXX : Ίωανάν. A partir de là, la liste de l’hébreu et celle de la Septante différent beaucoup ; nous y lisons : Amaria, Achitoub, Çadok, Salloum, Hilkia, Azaria, Ceraya, Yehoçadak (cf. la liste plus courte d’Esra, VII, 1-6).

[16] On a remarqué qu’il n’y a ici que 17 noms, alors qu’ailleurs (Ant., XX, X, 231) Josèphe compte 18 grands-prêtres dans cet intervalle. Whiston insère (sur l’autorité du Seder Otam) Azarias entre Elcias et Saréas. (T. R.).

Mort de Sédécias.

7. Revenu à Babylone, le roi retint Sédécias en prison jusqu’à sa mort. Il l’ensevelit royalement. Il consacra à ses propres dieux les vases dont il avait dépouillé le Temple de Jérusalem. Quant au peuple, il l’établit dans le pays de Babylone et il délivra le grand-prêtre de ses chaînes.

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